samedi 31 août 2013

LA PUDEUR ET L’INTIME

Il est 8 heures du mat’, le soleil d’août est déjà haut. Accrochée à son portable, vautrée à son balcon, elle détaille (éructe ?) son programme de la journée. Non, elle n’oubliera pas la pain aux céréales (comme s’il y avait du pain sans céréales). Oui, elle va tester son nouveau maillot de bains, à la plage de Saint-Jean. Tous les voisins en profitent, elle ouvre son intimité.

Pas tout à fait. Ouvrir son intimité. Pour Sade, l’expression aurait un tout autre sens. Pourtant, c’est bien ce qu’elle fait. Et elle n’est pas seule.

Nous voici voguant aux rives de l’impudeur triomphante. On va chez Delarue raconter son cocufiage, on exhibe sur Facebook les photos de ses meubles, de son jardin, de sa femme, de ses gosses, de ses amours. Il n’est plus de domaine privé, plus de jardin secret, de partages limités à ceux qui le méritent. Les petites culottes sont devenues les oriflammes de nos vies.

Les nouveaux outils de communication ne sont que des accélérateurs d’un phénomène qui a commencé bien avant eux, les agrandisseurs d’un domaine jadis limité. Dès les années 1950, quelques journaux spécialisés nous livrent l’intimité des stars. Pourquoi pas moi ? Après tout, le divorce de Sally Mara n’est pas plus intéressant que le mien. Il fallut attendre Facebook pour que je puisse le dire au monde entier.

Petite différence toutefois : les puissants contrôlent leur impudeur avec des armées d’avocats et la complicité des attachés de presse. Le pékin moyen ne contrôle rien.

L’impudeur fut longtemps cantonnée au corps. Cachez ce sein que je ne saurais voir… Le déshabillage étant terminé et le nichon étalé, il fallut bien aller plus loin. Nous y allons, à petits pas parce que tout est devenu petit. Je suis toujours moins impudique que je pourrais.

Or, la pudeur n’est pas un ressenti personnel mais une manière de vivre en société. Mon deuil peut te gêner, mes larmes te troubler, ma gêne te mettre mal à l’aise. Et donc, je me contrôle. Je me contrôle surtout pour ne pas te troubler, ne pas te faire supporter un fardeau qui ne te concerne pas. D’où le ballet des hypocrites qui babillent des condoléances qu’ils ne pensent pas et récoltent des remerciements qui n’en sont pas. Rien de sincère car la sincérité est dangereuse pour les relations humaines. Si on devait dire à chacun ce qu’on pense et surtout ce qu’on pense de lui, on ne s’en sortirait pas. Bon, tout ça, je l’ai déjà dit et je me suis déjà fait engueuler (http://rchabaud.blogspot.fr/2011/06/les-filles-ca-pleure.html)

J’ai un copain qui me susurre à l’oreille qu’on est tous un peu voyeurs. Même pas. J’en ai connu un de voyeur, les flics du Vème l’arrêtaient deux fois par mois, il recevait une injonction, on le collait chez un psy. Mais ce voyeur là, il cherchait pas les exhibitionnistes. C’était un vrai voyeur, un qui dénichait les rideaux mal tirés et que n’excitaient que les images volées. Si c’est donné, ça compte pas, on doit garder la maîtrise de son voyeurisme. Cela, du moins, a du sens.

Mais voilà : cette impudeur dont je me plains est une impudeur médiocre, une impudeur pudique. On est toujours emmerdés par des confidences insignifiantes, par des histoires domestiques, par des sentiments médiocres et des curiosités d’élève de CP. « Devine d’où je t’appelle ? ». Petites exhibitions, petit voyeurisme, petits sentiments et petites émotions. Des rapports de bas étage, de bas étalage.

On photographie des bouts de jardin, pas des chiottes sales… On tourne autour du pot, qui n’est même pas un pot de chambre. Alors, moi, tous les jours, je pleure Reiser….

On en reparlera…. Ou pas.

vendredi 30 août 2013

L'ESPAGNE CENTRIFUGE

L'Espagne n'existe pas. Et ce n'est pas d'hier. Au Xème siècle, quand Inigo monte sur le trône à Pampelune, il se proclame "roi de toutes les Espagnes". Au pluriel. Ce pluriel qui peut paraître singulier. Et allez donc à Oviedo, en Asturies. Ils ont un proverbe génial : "Asturias es España. Lo demas, tierras conquistadas". Les Asturies, c'est l'Espagne, le reste c'est des colonies.
Historiquement, c'est vrai ou à peu près vrai. Les Berbères n'ont jamais conquis les terres atlantiques : Asturies, Cantabrie, Galice, provinces basques. Ils ont occupé l'Espagne ocre, les plateaux de Castille, la vallée de l'Ebre, l'Andalousie, toutes ces terres qui ressemblaient à leur terre africaine. Moi, j'ai une théorie qui vaut ce qu'elle vaut : leurs chevaux n'étaient pas habitués aux verts pâturages. On ne fait pas la guerre avec des chevaux malades.

Bon, vous me direz "C'était il y a longtemps". Certes. Mais rien n'a changé et surtout pas la ligne de crête. Parce que si vous croyez que les Pyrénées séparent la France de l'Espagne, vous vous mettez le doigt dans l'oeil. Au lieu de prendre l'avion, prenez une voiture et allez passer la frontière à Biriatou. Ce que vous allez traverser entre France et Espagne, c'est un pont. Avec une rivière dessous. C'est pas vraiment une chaîne de montagnes. Le Louis XIV quand il a dit "Il n'y a plus de Pyrénées", il a bien fait marrer entre Bayonne et Bilbao, vu que là, il n'y en avait déjà pas de Pyrénées. La ligne de crête, au niveau de Roncevaux, elle s'infléchit vers le sud et elle suit peu ou prou la ligne du rivage jusqu'en Galice. Elle délimite ce que les Espagnols appellent España verde, l'Espagne verte qui s'oppose à l'Espagne ocre. D’un côté l’Atlantique, de l’autre la Méditerranée.

Nous, quand on regarde une carte, on rentre pas dans ces détails : on voit une Espagne bien carrée, bien délimitée. Y'a bien le Portugal qui gêne un peu, mais depuis le temps, on se dit que c'est pareil. Ouais, ben regardez de plus près. Des voies de passage entre les deux pays, y'en a pas des masses. Les montagnes, les belles sierras bien découpées, par contre, ça abonde. Il y a bel et bien une frontière "naturelle". Les Portugais sont atlantiques. Les Espagnols restent méditerranéens.

OK. Admettons. Deux Espagnes, une verte, une blonde. C'est pareil dans plein de pays. Ben non, c'est pas pareil. Le roi actuel, un Bourbon pourtant, quand il proclame la Constitution après la mort de Franco, il entérine l'existence de quatre langues officielles : basque, catalan, galicien et castillan. Parce que au cas où vous l'auriez pas remarqué, les Espagnols ne parlent pas espagnol : ils parlent castillan. Personne ne dit jamais "lengua española" mais "lengua castellana". Depuis, les Asturiens ne décolèrent pas : on n'a pas officialisé leur langue, le bable. Bien la peine d'être le berceau de la nation. Faut dire que, vu de l'extérieur, le bable, ça ressemble furieusement au galicien. Dîtes jamais ça à Mieres sous peine de prendre un cours de linguistique interminable. Le bable, c'est le bable. Non mais.... Les Valenciens aussi, ils râlent. La langue valencienne, c'est pas du catalan, même si ça en dérive un peu. Un peu beaucoup. Ceci dit, des pays européens avec quatre langues officielles, vous en connaissez beaucoup ? Même la Suisse en a que trois.

Avec notre esprit imprégné de jacobinisme, nous avons tendance à balayer tout ça du revers de la main. Pas les Espagnols. Pour eux, l'Espagne, c'est une commodité, pas vraiment une réalité. Le pays est découpé en "autonomies", pas en régions, et on dira ce qu'on veut, mais une autonomie, ce n'est pas une région. Les autonomies ont d'immenses pouvoirs de police et une grande liberté de fiscalité. Chaque autonomie lève ses impôts, puis discute avec le pouvoir central le montant de la "cupo", la somme d'argent qui sera versée à Madrid pour les dépenses de justice, de diplomatie, de défense. Année après année, les autonomies cherchent à secouer le joug madrilin, à récupérer plus de pouvoir de décision et donc, à filer moins de fric. La grande centrifugeuse fonctionne à plein mais avec une grande discrétion.

Même à l'heure de l'Europe ? Encore plus. Les Catalans, les Basques, les Galiciens, ils se verraient bien siéger à Bruxelles en tant que tels. A tort ou à raison, ils pensent qu'ils se débrouilleraient mieux que les Castillans. Après tout, la Catalogne, c'est plus grand et plus peuplé que le Luxembourg ou la Lettonie. Et qu'est ce que t'as à répondre à ça ?

Faut pas s'étonner, ça fait dix siècles que ça dure. Les Espagnols du nord lorsqu'ils ont reconquis le sud y ont importé une partie de leur système juridique et notamment les fueros. Un fuero, c'est une charte, un contrat entre le Roi et une communauté d'habitants, du style "je t'autorise à tenir un marché tous les vendredis, mais tu me verses dix écus par an" ou "je te diminue tes impôts mais tu me livres trente chevaux à chaque Saint Vincent". Tout est discutable, tout le temps. Le Roi n'est pas si puissant. Ne croyez pas que c'est antique et vénérable : au Musée de Durango, il y a une vitrine où on vous présente les fueros de la ville depuis le XIIème siècle. Le dernier, c'est la constitution actuelle, celle de 1975, qui accorde au Pays basque un statut d'autonomie. Et, dans la vitrine, on a laissé une place pour le suivant. On sait jamais....

Forcément, quand on est en guerre, on accorde beaucoup aux habitants vu qu'on en a besoin. Après la prise de Grenade, les rois d'Espagne ont passé des siècles à essayer de rationaliser tout ça et à récupérer ce que leurs prédécesseurs avaient accordé : ça n'a pas été sans mal. En tous cas, pas sans discussions, plus ou moins tendres. Tout ceci, finalement, on ne le voit pas trop quand on parcourt l'Espagne et, surtout, on n'y accorde pas d'importance. Vous demandez à un bistrotier de Séville s'il est Andalou et il vous répondra "soy de Huelva". Pour vous, ça semble juste une précision alors qu'il vient de vous signifier sa véritable appartenance : pour lui, l'Andalousie, finalement, importe moins que sa ville. Le deuxième sens, c'est que vous pouvez lui demander une assiette de jambon : le jambon de la Sierra de Huelva est l’un des meilleurs d'Espagne.

Lorsque Philippe V, petit-fils de Louis XIV, monte sur le trône d'Espagne, il autorise la Galice à élire des députés aux Cortès où ils étaient tricards. Quand Isabelle la Catholique avait pris le pouvoir, les Galiciens, eux, avaient pris les armes en faveur de sa demi-sœur, Jeanne. Du coup, la Reine avait filé à la Galice un statut semi-colonial : un Vice-Roi et pas de députés. Comme le Mexique à l’époque. Son mari devait pas rigoler tous les jours. Pendant trois siècles, les Galiciens ont été des Espagnols de seconde zone, à peine mieux traités que les Mexicains. La décision de Philippe V provoque une flambée de francophilie. Au point qu'aujourd'hui encore, dans certaines villes de Galice, on fête le 14 juillet.
Vous me direz que fêter le 14 juillet en l'honneur d'un Bourbon, c'est pas très fin....Mais, bon, c'est l'intention qui compte....

Tout ça pour dire que l’Espagne, c’est surtout un concept bien pratique à l’usage des étrangers. Dans son livre remarquable Le Labyrinthe Espagnol, Gerald Brenan insiste lourdement sur ce qu’il appelle la « patria chica », la petite patrie. Une vallée, un village, voire un quartier. C’est là que se fonde l’appartenance, là que se créent les relations sociales et économiques. Plus facile de faire du black avec son voisin qu’avec un immigré, même de l’intérieur.

Bien sûr, c’est en train de changer. Plus ou moins vite selon les régions. Mais même les « modernes », comme la Catalogne, rigolent pas avec leur autonomie. Mondialistes peut-être, Catalans sûrement.

C’est rigolo. Le petit Philippe, prince des Asturies, je lui vois pas un avenir flamboyant… Mais c’est parce que je regarde trop le passé. Et puis gérer des colonies au jour d’aujourd’hui…

Et si l’avenir, c’était ce retour à des territoires perceptibles, lisibles, où on peut construire sa vie , avoir de vraies relations humaines, se faire une existence sociale et économique? Il y a des prémices comme le mouvement des locavores. Il y a aussi le fonctionnement des cités. Ce sont des patrias chicas, les cités. OK, les relations, elles sont spéciales et l’économie souterraine. Mais légal ou illégal, le fonctionnement reste le même. On vit mieux dans un endroit connu avec des gens connus.

On en reparlera…


mardi 13 août 2013

BAYONNE, VILLE PARFAITE ?

Nous sommes d’accord : je parle toujours de cochon, de poisson et de choses comme ça. Des choses bien triviales. Tous ceux qui ne me connaissent que superficiellement, la majorité en fait, trouvent ça normal. Certains s’étonnent que je ne parle pas des Fêtes de Bayonne. Pour un Bayonnais, ça semble le minimum.

Ecoutez les mecs, si je n’aimais ma ville que pour ça, le cochon, le poisson, les bistros et les Fêtes, je serais un piètre couillon. J’ai déjà parlé de la tolérance religieuse (http://rchabaud.blogspot.fr/2010/09/pourquoi-parler-de-gaza.html) et rien que ça mérite qu’on s’arrête trois minutes pour réfléchir.

Mais il y a pire. Ou mieux, c’est selon. Il y a Michel Portal et Gérard Daguerre. Le premier, même ma concierge connaît. Enfin, je pense. Le second, c’est un poil plus élitiste. Il n’a été que directeur musical de l’Opéra Comique. Quand la conversation vient sur Michel Portal, j’ai droit à plein de considérations sur sa manière de jouer, sur son éclectisme, sur son passage de Mozart au free jazz. Plein de considérations intelligentes de gens intelligents. Moi, je me tais, Michel Portal, celui qui en parlait le mieux, c’était mon grand-père, fidèle client du Bar des Amis tenu avec un grand sérieux par Madame Portal. Mon Aïtatchi, il me regardait droit dans les yeux et il me disait : « Le petit Portal, c’est un génie ». Quand t’as sept ans, tu crois ton grand-père.

Bon déjà, une ville moyenne (médiocre, c’est la même étymologie) qui produit un Portal, c’est pas mal. Tu ajoutes un directeur musical de l’Opéra Comique, c’est encore mieux. Faisons bonne mesure et ajoutons les sœurs Labèque. Oui, elles aussi. Je n’en ai pas parlé tout de suite pour des raisons de scansion du texte. Mais bon, les sœurs Labèque, c’est pas rien.

C’est ça qui conduit mes interrogations. Je connais peu de petites villes avec une telle passion et une telle histoire musicales. J’ai un peu travaillé le sujet. Un peu. Trop, on fatigue le monde. Y’a plein de textes sur le goût des Bayonnais pour la musique, mais ça reste du folklo antique.

Bien sûr, il y eut de la musique, comme partout en France, de la musique populaire, des sarabandes, des pamperruques. Il y eut certainement des organistes dès le XVIIème siècle et de la musique religieuse. Mais de toute cette époque, on ne sait pas grand chose.

Le premier dans l’histoire, c’est Guillaume du Tillot. Bayonnais né en 1711 qu’une carrière complexe conduira à être Premier ministre du Duché de Parme. Et que croyez vous qu’il fit ? Il y créa une école de musique, celle-là même où Verdi fit ses études. La filiation est lointaine, mais on peut avoir plaisir à se dire que sans un Bayonnais, la formation de Verdi eut été incomplète. Ou différente.

Jusqu’en 1792, être musicien, c’est faire partie d’une guilde, avoir des protecteurs, un évêque ou un grand seigneur, et c’est pas si simple. Surtout qu’à Bayonne, les évêques sont jansénistes et donc pas rigolos, pas trop portés sur la musique et les grand seigneurs, les Gramont ont produit plus de maréchaux que d’artistes. Seule Mademoiselle Montansier (Bayonnaise aussi) s’illustra dans la défense de l’opéra italien, mais sa carrière tenait plus, disent les mauvaises langues, à ses interprétations allongées qu’à son talent de chanteuse.

Après, ça change. Pourquoi ? Comment ? C’est une piste d’études, mais force est de constater que le début du XIXème siècle marque une sorte d’explosion qui va culminer sous le Second Empire. Quelques noms.

Delphin Allard (que Wikipédia appelle Jean Alard) fut certainement l’un des plus grands violonistes de tous les temps. Entré au Conservatoire de Paris à 12 ans, Premier Grand Prix à 15 ans, Premier soliste de l’Empereur Napoléon III, Professeur au Conservatoire à 28 ans. Il y publie un traité d’apprentissage du violon encore utilisé aujourd’hui. Professeur de Sarasate, ce qui serait en nos temps médiatiques un vrai titre de gloire. Et ce tout grand va passer sa vie à enseigner. Comme s’il avait épuisé les honneurs des concerts en son adolescence. Et il était le gendre de Vuillaume, l’un des plus grands luthiers de son siècle. Que reste t’il de lui aujourd’hui ? Une rue obscure derrière le couvent des Capucins et la valse de Brindisi sur You Tube.

Et Adrien Barthe, fils de l’organiste de la cathédrale, repéré par Delphin Allard. Premier Prix du Conservatoire de Paris, Premier Grand Prix de Rome de musique, copain de Berlioz.. Et puis, il décide de se consacrer à l’enseignement et il disparaît de l’Histoire. Ses œuvres ne sont plus jamais jouées, même pas son opéra Don Carlos, éclipsé par Verdi.

Paul Barroilhet a été l’un des tout premiers à fixer la tessiture de baryton avec son copain Dabadie (né à Pau).. Ami de Rossini qu’il chante régulièrement, il crée aussi plusieurs opéras de Donizetti et la plupart des œuvres de Meyerbeer. Nobles seigneurs, salut...

Jeanne Harding eut son heure de gloire comme cantatrice. Elle est engagée à l’Opéra Comique par Léon Carvalho lui-même et crée le rôle de Phryné dans l’opéra de Saint Saens. Le public lui fait une bronca car il assimile ce rôle de courtisane à la carrière de Mademoiselle Harding dont on dit qu’elle ne monte qu’allongée.

Ceci pour le classique. Mais, si on veut rigoler, on peut ajouter le café-concert avec Paulus, par exemple (oui, celui d’En r’venant de la revue), André Perchicot, spécialiste de la chanson satirique politique moderne ou encore Louise Balthy dont le nom de guerre était la Môme Pétomane alors qu’elle s’appelait tout bonnement Louise Bidart. Dis donc, on est loin de Sarasate !!!

Pas si sûr. Quand une ville moyenne, très moyenne avec plus d’un tiers de la population liée à la garnison, produit pendant tant d’années tant de musiciens de haut niveau, tant de musiciens qui passent sans barguigner du classique le plus classique au populaire le plus populaire, ça pose question. Une vraie question.

Et moi, j’ai le sentiment que ça va avec le cochon, avec la louvine de l’Adour, avec une certaine manière d’appréhender la vie, d’en jouir et de toujours chercher le meilleur sans que le meilleur ait à voir avec les revenus ou l’histoire culturelle. Mon Aïtatchi, il était pauvre, il n’avait pas une éducation musicale, mais il savait : « Le petit Portal est un génie ». Madame Daguerre, elle était pauvre, elle ne savait pas qui était Mozart, mais elle savait que ses fils (je n’ai pas parlé du second pour cause de pudeur amicale) étaient de très bons musiciens.

Et alors ? Alors, vous me faîtes tous chier à croire que Bayonne, c’est juste une semaine de beuverie par an, vous m’emmerdez à me parler (à moi !) d’une ville dont vous ignorez tout, à croire que vous êtes chez Patrick Sébastien alors que l’ombre de César Franck plane sur la Cathédrale (ça, j’en ai pas parlé, César Franck et Ermend Bonnal jouant ensemble sur l’orgue de la Cathédrale). Vous avez rendu ma ville vulgaire, stupide et insignifiante. Vous avez tout mélangé, tout confondu, tout brouillé. Ayez au moins la pudeur de lire Gadenne.

On n’en reparlera plus jamais….

J'offre ce texte à Yannick Daguerre, fils d'Henri et neveu de Gérard, Premier Prix du Conservatoire, élève (entre autres) de Madame Allain, organiste d'exception et tellement Bayonnais... Difficile d'oublier ces soirées où il faisait chanter et vibrer le grand orgue de la Cathédrale Notre-Dame. Difficile d'oublier l'admiration justifiée de son père qui pleurait d'avoir mis au monde un tel musicien. Encore plus difficile de le savoir ailleurs désormais.

lundi 12 août 2013

LES INVISIBLES

C’est un terme d’économie. Vous ne l’entendez jamais, vu que c’est quasiment un gros mot. Ça désigne tout ce qu’on ne peut pas compter mais simplement apprécier ou évaluer. Le black, par exemple. Par définition, on ne le connaît pas. Personne n’envoie à son inspecteur du fisc une fiche du black réalisé dans l’année. Et donc, on l’estime. Y’a des modèles mathématiques pour ça, dont tout les experts assurent, la main sur le cœur, qu’ils sont fiables. Le plus connu est celui du professeur Hallalouche, de l’Université du Caire. Une estimation Hallalouche est une estimation satisfaisante.

Ça ouvre des horizons quant au discours qu’on nous sert sur la grande distribution ou les chaines de restaurants. C’est pareil.

Ils créent des emplois. FAUX. On sait ce qu’ils créent comme emplois, c’est en général annoncé à coup de communiqués de presse triomphants. Mais, en face, personne ne peut apprécier les emplois qu’ils détruisent ne fut ce que parce que la création est immédiate et la destruction retardée. Il faut quelques années à un petit commerçant pour disparaître et licencier son personnel. On ne sait pas non plus ce qui est détruit au niveau de la production, de la distribution, des transports. Car ça détruit aussi dans les secteurs connexes.

Un exemple : voici trente ans, les petits épiciers du bas-Adour étaient livrés par des grossistes en épicerie : Coopérateurs de l’Adour, Pébarthe, Ader, ils étaient quatre ou cinq, chacun avec une douzaine d’employés dont des chauffeurs qui partaient en tournée tous les matins pour livrer des commandes parfois étiques. Au-dessus, il y avait les entrepôts généraux qui assuraient le stockage et la livraison pour les producteurs. Quand t’es producteur de biscuits à Montauban, tu ne livres pas Bayonne tous les matins. Tu entretiens un stock-tampon chez un dépositaire qui livre le grossiste qui livre l’épicier. Au bout du bout, ça fait du monde pour que l’épicier de Oeyregave puisse vendre à Madame Lafargue sa bouteille d’huile de tournesol.

Tout ça coûtait, tout ça était lourd à gérer, mais tout ça créait des emplois et générait de l’activité. Comme c’est inappréciable, on doit avaler le discours de la grande distribution qui, à grand renfort de modèles mathématiques, explique qu’en matière d’emploi leur bilan est positif. Tellement positif qu’en trente ans, on a gagné trois millions de chômeurs. Mais pas dans le commerce, s’esclaffent les experts qui refusent de prendre en compte les emplois délocalisés et les fermes abandonnées. Ne comparons que ce qui est comparable. C’est vrai ça, on est entre gens de bonne compagnie, que diable !

Ils paient des impôts. FAUX. Les études les plus récentes, relayées abondamment par la presse indiquent à l’envi que, plus une société est importante, plus elle manie les outils d’optimisation fiscale. Le différentiel est approximativement de trois. Ben oui. Quand pour un CA donné, un petit commerçant paye trois euro d’impôts, la grande distribution en paye un ! Et donc, objectivement, elle paie des impôts, on peut pas dire le contraire. Pas assez, mais bon, quand t’es malin….

Ils génèrent de la richesse. FAUX. Ils captent de la richesse ce qui n’est pas la même chose. Un territoire donné produit une richesse liée à son activité, à sa production, à son administration et aux salaires et appointements encaissés par les habitants. Cette richesse, jadis éparpillée entre des milliers de petits commerces est désormais regroupée en quelques mains. Mieux (ou pire), il faudrait tenir compte des effets pervers.

Un exemple : il suffit de faire le tour des supermarchés de Saint-Jean-de-Luz, port de pêche en complète déshérence, et de regarder la provenance du poisson. La grande distribution a tué la pêche artisanale. Mais là, encore, difficile à apprécier, ce ne sont pas les mêmes catégories statistiques. D’un côté le visible, de l’autre l’invisible.

Ajoutons que l’épicier de quartier entretenait son tissu économique, faisait refaire son garage par le maçon du coin et achetait sa nouvelle bagnole au garagiste du quartier. Désormais, l’argent collecté à Anglet sert à construire des supermarchés à Sao Paulo. Et les territoires s’appauvrissent.

Toutes ces petites anecdotes, c’est assez trivial. Ça ne fait pas un discours cohérent présentable sur Power Point. C’est juste des histoires de gens, de villages moribonds, de vie qui se barre. Ça ne rentre pas dans de belles et bonnes catégories statistiques. Ça vous a un côté « le bonheur est dans le pré », jardin d’Eden et âge d’or. Je le sais bien, mais in fine (pardon, au final) le résultat est là.

La grande distribution s’est implantée en jouant sur les ressorts de la nature humaine. Un peu de paresse (c’est chiant les courses), beaucoup d’ego, un poil de radinerie et un certain désir d’indépendance (ils ferment pas à 20 h, eux, j’y vais quand je veux). Ne nous leurrons pas : la messe est dite.

Du moins peut-on en faire le bilan avec trente ans de recul. Les citoyens sont de plus en plus nombreux à renâcler, souvent pour d’autres raisons, écologiques, gastronomiques, etc… Mais le retour en arrière (qui n’est pas une régression, voir les tramways, par exemple) prendra au moins autant de temps. En attendant, il va nous falloir vivre avec une industrie déliquescente, une agriculture exsangue et un chômage exponentiel.

On va pas rigoler, moi je te le dis.

On en reparlera….

dimanche 11 août 2013

LE PREMIER CLIENT DU COMMERÇANT

Mes copains restaurateurs ont un grand débat en ce moment : l’avenir est-il encore aux chaines franchisées ou leur reste t-il un espoir ?

J’ai le sentiment qu’ils refusent de voir que ça dépend d’eux. Leur réflexion est faussée par un réflexe professionnel : ils pensent en terme de profession, pas en termes de territoire. En fait, le restaurateur d’Oloron-Sainte-Marie n’a rien à foutre de l’installation d’un restaurant de chaine à Barcelonnette.

Mes copains, ils aiment bien les débats larges et élevés. Ils vont pas s’arrêter à un chef-lieu de canton.. Et c’est vrai que les fonctionnements sont les mêmes quel que soit le territoire. Du coup, l’adoption par les commerçants indépendants des habitudes consuméristes générales ressemble fort à un suicide collectif. Ils ne comprennent rien à rien. Ils ne comprennent pas cette évidence territoriale : le premier client du commerçant est le commerçant voisin.

Mais voilà : on a affaire à des malins matois à courte vue. Quand le restaurateur va chez Castorama acheter les produits qu’il trouverait (peut-être) un peu plus cher chez son voisin quincaillier, il engage son voisin quincaillier à aller dîner chez Maître Kanter. Après quoi, il va gueuler contre un comportement calqué sur le sien.

Le commerçant indépendant ne se rend pas compte (ou a oublié) qu’il vit sur un territoire et que sa survie dépend de la richesse de ce territoire. Bon, moi je dis territoire, mais on peut dire aussi « zone de chalandise », c’est pareil, ça fait plus marketing, c’est tout.

Or, et personne n’en parle, les chaines sont des aspirateurs de richesse. Le fric qu’elles pompent à Nérac ou Guingamp repart ailleurs. Où ? Partout. Au siège social, puis ailleurs. Dans des investissements, en Chine ou en Slovaquie, peu importe. La seule vérité, c’est que ce fric pompé aux habitants d’une région quitte la région. C’est valable pour toutes les chaines. Et, par voie de conséquence, les trois sous économisés sur la perceuse ne peuvent en aucune manière se retrouver dans le menu à 22 € vendu aux habitants du quartier.

Rigolez pas, je l’ai vécu. Je bouffais régulièrement chez ma copine Elizabeth, dans son restau italien où tout était fait maison jusqu’au jour où, en plein service, est arrivé le livreur d’Amazon. Elle utilisait mon bel et bon argent pour enrichir mon concurrent !

On s’est donc fâchés. Elle avait plein de bons arguments. Commandes passées le soir, pas le temps, plus facile, moins d’attente. Comment je me sentais cocu ! Le pire, c’est que j’avais pas imaginé qu’une blonde gironde pût acheter des livres. Comme quoi…

Ce sont des notions basiques de commerce. Le premier concurrent du libraire, c’est pas le libraire trois rues plus loin. C’est le disquaire à côté. Ou le marchand de fringues. Parce que le client, il arbitre dans ses choix vu qu’il a pas un budget extensible. Si Bobonne a renouvelé sa garde-robe, son mec va se passer du dernier Goncourt. Mais c’est pas grave, parce que le marchand de fringues va offrir le dernier Goncourt à sa dulcinée. Ou il va lui acheter des fleurs et c’est le fleuriste qui plongera dans la culture. Tout ceci à la seule condition que le fric reste sur place.

Et alors ? Alors, c’est simple. Si t’es quincaillier et que t’achètes ta viande chez Leclerc, ne râle pas parce que le boucher va chez Casto. Il fait comme toi, il va au plus simple, là ousqu’y a un parking, là ousque t’économises trois ronds.

Au bout du bout, le plus faible va disparaître. Dans les grandes villes, ça se voit pas trop. Dans les petites villes, c’est une autre chanson. Un ou deux commerces en moins à Hagetmau, ça fait un peu plus de taxes pour ceux qui restent. Un peu moins de marges. Et si tu veux conserver des marges, des prix plus élevés qui conduisent tes clients vers les chaines.

Et donc, je voudrais dire à tous mes copains qui tapent sur les chaines « T’es sûr que t’y va jamais dans les chaines ? ».. Toi ou ta gonzesse. Elle va jamais chez Etam ou H&M ou no se que ? Hé be ! c’est facile. Si tu as dépensé un seul euro dans une chaine quelle qu’elle soit et même hors de ta profession, tu cautionnes le système, tu l’approuves, tu t’en satisfais, tu l’enrichis et il te reviendra en boomerang dans les gencives. Parce que tu as contribué à la destruction du territoire qui te fait vivre. Qui devrait te faire vivre.

Je suis sûr qu’on en reparlera…et que je vais entendre l’antienne officielle comme quoi les chaines créent de la richesse, des emplois et payent aussi des impôts.

Et donc la suite : http://rchabaud.blogspot.fr/2013/08/les-invisibles.html

vendredi 9 août 2013

CUISINIER DE LABORATOIRE

Les mots ont un sens. Je crois. Voilà plus de vingt ans que charcutiers, bouchers, traiteurs, etc… ne parlent plus de cuisine, mais de « laboratoire ». La première fois que j’ai entendu ça, j’étais espanté.

« Il est dans son laboratoire ».

Sérieux, d’un coup tu penses plus que t’es chez Cazenave charcutier de père en fils depuis Sadi-Carnot. T’as le sentiment que tu pénètres dans un CHU. Chez un Cuisiner Hygiéniste Universel. Tout ça pour moi !

Vingt ans que le mot se promène, vingt ans qu’on l’accepte, qu’on le tolère, qu’on le subit. Et aujourd’hui, mes copains bons vivants, ils hurlent parce qu’on va bouffer des hamburgers clonés. Ben, c’est dans la droite ligne. Dans la logique des choses. T’as voulu du labo ? Tu vas en avoir, et pas qu’un peu !

Comme tout le monde, j’ai mes souvenirs de cuisiniers d’exception, de charcutiers de haut vol qui travaillaient dans des conditions que l’on qualifierait aujourd’hui de douteuses. Mon copain Dédé dans son garage, par exemple. Avec ses chiens à ses pieds. Dédé, il faisait comme il avait appris et quand on a voulu lui faire remplacer la sciure sur le sol par une poudre industrielle, il a sorti le fusil. Au propre, je veux dire. Les inspecteurs de l’hygiène, ils ont préféré envoyer le PV que le dresser sur place. Le martyre est soluble dans la réglementation.

La plupart des produits cuisinés traditionnels ont des recettes qui tiennent compte de la santé. Des recettes conçues à une époque sans chambre froide, sans carrelage, sans machines à mettre sous vide. La biologie de l’homme n’ayant pas fondamentalement changée depuis cette époque, on est en droit de s’interroger. Les recettes traditionnelles, elles ont des trucs. Elles cuisent longtemps, ça mitonne, ça bouillonne. La bactérie, en général, elle aime pas. Et puis, il y a les herbes. Le piment qui est un bactéricide de premier choix. Pourquoi on mettait des aromates ? Pas pour aromatiser seulement, également pour protéger et conserver. J’ai appris ça avec mon ami Antonio et sa carne asada qu’il faisait mariner trois jours avant de la cuire. Pas pour le goût. Pour tuer les petites bêtes. Faut dire que dans le nord du Mexique, des petites bêtes, y’en a. Faudra un jour que je vous parle d’Antonio qui fut à la fois le plus grand océanographe et le plus grand vigneron du Mexique.

Et donc, le produit préparé avec soin et temps ne tuait pas. Comme de surcroît, il était consommé localement, tu penses bien que le charcutier qui aurait empoisonné son client, il avait plus qu’à fermer boutique.

Seulement voilà. Soin et temps et marché local, ça va pas bien avec productivité, grande distribution et marché international. Faut aller vite et donc on utilise des ersatz. De la poudre de substituts d’aromates, du faux paprika pour la couleur. On a changé les modes de cuisson. Le haricot à point en dix minutes chrono. Forcément, y’a eu problèmes et rappel de lots. Et à chaque fois, nouvelle réglementation.

N’ayons pas peur des mots : on est chez les cons. Le con, c’est celui qui inverse l’analyse. Le combat entre la bouffe et la bactérie a toujours existé. Toujours. C’est même pour ça qu’on a inventé le séchage, le fumage, la saumure et bien d’autres encore. Le paysan qui sale et pimente son jambon, il sait que ça le protège. Contre quoi ? Il en ignore tout. Dans son combat, il a choisi le camp de son produit.

Le con a une autre solution : puisque le produit est fragile, supprimons la cause de cette fragilité qui ne peut pas être le produit, mais l’agresseur du produit.

En inversant la problématique, on bouleverse tout. Et on ne règle rien. La perfection n’existant pas dans les activités humaines, tu penses bien qu’il va y avoir des agresseurs pour se glisser dans les failles. La recherche du profit venant se greffer, tu penses bien qu’il y aura toujours des failles. Et la productivité apportant la cerise sur le gâteau, la maladie sera remplacée par une épidémie. Ce qui vaudra une procédure supplémentaire.

Pour le fun, ajoutons la dimension évolutionniste. Si tu empêches la bactérie de s’attaquer au produit, sans attaquer la bactérie elle-même, elle ne mutera pas. Tu restes dans un système stable et contrôlé, en équilibre. Si tu t’attaques à la bactérie, tu peux être sûr qu’elle va s’adapter, muter. Tu te retrouves face à un autre adversaire dont tu ne sais rien. Merci Darwin de nous l’avoir expliqué.

Ceci dit, nouveau danger, pour l’industrie, surtout pharmaceutique, ça veut dire nouveaux profits. Depuis trente ans, le système est bien rodé.

Et, par voie de conséquence, le débat qui opposa un jour Coffe et Kersauzon, débat d’anthologie que je n’ai pas réussi à retrouver, ce débat sera longtemps ouvert. Posons le clairement : l’hygiénisme a t-il un avenir ?

L’avenir de l’hygiénisme est dans le laboratoire, pas dans la cuisine, ça me paraît assez clair. On est partis pour manger de plus en plus longtemps des produits de plus en plus insipides et, paradoxalement, de plus en plus frelatés.

Je sais pas si on vivra longtemps, mais qu’est ce que ça va nous paraître long… A moins qu’on ne ferme les laboratoires pour rouvrir les cuisines…

On en reparlera sûrement…

mercredi 7 août 2013

LE TERRITOIRE DU TORO

Enième débat (là, c’est sur Facebook) sur la corrida… Je reste un peu détaché… De toutes façons, on sait ce que j’en pense… (par exemple http://rchabaud.blogspot.fr/2010/11/emile-et-adolf.html)

Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi tant de gens, par ailleurs bien élevés, s’envoient tant d’injures à la figure.

Quand la corrida débarque en France, sous Napoléon III, l’opposition se met aussitôt en route. Avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui : c’est barbare, c’est sanglant, bla-bli, bla-blo. Elle est un peu politique, l’opposition. L’Impératrice aime la corrida. Alors, les Républicains n’aiment pas. C’est assez clair : la corrida, c’est antique, c’est le passé, comme l’Empire, le Progrès exige sa disparition.

Sauf que ça marche pas géographiquement. Dans le sud, les Républicains aiment la corrida. Quand un préfet supprime les corridas à Dax, c’est l’émeute, progressistes et traditionnalistes font l’union sacrée et le préfet doit céder, personne ne le soutient. Et donc, on trouve un modus vivendi. Géographique. On accepte l’idée qu’il y ait des « régions taurines ». Est-il utile de préciser que la Flandre et la Normandie n’en font pas partie ? Il y a donc un territoire du toro. Géographique.

Géographique et donc culturel. Les récits font partie de la littérature de voyage. C’est ailleurs, c’est exotique. Les tableaux de corridas dans les Salons sont appelés « orientalistes », ça éloigne. Et cahin-caha, ça marche comme ça pendant un siècle à peu près. En gros, jusqu’au milieu du XXème siècle. On a isolé dans leur territoire exotique les fadas qui parlent avec l’accent et aiment voir étriper les chevaux. Les fadas ont ce qu’ils veulent quelques jours par an et la République radicale-socialiste a assuré la tranquillité de tous, surtout des électeurs du Sud-ouest qui fournissent tant de beaux et bons sièges et de portefeuilles de ministres.

Jusqu’à la naissance du tourisme de masse qui commence d’abord par un tourisme élitiste. Les gens du Nord (rappelons que ça commence au nord de la Garonne d’un côté, de la Durance de l’autre) se ruent vers le sud. Les intellos septentrionaux viennent s’installer sur les gradins de Lachepaillet, non loin de Picasso et d’Hemingway. Ils y connaissent pas grand chose, mais ils ne peuvent pas se retenir d’écrire. Et puis si Picasso aime, ils doivent aimer aussi. Alors, ils en rajoutent. Leiris, littérature et corrida. Montherlant. Les psys qui viennent coller du Eros et Thanatos dans ce qui n’est rien d’autre qu’une belle manière d’envoyer un bovin ad patres. La pulsion érotique de la mort du toro ! Tu parles ! Six érections par corrida, faut pas rêver…..

Mais voilà. Toutes ces grandes plumes ont des amis et des ennemis. Des qui les supportent pas. Des qui vont donc trouver à la corrida, tous les défauts du monde. Du coup, un problème local (sept départements du grand Sud, moins de trente villes) devient grande cause nationale. Le territoire du toro devient quasiment un enjeu européen. Les télés font des sujets, style Roselyne Bachelot à Bayonne. Si t’aimes pas Roselyne Bachelot (ce que je comprends fort bien), ben, logiquement, tu vas pas aimer la corrida. Le débat enfle, la corrida se voit défendue avec des arguments spécieux par de grandes gueules qui n’y connaissent rien et attaquée avec des raisonnements de la même eau par des loulous qui ne savent rien. L’aficionado de base n’a rien à faire dans ce débat. Le toro non plus.

L’aficionado de base, c’est moi. Pas fasciné par la mort. Elle est inéluctable et je m’y prépare, merci Montaigne. Pas obsédé sexuel non plus. Pas barbare que je sache. Plutôt poli et bien élevé. Enfin je croyais jusqu’à entendre ce superbe argument : « Les officiers SS aussi étaient polis et bien élevés ». SS ! Rien que ça… Ou « la corrida, c’est la mort organisée », manière de dire que Béziers est proche d’Auschwitz. Vu la façon dont c’est dit, on se demande qui aimerait avoir la schlague à la main……

Et donc, je me tais désormais. Je sais que le territoire du toro est envahi, envahi de mots, envahi de gens, parfois bien intentionnés mais ce sont les plus dangereux, envahi d’idées de savoirs incomplets, de compassion universelle, que chacun vient y déverser ses peurs, ses ressentis, ses haines. Le territoire du toro est devenu une déchetterie des sentiments.

Le problème, c’est qu’il est la seule déchetterie où j’aime aller.

On en reparlera…

lundi 5 août 2013

BIBENDUM SE DÉGONFLE

Ben oui. Juste un chiffre. A la fin des années 70, le Guide Rouge se vendait à 800 000 exemplaires, peu ou prou. Aujourd’hui, il cartonne aux alentours de 200 000. C’est encore pas mal, mais la poule aux œufs d’or a perdu des plumes. 75% de plumes et, dans les affaires, quand tu perds des plumes, t’en fais pas un édredon. Ce serait même plutôt le contraire.

Ceci dit, on n’en a jamais autant parlé, on n’a jamais autant polémiqué et c’est ça qui me chatouille. Tout simplement parce qu’un des dogmes de la com’, c’est que plus on parle de toi, plus tu vends.

Ben non. La preuve. Et Michelin, plein de têtes d’œuf qui réfléchissent un max, s’évertue depuis vingt ans à stopper la glissade de ses ventes sans y parvenir. Pas faute d’essayer.

La dégringolade des ventes suit un étonnant parallèle avec la couverture media du Guide Rouge. Pas étonnant, en fait. Il y a trente ans, la lecture du Guide Rouge était une activité en soi, une sorte de hobby. Le lecteur se précipitait, dépouillait, s’étonnait, se fâchait, téléphonait à ses copains. Je rigole pas, j’ai connu. En librairie, avant même de passer à la caisse, ils se paluchaient la bible écarlate, vérifiaient les coins qu’ils connaissaient en parlant tout seuls.

C’est fini. Avant même la sortie de l’opus mirabilis, toute la presse s’empresse. On suppute, on imagine, on fait intervenir ses sources. Comment ? « Il » a perdu sa troisième étoile. Et pas que la presse nationale. Les quotidiens régionaux font leur page spéciale : « Michelin ce qui change dans notre région ». Ce qui change, c’est les étoiles, bien entendu. Car Michelin ne communique que sur les étoiles. Soit moins de 5% du contenu..

Pourquoi acheter un guide quand on sait déjà ce qu’il y a dedans ? Plus Michelin parle à la presse, plus ils livrent d’infos et moins le client a besoin du guide. Surtout qu’il est un peu sec alors que les papiers des journaux, avec réactions à chaud, photos et historique de la carrière du bonhomme, c’est vachement plus sexy. Et que pour avoir ça, la « vénérable institution » (c’est comme ça que causent les journalistes) a tendance à se laisser glisser. Finie la cuisine de notaire. Du coup, les notaires l’achètent plus. Forcément.

Je crois que les étoiles ont tué les ventes de Michelin. A force de focaliser sur elles, tout le monde a oublié que c’est un guide touristique à l’usage des automobilistes. Accessoirement gastronomique. Fut un temps, pas si lointain, où avec les étoiles, on t’indiquait l’adresse des concessionnaires de marques. Et on continue à noter les monuments remarquables. La bouffe, c’était la cerise sur le gâteau. T’avais fait tes trois cents kilomètres, tu faisais étape, alors autant bien se taper la cloche et dormir dans un bon hôtel si la guinde avait besoin de passer deux jours chez le concessionnaire.

La cerise est devenue le gâteau. On ne voit plus qu’elle, personne ne va voir si le cousin a obtenu son Bib gourmant ou sa fourchette. C’est déjà pas mal la fourchette, mais tout le monde s’en fout, surtout les journalistes. Sérieux, dans le Guide Rouge, y’a plein de restaus sans étoiles qui valent le coup. Mais ce message ne passe pas. Les médias veulent du people, du trois étoiles. On va pas mélanger la trentaine de top-chefs et le demi-millier de mecs tout juste capables de décrocher un macaron ! Alors la fourchette, même pas en rêve. Trop nombreuse, la piétaille. Dans les médias, on veut de la star, pas du figurant. A un détail près : dans les médias, on fait pas un papier pour aider Michelin à vendre, on fait un papier pour le vendre.

Peu à peu, l’image du Guide Rouge s’est dégradée. C’était un guide pour permettre aux VRP de bien dormir et de bien bouffer dans le cadre de leur budget C’est devenu une icône du luxe gastronomique à la française. Alors, forcément, quand tu causes à l’élite, le petit mec de base, il referme le guide, il se dit que c’est pas pour lui.

Je suis sûr que chez Michelin, il y a des mecs qui comptent avidement les recensions du guide, tout un service chargé de gérer l’image. Grands couillons ! Plus on parle de vous, moins on vous lit. D’ailleurs, Michelin a fait un site où il te file gratuitement les adresses que tu achetais avant. Y’a sûrement des millions de clics. Gratuits.

Il faudrait que quelqu’un leur rappelle ça : le monde de l’oral n’est pas le monde de l’écrit et plus tu causes, moins tu lis.

Bon, ils en avaient marre qu’on les voit comme des provinciaux ringards avec un stade prénommé Marcel. Ils ont fait moderne, ils ont créé Via Michelin et ont négligé leurs bonnes vieilles cartes au profit du GPS. Les journalistes ont adoré. Et Michelin a enquillé les échecs, a dépensé plein de sous et a vu ses ventes se déliter.

Je dis ça parce que j’aime bien Clermont-Ferrand.

On en reparlera…

samedi 3 août 2013

ORCHICLASTE

C’est trop d’honneur. « Elle » me fait l’honneur d’un billet où elle me traite de casse-couilles. Ça, c’est vrai, elle est pas la première. Je préfère dire orchiclaste, c’est plus joli, plus sympa, ça a un côté religieux, secte minoritaire. Billet caractéristique où on mélange soigneusement des extraits de texte pour te faire dire le contraire de ce que tu as dit. Billet bien torché, enlevé, on peut pas nier, mais limite. Tu sais, le genre de trucs où si tu dénies, on te renvoie à la gueule : et ça, tu l’as pas écrit peut être ? Si, mais ce qu’il y avant et après, je l’ai pas écrit. Bon, on va pas se palucher les textes comme si on comparait deux versions des Essais.

Alors, je vais essayer de m’expliquer. Le même jour, « elle » fait un post sur les Bains de Secours à Sévignacq-Meyracq. Tu connais pas ? C’est un village béarnais, gris, tassé à l’entrée de la vallée d’Ossau, juste avant Louvie-Juzon quand tu viens de Pau. A l’entrée d’Arudy célèbre pour son marbre, même qu’il y a du marbre d’Arudy à Versailles.

Ça te parle pas ? Moi si. J’ai onze ou douze ans et mon chef scout a décidé qu’on ferait notre camp d’été à Sévignacq et donc, je découvre le Béarn « montagnard ». Le Béarn des Gaves, je connais, c’est mon terrain de jeux. Mais là, c’est pas pareil. La montagne est proche à toucher, les gens parlent pareil, Diou biban, mais rien n’est pareil. C’est moins ouvert, la végétation sent déjà la montagne et d’ailleurs, les vaches ont de grosses cloches au cou.. On est dans un autre monde. Première découverte : le Béarn n’existe pas. Il y en a plusieurs, selon que t’es dans une vallée ou une autre.

Tout ça, dans son billet, il n’en est pas question. Normal, c’est pas la question. Elle cause d’un restaurant, fort convenable au demeurant. Mais elle en cause comme si c’était à Pont-à-Mousson ou à Guingamp. Tout ce qu’il y a autour, tout cet environnement du Bas-Ossau disparaît. Et ça, ça s’emmerde. Parce que c’est chez moi (enfin, la banlieue de chez moi).

Chez moi. Je sais qu’elle ne peut pas comprendre. Son mec me l’a dit : ce n’est pas chez vous. Ho ! que si. C’est chez moi parce que les chemins sont bordés de mes souvenirs, que tous les noms me renvoient à mon histoire, mes histoires, que j’ai un cousin ici (cousin ou petit-cousin ou cousin de cousin, peu importe, c’est le clan familial), que le gamin que je rencontre et que je n’ai jamais vu, j’ai connu son grand-père, toutes ces choses qui font qu’un village n’est pas semblable à un autre. En Alsace, j’ai pas ça. Et donc, c’est chez moi.

Tout ça ne me suffit pas. Le discours, les madeleines qui renvoient les souvenirs, c’est bien joli, mais pas suffisant. J’ai donc bossé pour apprendre, pour comprendre où est la limite géographique et culturelle entre Labastide-Villefranche, bastide créée par Phoebus et Arancou, village basque distant de cinq kilomètres.. C’est quoi la limite entre deux fiefs ? T’as des trucs marrants : à Villefranque, près de Bayonne, j’ai des ancêtres qui portent le nom d’un moulin (classique) mais ce moulin porte un nom de Chalosse, à la limite des Landes. Comment est-ce possible ? Tout ceci suppose des relations, des combinaisons, des interactions qu’il faut comprendre pour déchiffrer le pays au-delà des apparences évidentes.

Et donc, mon pays, car c’est MON pays, je me le suis approprié, je l’ai senti, goûté, aimé mais aussi étudié, travaillé, analysé. Voilà trente ans que je fais cet aller et retour entre l’intellectuel et le sensuel.

Mais aujourd’hui, ça suffit. Mon pays est envahi d’allochtones (stricto sensu, ce ne sont pas des étrangers, on a le même passeport) qui débarquent et viennent m’expliquer ce qu’il est. C’est facile. Tu débarques, t’achètes une adresse et tu dis « c’est chez moi et je vais t’expliquer ». Ce que tu dois faire. Où tu dois aller. Comment ça marche. NON. Pas toi et pas en quelques jours. Et son copain me l’a dit : « vous n’êtes pas chez vous ». Gonflé quand même.

C’est une question de pudeur. Quand tu arrives chez quelqu’un tu ne vas pas lui expliquer ce qu’il est. Tu as la pudeur, de regarder, d’interroger, de t’informer, de parler. Alors, moi, les pseudo-Basques d’adoption qui viennent m’expliquer ce qu’est mon pays, ils me gavent. Grave. Parce qu’ils viennent me servir les stéréotypes (c’est l’horreur, le stéréotype) que tout le monde répète en boucle.

Son boulot, je l’ai fait. J’ai enquillé des restaus pour essayer de discriminer, j’ai noirci des pages pour tenter de guider le consommateur vers le meilleur possible. C’est pas simple.

Mais je l’ai fait de deux manières. Ailleurs et c’est juste une technique. Chez moi, et c’est autre chose. Parce que faire un guide touristique quand tes copains répètent à l’envie « Turistak, ez », non aux touristes, ça demande une certaine subtilité. C’est vrai, chez moi, je n’enquête pas, je ne choisis pas, je n’écris pas comme ailleurs. Parce que c’est chez moi.

Et, par voie de conséquence, j’amalgame. Je m’insurge contre la tomate chez moi (http://rchabaud.blogspot.fr/2010/09/linguistique-gastronomie-petrole.html)et donc je m’insurge contre la tomate ailleurs (http://rchabaud.blogspot.fr/2013/05/litalie-sans-les-tomates.html). Normal. Dans tous les cas, la tomate est devenue une sorte d’icône méridionale, un alpha et oméga du sud. Alors que, tous les gens sérieux le savent, du cassoulet au cottechine, le Sud est terre de haricots.

Il me semblait que notre boulot de journaliste-enquêteur était d'abord un lutte à mort contre le poncif. Vision antique à n'en pas douter.

Bon. « Elle » a besoin de torcher du texte. Ça oblige à aller vite. Ça oblige surtout à ne pas douter et à rassurer ses lecteurs. Et donc, à rejeter aux pourceaux, l’éventuel contradicteur. Où irait-elle si ses lecteurs doutaient d’elle ?

Calmez vous, belle amie. Le poncif ne fait pas douter. Il rassure. Sauf les orchiclastes qui préfèrent en rire….

On en reparlera…

PS : j’ai volé le mot « orchiclaste » à Gilbert Collard, avocat et député FN. Ça ne signifie pas une adhésion politique. D’ailleurs, si vous rencontrez Gilbert Collard, il vous dira « bonjour ». Moi aussi.

vendredi 2 août 2013

JE TRIE PAS

Je trie pas mes déchets. C’est un choix politique. Pas pour faire chier les Verts dont je me contrefous.

Je trie pas parce que l’enlèvement des déchets, c’est un marché que, les unes après les autres, les municipalités concèdent aux poids lourds du CAC40, style Véolia.

Pour le dire simplement, les dites sociétés sont payées pour enlever et trier. Payées grassement suffit de voir leurs bénéfices. En plus, elles revendent les sous-produits. Tout bénef.

Et donc, je ne veux pas devenir un collaborateur bénévole de Véolia qui va bénéficier de mon tri sans rien me reverser. S’ils veulent que je leur facilite le travail, ils ont qu’a m’envoyer un chèque, y’a pas de raison.

Je trie pas parce que c’est pas écologique. T’as qu’à suivre un camion qui ramasse les poubelles de verre, tu sentiras l’empreinte carbone au niveau du pot d’échappement. Après quoi, le camion va déposer sa cargaison dans un centre où d’autres camions vont apporter le verre dans une lointaine usine à grand renfort de gazole pour qu’on le fasse fondre avec encore du gazole et refaire des bouteilles. Si tu veux faire écolo et économiser tout ce combustible fossile, tu remets la bonne vieille consigne en route. Remarque, la grande distribution sera pas d’accord. La fin de la consigne correspond aux débuts des supermarchés.

Moi, je suggère un truc à Duflot. Créer une Agence nationale des Déchets qui fera le boulot de Véolia. Une agence non-évaluée, une agence à la rentabilité nulle, avec trois mecs pour faire le boulot d’un seul. Mais une agence qui m’assurera que le travail sera fait en fonction de critères écologiques et que le bénéfice sera aussi social. Une agence qui gérera correctement les déchetteries et les dépôts d’ordures. Une agence qui construira des incinérateurs non polluants (et donc non rentables, ça va de soi). Ce qu’on perdra sur l’incinérateur, on le gagnera sur les cancers induits par la dioxine.

Je trie pas parce que, quand j’achète un produit, je paye déjà au producteur un surcoût lié à sa destruction. Tu sais pas comment ça se passe ? Facile. Le producteur paye la taxe à l’Etat et la rajoute au prix (éco-participation, ça s’appelle). Après quoi, il fait fabriquer pour peanuts des cartons qu’il colle dans les supermarchés et où, toi, tu vas déposer le produit. Simple : tu payes la taxe sur les piles et quand elles sont nazes, tu fais le boulot pour lequel t’as payé. Allez, vas-y. Secoue tes plumes et roucoule, c’est ce que les pigeons font le mieux. Le bel exemple, c'est les pneus. Quand t’achètes un pneu, tu payes la taxe. Et ton vieux pneu, tu vas le retrouver dans les champs où on les dépose sur de grosses bâches de protection pour pas qu’elles s’envolent. Dans le meilleur des cas, le marchand de pneus, il en a fait cadeau au paysan. Mais il a gardé la thune de la taxe, y’a pas de petits profits.Et toi, t'as droit au spectacle d'une campagne empneumée.

Je trie pas parce que cent kilos de déchets triés, ça fait toujours cent kilos. Et que le problème, c'est de diminuer ces déchets, de taxer à mort le "packaging" par exemple. Pas sur l'emballage, c'est le consommateur qui paiera. Une taxe globale liée à l'activité, style doublement de la taxe professionnelle pour les sociétés d'emballage. Une taxe à la source, pas à l'embouchure vu que l'embouchure, c'est moi...et que ce soir je suis particulièrement mal embouché.

Les pollueurs doivent payer. D'accord. Mais le pollueur, c'est pas moi. Moi, je m'emmerde déjà à descendre des poubelles toujours plus pleines parce qu'on me file plus d'emballage que de produit et que pour pas que je me détruise le budget, plus l'emballage est cher, plus le produit est merdique. Les pollueurs, c'est les publicistes, les packageurs, les grands distributeurs. Et j'ai pas envie de payer pour eux.

Alors, non, je veux pas rentrer dans ce système. Je suis un mauvais citoyen.

On en reparlera…

jeudi 1 août 2013

OFFENBACH ET LE JAMBON

Bon, j’en ai plein le dos… marre de voir ce qu’est devenu le jambon de Bayonne magnifié par Offenbach dans un magnifique trio…..marre de voir les trous du cul s’engraisser sur mon histoire.

Tu vas chez Carrauchan, il te sourit. Bien emballé dans son plastique avec (sur le plastique) la lauburu, la croix basque. C’est un jambon de Bayonne, certifié IGP. C’est pour ça qu’il a la lauburu. Ça te rassure, hein, connard ?

Bon, alors décryptons. L’Indication géographique protégée, c’est un truc qui va avec la géographie moderne. Lisons les textes. Je me base sur le texte officiel, celui de l’INAO qui a force de loi.

« La jambon de Bayonne est une cuisse de porc parée, salée au sel sec des salines du bassin de l’Adour et séchée dans cette zone pendant plus de sept mois ».

Ça commence mal. Une cuisse de porc. Quel porc ? De quelle origine ? On s’en fout. Un cochon, n’importe quel cochon. Quelle race ? On s’en fout. Elevé comment ? On s’en fout. Nourri comment ? On s’en fout. Un cochon, vous dis je. N’importe quel cochon. Salé au sel sec des salines du bassin de l’Adour. Là, ça limite un peu. Salies, Briscous, Mouguerre, rien de bien important en fait. Encore que Salies… ma famille était part-prenante à Salies au temps de Voltaire et Rousseau.

Après, ça devient encore plus drôle. L’IGP sépare la zone de production des porcs et la zone de transformation des jambons. Continuons à décrypter.

La zone de production des porcs, elle est vaste : l’Ariège (admettons, on peut en discuter), l’Aveyron (regardez une carte), le Cantal, la Charente et la Charente-Maitime, la Corrèze, la Haute-Garonne, le Gers, la Gironde, les Landes, le Lot, le Lot-et-Garonne, les Pyrénées-Atlantiques (quand même…), les Hautes-Pyrénées, les Pyrénées-Orientales, les Deux-Sèvres, le Tarn, le Tarn-et-Garonne, la Vienne, la Haute-Vienne. Ouf ! Pour faire simple, l’Aquitaine, le Midi-Pyrénées, le Poitou-Charentes, un bout d’Auvergne et un bout de Roussillon.

Résumons : n’importe quel cochon, de n’importe quelle race, élevé sur un grand quart de la France. Elevé comment ? Nourri comment ? C’est pas le problème….

Sur la zone de transformation, ça se calme : Landes ; Gers, Hautes-Pyrénées, Pyrénées Atlantiques. Et donc le même cochon que ci-dessus transformé dans une aire géographique réduite. C’est tout ? C’est tout.

Après, il y a le baratin. Torché par je ne sais qui, mais terrifiant. Forcément, c’est une IGP, faut justifier. Juste un exemple : « L’approvisionnement des ateliers de salaison en jambons frais provenant d’une sone plus étendue correspond à des courants commerciaux anciens dont la réalité se prolonge aujourd’hui ». Traduction : historiquement, il arrivait à Bayonne des jambons d’ailleurs. Exact. Mais d’où ? Du Roussillon ? Qu’on me montre un texte, un seul, attestant de la chose. Même les Hautes-Pyrénées, je doute. Jusqu’à Louis XIII, les rapports commerciaux entre Bayonne et le Comminges sont légers.

Et donc, les règles pour avoir la lauburu ne sont guère contraignantes : N’importe quel cochon, élevé n’importe comment (on précise : engraissés avec un aliment contenant au moins 60% de céréales, pas avec 60% de céréales, notez le. Avec une merde du commerce contenant 60% de céréales). C’est la porte ouverte à tous les cochons industriels. D’ailleurs la fiche de l’INAO le précise : 1,8 million de porcs. Ça, c’est de l’artisanat, Mâme Michu.

Ça m’écoeure. C’est la négation de mon histoire. Chez l’oncle Auguste ou l’oncle Adrien , tous les soirs, vers 17 heures, on nourrissait les pourceaux. Mélange de son, de maïs, de betteraves blanches, chauffé à bonne température (le cochon n’aime pas manger froid). C’est vrai que la race n’était pas importante : Auguste préférait l’anglais rose, Adrien avait un faible pour le gascon pie. Mais tous deux préparaient la même pâtée, avec un poil de graisse quand l’hiver approchait. Le cochon était le jambon.

Après la tuère, on mettait à sécher. Il faut un an pour qu’un jambon sèche correctement, suspendu dans la grange. Avec les aléas que ça comporte. Aléa, un vilain mot pour l’industrie. Alea, ça veut dire risque. Qui peut risquer un investissement ?

Bon, vous savez maintenant. Un jambon de Bayonne marqué IGP, ça peut être un jambon industriel, c’est majoritairement un jambon industriel. Lauburu ou pas. Delpeydrange ou Mapeyrat, il est dans le cahier des charges. Il a acheté un cochon dans les Deux-Sèvres et il l’a transformé en Haut-Béarn. Ça suffit. Ça te suffit, consommateur avisé.

Au passage, si tu vas au Musée du Jambon de Bayonne à Arzacq-Arzaziguet, on t’expliquera que la qualité du jambon vient de l’irrégularité de la sèche qui peut être affectée par le vent du sud, Le Musée est adossé à un immense séchoir industriel où les jambons sèchent en atmosphère contrôlée.Je cause, mais je fais autre chose, faut pas déconner.

Mais alors ? Je me fais enfler ? Oui. Parce que tu le veux bien. Tu peux aussi acheter un Ibaïona, un jambon qui a l’IGP (hélas !) mais qui est produit par trois charcutiers associés (Montauzer, Mayté, Ospital) selon un cahier des charges très proche du jambon traditionnel paysan. Ou un jambon Oteïza, également traditionnel, mais à partir de la race basque ancienne. Bref, des jambons qui valent le coup. Valent parce que le prix au kilo est supérieur au prix de Delpeydrange. Forcément.

Bon, moi, j’ai fait mon boulot. Je t’ai informé. T’en fais ce que tu veux.

Et Offenbach, dans le titre ? Ben écoute : http://www.youtube.com/watch?v=03PPsmsb0wk

Si le père Grenet était moins inculte, ce serait un hymne.

On en reparlera….