Ça m’obsède. Tu as envie d‘aller au Brésil ? Tu
hésites : Rio ? Sao Paulo ? Ouro Preto ? Manaus ? T’as
que l’embarras du choix. Sauf que ton choix n’est jamais Brasilia. La capitale.
C’est le seul cas au monde où tu as envie de visiter un pays, mais pas sa
capitale.
Brasilia, conçue par des aménageurs et des urbanistes est un
échec majuscule. Une ville où personne n’aime vivre. Pourtant, tout a été
pensé, étudié, pesé, structuré. Le hasard n’avait pas sa place.
Justement. Les capitales où se ruent les voyageurs n’ont pas
été dessinées, planifiées, aménagées. Elles sont le fruit de centaines de
hasards. C’est comme ça que la vie
s’est installée, parce que la vie, c’est le bordel.
Hou là !!! Insupportable ! Feignons d’en être
l’organisateur. Trouvons des solutions. Structurons. Evacuons le hasard, cet
empêcheur de bétonner en rond.
Et personne n’ose dire que ça ne marche pas. La figure
tutélaire de Le Corbusier, commandeur des urbanistes, s’étend sur toutes les
planches à dessin. Alors que Le Corbusier et ses séides sont les responsables
d’une confusion littéraire car ils font de l’urbanisme métaphorique. Les rues
sont des « artères » ce qui conduit à parler de
« thrombose » pour un banal embouteillage. Les espaces verts sont des
« poumons » et les centres commerciaux deviennent des
« cœurs », dessinant à la ville un corps parfait d’où est absent,
malgré tout, le trou du cul.
On trouve bien
quelques manques. La mixité sociale, par exemple. Elle revient comme une
antienne. Alors on mélange les populations, comme on peut. Le plus souvent en
intercalant des étages d’HLM dans des immeubles ordinaires. Manière de renommer
ce qu’on a mal nommé : la mixité sociale est la mixité des revenus. Si tu
ne me crois pas, relis Cavanna et sa description du Nogent de l’entre-deux
guerres quand une colonie de migrants ritals phagocytait les quartier d’une
ville de petits-bourgeois. Aujourd’hui, une telle installation serait nommée
« communautarisme ». Il y avait une vraie mixité sociale, le maçon
était le voisin de son patron, riches et pauvres mélangés. Mais les Ritals ne
se mélangeaient pas aux autochtones. Alors, c’est quoi la mixité sociale ?
Le mélange des revenus ? Le mélange des ethnies ? Le mélange des
religions ? Un peu de chaque, en proportions variées. Mixité sociale veut
donc dire homogénéiser et chaque aménageur va privilégier son idée de la chose
en essayant, horreur ! de ne pas créer de ghetto alors que la population
qui arrive a besoin d‘être accueillie par ceux qui sont déjà là et peuvent être
une aide essentielle à l’intégration.
Les villes accueillent désormais plus de citoyens que les
campagnes. Or, les villes sont le lieu de l’immobilité, de la sédentarité. Dès
qu’il le peut, le nomade se sédentarise. L’erreur majeure est de vouloir faire
de la ville le pivot de la mobilité ce qui est à l’opposé de sa vocation
première. On ne fait pas un cheval de course avec un percheron. Avec le
parpaillot suisse, les aménageurs ont insisté sur le côté téléologique de la
ville. La ville ne sert pas à travailler,
dormir, prendre du plaisir. Elle sert d’abord à s’arrêter et doit être
organisée en fonction de la halte.
Il faudra bien tout remettre à plat. Tous mobiles, ça ne
marche pas.