mardi 29 octobre 2013

LE NÈGRE DE NAPOLÉON

Ouais, bon, c’est un titre. Le nègre de Napoléon, comme chacun peut l’imaginer, c’est un Noir, un Black. Un mec que Napoléon a pris dans ses bras sur le champ de bataille d’Ostrovno pour le nommer Officier de la Légion d’Honneur.

J’aime bien cette histoire parce qu’elle est liée au territoire. Je vous explique parce que c’est rigolo. Rigolo et parfaitement documenté, ça va sans dire…

Le mec, il est né à St-Pierre-de-la-Martinique. Papa colon et Blanc. Maman mulâtresse. On est au XVIIIème siècle, le Code Noir s’applique. Et donc, Maman, elle est mulâtresse ce qui veut dire fille de Blanc et de Noire (ou de Noir et de Blanche). Le gamin, il s’appelle Joseph mais ça n’ajoute rien à ses origines. Dans le cadre du Code Noir, fils de Blanc et de mulâtresse, le gamin c’est un métis. Pas esclave vu que Papa est libre et Maman affranchie. Le Code Noir appelle ça des « libres de couleur ». Manière délicate de dire qu’il est de couleur mais libre quand même. Libre blanc, ça va de soi, et donc on dit pas. Bon, l’important, c’est qu’il est « de couleur ». Black. Noir. Nègre.

Pas tout à fait. Joseph est ce qu’on appelle alors un « chabin chapé », un môme qui a le teint très clair au point qu’on pourrait le prendre pour un Blanc. C’est des histoires génétiques, un gène qui code pas très bien pour la mélanine. Ceci dit, il s’en fout. Il a pas les droits d’un Blanc, il est majeur à 25 ans et pas 21, il peut pas s’asseoir au premier rang dans l’église (quand il y va, et c’est pas tous les dimanches). Il peut pas non plus être gradé dans l’armée, entrer dans la fonction publique ou devenir franc-maçon. C’est un sous-Blanc. A la Martinique, tout le monde sait qu’il est Noir.

On va pas rentrer dans les détails, mais Joseph, il va un peu faire la guerre contre les Anglais, se faire prendre et se retrouver prisonnier à Plymouth. Comme beaucoup d’Antillais. Et là, il se passe un truc marrant. Les Anglais libèrent d’un seul coup tous les Antillais. On dit qu’ils pensaient que ça foutrait un peu le bordel dans l’armée française. Et de fait, dès que les Antillais arrivent en France, le Comité de Salut Public les colle dans un bataillon spécial et renvoie tout les monde sous les Tropiques. Tout le monde sauf Joseph. Le Noir de St Pierre est Blanc à Plymouth.

Libéré un an après ses copains antillais, Joseph se retrouve chef de garnison à Ouilly-le-Basset dans la Normandie profonde. Chef de garnison et Blanc.

Faut réfléchir à ça. C’est le même mec. Tu le mets sur un territoire, il est Noir. Tu le changes de territoire, il est Blanc.

En fait, c’est normal. Y’a un territoire pour lequel la couleur est fondamentale. On te pèse, on te soupèse, on traque tes ancêtres jusqu’à la dixième génération. On t’étiquette, on te marque. Et puis, y’a un territoire pour lequel la couleur n’existe pas vu que tout le monde est Blanc. Et même si t’es pas tout à fait Blanc, t’es Blanc quand même. On va pas chipoter. Et voilà comment le même mec n’a pas la même identité selon le territoire où il est.

Je sais pas ce qu’il faut de plus pour bien montrer que le territoire géographique n’est rien d’autre qu’un mille-feuilles culturel et que nos rejets, nos préventions, nos habitudes viennent autant du sol que de l’histoire. Ou plus justement de l’histoire d’un sol et pas d’un autre. Joseph montre bien que t’es pas le même à la Martinique qu’en Normandie. En Normandie, en Croatie ou en Biélorussie. C’est pas un choix de hasard. Joseph a été colonel d’un régiment croate et nommé général en Russie blanche. Ça, ça m’explose de bonheur : la Russie blanche qui voit la promotion d’un colonel noir.

Enlever le sol, la géographie, de l’analyse identitaire, c’est idiot. Le sol et son histoire, le sol et son identité, l’identité du sol et l’identité de ses habitants. C’est idiot d’imaginer qu’un Alsacien va réagir comme un Antillais, même si tous les deux vont parfois réagir comme des Français qu’ils sont par ailleurs.

Tout ça, juste pour dire que si c’était simple, ce serait moins compliqué…

On en reparlera….

jeudi 24 octobre 2013

IDENTIT’AIL

C’est un truc qui m’est venu comme ça….Je n’ai jamais pu vivre avec une femme qui n’aimait pas l’ail. Jamais… Tirer un coup au passage, oui…. Mais construire une relation... impossible.

C’est vrai que j’ai une passion pour l’ail…et l’oignon pourvu qu’il soit blanc, pas trop gros et surtout pas sucré. C’est vrai que j’en mets partout et même au restau, je demande au cuistot qu’il ait la main lourde…. Et si c’est un restau aïlophobe, y’a peu de chances qu’il entre dans mes Favoris. Il paraît que ça donne une haleine de chacal. La nana qui me dit ça, elle a intérêt à apprécier la levrette pour pas me sentir. Parce que mon choix est vite fait.

C’est identitaire, forcément…Ça renvoie à mes premières années, à l’ail finement coupé qui venait parfumer la sanquëte que je partageais avec Aïtatxi, à l’ail que Fernande mettait dans tout ce qui pouvait ressembler à une salade, aux croutons frottés à l’ail qu’on enfilait dans le cul du poulet pour le parfumer et aux mêmes croutons que préparait l’oncle Adrien quand il mangeait du raisin. Tu prends un petit bout de pain frotté à l’ail, tu le colles dans un coin de ta bouche (la bouche a t’elle des coins ?) et tu fais éclater le raisin d’un coup de dent ravageur. C’est un mélange détonant.

Quand je suis arrivé à Paris, ça m’a bouleversé : l’ail était aussi rare dans les assiettes qu’un obèse à Buchenwald. Là, tu vois que t’es dans un autre monde. Tu commences à te poser des questions sur la Nation et son unité. Dans les livres de cuisine, pareil. Un peu d’ail, juste pour relever. Ici, on fait volontiers de la soupe à l’oignon et quasiment jamais de la soupe à l’ail… Ou alors de la crème d'ail et le serveur te rassure : ça ne sent pas.. Même qu’il y a des mecs pour te conseiller d’enlever le petit bout de germe pour pas que ça sente. Faux culs ! Rabat-joie ! Pisse-froids ! Si ça sent pas, c’est pas de l’ail. Alors, la nana qui mord à pleines dents dans une gousse d’ail, histoire de se parfumer la langue, ça m’allait tout à fait. Une langue, c’est meilleur quand c’est parfumé.

J’ai cru toucher le fond avec celle qui m’avait affirmé manger de l’ail tous les jours vu que son médecin lui avait dit que c’était bon pour le cœur avant de me sortir un flacon de gélules phytothérapiques. Salope !

En fait, l’identité, ça se construit comme ça. Avec des goûts et des dégoûts. Avec des gens qui aiment partager ta gousse et ceux qui font le nez quand tu sors le presse-ail. Ça vient de loin, c’est des habitudes culturelles, des choses qui surfent depuis des générations dans ta famille. Comme l’omelette norvégienne ou le Ricard à l’apéro. Ou le soufflé. Tiens, combien t’as de restaus qui mettent des soufflés à leur carte ? Si tu t’étonnes, vont t’expliquer que les clients, la mode, l’offre et la demande…..Savent pas faire et point-barre. Le soufflé, c’est pas bon pour la productivité.

Après, forcément, ça te déconstruit ta citoyenneté du monde. T’es mieux dans les pays aillés. Tu finis par préférer la Chine au Japon. Déjà que les sushis, c’est du manger de délicat, et du manger pollueur (http://rchabaud.blogspot.fr/2011/04/les-ecolotes-et-les-sushis.html) .

Attention, ça veut pas dire que t’es fermé à l’Autre ! Hola, non ! Tiens, dans la cuisine sichuanaise, y’a un truc dingue, c’est le ragoût de langues de canard. Le canard, faut pas me la faire. Ma Tante Marie, elle élevait, elle gavait, elle coupait les têtes, elle les farcissait. Tu crois être un canardophile convaincu et voilà que l’autre, il te sert un truc que t’as jamais mangé dans le canard et que c’est bon à te mettre à genoux devant. Du coup, tu regrettes d’avoir que de la Tsingtao pour escorter la chose. Tu te dis qu’un Saint-Joseph, ça complèterait. Et tu regrettes de t’être lâché sur les légumes fermentés à l’ail. Quand le maotaï arrive, t’as quasiment oublié l’Armagnac. En fait tu t’es découvert un autre territoire. Identitaire ? Pas vraiment, mais ça y ressemble.

Alors vient la vraie question : dois je tout oublier pour être un mec bien ? Je veux dire fréquentable par la plupart de mes amis. Dois je me glisser dans la peau de je ne sais qui élevé je ne sais où ? Suis je obligé d’aimer le monde entier, de me barbouiller de compassion universelle ? Ai je le droit de choisir qui je fréquente ? Et surtout, surtout, avec qui je bouffe ? Ai je le droit de ne pas aimer ?

J’ai décidé que non. Pourquoi faire semblant ? Pourquoi se forcer ? En plus, l’identité, c’est bien. Ça me rattache à un groupe et dans nos temps où seul compte l’individu, c’est rassurant

On en reparlera…

PS : c'est pas original. C'est même ce qui a fait le succès du film de Dany Boon. Quand il parle du Maroilles, moi je pense à la sanquête, l'Aixois pense à l'aïoli, et ainsi de suite. Avant de cracher sur l'identité, pensez à ça : vingt millions de spectateurs communiant autour d'un territoire.

lundi 21 octobre 2013

LES VALEURS DE LA REPUBLIQUE

C’est le leitmotiv du moment : les valeurs de la République. Chacun les brandit comme une bombe atomique idéologique.

Mais c’est quoi les valeurs de la République ? Pose la question, tu prends la réponse comme un Scud : Liberté-Egalité-Fraternité. Ha oui ? Ben, ça me paraît pas évident. Je suis pas un historien professionnel, je me suis contenté de me promener dans les textes, de Hébert à Barère. Et là, dans le corpus lexical, si la Liberté et l’Egalité occupent une place importante, ce n’est pas la première. La première place, c’est la Patrie. Quant à la Fraternité, quasi elle existe pas.

Il ne me paraît pas extravagant d’affirmer que la première valeur de la République, c’est la Patrie. Dès 1790, être patriote, c’est être un zélateur de la République, un ennemi de la Monarchie, un homme qui porte la cocarde tricolore et refuse la cocarde blanche. Patrie et République sont intimement mêlées et se renforcent mutuellement par l’opposition, la confrontation aux autres. L’amour sacré de la Patrie n’existe que par Jemmapes et Valmy. Ne soyons pas angéliques : le sang construit mieux les groupes humains que les caresses.

Et donc, le seul parti à exalter la Patrie, jusqu’à l’obsession, c’est le FN. La première valeur de la République est défendue par le FN. C’est juste une constatation qui mérite qu’on s’y arrête.

Liberté-Egalité-Fraternité, ça existe aussi. Mais dans un cadre national, patriotique et…républicain. C’est une création de la Troisième République qui inscrit la formule aux frontons des écoles et des mairies. A une époque où il n’y a quasiment pas de mouvements de populations si l’on veut bien en excepter les troupes que Jules Ferry envoie ici ou là dans le monde, histoire de libérer les peuples en les englobant dans le giron de la République. On reste entre nous, tous libres, tous égaux ou peu s’en faut et tous frères, mais ça c’est de la littérature. Suffit de regarder les statistiques criminelles. Ou de lire Albert Londres.

On est encore dans les glissements sémantiques. Une devise faite pour exalter la Nation après la défaite de 1870 se mondialise. On veut que la Liberté soit accordée à tous, que l’Egalité règne sur le monde et que tous les hommes soient frères. Voici peu, « tous les hommes sont frères », c’était un truc de curé. Mais bon, ça a changé. Pourquoi pas ? Là, où je perplexifie, c’est quand la droite curetonne refuse la fraternité humaine alors que la gauche s’en empare. Les curés seraient ils au PS plutôt qu’au FN ?

Ben oui. Voilà cinquante ans que les curetons font de l’entrisme à gauche. On a connu les curés ouvriers et les chrétiens de gôche. Petit à petit, le ver s’est mis dans le fruit, les cellules religieuses ont métastasé dans le corps laïque, la rationalité du combat économique pour la répartition des richesses a sombré dans l’océan des bons sentiments (http://rchabaud.blogspot.fr/2010/09/tu-connais-la-synecdoque.html).

Il faut dire que ça va bien avec le monde tel qu’on nous le construit, un monde d’affect, un monde qui exalte l’individu, aussi miteux (surtout miteux), aussi insignifiant (surtout insignifiant) soit-il. Aux temps glorieux où la République exaltait ses grands hommes, a succédé le temps où Sophie Davant fait pleurer dans les HLM. Il est humain not’ bon Président, il cause avec une gamine, même qu’il a du mal vu le niveau linguistique de la Carmen de Mitrovica. Je le regarde et je pleure. Tu crois que le Vieux Général, il aurait téléphoné à la nomade balkanique ? Les communicants haussent les épaules. Ce que je pense est minoritaire et plus personne ne se souvient du Vieux Général. Aujourd’hui, un bon Président est un Président humain, un peu mou (il doit avoir la poignée de main moite, François), un peu gnan-gnan. Un Président-aumonier. Remarque, ça le fait pas remonter dans les sondages. Les communicants ne veulent pas voir que la seule embellie depuis 18 mois, c’est quand il a envoyé les marsouins dézinguer de l’islamiste. Les communicants ne veulent pas voir que le seul socialiste qui caracole dans les sondages, c’est Valls.

Comment disent les enfants ? Qui va à la chasse perd sa place… Ben voilà. Tu te fais élire chef et après tu laisses le fauteuil de chef. Pas s’étonner qu’un autre y pose ses fesses.

On en reparlera…

PS : souvenez vous, dans Le Jouet, Jugnot se fait virer parce qu’il a la main moite. C’est vrai que François, il a quelque chose de Gérard. Remarque, Sarko, il avait quelque chose de Louis de Funès….

lundi 14 octobre 2013

LES CHOMEURS BRETONS

Faut le dire : j’ai du mal à compatir. On les voit, tristes et, pour certains, foutus, détruits. Et pourtant, j’ai du mal à compatir.

D’abord, la Bretagne, c’est pas très différent du reste de la France: la plupart de ces mecs et nanas, ils sont fils ou petit-fils de paysans, comme partout. Ils sont les héritiers d’une manière de vivre qu’ils ont sacrifié. Hé oui ! c’était mieux d’aller à l’usine, mieux que de galérer dans les champs. Ben voilà…au bout du bout, c’est pareil. Avec une différence : en bossant pour les industriels, vous avez sacrifié vos parents ou vos cousins. Aujourd’hui, c’est vous. Vous imaginiez quoi ? Que le cousin Yves, il avait rien compris à la modernité avec ses poulets élevés en plein air ? Mais, les loulous, c’est vous qui n’aviez rien compris.

N’en déplaise à mon vieux copain Hervé du Finistère central (il vient du Poher), la terre bretonne est une terre pauvre et ingrate. Enfin, c’est comme ça qu’elle était voici 50 ans et que la décrivait les manuels de géographie. Normal : un socle granitique, c’est pas facile d’y faire pousser des trucs. D’ailleurs, la Bretagne souffrait du mal le plus symbolique : c’est une région qui ne produisait pas de blé. Du sarrasin, oui, c’est même la base de la galette, mais de blé point. Sauf si on veut donner au sarrasin son surnom de « blé noir ».

Et donc, en cinquante ans, la région agricole la plus pauvre de France (ou peu s’en faut) devient la première région agro-alimentaire. Déjà, ça en dit long : tu peux avoir une agriculture pauvre et un agro-alimentaire riche. C’est de l’alchimie, on transforme le plomb en or.

L’explication est simple : la chimie permet de rendre riche n’importe quel sol. Et donc la Bretagne ne s’en est pas privée, aidée par tous les lobbys, tous les gouvernements. Au point de pourrir sa nappe phréatique et ses côtes, asphyxiées d'algues vertes.

Les loulous qui pleurent, les algues vertes et la nappe phréatique pourrie, ça les gênait pas trop. Tant que t’as du boulot, hein ?

Seulement voilà : le boulot se tire mais les algues vertes demeurent. On appelle ça perdant-perdant. En fait, je les plains. Découvrir que tu te fais baiser depuis des décennies, c’est pas agréable. Apprendre que le mec qui t’as baisé, il a aussi flingué ta famille et pourri ta terre, ça rend pas joyeux.

Alors, ils manifestent. Gentiment. Le Breton, c’est du rude marin, mais c’est pas un violent. A part Monsieur de Charrette (le vrai, pas la copie actuelle)…. D’abord, il lui faut le temps de comprendre. Par exemple que le fils de « l’épicier de Landerneau » marche main dans la main avec ses copains des usines à bouffe, que c’est le même système et que si on n’est pas d’accord, les briquets existent encore…

J’aime bien les Bretons, rapport à la langue, à la musique, aux écoles du Diwan. Mais, putain que je les trouve mous ! Ils voient rien ou quoi ? Ils croient que c’est juste la faute à pas de chance ou que c’est Merlin qui a jeté un sort à Doux, Caby et Gab ?

Je suis triste pour les mecs qui vont filer à Pôle-Emploi mais je me réjouis de la disparition de toutes ces usines à fabriquer de la merde. J’espère que ça va faire crever les enfoirés qui élèvent des milliers de cochons dans des conditions inhumaines, qu’ils vont fermer les HLM à cochons, les élevages de poulets en batterie et les pondeuses à la chaine. Ce qui me chagrine, c’est que le petit Marcel-Ernest Leclerc, il va trouver des cochons en HLM ailleurs en Europe et qu’on va changer les musiciens mais pas la partition.

On pourrait imaginer que la Bretagne soit le détonateur d’une vraie révolte, pas seulement pour les emplois, mais aussi pour la terre et les eaux, pour un avenir qui pourrait foutrement ressembler au Cheval d’Orgueil.

Remarque, pour foutre sous plastique du cochon industriel, de l’orgueil, faut pas en avoir de reste.

On en reparlera…

samedi 12 octobre 2013

LETTRE OUVERTE A ELAINE SCIOLINO

Je viens, Madame, de finir votre livre sur la séduction « à la française ». Souvenez vous, celui que vous m’avez offert après une conversation légère dans la librairie que je tenais alors.

Il y a à dire, encore que votre travail soit plutôt sérieux pour une journaliste. Sérieux au point de nous infliger une insipide bibliographie de 10 pages. Vous n’avez pas assimilé l’art français de la conversation : une bibliographie pour un livre sur la séduction, c’est un peu lourd. Et puis, Madame, 10 pages, c’est trop ou trop peu. Vous y montrez plus vos lacunes que vos connaissances. Eternel défaut des journalistes qui se veulent aussi sérieux que les universitaires qu’ils ne lisent pas.

Je vous ai lue avec soin. J’avais en mémoire l’éclat de vos yeux quand nous parlions et je pensais que vous maîtrisiez votre sujet. Indubitablement, vous savez séduire. Seulement, voilà : l’écriture est-elle la meilleure forme pour le discours séducteur ? J’ai vite compris que le regard était Sciolino et la plume Elaine (et non Elena). La gracieuse Italienne a fait ses classes aux USA, le pays qui a remplacé mon ami Peppino par Pizza Hut.

Il y a un nom qui manque absolument dans votre livre et c’est celui de Cyrano. Il est vrai que la France semble en avoir honte, sauf peut-être Dominique de V. Je crois, Madame, que si vous ne comprenez pas et n’aimez pas Cyrano vous n’aimerez jamais et jamais ne comprendrez la France. Cyrano, c’est la dimension du panache, du goût pour les mots, de l’indifférence aux biens matériels, de la séduction qui se cache et des sentiments que l’on voile de pudeur car il est vulgaire de montrer ses sentiments à tout un chacun.

Ceci est bien loin de la pensée américaine, fondée sur le nombre et la quantité. J’en ai déjà parlé : http://rchabaud.blogspot.fr/2011/12/correlation-et-causalite.html. Cette pensée, purement statistique n’est pas une pensée. Raison pour laquelle elle a tant de succès. N’importe qui peut jouer avec des statistiques, comprendre une courbe de Gauss et croire qu’il réfléchit. Surtout, elle est l’une des bases de ce que l’on appelle le pragmatisme et dont les Anglo-Saxons sont si fiers. Mais les causes sont plus subtiles et ce que vous appelez la séduction n’est rien d’autre qu’une réflexion subtile enrichie par l’Histoire. Encore faut-il avoir une Histoire et les deux petits siècles de l’Histoire américaine sont un peu courts. Boorstin l’a magnifiquement montré.

Puisque vous aimez les anecdotes, je vais vous raconter le jour où j’ai compris que nous étions inconciliables. C’était non loin de la Nouvelle-Orléans. Un énorme panneau publicitaire annonçait « The greatest oyster restaurant in the world ». Français jusqu’au bout des ongles, j’ai immédiatement imaginé un restaurant où je pourrais déguster des huitre de toute provenance, le plus grand choix du monde, des plates de Bretagne et des creuses du Japon, de grasses galiciennes et de goûteuses vietnamiennes. Erreur ! Grand, il l’était, plus de mille mètres carrés. Mais il ne servait que de fades, vaseuses et lourdes huitres des bayous louisianais. Comment imaginer qu’un restaurant fasse sa publicité sur sa taille et non sur ses compétences gastronomiques ? Nous n’avons décidément pas les mêmes valeurs. Et vous nous avez contaminés (http://rchabaud.blogspot.fr/2011/08/manger-et-chier.html)

Vous avez fait un gros travail. Vous n’omettez rien. Certes, nous n’avons pas les mêmes références. Savoy est un grand cuisinier, mais il en est d’autres, notamment en province. Car votre travail est complètement Parisien. Même vos escapades à Grasse se terminent au Faubourg Saint-Honoré. Villon le disait : Il n’est bon bec que de Paris. Avait-il raison ? Paris n’est pas la France, elle en est peut-être l’antiphrase. Songez à ceci : de tous nos Présidents, Sarkozy était le seul à n’avoir aucun ancrage en province. Il l’a payé cher.

Votre livre a été écrit pour essayer de faire aimer la France aux Américains et l’intention en est louable. Sauf que c’est sans espoir. Les Américains pensent que la France leur doit sa liberté. Peut-être. Mais l’Amérique doit à la France son existence : sans Lafayette, Rochambeau et quelques autres, elle n’existerait pas. Cette dette est immense et imprescriptible et les GI morts en Normandie ne suffisent pas à l’éteindre. Rien ne suffira jamais à l’éteindre. Les USA nous ont aidé comme un enfant aide sa mère. Rien de plus, rien de moins.

Nous avons des difficultés avec les langues ? Bien sûr que non. J’ai été member of the board d’une association internationale de cartographes où tous les échanges étaient en anglais et je m’en suis bien sorti. Mais je n’en tire aucune vanité. Au contraire. J’en ai plutôt honte (http://rchabaud.blogspot.fr/2013/02/do-you-speak-french.html). Nos échanges manquaient de hauteur. Il est vrai que tout nous tirait vers le commerce.

En refermant votre livre, j’étais triste en fait. Triste qu’une Italo-Américaine soit tellement américaine et si peu italienne. Il n’aura pas fallu longtemps pour que la gomme anglo-saxonne efface Raphael et Vinci. Anecdote encore : je ne sais quel journaliste français s’offusquait que la Smithsonian Institution expose un tableau de Vinci avec ce slogan : Venez voir un tableau à 5 millions de dollars, sans même donner le nom de Léonard. A quoi le conservateur lui a répliqué : personne ne sait qui est Vinci mais tout le monde sait ce que sont cinq millions de dollars.

Quand le fossé (le gap) est à ce niveau, il est inutile de chercher à construire des passerelles. Et j’admire que vous ayez essayé. Les Américains ne nous aiment pas ? Tant pis pour eux, la séduction ne consiste pas à se faire aimer de tout le monde. Encore une vision quantitative. Seul Don Juan fait semblant d’y croire.

J’espère qu’on en reparlera…

mardi 8 octobre 2013

LE RETOUR DES PYGMEES

Qu’on le veuille ou non, il y a des marqueurs de civilisation. L’écriture, par exemple…

Que les ethnologues se calment. Le ethnologues et les autres qui, pour caractériser l’art des civilisations orales, utilisent l’oxymore magnifique de « littérature orale ». Hé, les zozos, s’il y a de la lettre, y’a pas d’oralité.. Je sais, c’est commode. Mensonger mais commode. Z’auriez pu former un mot, je sais pas moi, paléologie ou logomythie, enfin un mot qui n’évoque pas l’écrit.Même "oraliture", je trouve ça suspect.

Il y a donc les sociétés avec de l’écrit et les sociétés sans écrit. En général, le chemin va du non-écrit vers l‘écrit. C’est que la parole, ça se reprend. C’est bien connu, j’ai qu’une parole…. mais comme j’en ai besoin, je la reprends. Formule éminemment politique. Et donc, pour éviter que le mec en face, il ne reprenne sa parole, on la fixe. En général, les spécialistes s’accordent à dire que l’écriture est venue du besoin de lever des impôts. En général, on considère l’écriture comme un progrès…

Dans le domaine des idées, l’écrit est la base, la pierre de touche, le fondement. D’abord parce que, quand c’est écrit, tu peux plus revenir en arrière. Ensuite parce que l’écrit laisse le temps, le temps de reprendre, de réfléchir, de trouver de nouveaux arguments. L’écrit offre en outre la possibilité de t’abriter derrière un autre écrit. Ton idée, elle te vient de X…. Ton argument, tu l’as piqué à Y… C’est plus des mots, c’est un texte auquel l’autre, contradicteur ou suiveur, peut se référer. Tu construis un vrai échange, avec des codes et des références communes. La communication est possible précisément parce qu’il y a un substrat commun. C’est étymologique : dans communication, il y a commun, l’idée de partager sur des bases communes. Ne serait-ce que le langage. Si tu doutes, tu as des dictionnaires, tout un corpus de références qui permet de revenir à niveau.

Pourquoi je dis ça ? A cause d’un reportage de France-Télévisions qui affirmait avec aplomb que les textos remettaient la communication écrite à l’honneur. On s’écrit des messages plutôt que de se causer. Ben, les textos, c’est pas de l’écrit. Rien que la langue, tiens. J’en reçois, je comprends rien. C k t vieux. En plus, c’est court. Sur Tweeter, t’as droit à 140 caractères, autant dire rien. D’ailleurs tweeter, ça veut dire « gazouiller », pas « écrire ». Ou alors, on te permet de tchater, mélange de chat anglais et tchache. C’est de l’oralité avec un vecteur écrit, rien de plus.

Faire court, c’est pas communiquer….Il faut des mots, des silences, une langue qui cherche, qui se cherche. Et puis l’oralité, j’ai connu. Tous ces mecs qui te disent : c’est Baptiste qui m’a dit que… Qui c’est Baptiste ? Qu’est ce qu’il connaît au problème ?Ils sortent d’où, les arguments de Baptiste ? Et quand tu sors tes références, ta biblio, on te regarde comme un taré. Ou comme un intello ce qui signifie la même chose pour le mec qui te parle. Poujade disait : le poisson pourrit par la tête…

Alors, oui, on revient dans un monde de Pygmées où tout le monde utilise une sous-langue pour égrener de sous-idées qu’on appelle des stéréotypes. On emploie un vocabulaire conventionnel, de plus en plus réduit, de plus en plus « efficace », bref, on ne se dit plus rien. Tout en affirmant maîtriser les moyens de communication… Mais, bon Dieu, depuis quand l’échange des banalités les plus crasses fait il sens ?

Le phatisme a gagné. C’est comme ça que Jakobson appelait les mots et les phrases inutiles : les éléments phatiques du langage, ceux qui ne servent à rien d’autre qu’à essayer de rester en phase avec l’interlocuteur. Tu vois ce que je veux dire ? Ben voilà…Euh… Juste occuper l’espace pour dire « je suis là ».

Bon. Jakobson, c’était un linguiste. Son livre est publié aux Editions de Minuit.

Pour ceux qui ont besoin de références…

On en reparlera…

samedi 5 octobre 2013

LE SOL ET LE SANG

Vieille lune : le droit du sol et le droit du sang. Adaptation juridique d’une coupure épistémologique entre l’histoire et la géographie.

Parce que dans nos têtes, c’est comme ça que ça marche : l’histoire d’un côté, la géographie de l’autre. Il ne vient à l’idée de personne que si on forme des profs d’histoire-géo, c’est que les deux disciplines s’entremêlent. Il n’y a pas d’un côté la terre et l’histoire d’un autre.

Le sol où nous vivons, le territoire que nous arpentons, il est fils de l’Histoire. Si tu peux aller dans un hôpital, c’est parce que cet hôpital a une histoire. Ça commence souvent par un établissement caritatif, avec des curés et des bonnes sœurs, ça continue avec de généreux donateurs, des médecins qui bossent, ça prend du temps, l’Etat s’en mêle et, après plusieurs siècles, ça devient un élément structurant d’un territoire. Lui refuser sa dimension historique, c’est très con.

Le citoyen de base, il a conscience de cette dimension historique. Il le sait bien, ou il le sent bien qu’il n’est pas fils de rien. Il te sort facilement ses ancêtres, sa famille. Même le petit mec des cités : quand il va à la Bastille fêter le nouveau Président, il prend le drapeau de ses parents, il affiche son origine, il revendique son histoire. S’il a du courage, il va se palucher des fiches d’etat-civil et il intègre un cercle de généalogistes.

Le droit du sol et le droit du sang ne peuvent être séparés. Le droit du sang n’est rien d’autre qu’un droit du sol dans sa dimension historique. Le citoyen de base, il le sait bien que le monde dans lequel il vit, son territoire, il le doit à ses parents, à son grand-père mort à Douaumont, aux impôts payés par ses parents qui ont permis de construire une piscine ou de créer une zone industrielle. Il le sait bien que le territoire n’est rien d’autre que l’aboutissement de dizaines de générations travailleuses et contribuables.

Pour faire court, il se sent « chez lui » parce qu’il est le dernier maillon d’une longue histoire, qu’il a des cousins dans le village voisin, qu’il parle une langue, qu’il a un accent, qu’il préfère une cuisine, toutes ces choses qui font que le Breton n’est pas un Alsacien.

Cette dimension historique perdure partout, dans la langue, dans les manières de table (ben oui, le mec qui met les mains dans le plat, c’est normal à Niamey, pas à Barcelonnette), dans la manière de se saluer (chez nous, c’est trois bises), dans le fonctionnement matrimonial et même l’organisation du mariage (y’a des régions à jarretière et des régions sans jarretière), tous ces détails que la mondialisation n’arrive pas à gommer et qui ne sont pas aussi insignifiants que nos prétendues élites veulent bien le croire. Bien entendu, ça a des racines complexes, souvent religieuses : même un athée comme moi peut avoir des réactions imbibées de siècles de calotte triomphante. Et d’abord, je suis plus ému dans une basilique cistercienne que dans une mosquée. C’est con, mais c’est comme ça. Je le sais, je lutte contre, mais c’est comme ça. Saint-Jacques est plus en moi que Mahomet. Toi, c’est le contraire et je peux le comprendre. Ma compréhension ne changera pas mes réactions..

L’Autre, je le vois pas comme un ennemi, mais comme un invité. Et d’un invité, j’attends des réactions d’invité. Pas qu’il pisse sur mon canapé, même si c’est la coutume chez lui. S’il a des réactions qui collent pas avec mon territoire, et l’histoire qui va avec, je peux être choqué, furieux. Y’a une contrepartie : quand je vais chez lui, je me comporte comme un invité. J’essaye de ne pas imposer mes manières et je me déchausse avant d’entrer dans la mosquée. Si ça me va pas, j’y vais pas.

Si on pouvait comprendre ça, les choses iraient au mieux. Les mecs qui forcent le passage à Melilla, ils se comportent pas comme des invités. Je ne veux pas être obligé d’ouvrir ma porte, même si je comprends la pauvreté, le désir de survivre et toutes ces sortes de choses. La Nation, c’est comme un domicile : un grand territoire au lieu d’un petit, mais un territoire. Toujours. Un truc que t’as aménagé, selon tes goûts, tes désirs, ton histoire. Un truc que t’as cadenassé avec une porte blindée ? Réfléchis à ça : le pays comme domicile, tu verras, ça te relativise l’analyse. Si ton domicile est grand, peut être que tu vas accueillir quelqu’un dans la pièce du fond. Peut-être pas. Mais tu attendras de lui qu’il accepte tes règles.

En fait, c’est comme ça que ça se passe. Sauf que le plus souvent, ceux qui veulent ouvrir les domiciles, ils pensent aux domiciles des voisins. Chez toi, oui, chez moi, non. Accueille les Roms, moi j’ai pas la place. Alors, forcément, ça pète.

C’est juste une question de vision. Le patron du George V, quand il voit une burqa, c’est une princesse saoudienne qui va lui laisser un maximum de thunes. Amène lui la femme de Mouloud de Gennevilliers, tu vas voir s’il a la tolérance hyperbolique. Et si la femme de Mouloud elle vient pour se faire embaucher comme femme de chambre, tu vas voir s’il va admettre le costard islamique.

On fait quoi, alors ? On laisse les Erythréens crever ? Evidemment, non. On essaye de comprendre que partir de chez soi, c’est une horreur. Et que le mieux, c’est que les hommes puissent vivre dignement dans les lieux qui les ont construit.

Valls, il est émigré, il sait. Il sent. Il a vécu. Raison pour laquelle sa parole pèsera toujours plus lourd que celle des bobos qui jouent de la misère de ceux qui sont partis de chez eux.

On en reparlera….

mardi 1 octobre 2013

TOUS PATRONS !!!!

Ça sent la provoc… Pas tant que ça….Doit-on travailler le dimanche ? Pose la question et t’as le discours idéologique qui démarre. On entend de tout… Y’en a, ils te brandissent la liberté comme un revolver. Pan ! dans le bide. D’autres, c’est la Bible… en 2013 ? oui. Les arguments économiques (je veux dire les chiffres) explosent dans le ciel comme des feux d’artifice. Comme toujours, tout le monde a plus ou moins raison. Plus ou moins.

Y’a des arguments qui valent pas tripette. Style, c’est le seul jour qu’on peut faire nos courses. Ho ! tu bosses 35 heures par semaine, t’as les RTT, et t’as que le dimanche pour aller chez Casto ? Tu te fous de ma gueule. Le samedi, tu pourrais y aller. Ha ! c’est le jour où tu fais du foot ? Et donc, tu veux que des mecs bossent pour te permettre d’aller au foot ? Un mec sur je sais plus quelle chaine : c’est pratique, on bricole le dimanche, on a oublié un truc, on va l’acheter. Ha ? tu veux faire bosser des mecs parce que t’es incapable de planifier ton boulot ? Sympa…..

Le plus beau, c’est les touristes. Parce que le Pékinois qui vient voir la Tour Eiffel, il va aller chez Casto acheter des vis ? On débloque, là…. Ou Sarko : Madame Obama, elle a pas pu aller faire ses courses le dimanche. Tant mieux ! Elle va pas aller dépenser ses sous alors que son pays est en faillite. C’est indécent.

J’imagine le patron de Casto. Tu crois qu’ll bosse le dimanche ? Ou qu’il va faire sa partie de golf ? Bon, je dis Casto, je pourrais dire autre chose. Le dimanche, les patrons, ils emmènent leurs enfants faire du cheval ou ils organisent des barbecues de patrons.

Y’a aussi des petits commerçants. Ouais, mais eux, ils ont le droit. Quand tu bosses en famille, tu fais ce que tu veux. Là, où ça coince, c’est quand tu contrains le salarié. Plus ou moins. Ho ! ils sont pas obligés. Si. Quand t’es à vingt euro près, tu rayes le dimanche de tes priorités. Paye les normalement, les mecs, ils vont à la pêche. Faut pas déconner. Ça fait plus d’un siècle que les hommes se battent pour moins bosser. Parce que c’est ça l’avenir de l’Homme. Moins bosser et jouir de la vie.

Y’a un truc pour régler le problème. Pas que. Mais ça aiderait. C’est d’encourager les SCOP. Une SCOP, c’est quand les salariés sont actionnaires. Là, l’augmentation de chiffre d’affaires dominicale, ça leur profite. Comme aux petits commerçants. Ils sont tous patrons. Alors, tu fais une loi autorisant les commerces familiaux et les SCOP à ouvrir quand ils veulent.

J’entends déjà les commentaires. Les SCOP ! Ça marche que pour les artisans, ça fait pas de gros fric les SCOP ! Il est fou, le mec !

Mouais. Le plus gros groupe européen d’électro-ménager, c’est une SCOP. Fagor, c’est une SCOP. Tu connais pas Fagor ? Et Brandt ? Et Thomson ? Et Sauter ? Et Vedette ? Tout ça, c’est Fagor.. 80 000 employés, 30 milliards d’euro de CA. Pour le groupe qui comprend l’une des plus grandes chaines alimentaires d’Espagne (Eroski) une banque et son propre système de sécurité sociale. Ça relativise le discours sur les coopératives qu’on te présente toujours comme une bande de babas cools utopistes. La Coopérative Mondragon (maison-mère de Fagor) est l’un des plus gros employeurs d’Europe. Avec un fonctionnement que les profs de gestion des universités bien élevées qualifieraient de quasi-communiste.

Les caissières de chez Eroski, elles sont pas précaires, elles sont actionnaires. Quand elles bossent le dimanche, le bénef, c’est pour elles. Elles pourraient s’en foutre, leurs salaires sont 15 à 20% supérieurs à ceux des autres caissières de supermarchés. C’est comme ça chez Fagor. Pour compenser, les salaires des cadres sont 30% en dessous des salaires du marché. Ho ! Ils ont pas les meilleurs, à ce tarif ! Si. Parce que la coopérative a créé sa propre Université. Privée. Mais pas privée de talents. Faut pas croire, c’est bien géré. C’est même comme ça que des coopérateurs ont pu s’offrir quelques belles marques.

Remarque, Brandt en France, filiale de Fagor, c’est pas une SCOP. Les syndicats français ont pas voulu. La règle de Fagor, c’est « pas de syndicat ». Logique. Les syndicats, c’est pour régler les conflits entre salariés et actionnaires. Quand les salariés sont actionnaires, les syndicats sont inutiles. Les syndicats français ont hurlé à la mort. Fagor a cédé. Tant pis pour les salariés.

Et donc, il y a une solution qui a fait ses preuves, juridiquement installée, économiquement rentable. Et qui reste marginale. Va comprendre.

En plus, ils sont même pas communistes vu qu’ils ont été créés par un curé. Ben oui, le fondateur de Fagor, c’était un curé, un mec dans le style des prêtres ouvriers des années 50. Tu crois qu’il serait d’accord pour que les mecs, ils bossent le dimanche et sèchent la messe ? Le curé, il a commencé par faire un atelier pour faire des casseroles. Après, il a créé une épicerie-coopérative pour que les ouvriers se sabordent pas le pouvoir d’achat en nourrissant la marmaille. Comme Franco voulait pas que les coopératives bénéficient de la sécurité sociale, il a créé sa propre sécurité sociale. Mais comment il a financé ? Comme font les curés, il a fait la quête. C’est un autre mot pour « tour de table ». Les bigotes ont filé le fric.

Comme quoi les utopies, ça peut marcher. Même avec l’Evangile à la main. C’est à désespérer de toutes les idées toutes faites.

On en reparlera…..