samedi 23 octobre 2010

L'AMANT DE L'IMPERATRICE

C’est marrant comme on peut passer à côté d’informations importantes. Prenez Li Hongzhang. Si vous cherchez sur Google (c’est un bon miroir, mais sacrément déformant), vous saurez tout sur sa carrière militaire. Normal. Il a mis fin à la révolte des Taipings qui manqua de peu virer les étrangers de Chine. Alors, nous, les Occidentaux, c’est ce qu’on regarde. On dit aussi qu’il a forniqué avec l’impératrice Cixi et comme on est persuadés que la politique se fait au lit, ça nous plait bien.

Li était confronté à un problème : il fallait moderniser la Chine pour contrecarrer l’expansion des Occidentaux qui la dépeçaient. Alors, il a initié la politique yanwu que l’on peut traduire par « activités à l’occidentale ». Et il a inventé le système guang du shang bang que Chesneaux traduit justement par « contrôle d’Etat-gestion privée » (tiens, Chesneaux, il faudra en reparler de celui-là que les sinologues chics considèrent comme obsolète).

Li était confronté à un problème simple : le système bureaucratique, indispensable au contrôle politique, n’était pas doué pour la gestion des affaires à l’occidentale. A l’opposé, les entrepreneurs privés capables de gérer des affaires ne disposaient pas de capitaux suffisants pour les créer et se confronter avec les Occidentaux. D’un côté les hommes, de l’autre le fric. D’un côté l’économique, de l’autre le politique. Et pas de passerelles entre les deux.

Le système de Li, qu’il a mis en place dans les arsenaux de Shanghai, était fort simple . L’Etat finançait les entrepreneurs privés. L’argent sortait des caisses du gouvernement et les entrepreneurs privés faisaient des affaires. Quant au système bureaucratique, il contrôlait les entrepreneurs pour que l’Etat ne soit pas spolié. Chacun faisait ce qu’il savait faire. L’Etat traçait la stratégie et fournissait les armes, les entrepreneurs occupaient le terrain.

Ne pas voir que c’est ce système qui est à l’œuvre en Chine aujourd’hui, c’est tout simplement être aveugle. Normal. Sun Yat-sen admirait Li et Mao vénérait Sun Yat-sen. Il y a une filiation idéologique évidente.

Les conditions historiques n’ont pas permis à Li de développer son système comme il l’aurait voulu. Mais là où il a fonctionné, il s’est révélé efficace. Il portait en lui l’essentiel : permettre à l’Etat de développer et de contrôler une politique économique nationale. Certes, certains s’enrichissaient. Mais ils savaient ce qu’ils devaient à l’Etat et ils savaient surtout que toute déviation serait punie. L’Etat ne perdait pas son pouvoir, au contraire il le renforçait car il tenait les ficelles. Plus la marionnette est grande, plus fort est le marionnettiste.

Le système est comme une pièce de monnaie. Tu ne peux pas voir les deux côtés en même temps. Alors, tu choisis. Quand Cosco Pacific prend le pouvoir sur le port d’Athènes, tu regardes le côté « gestion privée ». Ça rassure la Bourse. Le revers, le contrôle d’Etat, tu l’oublies. Pourtant, c’est dans notre culture. C’est tout simplement les nationalisations de l’après-guerre. Renault, c’était ça. Sud-Aviation aussi (on en reparlera de Sud-Aviation, c’est une belle histoire). L’Etat trace la route, finance et l’entreprise renvoie ses résultats. A terme. Parce que ce n’est possible qu’à terme. C’est une vision stratégique, pas tactique. Mais Margaret Thatcher, fille d’épicier, n’avait pas de vision stratégique. Les boutiquiers, ça regarde la caisse du jour. Le thatchérisme, ce poujadisme qui a réussi, a cassé toute velléité de stratégie. Pour le boutiquier, tout investissement est d’abord une dépense, de l’argent qui sort de la caisse. Insupportable. La recherche est une horreur. D’abord, on ne comprend rien à ce que racontent les chercheurs. Et ils ont besoin de plus en plus d’argent pour chercher des choses dont on n’a aucune idée. Bref, demain coûte. Alors, on crée des bataillons de cost killers pour qui demain n’existe pas.

Je suis désolé, mais quand je regarde les hommes et les femmes qui ont mis en place le système français entre 1945 et 1947, je vois des penseurs, des humanistes, des gens qui avaient le sens de l’Etat, De Gaulle, René Cassin, Pierre Mendès-France, Louis Vallon. Un autre niveau qu’une fille d’épicier comme Thatcher et un acteur de seconde zone à la retraite comme Reagan.

Je suis désolé mais quand je regarde en arrière, je vois que le libéralisme thatchero-reaganien a pris naissance à la fin des années 70, au moment même où la Chine mettait en place sa politique contrôle d’Etat-gestion privée, celle-la même que nous commencions à démolir. Trente ans après, les résultats sont là. Nous nous enfonçons et la Chine domine. Et les caisses sont vides, ces caisses que le libéralisme disait vouloir protéger à toute force. Il est clair que les boutiquiers ont perdu.

En même temps, c’est normal. Nous avons un Président qui ne connaît pas la Princesse de Clèves. Comment imaginer qu’il connaisse Li Hongzhang ?

On en reparlera…..

vendredi 22 octobre 2010

ET SI ON PARLAIT DU FENG SHUI ?

J’adore les notules dans les journaux. Ces articulets de quelques lignes sont souvent gros d’informations non-dites, comme des patates chaudes dont le rédacteur ne sait que faire.

Dans Libé du 18 octobre, y’en a une qui vaut son pesant de cacahuètes. Un syndicat américain, l’USW (United Steel Workers, le syndicat des sidérurgistes) accuse les Chinois d’avoir subventionné à hauteur de 216 milliards de dollars les fabricants de technologies visant à réduire les émissions de carbone. Il paraît que ça crée une distorsion dans les marchés. Pas contents les métallos yankees : le montant représente « plus du double de ce que dépensent les Américains et la moitié de ce qui est dépensé au niveau mondial ».

Moi, je trouve ça plutôt rigolo. Voilà des années qu’on nous bassine sur les Chinois pollueurs sans vergogne, égoïstes et destructeurs de la planète. Quasiment, on les a accusés d’avoir fait échouer le grand raout de Copenhague. Ben non. Ils dépensent autant que le reste du monde pour améliorer le bilan carbone. Vu leur fonctionnement, on peut parier qu’ils vont avoir des résultats.

J’avais, il y a quelques mois et en d’autres lieux, émis l’hypothèse que le peuple qui avait inventé le feng shui ne pouvait pas se désintéresser des problèmes écologiques. La base du fonctionnement chinois, depuis plus de vingt siècles, c’est l’harmonie de l’homme et du monde. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Van Gulik. Il savait de quoi il parlait. Cherchez sa bio sur Wikipedia, vous comprendrez.

Le feng shui, c’est l’harmonie avec les vents et les eaux. L’homme ne peut survivre si cette harmonie est rompue. Chez les bobos qui préfèrent les livres de recettes aux livres de réflexion, c’est devenu la manière de placer son lit et d’orienter ses chiottes. Quelque chose comme « chiottes à l’ouest, le ventre se déleste ». Je rigole pas, je rigole jamais devant la bêtise. Il y a des dizaines de livres pour vous expliquer comment orienter sa table et son lit. Où que vous soyez. Et quels que soient les vents et les eaux. On veut du concret, mais on est trop fainéants pour travailler le concret. C’est sûr qu’on vit pas pareil sur un socle granitique que sur un sol karstique. Mais si on doit faire de la géologie avant de penser une décoration, où va t-on ? Ne parlons même pas de la magnétométrie.

Et donc, les Chinois, ils savent que les problèmes écologiques sont fondamentaux. En même temps, ils savent qu’à terme ça va être un marché. Colossal. Alors, ils investissent. Ne nous leurrons pas. Ils font d’abord ça pour eux. Ils ont plein de petits constructeurs de voitures électriques.. Avec des noms à mourir, comme NICE CARS (No Internal Combustion Engine) ou BYD (Build Your Dreams). Des mecs qui font de petites autos pour des gens pas très riches, comme Fiat avait fait la 500 ou Renault la 4CV. Des gens même pas assez riches pour se payer le plein d’essence.

C’est bien, ça leur fait un laboratoire grandeur nature. Et puis, les piles, ils connaissent : ils produisent plus de 90% des piles et batteries dans le monde. Forcément, va y avoir du déchet. Comme chez nous : plus de 200 constructeurs d’automobiles en France il y a un siècle, deux aujourd’hui.

En fait, ce qui me plait, c’est que l’obligation de l’avenir rencontre l’obligation de la tradition. Vivre en harmonie avec la nature, c’est désormais un marché. Penser demain avec les instruments de réflexion d’hier. Pour ça, il faut être dans un continuum historique. Si tu vois pas plus loin que le bout de ton nez, tu vas pas loin.

Les USA sont un peuple à courte vue. D’abord parce qu’ils n’ont pas d’Histoire. Ne hurlez pas. Quatre siècles, ça fait pas une histoire. Quatre siècles en incluant la période de découverte. La nation américaine, c’est deux petits siècles. Alors, effectivement, quand ils regardent en arrière, y’a pas grand chose à voir. Pas beaucoup d’exemples à suivre. Et donc, en toute logique, ils préfèrent aujourd’hui à hier. Le syndicat USW, il ferait mieux d’engueuler son administration qui prend du retard. Les Ricains, ils aiment la compétition. Ils vont être servis.

Ça valait la une de Libé, je trouve. C’est une bonne nouvelle. Ça va pas nous améliorer la balance commerciale mais vu son état…. C’est aussi symptomatique. Nous, on cause, on cause, on cause. On a Arthus-Bertrand et Nicolas Hulot, les Laurel et Hardy du développement durable, on fait des films et des colloques. Pour ce qui est du concret, c’est autre chose. M’enfin, l’essentiel, c’est que ce soit fait. Par les Chinois ou par d’autres, peu importe. L’important, tout le monde vous le dira, c’est d’améliorer le bilan carbone. La nationalité des procédés, on s’en fout.

Ça va nous coûter cher ? Oui. Très cher.

On en reparlera…

lundi 18 octobre 2010

SEGOLENE ET LES CLASSIQUES

Juste une question : tu préfères Ségolène Royal ou Victor Hugo ? Ho, c’est con, ta question. C’est pas pareil. Question barbe ou gambettes, c’est vrai que c’est pas pareil. On peut pas confondre la Madone du Poitou et le Prophète de Guernesey.

La polémique autour de l’appel ségolénien (c’est mieux que royaliste, pas vrai ?) et la pathétique tentative d’explication de la donzelle façon « c’est pas ce que j’ai voulu dire » m’a affligé. A cause des Misérables. Il est vrai que ce monument de la littérature n’est plus qu’une comédie musicale anglaise que les critiques encensent, vraisemblablement parce que toute charge politique en a été ôtée.

Dans les Misérables, il y a une icône : Gavroche. Un môme de quatorze ans qui va se faire flinguer sur les barricades des Trois Glorieuses. Une icône de la République, une icône des valeurs républicaines, un symbole des luttes qui ont construit notre histoire. Un môme qui meurt sous les balles réactionnaires en invoquant Voltaire et Rousseau, la France des Lumières.

Au nom de Gavroche, les mômes des lycées, ils ont le droit de manifester. C’est Gavroche qui leur offre ce droit. Gavroche et Hugo. Tous les censeurs, tous les critiques, tous ceux qui se sont acharnés sur Chabichette ont, dans le même temps, craché sur Gavroche, craché sur Hugo.

Au nom de Gavroche, les mômes, ils ont le droit de descendre dans la rue. Ils ont le droit de participer à la vie de leur pays. J’entends avec effroi, les mêmes réflexions que je recevais dans les dents, voici quarante ans. « Ferme ta gueule, t’as pas le droit de vote » (je rappelle qu’à l’époque, la majorité électorale c’était 21 ans). Eh, bouzigue, c’est bien parce que je pouvais pas m’exprimer avec un bulletin que j’avais choisi les pavés. Comme Gavroche.

Y’a pas à discuter, à se poser des questions, à se demander quoi et qu’est-ce. Gavroche suffit. Il est l’explication totale, la justification suprême. Si tu refuses Gavroche, tu as choisi ton camp.

Remarque, Ségolène, peut être qu’elle lit surtout Marc Lévy. Va savoir…

MARX ET LE VOCABULAIRE

Cornelius Castoriadis est un penseur intéressant. Fines observations, analyses pertinentes et conclusions parfois biaisées. C’est qu’il ne peut se détacher de la doxa, quoiqu’il en ait.

Il a un rejet presque viscéral du communisme. Il ne cesse de parler de « mystification communiste », d’ « erreurs communistes », d’ « horreurs communistes ». En fait, il ne fait référence à rien de communiste. Juste aux dérives d’un régime qui s’en réclamait. Comme s’il suffisait de mettre une étiquette pour que la réalité s’y soumette.

Le communiste est un concept. C’est le mot qu’a choisi Marx pour désigner ce qui viendra après le capitalisme. Il n’y a, dans l’œuvre de Marx, rien qui permette de définir une mise en œuvre de ce concept. Pour faire simple, il nous dit : le communisme viendra et ce sera bien. Sur la mise en place pratique, pas un mot.

Alors, forcément, ceux qui veulent aider le communisme à venir, ils inventent une mise en place. Ils puisent dans Marx et ils adaptent. Marx parle de « capitalisme d’Etat », les Russes créent des entreprises d’Etat. Elles ne sont pas capitalistes puisqu’elles ne dépendent pas du marché. Ce sont juste des entreprises avec des capitaux d’Etat. Comme si les capitaux faisaient le capitalisme. Peu importe. On décrète que le capitalisme d’Etat, c’est ça. Bien entendu, ce n’est pas ça et ça ne peut pas être du marxisme. On a appelé ce système le marxisme-léninisme. Et puis, par une dérive sémantique courante, on a dit que c’était du communisme, puis on a affirmé que c’était LE communisme. Et quand le marxisme-léninisme s’est effondré, on en a conclu que le communisme s’était effondré.

Question : comment un concept peut-il s’effondrer ? Un concept ne tient pas debout grâce à des éléments matériels. Il n’est valide que si le raisonnement qui le crée est valide. C’est même pour ça que c’est un concept. Un concept est détaché du monde matériel et parler de concept à tout bout de champ, à propos de meubles par exemple, revient à faire preuve d’une rare stupidité. Ce genre de glissement biaise les raisonnements.

L’assimilation du soviétisme et du communisme est une erreur majeure. Elle a conduit à penser qu’il ne pouvait y avoir de communisme que soviétique. Le Parti Communiste Français n’en finit pas de porter cette croix. Pour les idéologues de droite, c’était pain bénit (faudra que je fasse gaffe à mes images religieuses, elles collent mal avec une pensée de gauche). La mort du communisme signifiait la victoire du capitalisme et la mort de la pensée marxiste. Victoire à la Pyrrhus, comme souvent, mais quand on ne vit que le présent, c’est bien suffisant. Nous a t-on assez bassiné avec la mort de Marx ! Comme si les faits suffisaient à annihiler une théorie. Les faits, c’est aujourd’hui, ici et maintenant. La théorie a une emprise plus vaste. Elle peut fort bien ne pas s’adapter aux faits d’aujourd’hui et coller parfaitement aux faits de demain. Le réel est évanescent, la pensée durable. Je sais, c’est difficile à concevoir. Faites un effort.

Même Bernard Maris a du mal avec ça. Il écrit un livre pour démontrer que la pensée marxiste fonctionne toujours (la baisse tendancielle du taux de profit, par exemple) mais il ne voit pas bien comme arriver à sa conclusion, c’est à dire au communisme. Il va jusqu’à appeler Freud à la rescousse. Comme si Freud avait à voir avec le communisme.

On sait pas comment ça va venir. Ni quand. J’admets que c’est embêtant. On aimerait bien que les lendemains qui chantent, ce soit demain. Mais vu qu’on a pas le mode d’emploi, on est bien obligés de tâtonner, de bricoler. On fait des essais. Le soviétisme, c’était un essai. Le socialisme à la chinoise, c’est un autre essai. Un essai qui fait suite à un essai manqué qu’on avait appelé le maoïsme. A la limite, on aurait pu considérer (après le Congrès de Tours) que la social-démocratie, c’était aussi un essai. Bon, là, on a aussi trouvé les limites et le FMI est dirigé par un social-démocrate.

On se démerde mal avec les mots, tout simplement parce qu’au fil du temps, on leur a filé une charge sémantique. La connotation, par exemple. Inventée par Locke voici deux siècles. On n’a jamais autant connoté qu’aujourd’hui. La petite sœur, la dénotation, on n’en entend jamais parler. On doit juger qu’elle ne sert à rien. Bien entendu, c’est le contraire. La dénotation, c’est la partie du sens que deux locuteurs peuvent partager. Pour faire bref, la partie du sens qui permet la communication. C’est utile, non ? Non. On ne s’intéresse qu’à la connotation qui est la partie du sens qui gêne la communication. Le plus souvent, c’est les spécialistes de la communication qui se gargarisent avec la connotation. Ils ont fini par en faire un équivalent bancal de la dénotation. On partage les connotations, l’impartageable. Comme avec le communisme.

C’est vachement bien. Ça rentre dans un processus de manipulation qui fait que les mots n’ont plus de sens du tout. Sauf celui que la communauté journalistique veut bien leur attribuer. Et nous faire partager. Par communauté journalistique, j’entends aussi les décideurs politiques et économiques qui fonctionnent de la même manière.

Alors, on entonne tous le même refrain. Le communisme est mort. 25% de l’humanité vit sous un régime ouvertement communiste, mais le communisme est mort. Remarquez, si vous avez bien lu, vous savez qu’on peut le dire. 25% de l’humanité vit sous un régime qui cherche le communisme. Ce qui signifie que les communistes auto-proclamés ne vivent pas sous un régime communiste mais sous un régime en route (peut-être) vers le communisme. L’important, c’est de partir, pas d’arriver. Ça me va assez comme idée, je pense ça pour tous les voyages.

Ça donne raison à tout le monde. Ceux qui disent que les communistes ne sont pas communistes et ne le seront jamais. Ceux qui disent que les communistes sont communistes parce qu’ils le seront un jour. On échange des arguments, tous valables, tous valides. Ça ouvre la porte à la croyance, c’est à dire à la Foi. Ce qui revient à poser la seule question vraiment communiste : le Royaume des Cieux peut-il être terrestre ?

Allez vous étonner après ça qu’il y ait des chrétiens de gauche….

On en reparlera…

samedi 16 octobre 2010

DEUX POIDS, DEUX MESURES

Le Directeur de l’usine : « L’an dernier, le Parti Communiste a demandé une augmentation des salaires de 40% que nous avons accordée »

C’est une interview. Dans le journal de 20 h de France 2. Le mec interviewé, il est Français, bien cravaté et il dirige l’usine Peugeot de Wuhan.

Première leçon : quand le Parti Communiste demande une augmentation des salaires, elle est accordée. A Wuhan. Parce qu’à Sochaux, ça doit pas être la même musique.

Le même : « Nous avons un Directeur général adjoint exclusivement chargé des relations avec le Parti Communiste ».

He bé ! Si c’est pas deux poids, deux mesures, c’est quoi ? Peugeot, c’est du bon vieux patronat français. Pas des fonds de pension internationaux. Du patronat estampillé MEDEF, UIMM et autres associations bien pensantes où les mots « communiste » et « syndicat » sont des gros mots. En ce moment, les dirigeants de Peugeot, ils doivent peser les centimes des caisses de retraite. Avec des calculs fignolés. Ils doivent pester contre les raffineries bloquées, les trains qui roulent mal et ces communistes qui bloquent la France. Ils devraient demander à leur directeur général adjoint chargé des relations avec les communistes. Il a l’habitude, le mec. L’habitude de céder.

La presse, nous l’a dit et redit. Il n’y a pas de syndicats en Chine. Pas besoin. Le PCC arrive et demande et obtient. Chérèque, avec ses 2% d’augmentation, il a l’air un peu minable, je trouve. 40%, ça c’est de la demande ! On mégote pas chez Hu Jintao.

Tout ceci est normal. Le patronat, quand on le menace, je veux dire quand on le menace vraiment, il s’écrase à tous les coups. En même temps, le patron de Ryan Air, il ferme sa base de Marignane. C’est juste qu’il a pas peur. Il sait bien qu’il va continuer à atterrir où il veut et à s’organiser comme il veut. Si on lui avait dit, par exemple, « OK, tu fermes, mais tu n’atterris plus en France, y compris à Paris », je suis bien sûr qu’il aurait fait ses comptes. Là, il envoie ses salariés en Lithuanie mais il continue à poser ses avions à Marseille et Paris. Il va rien perdre. Pourquoi se gêner ?

Je repense à tous ceux, Wikipédia en tête, qui prétendent que le communisme en Chine, c’est juste de la rhétorique. Pour les ouvriers de Wuhan, la rhétorique, c’est 40% d’augmentation. 40% obtenus par le parti au pouvoir. Peugeot achète la paix sociale et la tranquillité politique. Le droit d’être dans le pays.

Il est dommage que ceux qui devraient comprendre le message ne l’entendent pas. Le politique commande à l’économique.

A Wuhan. Pas à Sochaux.

jeudi 14 octobre 2010

CON CERNÉ

Reproche récurrent : tu ne parles plus que de la Chine. Exact. Mais la Chine s’impose, se pousse du col, envahit ma vie quotidienne, influe sur mes impôts, prépare mon avenir et celui de mes gosses. Oui, je me sens concerné. Con cerné.

Juste un truc. Quand je vais chez moi, au pied des Pyrénées, j’aime bien passer la frontière pour aller faire des courses. De bons produits qui me rappellent les tablées de ma jeunesse. Les asperges de Navarre par exemple, goûteuses, sans fil que l’on mangeait chaudes avec une sauce au beurre.

Les Espagnols, ils ont une habitude que j’aime. Les légumes, ils les préfèrent en bocaux. C’est beau, un bocal de verre, avec les légumes bien rangés, bien visibles. Tu sais ce que t’achètes, pas comme avec les hermétiques boîtes de ferraille. Pour les asperges, c’est bien le bocal. Tu vois la grosseur, la taille, tu salives. Mes asperges, elles sont là, bien embocalées, avec de belles étiquettes. Y’en a à tous les prix. Les moins chères, c’était Celorrio, Conservas de Navarra. Ecrit en gros. Navarra, pas cher, belles asperges.

Les Espagnols, ils ont un nouveau truc que j’aime. Sur leurs bocaux, ils sont obligés de marquer la provenance du légume. Pas tromper le consommateur. Faut être juste : ils écrivent pas en grosses et grasses lettres. C’était marqué en tout petit : Produit de Chine. Celorrio, Conservas de Navarra, c’est juste la raison sociale. Les asperges et le bocal, ça vient de Chine. C’est pour ça que c’est moins cher. Navarre en gros, Chine en tout petit. Pas tromper le consommateur mais avec les limites du packaging.

Mais comment est-ce possible ? Tu cherches et t’as pas de mal à trouver. Les Québécois, ils ont publié les chiffres (www.agrireseau.qc.ca ). En Chine, un million d’hectares d’asperges et 4,5 millions de tonnes. L’Espagne, 60 000 tonnes, la France 22 000 tonnes. C’est pareil pour plein d’autres légumes (carottes, tomates, choux). Normal, disent les économistes tranquilles, c’est un grand pays. Certes. Mais quand tu produis 43% des légumes du monde avec seulement 22% de la population, t’es bien obligé d’exporter, t’as du rab pour ça. Tiens, prends les carottes. Une carotte sur trois vendue dans le monde vient de Chine. Quand tu fais ton pot-au-feu, y’a des chances que t’y mettes un bout de Chine. C’est pas encore un shop suey, mais ça viendra. Pour les patates, faudra attendre un peu : les exportations chinoises sont ridicules (250 000 tonnes) mais ça en fait quand même le premier exportateur mondial.

Nous, on est pas comme les Espagnols. On met juste l’usine de conditionnement avec un code. EMB 47…, ça veut dire que l’usine est dans le Lot-et-Garonne. L’usine. Ça veut pas dire que les légumes, ils sont du Lot-et-Garonne. Ils peuvent venir d’ailleurs. Ça, tu sais pas. Tu sais pas où ça pousse, ni comment ça pousse. Si ça vient de Chine, j’ai quelques inquiétudes. Le communiste de base, c’est un homme de progrès. Alors, l’OGM et le produit phytosanitaire, il aime bien. Ça permet de pousser la production et de préparer les lendemains qui chantent, quand tout le monde aura à bouffer dans son assiette.

Alors, moi je veux bien qu’on me dise que j’en parle trop. Mais enfin, quand je vois le fric que j’envoie en Chine en permanence, et qu’on ne me laisse pas le choix, je me dis que si Hu Jintao éternue, c’est Sarkozy qui va être malade. Je fais gaffe, je me débats comme un con, mais c’est sans espoir. J’achète à mon gamin des jouets en bois fabriqués dans le Jura, mais il hurle que c’est ringard et que le Gormiti fabriqué dans le Guangdong, c’est vachement mieux. J’achète mes asperges à Lodosa, à une SCOP (à gauche toute), mais ça me coûte trois fois plus cher que les asperges chinoises. Mon ordinateur est monté en Irlande mais je suis bien sûr que les composants, ils ont les yeux bridés.

C’est vrai que ça vire à l’obsession. Que je sens comme un filet qui se resserre lentement. Inexorablement. Je devrais être content. A vingt ans, je pensais que la Chine était l’avenir du monde. Ben voilà, c’est quasiment fait. Ce que je pensais pas, c’est que ça passerait par les asperges.

Il me reste le cochon. Pour l’instant.

On en reparlera….

mercredi 13 octobre 2010

BRAS DE FER OU BRAS D'HONNEUR ?

C’est un truc récurrent depuis des années. L’utilisation politique du Nobel. On en a eu maints exemples durant la guerre froide. Le Nobel de Littérature donné à Pasternak, par exemple. Il avait la réputation de s’opposer. Alors on l’a honoré. Comme Soljenytsine un peu plus tard. On a aussi honoré Cholokhov qui, lui, était un quasi auteur officiel, histoire de maintenir la balance. Sans oublier Gao Xingjian, nobélisé pour ses positions politiques plus que pour ses qualités littéraires.

Liu Xiabo rentre dans la catégorie. L’Occident considère qu’attirer l’attention sur un individu par le Nobel le protège en focalisant l’attention sur lui. Et c’est censé affaiblir le pouvoir en place. On a fait le coup avec Sakharov ou Chirine Ebadi. Qui se souvient de Chirine Ebadi sept ans après ? Et sa nomination a t’elle tant soit peu affaibli le pouvoir iranien ?

Les Chinois, on leur a déjà fait le coup, il y a vingt ans, en offrant le Nobel de la Paix au Dalaï-Lama. En 1989. Juste après les événements de Tian An Men. Résultat ? Des discours, des réactions, tout le monde s’est répandu dans la presse. Dans la presse occidentale, je veux dire. Et en Chine ? Rien. La situation n’a pas varié d’un iota.

Quand on fait de la politique, en principe, c’est pour agir sur le monde, pour le faire bouger. Si rien ne change, autant aller au bistrot. Et voyez-vous, c’est curieux, mais avec certains pays, rien ne change. Le Prix Nobel de Aung San Suu Kyi a t’il desserré l’étau de la junte en Birmanie ? Pour elle, peut-être, grâce à son exposition médiatique. Pour le citoyen birman, sûrement pas. Or, a priori, c’est le citoyen de base qui compte.

Les pays politiquement forts (on dit totalitaires, pour faire simple) connaissent la musique. Ils savent que ça dure le temps d’un déjeuner de soleil. Plein d’articles, plein de communiqués. Au pire, ça dure jusqu’au prochain Prix Nobel. Après, on passe à autre chose. Pendant quelques semaines, ou quelques mois, le monde entier a l’impression de se livrer à un bras de fer avec les forces du Mal. Après quoi, il a droit à un bras d’honneur.

J’ai un exemple sous les yeux. Un copain, dirigeant d’un grand groupe. Zélateur du Dalaï Lama. Il pétitionne à tour de bras. Et même, il transfère ses pétitions avec son IPod fabriqué en Chine. Et il bosse avec la Chine. Il signe plein de contrats. Il n’a toujours pas compris que ses pétitions, tout le monde s’en fout. Ce qui compte, c’est les dollars que rapportent son IPod et ses contrats. Il n’est pas le seul. Lui et ses copains se justifient en affirmant que, commercer avec la Chine c’est aider à l’ouverture de la Chine, à son enrichissement et donc à sa libéralisation.

Rhétorique. Depuis trente ans, la Chine s’enrichit et ne se libéralise pas. Demandez donc à Danone ou à Google. Ou aux Tibétains. Ils sont vachement contents d’être soutenus par nos pétitions, les Tibétains, quand l’armée chinoise remet de l’ordre à Lhasa. Ça leur met du baume au cœur. Ils peuvent toujours brandir des portraits du Dalaï-Lama nobélisé, ça calme pas vraiment le jeu. Les régimes forts, ils savent un truc, et un seul : ils sont forts. Et c’est leur mesure : la force.


Nous, on se donne bonne conscience… C’est important. Pas efficace, mais important. A nos yeux. Après tout, on voit avec nos yeux. Et on ajoute la kyrielle des justifications. On fait ce qu’on peut. Non. On fait ce qu’on a envie de faire. On voit ce qu’on a envie de voir.

Le naïf, il va te balancer l’exemple de l’URSS. T’as vu ? Ils se croyaient forts et ils se sont effondrés. D’abord, pour des effondrés, je les trouve assez costauds. Mais c’est pas le sujet. Qui peut croire, un seul instant, que les Chinois n’ont pas analysé, décortiqué, la chute du soviétisme ? Qui peut croire un seul instant qu’ils vont faire les mêmes conneries ? D’ailleurs, ils ont pris la voie contraire : ils ont refusé la confrontation. Une analyse simple leur montrait que la confrontation n’était pas possible. Pas assez riches, pas assez évolués. Avant de se battre, il faut affaiblir l’adversaire. Lui pomper son fric. C’est en assez bonne voie, je trouve.

Sur la Toile, ce Prix Nobel suscite des palanquées de commentaires. Un thème récurrent : ça va pas durer, le peuple chinois va renverser ses dirigeants. D’ailleurs, y’a des révoltes partout. Vieille rengaine. Si un problème a été étudié en Chine et par tous les sinologues sérieux, c’est celui des révoltes sporadiques en Chine. On disait « jacqueries », vu que c’était un peuple de paysans et que les paysans n’ont pas le droit d’être révolutionnaires. Jacqueries, c’est des révoltes de ploucs. C’est moins grave sur le plan de la connotation. Et puis, ça plaisait aux maoïstes qui pensaient que la paysannerie peut être le fer de lance d’une révolution.

Donc, on a étudié. Des révoltes (ou des jacqueries, ne jouons pas sur les mots), il y en a eu des milliers. Des petites. Des grosses. Des très grosses comme les Taïpings que les communistes chinois ont étudié sous toutes les coutures. Le pouvoir central chinois, il est habitué. Il a toujours géré. Un coup on calme avec des cadeaux, un coup on calme avec des bâtons. Oui, disent les sinologues officiels, mais la Chine est vaste, difficile à contrôler. Exact. Mais ça vaut pour le revers de la médaille. La Chine est vaste, difficile d’y créer une révolution générale, de lier les mouvements du Sichuan et du Guangdong. Le gouvernement central, il a pas besoin de diviser pour régner. L’espace crée les conditions de la division. Toujours la géographie. Le seul lien, c’est la bureaucratie. Céleste, disait Balasz. Communiste aujourd’hui.

On rêve. On rêve que quelques intellectuels disséminés au sein d’un ensemble grand comme dix-huit fois la France vont entrainer la Chine dans le concert des démocraties. On rêve qu’Internet permettra la communication entre eux, servira à faire monter la mayonnaise. Sauf qu’Internet, c’est virtuel. Et qu’en Chine, Internet, c’est l’Etat. Demandez à Google, ils ont payé pour savoir.

Envoyons donc des messages à Liu Xaobo. Ça nous fera plaisir. Pas à lui, vu qu’il ne les lira pas.

On en reparlera….

vendredi 8 octobre 2010

LE CABANON DE GENTELLE

Hier, on a mis Pierre dans la terre. A ma connaissance, c’est la première fois qu’il allait dessous. Il préférait l’arpenter, la renifler, la décrire. Il aimait ses fruits, surtout ceux qui poussent dessus. Dessous, c’est que des tubercules. Rien que le mot, tubercule, c’est pas très excitant.

J’ai retrouvé Pierre un peu plus tard dans ma supérette. Il me fallait de la sauce tomate pour mon petit. J’ai interdit le ketchup pour cause d’anti-américanisme primaire, mais la sauce tomate je peux pas. C’est aussi mon histoire, les bocaux de ma tante Marie où elle mettait un gramme d’acide salicylique pour pas que la tomate pique. C’était mon boulot : un kilo de pulpe de tomate, un petit sachet d’un gramme de poudre blanche.

Et voilà que sur les rayons, y’avait que de la tomate des Conserveries du Cabanon. De la belle tomate estampillée Vaucluse. Vaucluse ? Mon œil ! C’est Pierre qui me l’avait expliqué. Et pas qu’à moi, vu qu’il avait publié son explication dans ses Lettres de Cassandre (http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1455 ). Tu veux faire le locavore et préférer la tomate provençale au ketchup étatsuniens et te voilà obligé d’acheter de la tomate du Xinjiang. Et de la tomate militarisée de surcroît. Pas que je sois antimilitariste, mais quand même, c’est pas leur boulot aux bidasses de ramasser des tomates. Remarque, ils ramassent pas. Ils surveillent les ramasseurs, c’est plus conforme à leurs attributions.

Avec Pierre, j’avais appris que l’APL, la glorieuse APL qui a viré les Japonais et laminé les nationalistes conservateurs pour les réduire à Taïwan, était devenue une entreprise presque comme les autres. Ça te fout un coup. T’admires Zhu Deh et tu t’aperçois que ses successeurs traitent avec Pizza Hut. Bon, y’a des trucs qu’on peut comprendre. Quand on te file quelques milliers de prisonniers politiques à nourrir, loger et surveiller, faut bien les occuper. Les travaux agricoles, ça occupe, ça évite de trop penser, c’est fatigant et ça nourrit le peuple. Ah, bon ? Les Chinois bouffent des tomates ? Autrefois, non. Mais on va pas regarder en arrière dans un pays progressiste. Ils vont en bouffer. Et puis, nous, on en bouffe. Et pas que nous. La tomate, c’est un marché. Mondial. Alors quand on te file de la main-d’œuvre bon marché (les salaires des prisonniers politiques, faut être honnête, ça te détruit pas le compte d’exploitation), quand on te file de la terre gratuite (là, c’est le compte d’immobilisations qui sourit), le marché mondial, il est à ta main.

Et donc, merci Pierre, l’Armée Populaire de Libération, l’Armée Rouge, elle contrôle des belles entreprises cotées à la bourse de Shenzhen. Le Général devient Président-Directeur général. J’admets que la nuance linguistique est faible.

C’est le gouvernement qui doit être content. Le gouvernement ? Mais il n’a rien à voir avec l’Armée. Tu te crois où ? L’Armée Rouge, elle dépend d’une Commission permanente du Parti Communiste. Pas du gouvernement. L’Armée Rouge est le bras armé du Parti. Chipotons pas, c’est pareil. Aujourd’hui. Aujourd’hui, Hu Jintao il est Président de la République, Secrétaire général du Parti et Président de la Commission permanente militaire.

Mais demain ? Rêvons. Admettons qu’il y ait des élections libres et que les Chinois, massivement, rejettent la tutelle du Parti communiste. Et bé, le Parti communiste, il garde l’Armée. C’est pratique pour les opposants…. Même si on admet qu’il puisse y avoir des généraux loyalistes, faut pas croire que l’Armée rouge dans son ensemble va s’opposer au PCC. La République espagnole aussi, elle avait des militaires loyalistes. On a vu ce qui est advenu.

Pour un Occidental, c’est incompréhensible. L’armée ne dépend pas du gouvernement mais d’un parti politique. L’armée se comporte comme un organisme indépendant qui fait des affaires et vend des tomates. On n’a jamais vu ça….

Bof ! on n’a pas fini de voir des choses qu’on n’avait jamais vues. C’est emmerdant : on n’y est pas préparé.

Alors, j’ai acheté des tomates chinoises. Et j’ai acheté une bouteille de vin australien. Du vin bien français, produit par le groupe Pernod-Ricard dans les environs d’Adelaïde.

D’ailleurs, Adelaïde, c’est un vieux prénom français, non ?

jeudi 7 octobre 2010

LE GAULLISME CHINOIS

Nos sociétés sont frappées de la maladie d’Alzheimer. On commémore le passé lointain et on oublie le passé proche.

De Gaulle par exemple. En 1964, il reconnaît la République Populaire de Chine et échange avec elle des ambassadeurs. On a oublié le séisme politique. Tout le monde faisait semblant de croire que la Chine, c’était Taïwan. Tendons le miroir : imaginons qu’un gouvernement s’installe en Corse et affirme que la Corse, c’est désormais la France. On rigolerait comme des malades. Et ben, c’est ce que faisait le monde entier, Américains en tête. Pourtant, suffit de regarder une carte. On le voit bien que Taïwan, c’est pas la Chine, loin s’en faut.

Et donc, De Gaulle, militaire et donc géographe (à son époque, aujourd’hui c’est moins évident), regarde une carte et traduit la réalité géographique en politique. De Gaulle avait une grande tendresse pour la Chine. Pierre Billotte me l’avait dit en ces termes : « Le Général a une grande tendresse pour la Chine ». De Gaulle et tendresse sont pourtant des mots qui ne vont pas bien ensemble. Billotte, militaire, politique et gaulliste partageait cette tendresse.

De Gaulle et Mao avaient beaucoup à partager. Le nationalisme d’abord. Ils savaient tous deux que le nationalisme se construit contre les autres. On ne peut être nationaliste que face à un ennemi commun. Sous la Troisième République, c’était l’Allemagne. Le nationalisme français n’existait que pour reprendre l’Alsace et la Lorraine. Raison pour laquelle le débat sur l’identité nationale a tourné en eau de boudin : il n’y avait plus d’ennemi identifiable. C’est la haine qui cimente les nations et il faudra bien comprendre qu’elles n’ont plus leur place dans un monde sans haine.

L’adversaire, en 1964, c’étaient les Etats-Unis. On l’a assez reproché à De Gaulle. Jusqu’à l’autre chèvre qui bêlait « Si les Ricains n’étaient pas là… ». Sauf que la guerre s’étant déplacée sur le terrain économique, le danger hégémonique venait de Washington. La reconnaissance de la RPC, c’était de la haute stratégie. Essayer, par tous les moyens, de retarder l’hégémonie.

De Gaulle et Mao partageaient aussi des années combat contre un envahisseur : le Japon dans un cas, l’Allemagne dans l’autre. Plus encore, des années de combat contre un ennemi de l’intérieur qui jouait double jeu. Et les deux avaient du mettre au point une nouvelle stratégie basée sur le peuple, une stratégie qui tranchait avec ce qu’enseignaient les écoles militaires. Billotte était très fier de me montrer sa photo avec Zhu Deh qu’il tenait pour un immense stratège.

De Gaulle partageait avec Mao une grande affection pour la paysannerie. Les progressistes peuvent y voir une nostalgie conservatrice. C’est sans doute vrai. Il n’en reste pas moins qu’un pays se doit de « marcher sur ses deux jambes » et qu’une nation incapable de nourrir ses habitants prend des risques pour son indépendance. On commence à s’en apercevoir avec les progrès de la mondialisation. Au fond, il y avait cette idée que c’est la terre qui fait la Nation et que le terreau de la Nation, ce sont bien ceux qui cultivent la terre. Par son histoire, De Gaulle savait bien que la victoire de 14-18 était d’abord une victoire de la paysannerie qui avait payé le plus lourd tribut. On peut le balayer d’un revers de main en prétendant que la paysannerie étant la classe sociale la plus nombreuse, il est normal qu’elle ait eu plus de morts. On peut aussi se souvenir que le paysan défend mieux la terre parce qu’il sait ce qu’il lui doit.

Et puis, il y a l’Etat. L’Etat et ses fonctions régaliennes, celles qu’il ne doit en aucun cas abandonner. L’Etat qui décide, qui impose, qui renforce, qui interdit. De Gaulle et Mao partageaient cette conviction que l’Etat doit être fort, qu’il doit tracer l’avenir et que le citoyen doit se soumettre. Le citoyen et les décideurs économiques qui ne voient que le court terme alors que le chef politique voit à long terme. Devrait voir à long terme.

D’où la reconnaissance. Que n’a t-on dit alors ! On ne voyait que ce rideau de fumée : les Chinois reconnus étaient communistes. C’était quasiment une trahison du « monde libre ». On a oublié, mais c’est comme ça qu’on causait dans les années 60. Il y avait le monde libre et l’autre. Que le monde libre soit ficelé, empêtré dans une idéologie marchande et culturellement dégradée n’était pas gênant.

Aujourd’hui, je regarde et j’écoute, spectateur d’un monde qui ne sait que se donner en spectacle. Je vois les héritiers autoproclamés du gaullisme abandonner tout ce qui faisait sens dans la pensée gaulliste. C’est à Pékin que s’expriment les idées-force du Général De Gaulle. C’est Pékin qui fait un bras d’honneur à Washington quand Paris revient dans le giron de l’OTAN. C’est Pékin qui maîtrise la politique monétaire. Pékin qui construit des sociétés nationalisées pour se donner les moyens de son indépendance.

Alors, je pose la question : est-ce que le vrai successeur de De Gaulle, ce ne serait pas Hu Jintao ?

On en reparlera…

mardi 5 octobre 2010

ENCORE LE TORO

Le reproche, c’est le toro. Pourquoi avoir choisi cette image ? C’est dégueulasse. On connaît le discours : la souffrance inutile, la barbarie, le sang, c’est un truc de non-civilisé. Une relique barbare.

Peut-être. Mais c’était pas le sujet. Le sujet, c’était la Chine.

Ceci dit, revenons à l’image puisqu’elle fait problème. Si t’es dans une arène quand sort le toro, le premier truc que tu vois, c’est 700 kilos d’énergie propulsant deux rasoirs vers le ciel. Ce que tu vois, c’est un tueur. Tu peux ressentir plein de choses, de l’admiration, de la peur, mais certainement pas de la tendresse. Le bicho, c’est un fauve, brutal et assassin. Tu t’imagines même pas une seconde te pointant devant lui parce que si tu le fais, t’es mort. Tu peux rêver prendre une poignée de foin et que la bête vienne te la manger dans la main, mais ça, c’est une réminiscence de Blandine. Ça marche dans les histoires pour jeunes filles, ça marche pas dans la réalité. Si t’y vas, l’autre, le gros machin noir, il va te soulever comme un rien et te briser en quelques secondes.

Et pourtant, le torero, la « danseuse ridicule » de Cabrel, il y va. Et c’est lui qui tue. Même un mauvais torero tue toujours le toro. On peut m’objecter quelques accidents, mais ça reste des accidents, c’est à dire une hypothèse statistiquement non valide.

Il y a une raison, et il n’y en qu’une. Le toro, il arrive « limpio » dans l’arène. Limpio, ça veut dire « propre ». Propre dans sa tête. Il n’a jamais vu un homme debout. Il ne connaît pas les règles du jeu. Il ne sait pas. Il ne sait rien. Il est violent et inculte, ce qui est loin d’être incompatible. Y’a des hommes comme ça.

Le torero le plus nul, il sait. Il a appris. Longtemps et progressivement. Il est allé à l’école taurine. Pas toujours, mais souvent. Il a commencé petit avec de gros veaux, les becerros. Au fur et à mesure qu’il apprenait, on lui a refilé des bêtes de plus en plus grosses, de plus en plus puissantes. On lui a appris à les connaître, à les juger, à voir ceux qui préféraient passer à droite, ceux qui fonçaient de loin et les autres. Le toro n’a jamais vu un homme, l’homme a vu des centaines de toros. L’un sait, l’autre ne sait rien. Les anti-corridas ont raison : le combat est injuste. Et c’est le savoir qui le rend injuste.

Pour tout dire, ça m’interpelle. Les anti-corridas, c’est pas que des nanas que leur affect rend hystériques. J’ai plein de copains avec qui je n’en parle jamais parce que je veux les garder comme copains. Et mes copains, ils trouvent dégueulasse la dernière activité dans le monde qui valorise le savoir, ce savoir qu’ils vénèrent.

Moi, sur mon gradin, je regarde aussi le toro. J’ai mon idée. Des fois, c’est la même que le torero. Des fois, on voit pas les choses pareil, lui et moi. Des fois, c’est lui qui a raison : ce toro, il faut le prendre de la main gauche. Je pensais le contraire. Contrairement à ce que pensent les pseudo-freudiens, je ne prends aucun plaisir à voir mourir la bête, je n’ai pas d’érection, pas d’orgasme. Il n’y a dans la tauromachie aucune pulsion de mort ou de plaisir. Juste l’expression plus ou moins aboutie d’une technique de domination. Juste un savoir qui s’exprime, plus ou moins bien.

Si on voit les choses comme ça, on comprend mieux. On comprend mieux que l’Eglise ait jeté l’anathème sur les corridas. L’Eglise, ça aime pas trop que l’homme sache. L’homme qui sait est rarement croyant. Et c’est pas parce que le torero il fait le signe de croix que ça change quelque chose. C’est pas lui qui compte. Lui, il a un peu la trouille de l’accident et c’est normal. Par contre, les quelques milliers de mecs sur les gradins, s’ils refusent la fatalité, s’ils comprennent qu’en apprenant on peut mieux dominer le monde qu’en croyant, le curé a du souci à se faire. Sans compter, comme dit Manu, que le toro est noir comme un curé en soutane et que le torero est brillant comme un saint baroque. Ça pourrait vouloir dire que le saint est puissant et le curé impuissant. Pas bon, ça, pour diriger les existences.

Ce que je voulais dire, c’est que la Chine sait sur nous et qu’on ne sait rien sur la Chine. Parce qu’on n’a pas voulu apprendre. Parce qu’on se satisfait du discours convenu qu’on nous sert, que nous servent les sinologues stipendiés par le pouvoir. Stipendiés, c’est juste un clin d’œil à un vocabulaire plus juste qu’on ne veut le croire. Ceux qui n’entrent pas dans la doxa, on n’en parle pas. Marie-Claire Bergère, par exemple. C’est pas grave, les Troyens ne croyaient pas Cassandre, vieille histoire. Madame Bergère, elle nous dit que c’est compliqué le capitalisme en Chine, qu’il y a de vieilles traces historiques et un poids réel de l’histoire récente. Elle donne des pistes, pas des réponses. Les médias préfèrent les pseudo-spécialistes qui affirment que la Chine est un colosse aux pieds d’argile. Ça nous rassure, ça nous évite d’apprendre, ça nous peint des lendemains joyeux.

Tiens, hier soir, Bayrou. Il balaye d’un revers de main le problème des retraites pour dire que la nouvelle la plus importante de la semaine, c’est que la Chine a décidé de racheter la dette grecque. Pas con, le mec. Le journaliste l’a renvoyé dans ses 22 : c’est pas pour ça qu’on l’avait invité. D’ailleurs, si la Chine rachète la dette grecque, c’est bon pour nos banques. Et si c’est bon pour les banques, c’est bon pour la France. Parlons plutôt des retraites. Circulez, y’a rien à voir.

Voilà comment ça marche. Voilà comment nous sommes dans une tauromachie. Mais c’est juste une image. Une forme. Excitez vous donc sur la forme. Ça fait moins souffrir….

On en reparlera.

PS : j’ai choisi Madame Bergère parce que j’avais soumis ce texte à Pierre Gentelle et que je ne voulais pas froisser sa modestie. Pierre est parti. Les amis de la Chine sont orphelins.

dimanche 3 octobre 2010

JE SERAIS MARSEILLAIS....

Je serais marseillais que je serais inquiet. Pas à cause de l’OM. Non, ça, ça va s’arranger grâce au Bayonnais laborieux.

Je serais inquiet parce que le Groupe chinois Cosco a pris en gestion les ports d’Athènes et de Salonique. A partir de là, on peut s’interroger sur la quantité de conteneurs chinois qui vont débarquer à Marseille. On a lu des trucs marrants dans la presse à cet égard. Par exemple, que les ports grecs allaient permettre d’alimenter les marchés des Balkans. Ça relativise. Les Chinois investissent pour livrer la Bosnie-Herzégovine, pas de quoi s’affoler. Par exemple, que les Chinois profitaient de la crise grecque pour avancer leurs pions. Bon, c’est un coup d’opportunisme, pas de quoi s’affoler.

Les Chinois, ils savent lire les cartes. Les cartes géographiques, pas les cartes de Madame Irma, voyance et cartomancie. Quand tu regardes une carte de la Méditerranée, ça te saute aux yeux. En sortant du Canal de Suez, le premier port de quelque importance, c’est Athènes. Marseille, c’est plus loin.

Et derrière Athènes, y’a les plaines danubiennes. Et le Danube lui même. On n’en entend plus parler de celui-là. Mais il est à sa place, large, puissant, navigable de la Bulgarie jusqu’à Vienne. Il coule tranquille dans une plaine large. Un peu sous-équipée la plaine, mais c’est pas un problème.

C’est vrai que les plaines danubiennes, elles sont balkaniques. Au sud. Parce qu’au nord, elles sont germaniques. C’est aussi ouvert, à quelques détails près, que le sillon rhodanien. J’ai pas fait le calcul, mais Hamburg doit pas être beaucoup plus près de Marseille que d’Athènes. En tous cas, vu de Pékin. Ne chipotons pas.

Ce qui est à hurler de rire, c’est que cette prise en mains s’est faite dans le cadre d’un programme de privatisation des ports grecs. Les Grecs, ils sont comme nous : faut privatiser pour rentabiliser. Et donc, pour mener à bien leur programme de privatisation, ils ont refilé les ports à une compagnie chinoise nationalisée. Un peu dissimulée : le signataire, c’est Cosco Pacific, cinquième transporteur mondial et coté en Bourse de Hong Kong. Hong Kong égale système capitaliste (un pays, deux systèmes), coté en bourse, ça rassure. Sauf que Cosco Pacific appartient majoritairement au Groupe Cosco, pas du tout coté en Bourse, société appartenant au gouvernement chinois et dont le siège est à Pékin, pas à Hong Kong. La logique est floue : refiler le bébé à une société nationalisée pour mieux le privatiser. C’est beau la rhétorique.

Pour mémoire, le premier protocole d’accord a été signé en 2008, un an avant la crise grecque ce qui relativise l’opportunisme. A l’époque, Salonique devait être confié à Hutchinson Whampoa, société privée basée à Hong Kong (et propriétaire des boutiques Marionnaud). Mais, vous savez ce que c’est, finalement, après avoir réfléchi, Hutchinson a laissé Cosco s’occuper aussi de Salonique. Un capitaliste chinois, c’est libre tant que le gouvernement ne siffle pas la fin de la récréation. Un pays, deux systèmes. Ce qui compte dans la phrase, c’est « un pays ». Un gouvernement. Qui décide. Pour Salonique, c'est pas le système Hong Kong le meilleur.

Tout est en place. Les bateaux de Cosco vont quitter Shanghai, géré par Cosco, pour débarquer leurs conteneurs (fabriqués par Cosco) à Athènes, gérée par Cosco. Parfait exemple d’intégration. Après, va falloir irriguer l’Europe et le Danube va bien aider. Les Chinois, le transport fluvial, ils connaissent depuis quelques siècles. Nous, voilà trente ans qu’on ne fait plus grand chose vu que les transporteurs routiers, ils ont expliqué que les péniches c’était ringard et dépassé. S’il faut élargir quelques autoroutes ou améliorer des lignes ferroviaires, c’est pas très grave. Le gouvernement grec a annoncé qu’il allait privatiser les autoroutes et le chemin de fer. On va bien voir qui va s’y coller.

C’est vrai que le Canal de Suez a bien aidé Marseille au bon temps où l’Indochine voyait flotter le drapeau tricolore. C’est plus le cas. Le Canal de Suez n’est plus un atout. Faut pas dramatiser non plus. Le trafic va pas basculer d’un coup. On va assister à une lente érosion, on va faire des plans de relance de l’activité, on va discourir. C’est pas avec des discours qu’on déplacera le Danube, remarquez. Mais va bien falloir faire semblant.

A moins qu’on ne refile Marseille aux Chinois. Faudra recycler Gaudin dont l’accent colle assez mal avec le mandarin. Faudra aussi recycler l’OM dans le badminton. Faudra revoir le couloir rhodanien qui est un peu engorgé. Forcément, c’est un couloir. Faudra aussi expliquer aux dockers de la CGT qu’avec un patron communiste, les grèves c’est terminé. Y’en a plus besoin.

C’est un beau sujet pour les géopoliticiens. Pour les historiens aussi. J’imagine assez bien les Chinois relancer le projet des Fosses carolines. C’est assez dans leur mental.

On en reparlera….

Janvier 2011 : Marseille recule dans le classement des ports européens. On nous dit que c'est à cause des grèves....

samedi 2 octobre 2010

LA PETITE BOUTEILLE

Attention, c’est du lourd. Soyons sérieux. La Petite Bouteille, c’est le surnom de Deng Xiaoping, l’homme qui a introduit la Chine dans le concert capitaliste. On rigole pas. Ce que j’ai pu lire de niaiseries sur la politique de Deng est proprement hallucinant.

Le meilleur résumé, c’est Le Monde Diplomatique de novembre 1997 : « 18-22 décembre 1978. Lancement officiel de la réforme économique. Victoire de la ligne Deng Xiaoping sur la tendance néomaoïste animée par Hua Guofeng ». Résumé saisissant. Deng Xiaoping a éliminé les maoïstes. Néo, mais maoïstes quand même. Tout le monde a ressassé la même antienne. Au point qu’on a passé trente ans de maoïsme par pertes et profits.

On peut penser que personne n’a lu le discours de Décembre 1978. Il a duré quatre heures et son seul titre montre qu’il est rédigé en langue de bois fleurie : « Libérer notre esprit, rechercher la vérité dans les faits et nous unir en portant nos regards vers l’avenir ». C’est beau comme une statue de travailleur soviétique.

Comment a t-on pu croire que Deng renonçait au marxisme ? Toute sa vie a été consacrée à la révolution et au Parti Communiste dont il a été Secrétaire général pendant onze ans. Il avait adhéré à 19 ans avec Zhu Enlai qui sera toujours son ami. Le Maréchal Zhu Deh, dans ses Mémoires, rappelle que Deng fut Commissaire politique de la 115ème Division de la 8ème Armée de Route dont le chef n’était autre que Lin Biao. Il est certain que la carrière de Deng a connu des hauts et des bas. Mais les péripéties de la succession de Mao ne doivent être prises que pour ce qu’elles étaient : une lutte de pouvoir afin de savoir quel était le meilleur chemin pour construire le socialisme à la chinoise. Personne dans les hiérarques communistes chinois ne mettait en cause ce but. Le vocabulaire est trompeur : tout ce petit monde s’accusait de « dérives droitières », mais cela n’a aucun sens réel. Juste des formules qui veulent faire mal et qui ne doivent, en aucun cas, être prises au pied de la lettre.

Pour qualifier la mise en place de la nouvelle politique économique, Wikipedia a une formule savoureuse qui résume bien la vulgate médiatique : « Le nombre de réformes économiques de type capitaliste s’accélère, tout en conservant la rhétorique de style communiste ». Pour le dire clairement, selon Wikipedia, la Chine faisait du capitalisme en faisant semblant de rester communiste. A ce compte, tout ce qui pouvait être dit, toujours très clairement, ne comptait pas. C’était juste de la « rhétorique ». Personne n’a osé imaginer que ce pouvait être le contraire : que Deng faisait du communisme avec une rhétorique capitaliste.

Ça fait trente ans que ça dure. Trente ans que les Chinois nous disent clairement qu’ils sont communistes, qu’ils veulent construire un socialisme à la chinoise et trente ans que les Occidentaux pensent : « Cause toujours ». Il y a une chose qu’on ne pourra jamais reprocher aux Chinois, c’est d’avoir menti. Deng a été très clair dans son mot d’ordre de 1982 : « Combiner la vérité universelle du marxisme avec la pratique de notre pays, suivre notre propre voie et édifier un socialisme à la chinoise ». La « vérité universelle du marxisme » ! Faut pas avoir peur quand même ! Quand il dit ça, l’Occident se marre, l’URSS est en pleine débâcle et on le sait bien que le marxisme, ça ne marche pas. On met la phrase dans le sac de la rhétorique et on passe à autre chose.

En plus, Deng, il a peur de rien. Il récupère Hong Kong en mettant en place sa fameuse politique « Un pays, deux systèmes ». L’Occident comprend aussitôt que le capitalisme a droit de cité en Chine. Exact. A Hong Kong et dans quelques zones économiques spéciales, bien délimitées. Pas ailleurs. Mais c’est vrai que Deng a le sens du slogan. Il aurait pu dire « Un pays, trois systèmes » pour rappeler que dans certains coins de Chine, au Xinjiang par exemple, il est des zones administrées par l’Armée rouge, des zones spéciales appelées « bingtuan ». Mais bon, pas la peine de fâcher le capitaliste occidental qui s’excite dès qu’il est question de droits de l’homme.

Ça, c’est de la rhétorique. Le capitaliste occidental, il se préoccupe pas tant que ça des droits de l’homme. Il a la paupière sélective quand il s’agit de fermer les yeux. De temps en temps, il dit que c’est pas bien et puis, il sort son stylo pour signer les contrats. Les politiques à son service font de même. Ils reçoivent le dalaï-Lama, mais pas trop quand même. Surtout qu’au plus profond de leur inconscient, ils aiment bien avoir affaire à un gouvernement fort. On sait où on va. On va pas prendre des taxes et des mouvements sociaux dans les dents. Quand le gouvernement est fort, l’ouvrier file doux. Le Chine est un rêve : un fonctionnement de type capitaliste dans un système politique fort. Le profit et la paix sociale.

Tout ça, Deng, il l’avait prévu. Deng connaissait Marx. Il savait bien que faire reculer la baisse tendancielle du taux de profit est l’obsession du capitaliste. Il savait bien qu’en offrant des marges, il mettrait tout le monde à ses pieds. Il a fallu trente ans, mais c’est fait. Cette semaine, l’administration Obama a voulu légiférer contre le yuan faible. Et qui a bondi pour défendre la position chinoise ? Wall-Mart, la première chaine de grande distribution au monde. Le patron de Wall-Mart, c’est pas un débile mental. Il a bien compris que taxes sur les produits chinois égale baisse de la consommation et baisse corrélative de ses profits. Là où je me marre, c’est que j’imagine que les gosses du patron de Wall-Mart, ils vont dans une école où on hisse les couleurs américaines tous les matins. Nationalistes jusqu’au portefeuille. Jusqu’au portefeuille exclus, ça va de soi.

Je soupçonne Deng d’avoir été marxiste jusqu’à l’obsession. Pour un marxiste dogmatique, Mao avait fait une erreur en passant directement du stade féodal qui était celui de la Chine en 1949 au stade communiste en faisant l’économie du stade capitaliste. Le communisme ne peut naître que sur la destruction du capitalisme. C’est la position de Marx. Alors Deng, marxiste dogmatique, a décidé d’engager la Chine dans la voie d’un capitalisme contrôlé (oh, combien) afin de préparer correctement le communisme. Il a voulu ne pas sauter les étapes.

Si on analyse à cette aune le « capitalisme » chinois, le panorama change du tout au tout. Et on revient à l’image tauromachique (http://rchabaud.blogspot.com/2010/09/la-chine-mamuse.html ). D’autant que pas un capitaliste n’est prêt à admettre qu’on puisse construire le capitalisme pour mieux le détruire.

Seulement voilà : les capitalistes jouent au poker. Pas au go…

On en reparlera.

vendredi 1 octobre 2010

NEOCOLONIALISTE, MOI ?

Le néocolonialisme, c’est quelque chose. Pas dans les faits. On s’en fout. Le pillage est généralisé. Pleurer sur les planteurs de bananes du Guatemala ou les producteurs de café ivoiriens, ça ne change rien.

Non. C’est beaucoup plus subtil et beaucoup plus dangereux. C’est comme les maladies. Faut s’intéresser à ce qui progresse « à bas bruit » comme disent les médecins. La petite cellule qui se cancérise, la petite tumeur que tu ne décèles pas. C’est ça qui te tue. Pas une jambe cassée. La jambe cassée, c'est brutal, mais ça tue pas. Ce qui tue est invisible, c'est pour ça que ça tue.

Le néocolonialisme, ça vous instille des idées fausses dans le cortex. Bien entendu, on ne sait pas que ces idées sont fausses. Elles sont générales, acceptées de tous. Elles forment la trame d’une idéologie qui vient t’enserrer les neurones et détruit ta faculté de raisonner.

L’une de plus belles blagues que le néocolonialisme a instillé dans notre cortex est la suivante : les « autres », les peuples émergents, les non-Occidentaux, les pas blancs pour faire court, ils sont tout juste capables de faire les ouvriers. C’était l’idée générale voici moins de vingt ans. Chez nous, dans notre bel Occident tempéré, on garde les intellos, la recherche, le développement, les laboratoires et chez eux, on colle les usines, les trucs pas propres, les bâtiments pour les pue-la sueur.
C’était vachement bien comme idée. La plus-value née de la pensée pour nous, la pollution pour eux. Le boulot noble et les dividendes pour nous, les salaires de misère pour eux. Tu penses bien que tout le monde a adhéré. Qu’est-ce qu’on était bien dirigé par des gens qui voyaient loin et nous aimaient ! Sans blague. Faut aimer son peuple pour lui réserver la cravate et refiler la salopette aux autres.

On savait bien que c’était juste. Les Asiatiques, c’étaient juste des fourmis comme l’avait dit une mignonne Premier Ministre. On le savait depuis le Docteur Legendre qui nous avait décrit les Chinois comme un peuple de semi-clochards qui crachaient partout. Pas la peine de dire au Docteur Legendre que c’était le peuple qui avait inventé la boussole et le papier. Il le savait, mais il avait la réponse : dégénérescence. Les Chinois modernes avaient dégénéré par rapport à leurs ancêtres et maintenant ils ne savaient plus que se reproduire et avaient besoin des dames patronesses européennes pour ne pas mourir de faim. La Chine, c'était le Lotus bleu et l'Amérique du sud, le général Alcazar.

Personne n’imaginait que ces gens-là étaient comme nous. Qu’ils avaient le même pourcentage d’intellos, qu’ils pouvaient construire des universités et apprendre. Et qu’ils pouvaient nous damer le pion. Même pas en rêve. Ils bossaient pour gagner quelques malheureux yuan en fabriquant ce dont on avait besoin, les transformer en dollars et nous racheter la belle technologie qu’on était les seuls à savoir inventer. Un TGV par exemple. On leur vendait un beau TGV et, pour leur faire plaisir mais aussi parce que c’était plus rentable, on leur filait un peu de technologie. Juste un peu, rien d’important, de toutes façons qu’est-ce que vous voulez qu’ils en fassent ? Ils vont pas le démonter pour comprendre ce qu’on leur a pas expliqué ! Ben oui, ils l’ont fait. Ils ont démonté, compris, reproduit, adapté, amélioré. Et ils viennent de nous piquer un contrat au Texas. Le TGV chez Bush, il va être chinois. Pas français.

Je vous rassure. On a relativisé. C’est juste le TGV. Pas le reste. Pas les moteurs d’avion, les ordinateurs ou les centrales nucléaires. Enfin, pas pour l’instant. Et puis, c’est juste un contrat. Pour l’instant.

La grosse erreur, c’est de prendre l’autre pour un con. Le néocolonialisme prend les autres pour des cons. C’est que des ploucs, des paysans, des prolétaires, de la force de travail. On admet sous la pression des faits. Il y a bien quelques intellos chinois, brésiliens ou indiens. D’accord. Mais l’essentiel, il est chez nous.

Ah ouais ? Tes belles piles électriques que t’as soigneusement conçues, il te faut du lithium pour les faire, non ? Et le lithium, y’en a en Bolivie et en Chine essentiellement. Si Evo Morales et Hu Jintao, ils te disent ensemble d’aller te faire cuire un œuf, comment tu fais pour tes belles autos électriques ?

Tu crois que ça n’arrivera pas parce que tu payes. Et ben, tu vas payer beau gosse. Et de plus en plus cher. Ils viennent de faire le coup aux Japonais, les Chinois. Ils ont menacé de couper le robinet aux métaux rares. Et que croyez-vous qu’il advint ? Le Japon a cédé. Ils ont compris les ploucs. Désormais, ils ont la force de travail, les matières premières ET la possibilité d’inventer. Nous, on a délocalisé la production pour ne garder que la conception. Et notre conception, sans les prolos aux yeux bridés, elle ne sert plus à rien. Et avec les intellos aux yeux bridés, elle ne servira plus doublement à rien.

C’est juste le début. De ce qui se passe dans les centres de recherches non-européens, on ne sait pas grand chose. A cause du néocolonialisme. On ne regarde que nos belles universités occidentales, on s’extasie devant nos propres découvertes. Les Indiens lancent un concurrent de Google Earth, personne n’en parle, sauf pour mettre en évidence les défauts. Certes, il y en a. Pour l’instant. On fait le point dans dix ans ? Parce que ce que personne ne sait ou ne dit, c’est que les informaticiens indiens, ils sont au top dans la géolocalisation. Forcément. Les bases de données géographiques, ça coûte une fortune à construire, les Indiens ils avaient de la main d’œuvre formée, anglophone et pas chère. On a transféré. Et voilà que ces mecs dont on croyait qu’ils pouvaient tout juste sacraliser les ruminants, ils lancent des satellites, ils font de la géodétection et ils nous imitent. C’est pas du jeu.

C’est encore du néocolonialisme. Nous, on pense que les pas-Blancs, ils savent tout juste imiter les Blancs, pas de quoi s’inquiéter. Et là encore, tout faux. Ils imitent pour rattraper leur retard, parce qu’on va pas réinventer l’eau tiède. Après quoi, ils savent penser, réfléchir, inventer, créer. Dépasser même.

Et tu sais pourquoi ? Parce que ce sont des hommes. Comme nous. Comme nous ? Ben oui. Si tu peux pas le concevoir avec tout ce que ça comporte comme conséquences, c’est parce que l’idéologie néocolonialiste te bloque les neurones. Ton papa, il pouvait pas concevoir que sa fille (ta sœur) épouse un pas-Blanc. Toi, t’es moderne, t’acceptes l’idée. Il va falloir que tu te fasses à l’idée que le pas-Blanc, il peut être plus créatif que toi. Dur à avaler.

Parce qu’en fait, l’idée que les autres sont tout juste capables de faire le boulot que tu veux plus faire, tout juste capables de marner dans des ateliers inconfortables, de crever dans des mines indispensables à la fabrication de ton IPod, elle existe depuis longtemps. Elle a même été théorisée par un moustachu qui parlait de Race des Seigneurs et de sous-hommes (il disait Untermensch). Tu l’aimes pas ? Alors pourquoi, au fond de toi, tu penses comme lui ?

On en reparlera…