dimanche 28 octobre 2018

SILENCE, ON TOURNE

Ma première voiture était une Citroen Traction Avant 11 Légère. Sur le tableau de bord, sous le levier de vitesses, il y avait un bouton qui servait à régler…l’avance à l’allumage. Plus personne, ou presque, ne sait ce que c’est. Juste une manière d‘améliorer les performances du moteur. Ne faisons pas de théorie. Après le démarrage, l’oreille informait sur le fonctionnement des pistons et on tournait le bouton pour que l’ensemble tourne rond.

C’était le temps où seuls les véhicules de sport ou les « préparés rallye » arboraient des compte-tours, accessoire d’exception qui marquait une vocation sportive affirmée. Nous savions tous conduire à l’oreille. Nous n’imaginions pas conduire autrement qu’à l’oreille. Chacun savait le ronronnement de son moteur et quand on changeait de voiture, la première chose qu’on mémorisait, c’était la nouvelle musique.

Plus tard, Mario me l’expliquât. « A Modène, on a deux grands hommes : Enzo Ferrari et Luciano Pavarotti. C’est normal, c’est la même chose. Un moteur, c’est de la musique. » Après il développait. Pour lui, le feulement d’un V12 Ferrari à Maranello, c’était comme l’orchestre de la Scala conduit par Claudio Abbado dans un mouvement de Verdi. A l’oreille, Mario savait où était né un moteur. Il détestait les moteurs allemands qui manquaient de tout. « Mais enfin, Mario, les Porsche… » Oui, mais non… Les anglaises, oui, c’était de la bonne musique. Il ne conduisait que des françaises puisqu’il avait choisi la France. Comme son copain Amadeo. L’homme qui a fait de Renault un grand motoriste et qu’il a accompagné un jour dans sa dernière demeure à Montmartre, demeure ornée d’une copie du MoIse de Michel Ange. L’Italie n’était jamais loin.

Pourquoi je vous raconte ça ? Pour vous expliquer qu’il y a une esthétique de l’auto qui dépasse le simple design. Encore que j’ai honte d‘utiliser ce mot anglo-saxon pour parler du travail des maîtres italiens, de Ghia à Zagato, quand les carrosseries naissaient du crayon et non de l‘ordinateur. L’esthétique de l’auto, ce n’est pas seulement une carrosserie de qualité, c’est aussi la musique des pistons. C’est une pointe de génie, incompatible avec l’informatique, cette niveleuse des talents. Aujourd’hui, dans les parkings, toutes les voitures se ressemblent. Les constructeurs utilisent les mêmes logiciels auxquels ils donnent les mêmes instructions et qui donnent donc les mêmes résultats. Hier, à Biarritz, Parking Foch, il y avait attroupement. Pas autour d’une de ces merdes formatées, autour d‘une TR3, état collection. Une vraie auto.

Je suis allé voir la nouvelle Alpine. Renault ayant eu la mauvaise idée d’interrompre la production de la A 110, s’est aperçu vingt ans après que c’était une mauvaise idée. Mais voilà. Entre temps, Jean Redélé est mort, comme Amédée. La nouvelle Alpine n’a pas eu de père et ça se voit. On va pas détailler, mais elle n’a pas l’allure de panthère du bitume de l’A 110. Elle ne sera jamais culte. Comme aucune Mustang actuelle ne me fera oublier ma première vision d’une Mustang Shelby dans les lacets du Lohitzun. Pilote Henri Greder, copilote Jean Todt, alors au début d‘une jolie carrière. Le feulement du V8 en sortie d’épingle, le bout du capot qui remontait alors, oui, on était à l’opéra.

Alors, les trouducs qui se gargarisent devant une électrique (ou une hybride) qui pensent qu’ils sont sauver la planète en effaçant l’esthétique, que la Terre peut vivre sans excès et sans génie, je les emmerde puissamment. La vraie question n’est pas là. C’est grand l’Italie. Mais si tu regardes la carte, tu t’aperçois que tous les grands (Ferrari, Maserati, Lamborghini, Gordini) ont tous pour berceau un triangle minuscule entre Bologne et Modène. Tous Emiliens comme Mussolini. Et mon vieux Mario qui s’était barré parce qu’il supportait mal l’huile de ricin, m’a emmené un jour manger les tortellini à Forli, chez Dona Rachele, veuve du Duce, qui entretenait avec soin le patrimoine culinaire de la province natale. La politique est une chose trop vulgaire pour influencer la bouffe.

Nous vivons dans un monde qui recherche une sorte de perfection et qui a oublié que le génie pouvait naître de l’erreur ou de l’imperfection. A condition d’être à l’écoute. A condition de casser les codes et de conserver les passerelles, d’être capable de comprendre que les tortellinis se cuisent à l’oreille, comme se règlent les soupapes et les pupitres d’un orchestre A ne pas le comprendre, on s’emmerde à l’opéra, en conduisant et même à table.

On s‘emmerde déjà. On va se préparer à aller faire du vélo avec les végans en écoutant du pop mou. Tiens, à cet égard, Pantani aussi était émilien. Un peu excessif, il est vrai.

Et si l’excès était le signe ?

Dans la plaine du Po ?


Ben oui. C’est le seul endroit où un curé de village parle à Dieu. N’est ce pas, Don Camillo ?

dimanche 14 octobre 2018

PLATON ET LA PRISON

Je sais pas qui conseille notre Garde des Sceaux mais elle devrait faire le ménage. Voilà t’y pas qu’elle demande à Google de flouter les prisons pour limiter les évasions. Plus con c’est impossible.

Le système Google map est bien connu car il est génial : c’est une arnaque majuscule. Je vous explique. Quand on agrandit les images Google, on a l’impression qu’on commande au satellite dont la camera va zoomer à la demande. Rien n’est plus faux. Google Map ne comporte  que des images fixes organisées en tuiles. Tu ouvres Google Map, tu cliques, tu vois s’agrandir l’image. Sauf qu’il ne s’agit pas de la même image. C’est une autre photo, plus détaillée du même endroit.  Chaque image recouvre une série d’images plus détaillées, comme une grande tuile pourrait recouvrir une série de tuiles plus petites mais à une échelle plus détaillée. C’est l’organisation de ces tuiles et l’algorithme d’affichage qui te donnent l’impression de zoom. Sauf que tu n’as pas la date de prise de vues. Ce matin, devant chez mon beau frère, Google Map me montre fièrement sa voiture, voiture qu’il m’a prêtée et qui est garée devant chez moi, à 5 kilomètres de sa position Google.

Pour vérifier, je vais jeter un œil sur Panama Beach City que, selon la télé, l’ouragan Michael vient de dévaster. La petite ville est admirable de propreté. Pas un arbre au sol, pas un terrain de golf à refaire. Tout le monde peut faire ce genre de vérification. Il suffit de déplacer sa voiture.

« Mais alors, c’est faux » ; non. L’image (ce n’est pas une photo mais une image numérique) est juste. C’est le temps qui n’est pas le bon. C’est toi qui la crois en temps réel mais Google ne le dis pas. Google suggère, seulement. Et donc flouter l’image est complètement inutile. Simplement, Madame Flageolet fait une belle annonce, un coup de com’, un coup de con, pour faire croire qu’elle gère le problème, problème totalement inexistant. Fonctionnement macronien pur : je donne des solutions à un problème inexistant que, de surcroit, je ne connais pas.

Ouais, mais si mon cousin est en tôle, je fais quoi ? Simple mon gars, tu achètes la carte IGN du lieu où figure la prison, tu la scannes et tu l’agrandis (le dessin IGN permet d’agrandir trois fois sans perte d’infos). Tu auras donc les infos floutées à la demande de Madame la Ministre. Tu peux aussi demander un extrait cadastral au 1/5 000°, c’est un peu plus cher mais la précision est superbe et comme c’est au trait, tu peux agrandir encore plus. Le hic, c’est qu’on va te demander une pièce d‘identité. Envoies un membre de la famille. Ou un copain.

Tu vois, depuis que ton cousin est en tôle, tu commences à regretter d’avoir séché les cours de géo. La géographie, ça sert à mettre au point des stratégies. Ça sert à faire la guerre. Madame Galoubet te l’a rappelé. Maladroitement, mais on peut corriger.

Tu as aussi appris qu’il ne faut pas faire confiance à Internet. Internet te manipule. Merde ! Ça j’aurais pas cru.

Parce que t’as aussi séché les cours de philo…..

On en reparlera …




mardi 9 octobre 2018

SECTES ET INSECTES

Vous croyez vraiment que les végans ont inventé cette pseudo-égalité ou équivalence entre les hommes et les animaux ? Point du tout. C’est une vieille idée qui remonte au XIIème siècle. Et c’est l’un des fondements philosophiques de ceux que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de Cathares.

Cette bande de fadas implantée en Languedoc s’opposait au catholicisme, alors dominant. S’opposait ? Pas vraiment. Les deux sectes croyaient en Dieu, mais les fadas d’oc étaient un poil plus excessifs que les fadas d‘oïl. Ainsi croyaient ils que le sang est le siège de l’âme ce qui les conduisait à considérer que tuer un animal était aussi grave que tuer un homme. Ils imaginaient également une forme de métempsychose où l’âme des hommes passait dans le corps des animaux ce qui confortait leur sentiment d’équivalence.

Leur vision du monde restait toutefois bien particulière. Leroy-Ladurie expose que les longues séances d’épouillage était souvent un moment privilégié pour la conversion. On prêchait le catharisme en éradiquant les insectes. La secte ne protégeait  pas l’insecte. Pardonnons leur : ils ne savaient pas que le pou vit du sang.. Il devait y avoir pas mal d‘accommodements avec le ciel. L’une des têtes cathares de Montaillou était cordonnier et il fallait bien qu’il se procure du cuir.

Les sectes ont toujours une visée morale. Les cathares rejetaient la sexualité pour d’obscures raisons religieuses. Ce qui leur valut l’accusation d’homosexualité car ils vivaient en couples du même sexe pour éloigner la tentation du pêché. Pour l’instant, les végans ne prêchent pas l’abstinence sexuelle. Pour l’instant….

Grosso modo, ça a duré deux siècles. Deux siècles à vivre avec des Aymeric Caron ! T’as intérêt à croire en Dieu pour supporter l’épreuve. Ils sont gentils les Cathares…Pas trop guerriers mais gentils. Et donc, ils vont prendre pâtée sur pâtée, jusqu’à la funeste bataille de Muret. Muret, c’est l’espoir qui revient, l’événement historique qui prouve que les végans peuvent être éradiqués. D’autant que la perspective géographique s’est inversée et que les actions véganes ont lieu au Nord désormais.

Nous, on a donné. Et depuis qu’on s’est remis à faire des boudins, on va beaucoup mieux. Au point qu’on a rajouté la corrida à notre patrimoine immatériel, histoire de se protéger la perfection. Bon, on héberge quand même quelques végans ; j’en ai vu un troupeau à Biarritz, il y a peu. Isolés les animistes spécistes. Faudra se méfier. Le cancer commence toujours par des cellules isolées.


On en reparlera….

jeudi 4 octobre 2018

MON AMI, GEORGE KISH

« Allons au Quartier Latin ». Il n’a plus vingt ans, sec et maigre comme un vieux hareng et ses yeux brillent d‘un éclat amusé.
Evidemment, tout a changé, mais le vieux géographe retrouve sans peine la trace de ses pas, les lieux où il a vécu, les troquets qu’il aimait.
« Où veux tu dîner ? » Nous nous connaissons depuis deux heures et nous nous tutoyons.
« Au Balzar, si c’est possible » .
Il me raconte. A 20 ans, le Balzar lui semblait un paradis. Il arrivait de Budapest pour faire des études de géographie. Son rêve était de travailler avec Emmanuel de Martonne, il lui fallut se rabattre sur André Siegfried. Deux Français, deux spécialistes de cette Europe centrale qui lui colle au cœur.
« je n’ai jamais mangé une aussi bonne raie au beurre noir ». Qu’à cela ne tienne, George, c’est un rêve facile à réaliser.

J’interroge un peu. Il parle. Pourquoi il a quitté la Hongrie. La menace hitlérienne. La France, pays rêvé. 
« Après Munich, j’ai compris, il n’y avait que l’Amérique »
Je m’étonne, mais il secoue la tête.
« Pour les Juifs, nous savions… Et j’étais, non, je suis Juif . C’était une question de vie ou de mort. »
Et il raconte, le bateau, la traversée. New York.
« Nous débarquions en troupe et, sur les quais, les bureaux de recrutement des universités avaient ouvert des comptoirs pour nous engager. C’est ainsi que j’ai rencontré Carl Gans et Lévi-Strauss ».
Il avait fait le tour des recruteurs avant de choisir l’Université du Michigan, Ann Arbor. Le deal était simple : géographie historique et mise en place d‘une collection de cartes historiques.
« Le budget était conséquent. J’imaginais concurrencer la BNF. »
Nous parlons de Sven Hedin, de son engagement nazi. Il utilise un vocabulaire de tendresse. De Hedin, il sait tout, même les petites compromissions et les grandes lâchetés.Il me raconte les plans allemands sur l’Asie centrale. Un immense travail géographique. Je lui indique vouloir utiliser un texte de Martonne qui est un hommage à Hedin. Il approuve, bien entendu. Avant d’être de l’idéologie, c’est de la géographie. Et le bout du nez finit par pointer. Von Richthofen s’invite au dessert. L’homme qui a formé Hedin mais également Wegener et Eriksson,l’un des inventeurs de la paléogéographie. George a une grande admiration.

« Il a eu des disciples. J’ai eu beaucoup d‘élèves. Je n’ai pas eu de disciple. »

Je le savais. J’avais eu l’occasion de rencontrer un de ses élèves, cadre supérieur à la National Geographic Society, qui aurait du lui succéder. George roule de la mie de pain entre ses doigts pour faire des boulettes.
« Le salaire…. Tu sais, j’ai longtemps pensé que l’Amérique devrait élever une statue à Hitler sur chacun de ses campus. Grâce à Hitler, nous, les intellectuels européens, juifs et antifascistes, nous avons construit le système universitaire américain. Nous l’avons mené aussi haut que nous avons pu. Et il va se liquéfier. Nous n’avons pas su créer des universitaires, des gens pour qui la fonction compte plus que le salaire. Et l’université américaine mourra de ce manque d’universitaires. »

Il a l’air bien triste, mon nouvel ami.

« George, un peu de palinka ? de palinka de prune ? »

Il a un joli sourire.

« Je bois peu. Mais oui à la prune. Ce ne sera pas de la palinka mais ce n’est pas grave. Tu es bien un Français. Tu sais que la prune est reine dans toute la vallée du Danube. Tu l’as choisie pour me réchauffer le cœur. Je ne peux pas refuser »

George est mort deux ans plus tard après avoir traduit en français sa biographie de Hedin. Il y tenait. Le français était sa langue maternelle de géographe. Et il aimait Vidal de la Blache.