dimanche 27 mai 2018

LES HONGKONGAIS

Biarritz ne bruisse que de ça : les Hongkongais vont sauver le Biarritz Olympique. Complétons l’information.

Tout d’abord, depuis la phrase célèbre de Deng (un pays, deux systèmes) et depuis le jour où le dernier gouverneur de Hong Kong a descendu l’Union Jack du  mât de sa résidence, Hong Kong, c’est la Chine. Politiquement, je veux dire. Donc, on pourrait dire « les Chinois », mais ça écorcherait la gueule de pas mal de monde.

Sur le delta de la Rivière des Perles, Hong Kong est un pauvre village de pêcheurs jusqu’à ce que les Anglais s’y installent. La vraie capitale, économique, culturelle, patrimoniale, commerciale de la région, c’est Canton. Les Anglais vont renforcer Hong Kong, lui donner sa puissance financière et son poids touristique. Ça vous rappelle rien ? Un village de pêcheurs misérables gonflé à l‘EPO par des investisseurs étrangers et qui veut faire de l’ombre à la capitale historique de la zone ? Hong Kong-Canton, c’est Biarritz-Bayonne. Les Chinois seront pas dépaysés.

Les Chinois…Là, j’avoue, j’ai du mal. Territorialement, les investisseurs, ils sont plutôt franco-syriens. Les positions économiques et politiques de Messieurs Gave ne flirtent pas trop avec la doxa pékinoise. S’ils ont choisi Hong Kong, ils ont leurs raisons, mais elles m’échappent. La Chine n’a jamais accueilli Frédéric Bastiat. Tiens ! encore un Bayonnais.

Ils investissent dans le rugby. Faut savoir que Mao a condamné le rugby comme quoi c’était pas un sport honorable. Tous les Chinois savent ça. On peut penser que Messieurs Gave veulent se distinguer de la pensée maozedong. En fait, le rugby est devenu un sport olympique. A 7, mais quand même. Aux prochains JO, si la Chine prend une toise par le Japon, ennemi héréditaire et détesté, va y avoir du nettoyage dans les instances olympiques de Pékin. On peut donc penser que nous sommes face à une pensée stratégique bien menée. Vu qu’en l’état actuel des choses, le Japon devrait filer une toise à la Chine. Et donc, Messieurs Gave seront bien placés pour nettoyer l’orgueil national. Ils sont pas les seuls à penser ça. Voilà quelque temps que des clubs anglais tissent des liens avec le Guangdong.

Là, je fais une parenthèse géostratégique. Pour les instances dirigeantes du rugby français, le Pacifique, c’est un endroit où on va se promener tous les ans pour acheter des mercenaires. J’ai jamais compris pourquoi la Nouvelle Calédonie ne fournissait pas de joueurs du niveau des Tongiens ou des Fidjiens. Bon, on peut pas demander à Laporte de regarder une carte. Hors d‘un casino, je veux dire. Déjà qu'il n'y a pas de rugby en Corse..Alors en Kanaky....

Ceci dit, je ne crois pas à une vision stratégique car une vision stratégique s’appuie sur la jeunesse. Or, les statistiques sont claires : hormis quelques grandes écoles (Polytechnique, HEC) les jeunes Chinois sont obsédés par deux établissements d’enseignement : les Beaux-Arts de Paris et le Conservatoire de Musique de Paris. Or ce sont deux établissements accessibles par concours où les intermédiaires-requins n’ont aucune prise. Ce sont aussi deux établissements pour lesquels les écoles préparatoires de Bayonne ont  pratiquement 100% de réussite.

S’il y avait eu vision stratégique à Hong Kong, la construction d’une Maison pour héberger les étudiants chinois aurait coûté bien moins cher que le comblement du trou biarrot. On pouvait même y prévoir deux ou trois chambres pour les espoirs du rugby. Pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Investir dans les énergies vertes est aussi une bonne idée pour des financiers. Messieurs Gave auraient pu acheter un paquet d‘actions de China Tianyin, implantée à Bayonne. Bref, une vision stratégique conforme au weiqi qui choisit comme base la pierre que personne ne considère. Mais tout ceci repose sur une question encore sans réponse. Les Hongkongais vont ils accompagner le gouvernement chinois ou pas ?Au vu des informations publiques sur la famille Gave, je doute, mais un revirement est toujours possible.

Ou une mauvaise interprétation. On peut penser que Charles Gave a mieux compris Friedman que la plupart de ses épigones et que l’opposition Keynes-Friedman est une simplification abusive, pas nécessairement incompatible avec les positions économiques du gouvernement chinois. Nous avons peut être une idée biaisée de l’interventionnisme. Pourquoi ne pas imaginer que Gave est un cheval de Troie posé par la Chine pour miner le sport capitaliste ? Ce qui expliquerait qu’il n’investit pas dans les clubs de rugby à fort potentiel (Toulon, Castres, Montpellier) mais dans les canards boiteux.

Mais, là, je me laisse aller.


EUSKAL CHINOIS - 2

Je reviens sur mon billet concernant l’implantation chinoise à Bayonne (Euskal Chinois le 25/03) parce qu’il a été dit à un bon copain que c’était un gros pipeau. Je reviens donc sur le mécanisme, je suis un emmerdeur, pas un menteur. Tous les politiques ne peuvent en dire autant.

Et donc l’usine Canopia qui traite les déchets du syndicat BilTaGarbi appartient au groupe Urbaser. Information vérifiable sur le site du syndicat.

Sur le site d’Urbaser, une page (pas très jolie) indique que le 27 janvier 2017, le PDG, Monsieur Saint-Joly informe son personnel que le 7 décembre 2016, Urbaser a été cédé à un consortium chinois, composé de l’entreprise China Tianying (CNTY) et de plusieurs fonds d‘investissement de l’état chinois. Le PDG mentionne également le CECEP, en confondant un peu les rôles. Tout ceci est contrôlable.

Le CECEP (China Energy Conservation and Environmental Protection Group) est une société d‘Etat (State Owned Company) qui a succédé à China New Era laquelle dépendait de la Commission scientifique, technologique et industrielle pour la défense nationale (informations disponibles sur le site de la CECEP). Chemin classique : le sujet est sensible, on le confie à l’Armée, laquelle va l’habiller de vêtements présentables. Ça a marché pour la tomate. Naturellement, l’Armée capitalise les sociétés qu’elle contrôle et les introduit en Bourse, ça rassure l’investisseur. Le President de CECEP, Liu Dashan, diplômé de l’Université de  Tianjin, a commencé comme diplomate, après quoi il a dirigé le secteur chinois des machines-outils. Il est également Secrétaire du Comité du Parti Communiste de la CECEP. Mr Liu a notifié son désir de nouer des relations à long terme avec les sociétés européennes. Raison pour laquelle il les rachète. Il aime la mer : en avril 2018, il était en visite à Hainan, capitale chinoise du surf.

Et donc, Canopia, par le jeu des filiales, est géré par une société chinoise dépendant directement du gouvernement et peut être encore un peu noyautée par l’Armée.

Avant de dire que je mens, démentez et étayez….

Quant aux salariés de Canopia, soyez heureux : vous construisez le socialisme. A la chinoise, certes, mais c’est mieux que rien.


On en reparlera….

jeudi 24 mai 2018

L'OC EST OUT

Il me regarde comme si j’étais une défécation aviaire tombée par hasard sur sa boutonnière qu’il doit déjà imaginer rougeoyante.

« Monsieur Chabaud, avec votre accent tonique, vous ne comprendrez jamais rien à la langue française ».

Bon, c’est dit. Lui, il est normalien, assistant de l’honorable Claude Régnier, Professeur de littérature médiévale à la Sorbonne. Il doit savoir de quoi il cause. C’est vrai que je collectionne les bulles. L’ancien français a évolué sous la pression de l’accent tonique et je suis toujours à côté de la plaque. J’y comprends rien. Et je ne veux pas comprendre.

Il me faudra trente ans pour démêler le nœud gordien. Ce vieux français qui finira par donner cette langue que j’adore, c’est le patois merdique d‘une bande de sauvages, picards, artésiens, un peu germains qui gutturent plus qu’ils ne parlent. On appelle ça le français d‘oïl. Moi, le fils d’oc, je n’ai aucune passerelle pour accéder à cette chose. Et je ne connais pas encore la bataille de Muret et la destruction de la noblesse d’oc par Simon de Montfort, génocidaire pré-hitlérien.

Quand je prends l’apostrophe, cela fait quelques décennies que de braves médiévistes et d’intellectuels chenus passent leur lumineuse vie à rapetasser les liens entre le français et les patois des vieux ch’tis. Je ne veux voir qu’une seule ligne !

Tout ceci remonte lors d‘une prise de bec avec une jeune fille qui ne veut pas que je boute le feu au XIème siècle. « Le mot apparaît à peine en français, regarde Greimas ». Ben oui, Greimas semble lui donner raison mais « Soyons sérieux, à cette époque on construit la cathédrale de Compostelle et on y installe le botafumeiro, celui qui boute la fumée ». Non mais !!! C’est pas une gamine qui aura le dernier mot. J’avais oublié les ressources de la rhétorique féminine. « Forcément, si tu mêles ancien français et ancien espagnol…. »

Mais ils étaient mêlés !! C’est obligé. Comment il fait Rotrou du Perche pour causer avec Alphonse le Batailleur ? Il utilise Gougleu ? Non, les passerelles étaient nombreuses avant d‘être détruites. C’était beau la filiation germaine pour la langue. Mieux que les patois rustiques aux accents toniques déficients.

Depuis Muret (1213), les langues d‘oc tirent la langue pour revenir dans le concert national. Molière, avec ses pègues, n‘a pas eu le succès escompté et il faut un amendement à la loi pour faire vivre la chocolatine. Avec l’assistant oc-phobe qui a rejoint l’Académie française, ça va pas s’arranger. Y’a guère que « putain » qui a tiré son épingle du jeu. A l’époque où sévissait Régnier, mes « putain » récurrents me signalaient comme un méridional bouseux de la rue Dauphine au jardin du Luxembourg tandis qu’aujourd’hui on remarque avant tout ceux qui n’ont pas ce juron à la bouche. Il faudra bien un jour que la filiation romane revienne dans le jeu philologique et que l’apport du sud à la beauté de la langue soit reconnu.

Bon, c’est pas gagné. En nos temps, s’il y a impact du Sud, faut bien reconnaître que l’on parle d’abord du Sud du Sud. Le travail de Pagnol a amélioré la position de la Provence mais la Novempopulanie reste absente. On aurait pu croire qu’avec Montaigne…pourtant, nulle postérité. 

Quoique :
« Pardon, Madame, c’est loin, Bardos ?
- D’ici étant, dix minutes. »

« D’ici étant ».. Expression commune et superbe qui fleure Rotrou du Perche. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas approfondi la question. A cause de l’accent tonique. Pas la seule. « Va serrer tes affaires ». Serrer. Montaigne l’emploie aussi. « Saquer ». Il faut être aveugle pour ne pas y voir le « sacar » espagnol dont Albert Lévy affirmait qu’il était entré dans le français par la communauté séfarade de Bayonne. Le CNRTL affirme que c’est un dérivé de « sac », avant de concéder que la première occurrence française est Le Couronnement de Louis, partie du cycle de Guillaume d’Orange. Narbonne, Orange, villes picardes ?  Les considérations étymologiques sont complexes pour arriver à faire le lien entre « sac » et « saquer » alors que le sens espagnol est exactement  le même que le sens français. Il faudra un jour que, comme les biologistes, les philologues admettent que les solutions simples et élégantes sont les meilleures. C’est une règle épistémologique.

Depuis Napoléon III, les philologues s’évertuent à éradiquer toute trace d’oc dans la construction de la langue française. Le Rhin surpasse la Garonne. On choisit ses ancêtres. Napoléon III avait préféré les Gaulois aux Germains, gommant les Francs du roman national. Les Romains abandonnés reprirent leur place grâce aux Gallo-Romains et l’oc devint un supplétif du latin. Quant au gaulois, celte comme le gaélique, le manque de sources l’a placé derrière le germain dans le réservoir des origines.

Et donc, mon vieux professeur, je n’avais pas l’accent tonique, mais il me restait le lexique. Chez moi, on flambe les portes ce qui ne signifie pas qu’on les brûle mais qu’on les ferme avec violence, la violence du feu. Sens que le CNRTL ne signale pas. Mais, d‘ici étant, le CNRTL, c’est bien loin. D‘ailleurs, il ignore la chocolatine.

Le CNRTL est un organisme de leugnes, vieux mot de chez moi qui désigne des bouts de bois inutilisables et un peu pourris, avec une belle étymologie latine, celle de la lignite. Chez moi, c’est un conservatoire de mots que le CNRTL ignore. Ils doivent être noyautés par les Alsaciens. Seule Florence Delay pourrait m’aider.

On en reparlera



dimanche 13 mai 2018

LE TOAST D'ALGER

Je le connais bien, je passe devant lui presque tous les jours, immortalisé par Falguière brandissant vers les hordes teutonnes sa croix de Lorraine d’évêque de Nancy.

Lui, c’est Charles Lavigerie, cardinal et Bayonnais et bien oublié. Va savoir pourquoi, ce matin, je pense à lui. Pour sa vie qui fut celle d’un battant. De nos jours, on saurait pas où le classer. Missionnaire (horreur !) en Algérie, il crée les Pères Blancs (c’est bien, c’est le Père de Foucauld), il lutte contre l’esclavage  (très très bien) et il met en place des règles d’évangélisation des populations musulmanes (très mal, ça touche à la culture). Le règles valent d’être rappelées (parler la langue, manger comme …. vivre comme…). Les militaires s’inquiètent et craignent que l’évangélisation ne réveille « le fanatisme musulman ». En clair, foutez leur la paix et qu’il restent où ils sont.

Mais aujourd’hui, je pense au Toast d’Alger. On est en 1890, la République française ne va pas très bien, en butte aux attaques, notamment, d‘une droite catholique et excessive. Lavigerie est archevêque d‘Alger et il prononce un discours, clair et dont on sait que le Vatican l’approuve :  « Quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que la forme d'un gouvernement n'a rien de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées, lorsqu'il faut, pour arracher son pays aux abîmes qui le menacent, l'adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment vient de sacrifier tout ce que la conscience et l'honneur permettent, ordonnent à chacun de sacrifier pour l'amour de la Patrie. […] C'est ce que j'enseigne autour de moi, c'est ce que je souhaite de voir imiter en France par tout notre clergé, et en parlant ainsi, je suis certain de n'être démenti par aucune voix autorisée. »

Tout est dit. La religion doit être sacrifiée « pour l’amour de la Patrie » dès lors que ce sacrifice n’est pas contraire aux principes du vivre ensemble. Alors oui, aujourd’hui, je pense à Charles Lavigerie.

J‘imagine un imam ou un ayatollah répondant au toast d’Alger par un toast de Paris (ou de Marseille ou de Lunel) afin d‘expliquer aux musulmans que la religion doit être sacrifiée au vivre ensemble. Bien entendu, c’est un simple rêve. L’organisation de l’Islam ne le permet pas. Le mental du clergé, non plus. Je ne vois aucun religieux capable de prononcer en public d’aussi fortes paroles. Il ne s’agit pas d‘opposer Marianne à Mahomet, il s’agit de dire qu’ils ne peuvent vivre ensemble, dans le même lit.

Il y a, toutefois, un fait qui doit être examiné. Dans tout le pays, grâce à des associations auto-représentatives et des avocats stipendiés, les détenus musulmans réclament inlassablement des menus adaptés. En clair, l’Islam qui refuse la République à la pointe du couteau fait appel aux principes de la même République pour respecter sa religion. Ne hurlez pas ! Je ne dis pas que tous les détenus musulmans sont des terroristes. Je dis simplement que pour être en détention il faut s’être plus ou moins placé hors la loi et qu’il est quelque peu abusif de se réclamer de la protection d’une loi à laquelle on a dérogé et qu’on a refusée.

La loi sur la laïcité souffre d‘un mal : elle tolère les religions ce qui revient à les accepter. Mais elle refuse de les prendre en compte. On ne peut légiférer sur le martyre. Par voie de conséquence, on ne peut s’en défendre. Les terroristes tuent et attendent la réciproque qui les enverra d‘un coup au paradis où abondent les vierges. Tu penses bien que, face à ces félicités, y’a pas grand chose qui tienne. Une défense pourrait être de les rendre impurs pour annuler le paradis. Comment ? J’en sais rien. Leur injecter 10 cm3 de sang de porc au moment de l’autopsie, par exemple. Et prévenir l’imam chargé de l’ensevelissement, qu’il fasse pas d’erreur. Mais la loi ne le permet pas, parce que la loi n’interfère pas avec la religion. Faut dire que, rédigée en 1905, la loi avait pas prévu que le paradis serait un problème.

Il l’est devenu en inversant la problématique : quand j’étais petit, le problème, c’était l’Enfer. Fallait pas y aller. Ne pas y aller conduisait au Paradis. On n’avait pas le même code de la route. Faudra s’adapter au changement et se réhabituer à la virginité.

On en reparlera…




dimanche 6 mai 2018

LA TIQUE

C’était un dîner. Le boss avait réuni, dans SON restaurant, ses plus proches collaborateurs. En gros, y’avait deux groupes, deux générations.

Les seniors, les vieux, ceux qui étaient entrés dans le tourisme aux temps de Jacques Maillot, des premiers charters et de l’ouverture du monde. Ceux là se croyaient encore en mission, pour faire connaître les peuples et les pays, pour que le savoir circule (y compris avec l’affect) afin de bâtir l’harmonie du monde. Ils ne voyaient pas que l’ensemble des relations tissées depuis tant de temps avec leurs réceptifs étaient un bandeau sur leurs yeux et que les copains des premiers jours étaient entrés dans la classe des oppresseurs : un réceptif, dans le tourisme, est une sorte de maquereau qui exploite ce qu’il n’a pas créé. C’est l’histoire du copain qui a démarré avec une auberge pourave mais qui, avec le temps, a envoyé son fils étudier aux States et arrive à changer sa Mercedes avec une belle régularité. L’avenir du petit personnel attendra.

Les juniors, c’était autre chose. Sciencepotards ou force de vente d’une université de second ordre, ils avaient choisi le voyage pour profiter de tarifs avantageux et d’un accueil de VIP. La réalité des destinations importait peu. Le voyage n’était pas lieu de savoir mais plaisir de cadre secondaire. Ils n’avaient aucune conscience qu’ils faisaient un travail de domestiques et que chaque interrogation sur la manière de prendre plus sur un dossier passait par leur disponibilité et leur capacité à se transformer en paillassons de luxe. Pour eux, préparer un voyage n’était pas un partage avec leurs clients. Ils admettaient sans barguigner que leurs clients avaient atteint le niveau où on ne partage pas. Surtout avec des fournisseurs.

Tout le monde avait la parole. Il y eut quelques frittages. Entre les deux groupes, le boss relançait. Je l’observais. Il me faisait penser à une petite tique se gavant des idées et des paroles des autres. Aux seniors, il prenait l‘affect, la compassion, l’humanité, un poil d’écologie. Rien de politique. Le spécialiste du Népal qui voulut parler de la guérilla maoïste se fit rembarrer. Avec les juniors, il se gavait d’idées marketing et communicantes. En fait, il faisait son marché en faisant semblant de créer une cohésion d’entreprise.

Avant tout, la démarche montrait le manque de direction. Il est vrai que nous étions en train de contempler l’effondrement d’une époque dans le domaine du tourisme.  Les bases de données avaient pris le pouvoir. En matière de culture (et le voyage, c’est culturel) les bases de données remplacent cette salope d‘oublieuse mémoire. Nous aurions pu être à un carrefour, celui qui aurait remis l’homme au centre du jeu. Je m’explique. Une demande de client : horaire d’avion, chambre d’hôtel, guide touristique, peu importe.

La base de données va te recracher tout ce que tu y a mis. Tout. Tu sers à quoi ? Mais à guider le choix du client. Immense pipeau. Parce que les hôtels, tu les connais pas. La base de données te donne les liens et tu découvres en même temps que le client. Vu que t’as plus d’adresses que le concurrent, le client va croire que t’es meilleur ? C’est juste que ta base de données est plus large.

Les seniors, imbus de leurs voyages, de leur savoir, de leur expérience, n’ont pas vu venir le coup. Avec de bonnes bases de données, celles qu’on leur a demandé de construire, n’importe quel débutant payé au smic peut sortir à peu près le même projet qu’eux. Le même ? Non. Plus rentable vu les salaires payés. Pour le reste, à peu près, et les sous-payés trouverons bien des excuses à leur incompétence.

En fait, je me plantais. La tique absorbait les éléments lui permettant de construire les outils informatiques qui entrainait l’amaigrissement de la masse salariale. Mais, comme toujours, on regardait grossir le parasite et on ne voyait pas le vrai danger, la maladie qu’elle injectait. Pour les tiques, la maladie de Lyme. Pour la boite, la contraction des salaires.

Au fur et à mesure de la mise en place des outils, on a vu partir les seniors. Ils avaient construit les outils de leur inutilité. Même moi. Sauf que moi, ma base de données, personne ne l’a reprise et elle est morte, inutilisée. J’y avais juste glissé un piège. Pour la maintenir, il fallait bosser. Beaucoup. Donc, personne ne voulait s’y coller. Une base de données, c’est fait pour moins bosser, pas plus.

J’exagère. Pour virer les seniors, il a fallu plus que les bases de données. Cabales et mensonges ont pris le relais. Mais le risque avait été évacué puisque le savoir était entreposé dans les coffres de la boîte. Les actionnaires étaient heureux, le cours de Bourse explosait, et même les clients prenaient leur pied avec des voyages taillés pour leurs lacunes. Les mêmes voyages que proposent les concurrents, à quelques détails près.

Lors d‘une dernière réunion, j’avais interrogé mes collaborateurs qui se voulaient tous imbibés de culture américaine et croyaient que Paul Auster est un écrivain. J’ai déplacé le curseur et je leur ai demandé ce qu’ils conseilleraient sur la Californie du sud. Pas un, je dis bien pas un, n’a cité Steinbeck, qu’il s’agisse du journal de la mer de Cortez ou de la trilogie de Monterey. Et aucun ne connaissait le voyage avec Charley, merveille publiée par les éditions Del Duca. Ajoutons qu’aucun ne connaissait les éditions del Duca. Et Steinbeck ne figurait pas dans la base de données. Je l’avais volontairement omis. N’oublions jamais que la meilleure base de données d’un libraire et installée entre ses deux oreilles.

Je me dois de préciser que je n’avais pas engagé tous mes collaborateurs. Mais leurs qualités devaient être réelles puisque certains sont devenus chefs chez Auchan.

Quant au boss  de gauche, il expliquait ce soir à la télé comment il avait organisé un diner pour soutenir financièrement Macron. Les spécialistes de la force de vente ont gagné.


On en reparlera….

mardi 1 mai 2018

PREMIER MAI

Hé bien, cinquante ans après, je suis allé manifester. C’était à Bayonne et à l’initiative de la CGT. Y’avait du monde, le spiqueur en bégayait de bonheur. Moi, planqué derrière ma clope j’observais.

Première remarque : manif de vieux. Certes, il y avait quelques enfants, de ceux qui font les belles photos de manifs unitaires, y’avait leurs parents trentenaires mais, dans l’ensemble, le manifestant de base était retraité ou avoisinant. Je sais bien que ça va de pair avec une tendance nationale et régressive mais il suffit au patronat d’attendre, l’adversité disparaitra toute seule. Elle disparaîtra avant les problèmes ce qui donnera l’impression qu’ils ont été réglés. On en a déjà parlé : diviser pour régner marche bien, et surtout diviser jusqu’au dernier atome, l’individu. La pub affirme que « seul je suis plus beau », la lutte nous dit que « seul, je suis plus faible. » Inconsistant. Moquez vous des soixante-huitards, quand le dernier disparaitra disparaitront aussi les cortèges de manifestants.

Seconde remarque : le bilan de 68 est catastrophique. Le mouvement politique s’est dilué dans une compassion qui va de pair avec les chats de Facebook. Dans un mouvement politique, on attend d’abord les réponses à la seule question politique qui vaille : comment répartir les gains de la plus-value liée au Travail ? Tout le reste est littérature. Ce matin de luttes à Bayonne, deux questions m’ont été posées : que pensais je de l’accueil des migrants ? et que pensais je de la petite Navarraise qui a servi de sex-toy à une bande d’Andalous ? En fait, c’était la même question : que faire avec ceux qui quittent leur territoire ? Je n’ai même pas essayé d’expliquer que la manif était partie de la gare et qu’il y avait une lutte à soutenir. Ou pas. Et que cette lutte n’avait rien à voir avec les questions posées.

La bande son était, à mes yeux, bien choisie. Che Guevara, Bella Ciao, souvenir de l’antifascisme italien, La Cucaracha, hymne de la révolution mexicaine de 1911, il n’y avait rien à dire quant à la légitimité des choix révolutionnaires. C’est ma copine russe qui m’a mis la puce à l’oreille en me demandant ce que la révolution avait à voir avec des rumbas. C’était historiquement juste et politiquement discutable. Ma mémoire chante en sourdine…Potemkine. Quand est arrivé Hegoak, je me suis demandé si cette mélodie aurait entrainé les soldats de l’an II à l’assaut du moulin de Valmy. Je n’ai pas eu à attendre bien longtemps. Lors du rassemblement final, sous les fenêtres du Maire, la manifestation a entonné le Vino Griego, l’hymne de l’équipe locale de rugby. J’avais connu la CGT de Séguy et Krasucki, j’étais avec la CGT de Martinez dont le nom fleure bon la rumba, ce qui répondait à ma copine.

On peut disserter à l’infini sur cet échec patent du mouvement de 68. Il paraît que Régis Debray se pose aussi la question. Je crois d‘abord qu’on était une bande de rigolos, plus aptes à jeter des mots que des grenades ; les pavés, c’était entre les deux. En regardant passer le bus électrique de l’agglo, j’ai furtivement pensé au bus à plateforme auquel Roger et moi avions mis le feu rue des Saints Pères. Face à la foule des papys encasquetés, ça pouvait passer pour un acte révolutionnaire. Nous étions tous des Juifs allemands pour soutenir celui qui quarante ans plus tard serait le copain de Bayrou.

Notre vice, c’était de changer la vie. Alors que la politique, c’est avant tout donner la mort.

Ne hurle pas, camarade. C’est la base même de l’action politique. Tiens ! tu te souviens ? Macron a pas déclaré sa candidature que des centaines de « marcheurs » se précipitent à la recherche de postes, surtout de députés.

Imagine une vraie opposition de mecs déterminés. Déterminés à tuer. Pour les candidats à la députation, ils savent que, face aux postes et aux dix mille euro par mois, il peut y avoir une bastos dans la nuque. Franchement, tu crois qu’ils se précipiteraient pareil les sauveurs de la République ? Même Emmanuel. Mieux protégé, le chef, mais pas invincible.

On a changé la vie. Aux marges. Je pensais à l’Espagne aujourd’hui. Combien de manifestants pour lutter contre un pouvoir corrompu et un système injuste ? Et combien pour protester contre un viol, certes dommageable, mais pas essentiel ? Le résultat de 68, il est là, dans cet oubli des valeurs de lutte pour la survie des plus faibles au profit  de vagues compassionnelles anecdotiques, parce que singulières.

Stephen Jay Gould était professeur à Harvard, l’un des pôles du conservatisme américain. Dans son bureau, au mur, il y avait un drapeau rouge, déchiré et un peu sanglant, le drapeau que portait son grand père lors d’une manif du Premier Mai où il fut blessé par la police. J’ai le droit de choisir mes anecdotes, non ?


On en reparlera…