vendredi 27 octobre 2017

RABBI JACOB, HEIN ?

He bé voilà que la Catalogne se joint au concert…Pas que. La même semaine, la Lombardie et la Vénétie s’en mêlent. Les commentateurs se répartissent entre deux catégories.

1/ les ceusses qui brandissent les oripeaux du nationalisme. Alors même qu’il ne s’agit pas de nation quoique les zélateurs de ces indépendances entretiennent le flou, essentiellement par manque de vocabulaire. Au fil de l‘histoire, il n’y eut jamais de nation catalane, ni basque, ni vénète. Et pour la plupart, il s’agit avant tout de quitter la nation ce qui suppose un énorme contresens.

2/ les accumulateurs d’exemples qui cherchent, à juste titre, à trouver un fil commun et prennent l’Europe comme mètre étalon. Comme les précédents, ils veulent diaboliser tous ces gens qui ne vont pas dans le sens de l’Histoire.

Tout ça fait beaucoup de mots, beaucoup de babillage pour arriver à la même conclusion : la même taille de territoire ne convient pas à tous

On en a déjà parlé mais ça devient de plus en plus prégnant avec l’Europe. L’Européen moyen, il se sent tout sauf Européen. Il sait bien qu’il n’a quasiment rien en commun avec toutes ces nations qu’il confond souvent allègrement. Prends l’exemple des Tchèques. Voilà des gens qui ont la chance d’avoir un des villages emblématiques de l’Histoire du monde (faut oser) : Austerlitz. Et que font ils ? Ils le débaptisent. Ce faisant, ils disent clairement que la France, son histoire, son orgueil, ils n’en ont rien à foutre. On peut comprendre. On peut comprendre aussi qu’on se moque de la fierté des Bohêmiens.

En fait, de l’histoire et de la culture européenne, on ne sait rien sauf les stéréotypes véhiculés par Erasmus, enrobés de mondialisme mou. Car, vous leurrez pas, Erasmus, c’est fait pour dire aux jeunes qu’ils sont tous pareils. Que leur sol soit différent, que leur langue ne soit pas la même, qu’ils n’aient dans l’Histoire que des guerres à partager, tout le monde s’en contrefout. La machine à banaliser tourne à plein.

Au point que Juppé doit se gendarmer car les Bordelais lancent une campagne « Parisien rentre chez toi ».Il doit avoir peur qu’ils virent aussi les croquemaïs dont il fait partie. Situation amusante : les Girondins comprennent enfin le danger des Jacobins, ce qui ne les empêche pas d’avoir les mêmes comportements. Hier au soir, impossible de me garer dans Bayonne envahie de 33. Ho ! on est pas votre banlieue !!

Mais on peut pas tenir compte du ressenti de chacun ? Si. Il faudra bien. Parce que ça commence à devenir ingérable et que ça ne va pas s’arranger. Et que dans ce ressenti, il y a une dimension démoniaque (aux yeux des dames patronnesses) : l’égoIsme. Reiser écrivait : Salauds de pauvres ! C’est pareil.

Les hommes naissent libres et égaux en droits. Ouais. A condition d’être nés au même endroit. Sans ça… Tiens, tu nais à Kiruna, t’as un droit de plus que moi : celui d’allumer la lumière toute la journée cinq mois par an. Et l’EDF te propose pas de tarif spécial Père Noel.

Plus que la Lombardie ou l’Ecosse, je trouve le mouvement des Bordeluches vachement intéressant. Voilà des mecs qui vivent dans un ancien port qui eut son heure de gloire mais qui aujourd’hui est revenu à son classement du 13ème siècle pour des raisons géographiques. Les temps ne sont plus aux havres protégés loin des rivages. Remonter la Gironde est un handicap. Seule métropole importante, Bordeaux a reçu l’onction jacobine qui en a fait la capitale d’un territoire qui n’est pas le sien. Et les Bordeluches en ont déduit qu’ils étaient propriétaires de lieux qui n’en ont rien à foutre et s’arrogent une autorité sur des populations indigènes qui les vomissent. Si je suis de Bordeaux, je suis toute l’Aquitaine..

Le drame, c’est que toute cette morgue, cette inculture historique est essentiellement transportée par les petits bourgeois bordeluches. Ceux qui savent dire « le Bassin » en pinçant comme il faut les lèvres pour désigner Arcachon, oubliant qu’un bassin est aussi un ustensile médical pour collecter la merde. Pour analyser Bordeaux, regardez les restaurants.. Pas de table d’exception comme à Lyon ou Monaco, le petit bourgeois bordelais est rat et fréquente des tables à sa hauteur. On pourrait penser qu’une région vouée au vin aimerait accompagner ses nectars de plats à la hauteur. La gastronomie bordelaise est inexistante et même la lamproie se fait rare. La vraie bourgeoisie bordeluche achète au Pays basque comme faisait Chaban, mais la pression foncière parisienne devient un obstacle. Parisien, rentre chez toi !

Bref, Bordeaux a oublié Montaigne qui notait que si haut que soit le trône… Bordeaux a oublié le captal de Buch qui gérait le « Bassin » pour compte des Albret. Et oui, historiquement, Arcachon est plus liée à Nérac qu’à Bordeaux. En fait, le territoire historique, culturel,  de Bordeaux est tout petit. Raison pour laquelle l’avoir choisie comme capitale de l’Aquitaine « nouvelle » est d’une rare stupidité. De Bayonne à Ussel, tout le  monde déteste Bordeaux. Mais Bordeaux est égoïste et se fout qu'on la déteste tant qu'on parle d'elle. Ben voilà c'est fait.


On en reparlera…

mardi 24 octobre 2017

LE PRIVÉ, CE LUMPEN-PUBLIC

C’est l’idée la plus con du 20ème siècle qui n’en a pas manqué pourtant. Elle est née et s’est développée sous Giscard, le pire Président d’un siècle qui n’en a pas manqué non plus.

L’idée selon laquelle un pays devait être géré comme une entreprise.

Pour vouloir comparer et égaliser deux rapports au temps si différents, faut tout simplement être con. Certes, dans les deux cas, il y a des colonnes Plus et Moins, mais elles ne se remplissent ni ne se vident selon le même tempo. Et leurs impacts sont tout aussi différents.

Reprenons l’affaire qui nous a occupés à quelques reprises. Le monde s’enrichit et la France plait. Du coup, quelques hordes de Brésiliens et autres Chinois, sans compter d’innombrables Moldo-Valaques, veulent y touristiser et y dépenser leurs bitcoins. Mauvais, ça. Parce que ça commence à peser sur le travail des conulats. Alors, on externalise. On fait faire le boulot par des gens qui ne seront pas fonctionnaires, car le fonctionnaire, voilà l’ennemi. Externalisation décidée sous Hollande, Ayrault étant ministre. Encore que j’y vois plutôt la patte de Fabius.

On s’entoure de précautions, on choisit la même société privée que les USA et l’Angleterre.  Société privée basée à Dubaï et donc de droit émirati.

Voilà !! Au moment où le danger essentiel est le terrorisme islamiste, on choisit de faire instruire les dossiers par une société installée dans un Etat qui accepte la charia.. Je pense à vous, mon cher colonel Matthieu. Vous devez en être chamboulé.

Ho !! Attention !! On vérifie, on est prudents. On fait des sondages. Moi aussi. Je peux indiquer des cas précis de dossiers frelatés. Forcément. Le client, c’est pas la France, c’est l’impétrant. C’est lui qui paye. On fait de belles économies. Certes, derrière, faudra ajouter des sous au Ministre de l’Intérieur, voire à la Défense. Pas grave, c’est pas le même budget. Parce que je suspecte que les trous, c’est pas la PAF. La PAF vérifie la légalité des visas mais comment peut elle savoir qu’un visa légal a été obenu par des moyens illégaux ?

Les vérifications, on sait comment ça marche. Y’a même eu des rapports qui disent que le niveau de fiabilité est correct. Non !! Le seul niveau acceptable est 100 % vu qu’un seul mec loupé, ça peut faire un joli paquet de morts. Mais voilà : les fonctionnaires du Ministère s’autocongratulent. Ils délivrent plus de visas en dépensant moins de fric.. Et donc, on les félicite, comme on féliciterait un charcutier ayant vendu plus de saucissons avec moins de personnel.

La discussion récurrente sur le déficit de la Sécurité Sociale pourrait aussi être mené de manière proche. On pleurniche sur la montée des examens complémentaires. Plus l’examen monte, plus le trou descend. Je suis seulement un observateur extérieur mais j’ai le sentiment que la dégradation de l’enseignement clinique n’y est pas étranger. J’ai un seul marqueur, le temps passé en consultation comme patient. Quand le vieil Odon Richard m’examinait, je passais rarement moins de trois-quarts d’heure avec lui. On parlait, il me faisait tirer la langue, marcher, tousser. J’étais examiné, au sens plein du terme.

Voici quelques mois, j’ai du me fâcher avec un praticien hospitalier, sympathique et chef de service, en refusant de répondre à ses questions, rédigées comme un QCM et lui rappeler que j’étais un patient, i.e. un être unique et pas le membre d’une cohorte statistique. On se voyait pour la première fois, il ne savait rien de moi et son questionnaire ne visait pas à me connaître mais à me ranger dans une case prédéfinie. Et ça, c’est insupportable. J’ai passé trop de temps à m’isoler du troupeau pourqu’on m’y remette sans effort.

Et donc la conversation a glissé vers la gestion du temps. Vous savez combien je vois de patients ? Le temps à consacrer à l’administration ? Bien entendu, ce n’était pas le sujet. Mais les petits gestionnaires merdeux avaient réussi à remplacer dans son cerveau les grands cliniciens de sa spécialité. Pour un médecin, le temps ne doit pas exister : une erreur de diagnostic conduit inéluctablement à l’éternité qui supprime le temps lui-même.

Les petits gestionnaires merdeux sont incapables de comprendre, et même de calculer, cette évidente vérité. Un bon examen clinique diminuera le nombre d’examens complémentaires. C’est pas dans la même case, mais c’est lié. Ouais, mais qui jugera les compétences du clinicien ? Ses pairs et eux seuls. Ce n’est pas mesurable. Cher Enarque de merde, souvenez vous que la médecine n’est pas une science, mais un art libéral. Il y faut du talent, de la fantaisie, parfois un peu de vulgarité. Et ça ne se mesure pas. Il y a quantité de choses qui ne se mesurent pas. Le talent en fait partie ce qui désole les énarques du Ministère de la Culture. J’ai souvenir de l’un d’entre eux qui jugeait les peintres contemporains à leur côte en salle des ventes. Il a même écrit que Garouste était le seul peintre français de talent car il faisait (en ce temps) partie du Top 20 des cotations mondiales. Heureusement qu’il n’avait pas connu Van Gogh.

La gestion de l’entreprise, c’est ça. Tout doit être mesuré, quantifié et les résultats doivent pouvoir être glissés dans un graphique que comprendra la Bourse. Mais l’Etat qui s’intéresse à la justice ou à la santé des citoyens, c’est pas ça. Ça ne peut pas être ça. Peut être qu’il vaut mieux augmenter substantiellement le coût de la consultation qu’on ne contrôle pas vraiment et que le budget de la Sécu s’en trouvera mieux. Comme c’est lié à la formation des cliniciens, il faudra du temps pour s’en rendre compte et le décideur ne pourra pas s’en glorifier. On s’en fout !!! Pas lui.

Evidemment qu’ils sont tous d’accord. Ils ont tous le même cadre de pensée. Ils passent sans hésiter du Public ou Privé et pensent que le boulot est le même. Ils jouent. On a quand même des marqueurs. Statistiques. Quand j’ai passé le bac, un élève sur deux était recalé. En faisant monter les courbes a t’on fait monter le niveau ? Et ce fut rapide : souvenez vous de Sardou et du bac G..


Et bien aujourd’hui que l’alphabet des bacs possibles est quasiment complet, on s’aperçoit qu’il faut reprendre la formation des jeunes. C’est pas le même budget … dit le toqué d’analyse. Qui ne voit pas qu’analyse diachronique ce n’est pas analyse synchronique et que demain n’est jamais la poursuite des courbes d’aujourd’hui.


On en reparlera…

mercredi 18 octobre 2017

UN MONDE DE DOMESTIQUES

Bon, ça sort de partout sur l’intelligence artificielle. Rien de bien neuf, mais une sorte de consensus se fait jour : l’intelligence artificielle menace d’abord le boulot des plus cons. Bien la peine d’être plus intelligent !!!

Ça veut dire d’abord que le sujet est inintéressant. On va s’intéresser à la répétition, aux processus, au traitement de plus en plus rapide de millions de données. C’est pas très intelligent, je trouve. Mais surtout, c’est évident que ça va fracturer la société. Mais finalement pas tant que ça. Les maîtres de l’intelligence artificielle, ils vont gagner beaucoup d’argent mais faut pas croire qu’ils vont épargner. Non. Ils vont vouloir jouir et profiter.

C’est génial, voilà des années que toutes nos élites préparent notre monde à ce changement. L’’agriculture détruite, l’industrie délocalisée, restent tout le reste : les services. Voilà bien un demi siècle qu’on entend le credo : les services sont la base de l’économie de demain. Basons notre société sur le boulot des domestiques. Je déconne pas : un grand patron du tourisme cherchant à donner à ses services de la valeur ajoutée n’avait rien trouvé de mieux que de créer des postes de « concierges ». Des bignoles quoi…Au garde à vous dans l’attente des étrennes. Si ça, c’est pas un aveu…

D’ailleurs, tout le monde l’affirme. L’avenir de l’emploi est dans les « services d’aide à la personne ». Je pense à Nanie, entrée à 20 ans comme « bonne à tout faire » au service de mes parents mais qui était devenue « auxiliaire de vie » pour son départ en retraite. Elle faisait le même boulot, sauf qu’en plus, il fallait parfois torcher Maman.. La définition avait changé, pas le travail. J’en déduis donc que les services d’aide à la personne recrutent essentiellement des domestiques. Désormais, on les appelle auxiliaires de vie ce qui est mieux que torcheur de vieux. Mais bon, c’est pareil.

Même pas. Nanie, elle savait faire des ris de veau financières (ou panés, ma préférence), des rognons sauce madère ou du foie frais aux raisins. Avant même d’être auxiliaire de vie. Les domestiques actuels sont tellement nuls qu’ils ne méritent aucune considération ; Pourtant leurs employeurs affirment les former. A quoi ? A la cuisine ? Pour passer un congelé au micro-ondes ? Au ménage ? Pour ne pas savoir nettoyer un cadre doré à la feuille ? Au repassage ? Pour ne pas comprendre le repassage d’un smoking ?

Je tiens à l’affirmer haut et fort : je n’ai aucun mépris pour les domestiques. Ils m’ont élevé. Par contre, je vomis hyperboliquement les mauvais, ceux qui s’enorgueillissent d’un nom ne correspondant à rien. Ils n’ont pas compris qu’un domestique est quelqu’un qui ajoutait de la valeur parce qu’il avait du savoir, mais peu de liberté. Son planning ne lui appartient pas. Ne pas être formé leur laisse l’impression de décider. C’est d’autant plus facile que les « maîtres » ne sont pas non plus formés pour commander. Ou qu’ils en ont honte. Et, en toute hypothèse qu’ils n’ont aucun sens de leurs responsabilités. Ainsi, ils pensent que « virer » est l’alpha et l’oméga de leur action. Mais, jadis, on ne virait pas. Une fois l’engagement confirmé, on gardait. En jaugeant de la personne, en la formant, je veux dire en la formant vraiment. Et d’abord, en la mettant en « binôme » avec une vieille bonne qui faisait office de formatrice. Et c’est ainsi que Bernadette faisait les meilleures allumettes au fromage du Pays basque et que Rosalie, native de Biscaye, ne se trompait jamais quand il fallait servir un whisky.

Avoir été formé à la perfection, c’est chiant. Je ne suis pas parfait mais j’ai été élevé dans un monde qui visait sans cesse  à faire mieux. Alors, aujourd’hui, je m’emmerde et je méprise. Je méprise cette autosatisfaction de l’étiquette. Il suffit de sortir de la pathétique structure de formation des libraires de Montreuil où on forme des « libraires » pour Auchan ou Leclerc (une bouteille d’huile, deux boites de pâté, un roman à la mode). Après quoi on se colle l’étiquette et on devient un arbitre de la littérature. Putain, les mecs !!! On vient de Vatel qui s’est suicidé pour avoir choisi un mauvais livreur de poissons !!!

Cette semaine, je suis en bagarre avec un mauvais caviste qui m’explique que mon vin sera livré en retard par la faute du transporteur et ne veut pas comprendre que c’est lui qui l’a choisi et que, donc, il est responsable de son mauvais choix. Il ne m’a pas encore dit que c’était le moins cher, mais ça ne saurait tarder.

Voilà ce qui nous attend. Des domestiques incompétents nous délivreront un service de merde avec des cartes de visite impeccables et imprimées par Vistaprint. Comparez à des cartes de visite gravées à la main, c’est de la merde. Oui, mais c’est pas cher. Ha ! bon ! si c’est ça…


On en reparlera…..

samedi 14 octobre 2017

DIDEROT ET HOLLYWOOD

Bon. Un gros cochon de producteur américain sautait ou cherchait à sauter toutes les starlettes qui lui demandaient un rôle. Quand je lisais Cinémonde, on en parlait déjà. Pas de Harvey Machin, mais de la promotion canapé. On est pas dans le scoop. Du coup, ça interviewe partout et même Jean-Michel Ribes s’y colle. Et comme toujours, son regard décape.

En termes mesurés (que je vais décrypter), il affirme que, lorsqu’on fait un métier de séduction, on s’expose aux dangers de la séduction. Et c’est vrai que plein d’actrices ne figurent pas au tableau d’Harvey. Marie-Pierre Casey, par exemple.

C’est caricatural, j’admets. J’aurais pu choisir Jeanne Moreau ou Alice Sapritch. Ou Maria Casarès. Ou Françoise Seigner. Je vous laisse compléter la liste. Il y a un paquet d’actrices qui ne quémandent pas de rôles et, devant l’abondance, auraient plutôt tendance à refuser.

Celles qui acceptaient l’invitation, elles imaginaient bien que le Harvey allait pas leur faire passer une audition pour tester leurs compétences dans Lady Macbeth ou Athalie. Elles savaient qu’on était dans la séduction, cette horreur des rapports humains, cette séduction qui est l’apanage éternel du plus vieux métier du monde, comme on écrit quand on veut faire propre. Il faut être deux pour danser le tango et, si j’en crois les spécialistes, tout le monde savait qu’Harvey était une sorte de DSK du cinéma. Si tu fais carrière avec tes nichons, t’étonne pas qu’on ait envie de les malaxer. C’est pour ça que j’ai écrit starlette. Parce qu’on n’est pas dans le paradoxe sur le comédien, on est dans la digue du cul.

Désormais, les professionnels réagissent comme le grand public : un bon acteur (une bonne actrice), c’est celui ou celle qui montre ce qu’il ou elle est. Alors même que c’est exactement le contraire : un bon acteur est celui qui joue ce qu’il n’est pas. A cet égard, j’irai certainement voir Omar Sy dans Knock. Faut être gonflé pour succéder à Jouvet ! Même s’il se plante, le défi mérite notre admiration, encore qu’un médecin noir aujourd’hui est accepté. Il y aura au moins de quoi réfléchir. A condition que le texte soit le même.

Quand tu refuses le paradoxe du comédien, tu admets implicitement que celle qui joue une salope EST une salope, y compris dans la vie. Hop ! Au lit !! Tout le monde oublie que « jouer », c’est un travail, qui passe par des écoles, par un apprentissage. A l’occasion de la mort de Rochefort, on a fait semblant de découvrir que nos meilleurs acteurs étaient passés par le Conservatoire. On a fait semblant de découvrir que, sauf pour jouer un chauffeur de taxi débile, il était nécessaire d’apprendre et de travailler. Même Depardieu qui n’a pas été l’élève du Conservatoire mais qui a appris sont métier avec Jean-Laurent Cochet. Faut bien ça pour qu’un quintal puisse murmurer « un point rose sur l’i du verbe aimer » en te donnant envie de pleurer.

Un terme de théâtre parle de contre-emploi qui est en fait la seule définition possible du métier de comédien. Quand tu es un con, jouer un con est facile. On le voit tous les jours. Mais, mééééh le public. Le public étant une agrégation de cons n’ira pas voir un Depardieu vieillissant jouer Rodrigue. Ouah, c’est pas de son âge. Moi, ce qui m’intéresse, c’est ça…Comment  l’acteur va me faire oublier qu’il n’a pas, dans la vraie vie, l’âge, ou la sveltesse, ou l ‘énergie du personnage. Mais comment je ne vais pas m’en apercevoir sur la scène ou à l’écran. Comment il joue, en fait. Comment il fait son boulot.

Mais voilà, je sais que c’est un boulot, que le texte est le même depuis trois siècles et qu’on ne cause plus comme ça. J’attends pas la fin, je sais comment ça finit. Je sais que Rodrigue est là car il a filé une raclée aux Musulmans. Islamophobe, va !!!

A force de filer à son public un brouet nauséabond, le Harvey, il a fini par y croire….Il a mélangé le vrai et le vraisemblable. C’est ça qui est un délit, pas de sortir sa queue. Il a contribué à détruire l’un des plus beaux métiers du monde. Avec plein de complices, dont les directeurs de casting. (profession qui n’existait pas au temps de Renoir ou Murnau). Quand tu es face à un texte, ce qui compte ce n’est pas qui représente ce texte, mais qui peut le dire. Même sans parler. Un mouvement de sourcils suffit parfois.

Faut dire que le texte, à Hollywood….

On en reparlera

Ps 1 : qui peut croire  qu'on passe une audition dans une chambre d'hôtel ? Tu vois Barrault ou Vilar faire ça ? Sans parler de Stanislavski. La nana qui va dans une chambre chercher du boulot, elle est certaine de trouver un boulot en rapport avec le lieu. Mais quelle nous la joue pas tapine-la-vertu



vendredi 13 octobre 2017

PIZZA A L'HEURE DE LA SIESTE

Je parlais un jour avec Lao Pierre de l’obsession chinoise pour la bouffe. Il m’a alors expliqué que c’était un tropisme de peuple pauvre. Les Chinois ne mangent pas tout le temps. Ils mangent quand ils ont à manger. Parce qu’on sait ce qu’on a et jamais ce qu’on aura.. Pierre m’avait dit, à peu près : « Regarde le juge Ti, il ne mange pas tout le temps. Il mange aux heures des repas, avec ses femmes, dans son yamen. »

Et on avait continué à gloser sur le sujet. Et sur les raviolis de chair humaine de la littérature classique.

J’y ai repensé voici quelques jours. En milieu d’après-midi, sur un trottoir métropolitain, une bande de zivas partageait des pizzas. Je me suis demandé s’ils avaient faim ou s’ils profitaient d’un « effet d’aubaine ». Comme les Chinois, on mange parce qu’il y a à manger.

Le riche ne fonctionne pas comme ça. Il planifie ses repas parce qu’il peut le faire : la table sera mise. C’est un marqueur de l’aisance, pour les peuples comme pour les familles. On n’a que l’heure à  décider, l’abondance est assurée. En fait, le riche, le vrai, c’est celui qui mange à  heures fixes. On devrait y penser plus souvent.

Il est vrai que la paupérisation de certaines couches sociales s’est accompagnée de cette conquête magnifique : la liberté de manger sans contraintes. Bien entendu, la bouffe disponible à toute heure est la plus facilement disponible, la moins chère. La pas bonne, en fait, celle qui rend obèse. Mais les conditions d’absorption sont elles innocentes ? Ne faudrait il pas des horaires, des règles, des heures d’attente ? Malheureusement les spécialistes de la molécule sont aux abonnés absents.

Bon, je vais pas vous la faire « perte du lien familial » voire du lien social. Parce que ce serait pas vrai. Les mômes, ils fabriquent du lien, sans voir que ça les coupe des liens utiles.. Parce que si tu as faim au moment de l’entretien d’embauche….. Y’en a d’autres, remarque.. Je me souviens d’un jeune homme de nationalité française et d’origine indéterminée qui a failli me casser la gueule parce que je lui expliquais que malgré son beau diplôme de libraire, l’accent qu’il se trainait lui interdisait de facto tout accès à cette noble profession.. Clairement, je ne voulais pas qu’il parle à mes clients avec l’accent qui ravissait ses copains. « Mais je parle français » qu’il me disait. Ben non. Quand tu ne maitrises pas la musique d’une langue, tu ne la parles pas. C’est un code commun qui doit fonctionner partout. Sauf que « partout », pour lui, ça voulait surtout dire dans son quartier. C’est là que tu vois que c’est mort. Quand les mômes n’imaginent pas autre chose que leur univers. « Vous voulez que je parle comme à la télé ? »..Non, je veux mieux, plus de vocabulaire, plus de nuances, plus d’états de langue.. La télé, c’est une langue de pauvres. Là, j’étais classé « méprisant ». Fin de partie.

Les marqueurs sociaux, c’est ça. Pas la peine de faire des statistiques à la con ou des tests grammaticaux. La gamine, elle bosse, elle réussira son test. Mais tu lui confieras pas ton standard téléphonique, tous tes clients penseront que tu sous traites à une plate-forme d’appels en Tunisie. Les profs, je les entends d’ici. Je suis vieux, ringard et dépassé, on parle plus avec l’accent de Ronsard. Si. Dans plein de milieux. En général, ceux qui embauchent. Mais quand tu as toute une classe comme ça ? He bé, tu prends les meilleurs. Les autres, c’est mort. Fini. Foutu. Tu n’y es pour rien, prof perdu dans un océan d’hypocrisie. Demande à tous les journalistes vertueux et indignés s’ils prendraient tes mômes et leur accent au standard de leur canard. S’ils accepteraient que le français approximatif soit bouffé par une portion de pizza à quatre heures de l’après-midi. Que les avocats de la multiculturalité leur donnent donc des jobs à ces gosses. Pas possible. Ils ont pas le niveau.

C’est ce que je dis.


On en reparlera…

samedi 7 octobre 2017

L'ETAT EST VISÉ

Externaliser. Ça fait quelques années que c’est le credo des super gestionnaires. Externaliser, ça veut dire sous-traiter en novlangue. Mais sans le « sous » qui dévalorise.

Externaliser, c’est filer à quelqu’un d’autre, moyennant finances, un boulot qu’on peut faire soi même. En fait, c’est pas seulement une question d’argent. Ça alourdit la structure, ça oblige à travailler sur des sujets secondaires. Et donc, on en vient à des quêtions aberrantes, du style : ne peut on externaliser la sécurité de l’armée ? Rien que pour poser la question, faut être d’une connerie rare. On imagine de faire assurer la sécurité de pros formés à ça par des amateurs plus ou moins doués, mais surtout moins bien formés. On peut aussi choisir les pilotes de Formule 1 chez les chauffeurs d’Uber.

En fait, ce qui est inquiétant, c’est de filer à des amateurs, les missions régaliennes qui ne devraient en aucun cas être objets de lucre. Tiens, un exemple. Depuis un moment (j’ai pas trouvé quand, ce serait éclairant), depuis un moment donc, le Ministère de Affaires Etrangères a externalisé l’instruction des dossiers de visas. Tu vas me dire, ça existait déjà, des officines où des mecs à la coule aidaient les impétrants à mettre la bonne lettre dans la bonne case. Là, ça change de dimension. L’organisme choisi est une compagnie de droit émirati, basée à Dubai et dirigée par un Indien qui a du étudier à Oxford. Notons que la société en question, VFS Global, est une société européenne : c’est la filiale à 100% du tour-opérateur suisse Kuoni. Sur son site, elle annonce fièrement avoir aidé à l’acquisition de 155 millions de visas. Il est vrai qu’elle traite aussi les demandes britanniques et américaines.

J’imagine que le mignon PDG, si tu l’interroges sur la sécurité, te sortira de beaux PowerPoint pur t’expliquer comment tout est sous contrôle. Bon, dans le détail, il sait pas trop si le cousin de son responsable au Caire est pas un peu lié aux Frères Musulmans ou si le beau-frère du tamponneur de dossiers à l’ambassade de Pétaouchnok n’est pas un peu étranglé par un crédit et que donc… C’est que dalle 155 millions de visas, juste un paquet de Big Datas, dont tout un chacun sait que c’est maîtrisable et maîtrisé. OK, on peut pas nier que sur le tas, y’aura peut être un malintentionné qui pourra se glisser. Statistiquement, c’est peanuts. Statistiquement, ça ne change rien jusqu’au jour où le malintentionné fera péter un engin artisanal ou aidera au développement d’une filière. Moi, je me sentirai mieux protégé si l’instruction des dossiers était confiée aux services en charge de ma protection. Hé ! c’est cher ! Moins que ma vie.

Accessoirement, je remarque qu’on offre un rôle de premier plan dans le tourisme à un voyagiste suisse qui sait qui veut aller où et peut donc analyser mieux que quiconque les flux. Par rapport aux petits bras français, y’a comme une distorsion de concurrence.

Et donc, je pose la question : est il bien raisonnable d’affirmer que tout est fait pour nous protéger des flux quand on confie à un mercenaire les clés de la porte ? Bien sûr, on allège le travail des personnels en poste, bien sûr on évite d’avoir à alourdir la masse salariale d’un Ministère. Mais gérer les entrées dans le pays, est ce un coût mesurable ? Et doit on le mesurer exclusivement en termes monétaires ?

C’est que tout est défait. Schengen permet de contourner tous les systèmes nationaux, lesquels ont par ailleurs été mis à l‘encan. Toute garantie qui nous sera donnée ne sera que bouillie de mots face au tissu troué du réel. Ce que je ne comprends pas, c’est que les spécialistes ne disent rien.

Les journalistes ? Soit ils ne savent pas et n’ont pas compris le système et ses failles, soit…. Restons polis.

En tous cas, inutile de commander un voyage à Kuoni. Leur avenir est assuré.


On en reparlera…

jeudi 5 octobre 2017

LES DONNEES PAS DONNEES

Il s’appelle Harari et il est historien. Il a fait un carton avec son livre Sapiens, une brève histoire de l‘humanité. Ecrire une histoire pour un historien, ça semble normal. Il a décidé de la faire commencer quand nous sommes apparus, nous Homo Sapiens. C’est gonflé vu que nous ne sommes qu’un produit. C’est comme dire que l’Europe commence avec la féodalité. Bon, ça a plu. Les lecteurs aiment bien qu’il y ait un point de départ identifiable.

Et donc, Harari va plus loin. L’historien se transforme en voyante pour nous dévoiler notre futur. Et il en oublie l’Histoire. Il regarde, soigneusement je présume, et les graines qu’il voit dans notre société, c’est le monde des Big Datas et des algorithmes. L’historien se précipite dans la doxa et oublie sa discipline. Les Big Datas sont une construction non intellectuelle, l’idée selon laquelle le savoir passe par l ‘accumulation des données. On entasse, on entasse, puis on cherche à analyser. Comment ? Aujourd’hui, c’est encore par la quantification des occurrences. Et pour ça, faut des algorithmes. D’où l’idée, un peu benête que les futurs maitres du monde seront les constructeurs d’algorithmes et leurs employeurs.

J’ai envie de dire à Noé Harari : c’est comme ça que marche l’Histoire ? Il faut beaucoup de données pour l’écrire ? C’est vrai que Duby a expliqué un jour la chance des médiévistes qui pouvaient bâtir une carrière sur un seul document. Mais l’accumulation a t’elle une valeur épistémologique ? Et surtout, les historiens utilisent ils les données sans une critique préalable ? Accumuler des données non pertinentes, est ce chercher du sens ?

Obsédé par sa logique quantitative, le capitalisme ne sait pas en sortir et croit, dur comme fer, qu’il faut accumuler quelque chose (en l’occurrence des données dont personne ne sait exactement ce que c’est) pour progresser. Et donc, on accumule, on construit d’immenses bunkers aux noms poétiques (informatique en nuage), sans voir que l’accumulation est sans fin et rendra l’analyse impossible, même avec des algorithmes. C’est une course sans espoir où les plus gros, conduits à des investissements de plus en plus lourds et de moins en moins pertinents, se casseront les dents.

Prenons un exemple simple. Voici quelques années un spécialiste du tourisme, statisticien de haut vol (vraiment) m’affirme avoir travaillé une pleine semaine pour identifier les destinations qui marcheront dans les vingt ans qui viennent. Et donc, en dix minutes sur un coin de table, j’ai fait ma propre liste basée sur mon expérience, ce qui se vend depuis vingt ans. Toutes choses égales par ailleurs, on avait les mêmes noms. Ceci n’a aucun intérêt. J’ai donc cherché un fil conducteur et j’ai remarqué que beaucoup de ces lieux étaient des paysages du grès. De l’ouest américain au Hoggar, en passant par le Rajasthan ou la Haute-Egypte, le grès escorte les touristes. Il est suivi de près par les roches métamorphiques (la Corse, par exemple) et mon classement mettait en dernière place les paysages du secondaire rabotés par les glaciers. Ça vaut ce que ça vaut, mais ça marche et c’est plus rigolo à faire que se palucher des tableaux Excel.

A partir de là, on peut se demander pourquoi d’autres formations géologiques ont un succès différent, identifier les oiseaux comme élément déterminant dans le succès des marécages, ou les parois calcaires dans le tourisme d’aventure. Bref, construire une sémiotique qui dira que l’amateur de grès rose d’Alsace sera content de le retrouver en Navarre, par exemple. Mais c’est plus compliqué à faire que de compter les vues obtenues par une page pour la catégorie des mâles de plus de cinquante ans.

Harari embauche les neurosciences dans son analyse. Et il est exact que le peu qu’on sait du fonctionnement cérébral laisse à penser que la masse de données va être énorme. Sauf que…Lorsqu’un grand savant comme Changeux travaille sur le cerveau, il commence par cibler les gens qui utilisent leur cerveau. Pas les informaticiens, ni les financiers. Les peintres, les écrivains, ceux qui créent, ceux qui n’ont que faire d’un algorithme. Et il obtient des résultats intéressants, voir Raison et Plaisir.

Mais c’est vrai que Changeux est chiant. Il donne une importance forte à la mémoire et à l’expérience. C’est la prime aux vieux et ça, ça ne marche qu’en Asie. Ce qui serait une bonne raison d’accorder encore plus de place à sa réflexion vu les résultats obtenus par les sociétés et les pays d’Asie. Mais c’est vrai aussi que les Big Datas, c’est nouveau, c’est moderne, c’est valorisant, ça n’a que faire de l’expérience dont le seul rôle pourrait être de nier leur pertinence qui rend pertinents les salaires qui vont avec.

Harari nous dit que le monde va se complexifier en simplifiant et automatisant la pensée. Lui, l’historien, ne voit pas que l’automatisation, c’est la négation de la pensée tout autant que la simplification. Que de ces processus, il ne peut advenir que des dépenses sans fond et un gain insignifiant. Et qu’il s’agit d’un sujet littéraire : on pouvait penser que le capitalisme scierait la branche qui le supporte alors qu’il bâtit le mur sur lequel il va se fracasser. C’est à une analyse métaphorique qu’il faut se livrer.

Mais, dans tous les cas, ça va faire mal.

On en reparlera…


lundi 2 octobre 2017

ANDALOUSIE ET RESTE DU MONDE

J’ai longtemps eu un gout profond pour le flamenco ce qui m’a entraîné à fréquenter des gens fréquentables et des lieux qui l’étaient moins, avec ceci d’amusant que les premiers hantaient les seconds.

Et puis, la vie se déroule, on quitte les territoires où s’épanouit le chant profond (d’où on déduit assez vte qu’il y a des terres flamencas et d’autres pas), le tout avec quelques regrets et des sursauts comparables à ceux d’un mourant. Au point de se trouver un ami d’enfance rencontré à cinquante ans à l’ombre de la gare de l’Est et de décider, entre deux finos de le choisir comme professeur de flamenco. Jusqu’u jour où l’on entend cette phrase profonde : « Ramon, dans le flamenco, c’est la femme qui séduit l’homme. L’homme n’a rien à faire et c’est là que tu es très bon » On est restés longtemps en bons termes, à partager quelques douceurs à base de cochon et de jus de la vigne que je rapportais du sud. On partageait le même goût pour les vins de barbadillo, mais pour un natif de Sanlucar de Barrameda, c’est normal.

Et donc, quand on m’a proposé de renouer les fils de mon passé en allant voir un spectacle contemporain, j‘ai acquiescé des deux pieds malgré quelques réticences. Je savais que je serai loin des tablao que j’aimais, pas trop grands, bien sombres, bien enfumés où flottent les subtiles odeurs mêlées de la sueur, du tabac des puros, du patchouli indispensable aux danses de séduction, de la gomina qui tient le cheveu mâle en ordre parfait, de la manzanilla qui s’évapore et du cajarillo qui refroidit sur un coin de table. Ça, je le savais. Mais je ne savais pas tout.

Le flamenco a été vérolé par le syndrome Jack Lang. C’est une maladie ancienne mais amenée à son pinacle par l‘individu sus-nommé lequel, ne pouvant décréter l’égalité entre les hommes a décidé de décréter l’égalité entre les actes culturels. En vertu de quoi, un tag sur un train de banlieue vaut le plafond de la Sixtine. Et un frappeur de djembé rejoint Haydn au paradis des musiciens. Manière de valoriser les amateurs tellement plus nombreux que les autres. Quand tu cherches l’élection, tout est bon à prendre.

La manière la plus simple de procéder est de débarbouiller l’impétrant de ses codes anciens pour le déguiser avec des codes plus larges. En plus clair, de faire disparaître les vieux stéréotypes et de les remplacer par des nouveaux. Les vieux stéréotypes correspondent souvent à un savoir daté et localisé, les nouveaux n’expriment qu’un état du savoir, actuel, c’est à dire mondialisé. Dans le cas qui nous occupe, on dégage les jupes à volants, les bustiers serrés et parfois trop serrés, les chignons bien huilés et les fleurs à l’oreille, même celles en plastique. Tout ceci qui sentait l’Andalousie de Bizet et Pierre Louys disparaît.
En lieu et place, une femme en justaucorps noir sur une scène mal éclairée, le noir étant, pour tous les imbéciles, le parangon du « chic ». Ce qui permet aux journalistes culturels de s’épancher sur le « dépouillement d’un flamenco revisité ». Le justaucorps, c’est moderne, ça a remplacé le tutu avec Béjart et Prelocaj, ça peut bien remplacer la robe à volants qui sent furieusement le Rocio. Ben non, le mouvement n’est pas le même. On perd le coup de reins qui envoyait la robe en girandole autour des hanches, les mains ont du mal à se placer et ne viennent plus attraper l’ourlet pour dévoiler la cheville, le tissus ne vient plus accentuer la position de la cuisse, les détails sont innombrables qui font qu’une femme en robe n’est pas une femme en justaucorps. Et, par voie de conséquence, que la monstration du corps qui est l’essence de la danse ne sera pas identique.

S’étant débarrassé de tous ces détails, il ne reste plus à la danseuse que le rythme de ses pieds et le claquement de ses talons. D’emblée, j’ai eu le souvenir de Natcho Duarte traversant de la sorte une scène madrilène voici vingt ou trente ans. J’avais songé à un numéro de claquettes sans Oncle Tom. La taconeada, c’est bien pour rythmer une danse, pas pour la remplacer. Je n’ai pas eu longtemps à attendre, l’Oncle Tom s’est invité sous forme d’un saxophone qui ne devait rien à Coltrane, ni au Byrd.

J’ai appris ensuite, de quelques copains plus modernes que moi, que j’avais une conception paléolithique du flamenco et que j’avais assisté à l’emblématique spectacle d’une reine du « nouveau flamenco » à laquelle nous devions aussi les textes pseudo-poétiques qui emballaient la chose. J’en veux à l’organisateur de ne pas avoir précisé l’adjectif, le vieux misonéiste que je suis se serait méfié. Je suis allé voir Wikipedia qui fait remonter le nouveau flamenco à Paco de Lucia. J’ai ainsi appris que le nouveau flamenco était « une musique universelle et fédératrice et non plus uniquement réservé à un public initié ». Et puis le nouveau flamenco « s’est définitivement séparé du flamenco virtuose. Ça, je m’en étais un peu aperçu.

Et donc le nouveau flamenco, c’est à la portée de tout un chacun, même des bergers peuls puisqu’on peut y adjoindre de la kora. Le must restant l’approche originale que nous devons (devons ?) à l’apport du hip hop. Bref, le nouveau flamenco est aussi espagnol que l’auberge, on peut y coller de tout dès lors que ça élargit le marché et balance dans un cul de basse-fosse cette horreur des temps nouveaux : l’initié. Moi, je me sens pas initié. Y’a des trucs que je sais, d’autres qui restent à apprendre. Il me faudra encore du temps mais pour ça, j’ai mes copains, surtout gitans. Eux, ils sont comme moi. Pas toujours fringués tip-top, parfois embrumés de vins du Calife, le geste tranquille de Curro Romero templant un toro de Domecq. Pas présentables pour tout dire. Voleurs de poules. Ceux qui disent ça sont les salopiots « tendance » qui n’ont aucune poule à voler, mais pour se rassurer, ils ont volé le flamenco à mes copains, au cas où….Par anticipation.

Alors, entre non-initiés, on commentera jusqu’au bout de la nuit, telle figure de La Truca, en laissant l’oncle Cayetano grommeler que, de son temps....Je me sentirai moderne, alors. Pas nouveau, faut pas exagérer…Seulement moderne. C’est bien assez d’être du siècle de Jack Lang, on peut pas rêver d’être post-langien. Objectif impossible.

On en reparlera….