lundi 26 septembre 2011

PENSER ET DANSER

Comme je l’interviewais pour ACI-TV, le chanteur Tiwony m’a dit sur le mode de la confidence « Une chanson, c’est fait pour penser et danser ».

Je passe sur l’allitération bien qu’elle soit superbe. J’avais un peu oublié cette vérité première. Une chanson, c’est pas fait seulement pour distraire. Et ça m’était rappelé par un chanteur de reggae, avec tout le look du reggae, les locks et le drapeau jamaïcain. Nous venions de regarder un de ses clips. Et je me suis aperçu que mon regard était complètement faussé. J’avais juste perçu le rythme, les mouvements de la caméra et l’iconographie africano-antillaise. Tout ceci m’avait laissé assez indifférent, j’avais juste capté quelques phrases en hommage à l’Afrique et j’avais rebondi banalement dessus.

Et dès la première réponse, Tiwony me parle de Frantz Fanon. Fanon, ça me va. Il faisait partie des lectures de mes 20 ans. Les Damnés de la Terre est un grand livre. Alors, j’ai suivi celui que je prenais pour un gentil rigolo fumeur de ganja. Et tout naturellement, nous en sommes venus à Malcolm X, à LeroiJones et à Angela Davis. Petit à petit, l’interview a pris du corps, de la consistance. Nous n’étions plus du tout dans la variété, le marché du disque et l’actualité du spectacle. Le batteur d’estrade me parlait de ses lectures, de ses analyses, de son histoire, de son désir de changer le monde.

Une chanson, c’est paroles et musique. Et Tiwony m’expliquait avec sa voix douce que je ferais mieux d’écouter les paroles. Il me disait que, depuis mes 20 ans, le monde n’avait pas changé et que mes révoltes anciennes étaient toujours d’actualité. Seule l’expression avait changé. Le fond était le même. Les problèmes restaient terriblement vivants. Tout simplement, on les pose désormais en musique. Et par les paroles, je me retrouvais lié à un musicien dont la musique me laissait indifférent. Tranquillement, Tiwony effaçait une distance que j’avais créée moi-même. J’étais arrivé avec mes certitudes, mes stéréotypes, mes idées reçues. Et j’avais tout faux parce que j’absorbais sans écouter alors que j’avais en face de moi un jeune mec qui partageait mes idées. Je m’étais fait baiser par la forme.

C’est vexant. Vexant et enrichissant. Je suis peut-être devenu un vieux con qui s’accroche au premier degré. Je suis sûrement resté un jeune con qui voit dans le livre l’arme suprême. Sauf que Tiwony, avec ses disques d’or, il fait passer le message à beaucoup plus de gens que Fanon. D’accord, le message est moins construit, plus brutal, il est dans l’affect. Mais il passe. Il ne fait pas dans la dentelle. Encore que les rastas, ils ont une envie de spiritualité que tu trouves pas nécessairement dans le rap. Le rap, c’est carrément violent même si ça dit la même chose.

Parce que j’interviewe aussi des rappeurs. J’écoute leurs clips. Je vois des jeunes mecs qui appellent à la révolte. Je vois, je ne lis pas. Et comme je ne lis pas, je perds la filiation. Je perds le lien entre ces jeunes types des quartiers et les lectures de mes vingt ans : Marx, Bakounine, Kropotkine. Le sujet est le même, l’oppression, l’inégalité, la violence sociale. Seule diffère l’expression. Je m’accroche à « danser » et j’oublie « penser ». Et au risque de heurter, je ne m’aperçois pas que le message de Da Phoenix, c’est, à peu de choses près, celui de Jean Ferrat. Avec des mots et un rythme différents.

Les rappeurs me fascinent. Ils parlent d’une voix douce, posée, loin, très loin de leur musique. Ils adorent leur mère, ils pensent à leurs gosses, ils évoquent leurs copains. Prends Poison Gangsta. Rien que le nom, tu attends le gibier de potence. Pas du tout. Ce mec est une boule d’amour. Quand il parle de sa mère, il te foutrait les larmes aux yeux. Et Da Phoenix, il va à l‘église le dimanche.

Les jeunes Blacks qui font peur à la droite populaire, c’est les fils de Guy Debord. Ils ont spectacularisé l’expression, si j’ose dire. D’abord parce qu’ils ont pas le choix. Vu leur parcours scolaire, tu peux pas t’attendre à ce qu’ils écrivent des thèses. Vu la société dans laquelle ils vivent, ils ne peuvent exister que par la médiatisation. En même temps, ils sont récupérés par le système parce qu’ils représentent un marché. Les sociétés capitalistes comme la FNAC adorent le fric généré par la révolte des rappeurs.

Ils ont une vraie conscience politique. Le pouvoir est une réalité pour eux. Une réalité d’oppression quotidienne. Ils luttent avec leurs armes qui manquent de sophistication. Mais Jules Bonnot n’était pas non plus un mec très sophistiqué et j’aime Bonnot.

Ceci dit, leur révolte n’ira pas très loin parce qu’ils sont ghettoïsés. La société du spectacle les a déjà enfermés dans une case, musique black pour les Blacks. Singulariser quelqu’un, c’est lui dénier le droit à l’universalité. Diviser pour régner, encore et toujours. Opposer le prolétariat noir au prolétariat blanc. Créer les conditions de la division et de l’opposition. C’est toujours le même mécanisme, toujours le même fonctionnement.

On n’a pas fini d’en reparler…..

Merci à Tiwony.

lundi 19 septembre 2011

LES MARCHES

Faut pas se gourer : ils sont plusieurs. LE marché, c’est pas LES marchés. Or, nous dit-on, il faut rassurer LES marchés.

Mission impossible. Car les marchés n’ont pas d’intérêts convergents. Et même dans la plupart des cas, ils ont des intérêts divergents. Prends le marché de la dette : son intérêt, c’est que la dette soit fiable, sécurisée, payée. Dame, t’as prêté aux Grecs, t’aimerais bien qu’ils te remboursent, intérêt et principal.

Comme t’as la trouille, tu vas t’adresser au marché dérivé. Lui, il va te vendre des assurances au cas où les Grecs pourraient pas te payer. Son intérêt à lui, c’est que les Grecs payent pas. Plus ils sont fragiles, plus les dérivés valent cher. T’as compris ? Quelle que soit les décisions politiques, y’a une partie des marchés qui va dérouiller. Et donc, les masses qui composent cette partie vont aller ailleurs. Elles vont aller déséquilibrer autre chose.

Le marché des actions, c’est du kif. Tu prévois la récession. Là, t’as pas besoin de boule de cristal. Donc, tu vas vendre les actions qui seront affectées en premier lieu. Les sociétés automobiles vu que quand le pognon manque la bagnole dérouille. Mais quand t’as vendu ces actions, t’as du fric. Alors t’achètes autre chose. Des matières premières, par exemple. Pas du pétrole. Vu que t’as vendu Peugeot, tu penses (à tort) que le pétrole va être affecté. Donc t’achètes de l’or, ou du maïs. Et ce faisant, tu déséquilibres deux marchés, un qui baisse, un qui croît.

Les marchés sont irrationnels. Parce qu’ils sont religieux. Et comme toutes les religions, ils ont un dogme : l’économie américaine est la plus puissante économie du monde. Ho ! ça tu peux pas le nier quand même. Non. Je peux pas le nier.

Remarque, quand j’étais petit, j’aurais pas nié qu’Anquetil était le meilleur cycliste du monde. Après, j’ai écouté Dylan : the times they are changin’. Il y a une histoire du monde. Il y a cent ans, les USA n’étaient pas la première économie du monde. C’était juste le pays qui possédait le plus de biens physiocratiques à exploiter, avec la population et l’énergie qui vont avec. Plein d’habitants, du territoire, des matières premières. Comme la Chine aujourd’hui.

Les économistes manquent d’adverbes. La réalité, c’est que les USA sont ENCORE la première économie mondiale, comme Federer, il y a trois ans, était ENCORE le meilleur joueur du monde. Et ce qui se passe en ce moment, c’est seulement la prise en compte de l’adverbe. Les « marchés » se posent la question de l’ENCORE.

Toutes les analyses, toutes les corrélations, tous les systèmes statistiques sont basés sur la prééminence américaine. On décide en fonction de ce qui se passe à Philadelphie alors que Philadelphie est une ville morte. Et on n’a aucun système de remplacement. On pourrait imaginer de se baser sur le prix de l’immobilier à Chengdu ou sur les indices de la consommation de l’Université du Guangdong afin de préparer la transition vers l’époque où les USA ne seront plus la première économie du monde. Seulement voilà : l’appareil statistique chinois a la fiabilité d’un Viagra contrefait. Et donc, les magnifiques mathématiciens qui gèrent les marchés, ils sont totalement paumés. En attendant, ils continuent d’utiliser des modèles obsolètes. C’est mieux que rien. Voire…

L’Amérique a des soucis, l’Amérique est le premier consommateur de pétrole du monde, et donc il ne faut pas compter sur le pétrole. C’est la leçon du passé, la leçon du temps où Detroit régnait sur l’automobile et où Pittsburgh était une ville industrielle. Les Chinois se marrent. Eux, du pétrole, ils en ont besoin pour grandir. Moins il est cher, mieux c’est pour eux. Ils investissent partout où ils peuvent pour se sécuriser l’approvisionnement. Si les marchés occidentaux massacrent les valeurs du pétrole, ils vont pouvoir investir et se mettre à l’abri. Eux, ils savent qu’un bon tiers de la population chinoise va avoir accès à la bagnole dans les dix ans qui viennent. Pas la peine d’avoir une auto si tu peux pas remplir le réservoir, pas vrai ? Remarque, peut-être que l’auto elle sera électrique. Ils ont pas de pétrole, mais ils ont du lithium.

Dans les marchés, il y a le marché des devises. Celui-là, je l’adore. Il se prend vachement au sérieux mais la devise de la seconde économie mondiale n’y joue qu’un rôle mineur. Tu peux jouer contre le dollar ou l’euro ou le yen. Tu peux pas jouer contre le yuan. Tu peux pas jouer avec non plus. Le yuan, il bouge pas, sauf quand Hu Jin Tao le décide. Le marché des devises, il vaut pas tripette comme indicateur.

En ce moment les marchés actent la fin d’un monde. Ou le début de la fin. Les choses ne viennent pas comme ça. Il a fallu quelques millions d’années pour que les dinosaures disparaissent. Nous, on le voit dans le brutal, l’immédiat. La Révolution française, c’est le 14 juillet. Rien avant, rien après. C’est pas comme ça que ça marche. Les dinosaures, ils ont pas disparu en un jour, ni même en un an, mais en une bonne dizaine de millions d’années. Suffit de relire les bons auteurs pour comprendre.

C’est vrai qu’un jour, un statisticien nous sortira la statistique selon laquelle les USA ne sont plus la première économie mondiale. Ce jour-là, plein de gens feront semblant de découvrir ce que tous les observateurs savent. Ce jour-là, les marchés ne basculeront pas. Ils finiront de basculer. Ils complèteront une évolution commencée voici près de 30 ans. Une évolution erratique parce qu’on n’a pas vraiment de comparateur. On n’a pas d’appareil statistique hyper-sophistiqué. Pourtant, on le sait bien qu’à un moment historique (un moment historique, ça veut dire 20 ou 30 ans), le poids économique est passé d’un côté à l’autre de l’Atlantique. La vérité, c’est qu’on sait pas bien comment. On incrimine la guerre, l’Europe exsangue, les USA au top. Mouais. On oublie le coup de bonneteau du Plan Marshall, les USA finançant la reconstruction européenne et faisant croire à l’Europe, Grande-Bretagne en tête, que les colonies ne servaient à rien. On a largué tout ce qu’on avait, les kilomètres carrés, les ressources minières pour utiliser les kilomètres carrés et les ressources minières du grand allié. On a même largué nos idées et nos avancées technologiques : qui se souvient de JJSS sacrifiant le Concorde sur l’autel des intérêts de Boeing ?

C’est juste mon analyse. Elle n’est sous-tendue par aucun appareil statistique. Elle ne vaut donc rien. Je constate simplement que depuis trente ans, les Chinois ont refait le coup. T’as pas besoin d’usines, t’as qu’à utiliser les nôtres. C’est ce que disaient les Américains : t’as pas besoin d’avions, t’as qu’à acheter nos Boeing. T’as pas besoin d’ordinateurs, t’as qu’à acheter les nôtres. Nous, on avait le Vieux Général, ancré dans ses certitudes qui disait : «Moi, j’ai pas besoin de toi ». Je crois que s’il avait vécu, il aurait dit pareil aux Chinois. Mais, il était avec eux ! Il y a 40 ans, oui. Parce qu’il avait besoin d’eux pour conserver l’équilibre. Ses successeurs ont laissé se rompre tous les équilibres.

Alors, « les marchés » actent. Au coup par coup vu qu’ils ne fonctionnent qu’au coup par coup. Si, demain, les Chinois décident de laisser convertir le yuan, ils vont se précipiter sur le yuan comme ils se sont précipités sur le dollar. Et le mouvement s’accélérera. Peut-être qu’alors, on aura des fadas de la civilisation chinoise comme on a eu des fadas de la civilisation américaine. Y’a toujours des gonzes pour admirer le premier de la classe. Je rigole : on aura pas plus de fadas de la Chine qu’on en a déjà. Pour deux raisons : la langue est complexe et la civilisation ancienne. Pour comprendre la Chine, faut bosser. Pour comprendre les USA, faut moins bosser, y’a une quinzaine de siècles en moins. Suffit de gratouiller une Fender en arborant des Converses. Et c’est plus facile de faire un hamburger qu’un ragoût de langues de canards.

C’est super : on assiste à un basculement de civilisation et on a tous les éléments pour le comprendre. On va dérouiller, remarque. On dérouille déjà, mais c’est rien à coté de ce qui nous attend. Pas la peine de regarder les marchés : ils sont paumés. Ils sont gérés par de jeunes mecs imbibés d’idéologie libérale et qui ne vivent que dans le présent. De jeunes mecs qui ne comprennent pas pourquoi leurs repères sont brouillés et qui ne se posent pas la question de la validité de ces repères.

Autrefois, les vieux cons disaient : « Il leur faudrait une bonne guerre ». On est en plein dedans mais on n’a pas encore compris que c’était la guerre. Quand on le saura ? Quand on aura perdu ? Non. Quand les marchés auront perdu.

On en reparlera…

mercredi 14 septembre 2011

LE TIERS ET LE TERTIAIRE

Celle-là, ça fait bien cinquante ans qu’on l’entend : une société « moderne » est une société basée sur le secteur tertiaire. Le progrès, c’est les services. L’évolution est belle comme une fresque stalinienne. Au début, quasiment au néolithique, c’est le secteur primaire qui domine. Dame, faut bouffer. A n’importe quel prix. Si vous n’avez rien de mieux à faire, relisez La Bruyère sur le sujet.

Après, on progresse. L’Homme se redresse. Le secondaire domine. La production industrielle, les marchandises, c’est le monde des pue-la-sueur, le monde du prolétariat. Là, on rigole moins. C’est aussi le monde des syndicats et de la lutte des classes. Le vocabulaire s’adapte et la jacquerie devient révolution. Bon, faut en passer par là, c’est l’étape de l’accumulation primitive de capital. On réprime comme on peut, mais tous ces mecs qui veulent sans cesse plus, ça fatigue le dirigeant.

Et donc, la troisième étape, celle des lendemains qui chantent et du bonheur par la consommation, c’est l’étape des services. Que des mecs bien élevés, des qui ont pas le marteau à portée de main pour t’en filer un coup sur la gargoulette, des qui sentent l’after-shave et qui bossent pour se payer l’after-shave. Des qui disent « merci, patron » et « d’accord, patron » parce que tu leur as fait croire qu’ils ont le profil pour devenir patron. Suffit qu’ils obéissent et qu’ils soient bien élevés. C’est le bonheur, Jean-Pierre Pernaut sourit, Benabar bouffe des pizzas et le PSG arrive à battre une équipe d’amateurs luxembourgeois.

Y’a quand même un hic. Le service, ça produit rien. Le restaurateur, il te rend le service de te faire à bouffer mais il faut quand même un plouc pour produire ce qui va remplir l’assiette. C’est trivial, mais c’est comme ça. Pas grave, on sous-traite, on externalise, on délocalise.

Joli modèle mais pas très réaliste. Le monde a plus besoin de papier-cul que d’idées. Y’a pas beaucoup de gens qui pensent mais tout le monde défèque. C’est bien de se débarrasser des contraintes matérielles, mais le retour du boomerang n’est jamais loin. Et puis, si t’as des problèmes de transit, tu réfléchis moins bien. On devrait s’intéresser à la production intellectuelle du constipé.

On y est. Faut relancer la croissance. Faut recréer de l’emploi. Ouais. Dans les services ? Ben oui, faut des consultants, des gens qui pensent à comment on va recréer de l’emploi. De toutes façons, on peut pas recréer de l’emploi dans l’agriculture, on a quasiment plus d’agriculture et ce qui reste ça rapporte rien. Bon. L’industrie, alors ? Ben non, on a quasiment plus d’industrie et ce qui reste, faut savoir que ça coûte par rapport aux usines slovaques ou indiennes. Et donc, plaf ! on a pas le choix : faut recréer de l’emploi dans les services. Le commerce, par exemple. Ben oui, mais si on a pas les sous pour acheter les produits aux bridés, les commerçants, ils ont rien à vendre. Non ? Moi, je me marre. Je suis dans le dernier commerce où on vend du « Imprimé en France ». De moins en moins faut dire, là aussi, le Chinois fait son trou. Ou le Slovène. Très fort le Slovène, il imprime comme un Allemand et tu le payes comme un Bulgare.

Bon. Pour que le commerçant vende, que le publicitaire torche de la réclame, que le banquier agiote et que l’avocat prépare des compromis, il faut donc aller acheter des produits ailleurs. Et pour ça, faut des sous. Ça pose problème si on veut pas se creuser la dette souveraine. Imagine que le Chinois, il re-évalue son yuan. Tu vas faire la gueule, je te le dis, surtout si, entretemps, Lenovo a racheté HP.

Mais alors qu’est ce qu’on peut faire ? Faut pas être pessimiste, y’a des secteurs qu’on a pas délocalisé parce qu’on pouvait pas. Le bâtiment, par exemple. Je suis d’accord, ça sent son New Deal mais le bâtiment, ça reste jouable. A condition que les banques prêtent le pognon qu’elles ont pas investi en Grèce. Et puis le bâtiment, c’est vachement politique, rien qu’à cause des logements sociaux. Une vraie politique immobilière, ça pourrait être efficace. Je suis bien tranquille, c’est une voie qui sera pas explorée. C’est pour ça que je la dessine.

Y’a d’autres voies, remarque. La distribution, par exemple. Le plouc de base, quand Carrauchan le paye pas assez, il vient à Paris et il vend pas cher ses légumes. Les citadins se précipitent. Génial : y’en a un qui gagne plus et l’autre qui dépense moins. Après quoi, chacun rentre chez lui. C’est con.

Tu peux imaginer que les coopératives qui collectent les produits du plouc de base vont créer des magasins à elles, avec des façades bleu-blanc-rouge. Légumes de chez nous. Locavores à fond. Pas d’intermédiaire. Moins de choix, c’est sûr, mais prix plus bas. Prix obligatoirement plus bas. Pas d’intermédiaires, pas de transport et des marges faibles vu qu’on est dans le coopératif. En fait, on pérennise les opérations coup de poing. Le plouc de base vend plus cher, le citoyen paye moins cher.

Ho là ! ça sent le communisme, ton truc. Non. Ça sent juste le coopératif, la solidarité. Faut pas se leurrer : mon cousin Ricou, éleveur de Blondes d’Aquitaine, il peut vendre aussi bien que Leclerc. A l’inverse, Leclerc, il sait pas élever les Blondes d’Aquitaine. Qui c’est le meilleur ?

Le tertiaire, c’est que des gens qui t’expliquent que tu peux pas te passer d’eux. Ben, c’est pas vrai… Réfléchis un peu, tu verras. Tu verras que l’intermédiaire, il sert à rien. Juste à se gaver en gonflant artificiellement le PIB

On en reparlera…

dimanche 11 septembre 2011

NICE ET LA FRANCE

Je me marre. Ce week-end, y’a une sorte de combat des chefs à Nice entre Marine Le Pen et Christian Estrosi pour savoir qui est le plus Français des Français.

C’est vachement symbolique, je trouve. En termes historiques, Nice est quand même la dernière ville à avoir rejoint la République. En 1860, pour être précis.

Pour parler clairement, quand Nice devient française, Alger est déjà française depuis 1830. Ben oui, les Algériens, ils étaient Français avant les Niçois. Je parle même pas des Antilles. La Guadeloupe et la Martinique, elles sont françaises depuis 1635. Si, comme le disent les beaux parleurs, une Nation c’est une communauté de destins, le destin des Niçois, il est pas très vieux, communautairement parlant.

Pendant la Révolution, acte fondateur de la Nation française moderne, les Antilles lèvent et entretiennent quatre régiments. Nice nous offre Masséna, maréchal corrompu, pillard et concussionnaire, Italien et donc mercenaire. Y’a mieux comme participation au destin commun.

Quoiqu’en ait dit ce brave Dumas, Antillais et écrivain français (aussi français que Max Gallo, Niçois), c’est pas toujours terrible de violer l’Histoire. Il ajoutait « à condition de lui faire de beaux enfants ». Les enfants de Le Pen et Estrosi, je les trouve pas très beaux. Ils naissent avec la haine.

Les Niçois, ils ont un fonctionnement religieux. Dans toutes les religions, les plus prosélytes, c’est les derniers convertis. Il faut qu’ils rattrapent le temps qui leur manque. Moi, j’attends qu’un Karim quelconque rappelle à Estrosi que sa famille était française avant la sienne.

Bon, j’exagère. Alger était française mais les Algériens étaient pas Français, ils avaient le statut d’indigènes. Là, on est dans le droit stricto sensu. Ça arrange Estrosi. Mais enfin, Alger a fêté le 14 juillet avec un beau défilé militaire avant Nice, ça ne manque pas de sens, je trouve.

Faut faire gaffe avec les arguments historiques : ils peuvent te revenir à la gueule comme des boomerangs idéologiques. L’Histoire des communautés humaines est très complexe, que la communauté soit juste un couple ou une Nation. On se marie, on divorce. Après, on argumente. On choisit une date contre les autres, on met en valeur une situation contre une autre, on truque, on triche, on mélange, on se justifie, on choisit ses intérêts, on se protège, on se défend, on attaque.

Moi, personnellement, quand je vois Marine Le Pen vénérer Jeanne d’Arc, j’enrage. Cette Pucelle (déjà, j’aime pas trop), elle a envoyé Dunois reprendre Bayonne aux Anglais. Et tu sais quoi ? Quand on était Anglais, on était exonérés d’impôts. Totalement. Tu trouves que c’est une victoire, toi ? Tu trouves que c’est à fêter ? Le premier truc que fait Charles VII, c’est construire un château qui domine la ville et permet de taper sur les Bayonnais quand ils refusent les impôts. Parce qu’ils refusent dans un premier temps. Après, tu peux toujours raconter des conneries. Tu peux dire que c’est vachement bien de payer des impôts. Tu peux dire que tous les Français ont communié dans un même sens, tellement heureux de plus être Anglais. Faut y croire quand même…..

Remarque, à Bayonne on est pas les seuls. Lille, Arras sont françaises depuis Louis XIII. Perpignan depuis Louis XIV. J’ai envie d’écrire Strasbourg depuis 1918, mais là, je ferais hurler. Déjà dire que Pointe-à-Pître était française avant Perpignan….

Ce serait marrant de faire un florilège des arguments à la con. Une sorte de Dictionnaire des Idées reçues.

On en reparlera….

mercredi 7 septembre 2011

LES CONS A L’ŒUVRE

Sublime, le coup de la TVA sur les « parcs à thème ». Je sais pas vous, mais moi j’ignorais cette catégorie statistique. A priori, un parc à thème, c’est un truc où le bon peuple se précipite le week-end. Comme on dit chez moi, c’est une meusclagne. Une catégorie statistique. Mais une qui me fait bondir.

Parce qu’on y mélange tout. Une grosse fiente comme EuroDisney qui est juste un truc à recycler la merdique production de studios américains et la réserve de la Haute Touche qui, après avoir sauvé le Cerf du Père David, est en pointe sur les programmes de réintroduction de la Cistude d’Europe. Des foires à neu-neu du type de celle qui a été montée par Marcel Campion, vous savez, le gros naze qui bouzille la perspective des Champs-Elysées avec sa grande roue, des parcs Walibi, des mecs qui installent des toboggans aquatiques et de vrais bosseurs, des zoos avec des programmes de sauvegarde, des scientifiques qui bossent sur la biodiversité. Parler de parcs à thèmes en mélangeant tout ça, c’est confondre Bocuse et MacDonald ou Flaubert et Marc Lévy.

C’est pas comme ça que ça marche. Augmenter la TVA sur les entrées du zoo de Doué-la-Fontaine (par exemple), c’est mettre en danger la sauvegarde du loup à crinière argentin. Augmenter la TVA sur Eurodisney, c’est ne rien mettre en danger sauf les dividendes des actionnaires de Disney, s’il en reste. D’un côté un patrimoine commun à tous les hommes, de l’autre côté, rien.

Y’a pas eu un député pour avancer cet argument. Pas un. Pas un qui ait proposé de refaire la catégorie statistique et, par exemple, d’exonérer de TVA tous les parcs à visée scientifique avec des implications dans des programmes européens, et de filer la TVA du luxe à tous ces parcs qui ne servent à rien. Parce que, au cas où vous l’auriez oublié, le luxe, c’est ce qui ne sert à rien.

Ho ! et les emplois ? Quels emplois ? Des jobs sous-payés avec des conventions collectives léonines ? C’est un emploi de coller un costard de Mickey Mouse à un mec qui va suer comme un damné en faisant le con pour quelques misérables euro ? C’est ça l’avenir de l’emploi en France ? Tirer vers le bas, encore et toujours ?

Ça fait des années que ça dure. Des années qu’on mélange tout. Il a fallu attendre 2005 pour que les partitions de musique aient droit à la TVA réduite. Jusque là, un livre porno soft merdique était considéré comme un bien culturel et pas une partition de Brahms. OK, ça s’est arrangé. Moi, je trouve pas. Vu que je n’arrive toujours pas à considérer que les mémoires d’un basketteur soient un bien culturel.

En général, quand j’en arrive là, le mot « mépris » arrive dans la conversation. Alors que c’est juste le contraire. Une mesure qui permet à tout un chacun d’accéder au savoir à moindre coût n’est pas une mesure méprisante. A l’opposé, une mesure qui mélange le bon grain et l’ivraie et permet de faire croire que l’on accède au savoir alors qu’il n’en est rien, est une mesure trompeuse, c’est à dire méprisante. Tout simplement parce que tromper l’autre, c’est le mépriser.

Parce que, bon sang de bois, on a les moyens de discriminer. OK, discrimination, c’est pas bien. Donc, on a les moyens de diagnostiquer. C’est pareil. Dia-gnose, c’est opposer deux savoirs, étymologiquement. On a les moyens de savoir si un « parc à thème » est un instrument de connaissance ou une simple foire à neu-neu. On peut parfaitement affirmer qu’un parc aquatique n’a rien à voir avec l’écologie vu qu’un parc aquatique, au contraire d’un zoo, ne peut pas contribuer à la sauvegarde d’une espèce : on attend encore qu’un orque se reproduise dans un parc aquatique. Je parle d’espèces marines, ça va de soi.

Ouais, mais « les gens » ont pas envie de se faire chier le week-end. Ils préfèrent les toboggans à eau que la biologie du Martin de Rothschild. C’est leur droit. Tu vas pas les pénaliser pour ça ? Et pourquoi pas ? Taxer la facilité, c’est un bon plan pour favoriser l’égalité, non ? Préparer la visite d’un zoo, lire un peu pour répondre aux questions des mômes, c’est du boulot. Que ce boulot rapporte ne me gêne pas. Le mec, il veut pas s’emmerder pour le savoir de ses gosses, alors il paye. Il peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Bon, Eurodisney a gagné. Encore. Ratatouille reste un bien culturel. Faut dire qu’on a un Président qui visite plus facilement Eurodisney que le Parc de Clères. Faut dire que le Parc de Clères appartient au MNHN, c’est à dire à l’Etat, et que notre Président préfère le CAC40 que les biens nationaux. A moins qu’il ne confonde Clères et Clèves.

Nous n’avons pas les mêmes valeurs.

On en reparlera….

samedi 3 septembre 2011

AU BONHEUR DES LIVRES

Génial, l’article dans Libé sur la librairie Le Bleuet. Bien entendu, le journaliste est un peu cancre qui s’émerveille sur ce qui est, somme toute, normal. Je résume. C’est quoi Le Bleuet ? Une librairie, la septième de France en terme d’assortiment, l’une des plus belles réussites de la profession. Un mec qui a décidé de faire mieux que Gibert Jeune. De faire mieux, tout seul, avec une librairie créée il y a à peine 20 ans. Peut-être que ce qu’il a à dire peut nous intéresser. Non ?

Alors, il nous dit quoi ?

L’emplacement n’a aucun intérêt. Joël Gattefossé s’est installé à Banon, un village de Haute Provence. C’est au nord d’Apt, si vous connaissez la géographie. Mille habitants. Ce qui permet de vendre mille livres par jour. A partir de là, chaque fois qu’un connard vous parlera de zone de chalandise, de clientèle potentielle, de CSP du client, vous aurez le droit de rigoler. Toutes ces questions qui titillent les marchands de café et les spécialistes du marketing n’ont aucun intérêt. Le livre n’est pas une marchandise comme les autres. Tous les pseudo-professionnels bêlent cette phrase à l’envie mais ils passent leur temps à traiter le livre comme n’importe quelle autre marchandise.

Le mec, il a bâti sa croissance sur la croissance de sa surface et sur la croissance de son stock. Plus il a de stock, plus il vend. Il tourne à plus de 100 000 titres, il vise les 300 000. Il le sait bien que les clients du livre, c’est l’abondance qu’ils cherchent. Pas le dernier Onfray, mais TOUT Onfray. Je dis Onfray pour faire moderne. Le libraire de Banon, lui, il parle de Kafka. Ça fait un moment qu’il a pas publié de nouveauté, Kafka. Mais, bon, Le Bleuet, c’est une librairie, pas une maison de la presse. Il se gourre pas dans les références.

Dans les écoles où on apprend le métier de libraire (si, si, ça existe), on vous apprend à gérer le stock. Avec l’arme absolue : les retours. Gattefossé, il se marre : il a 2% de retours par an. Il enfonce le clou : la moyenne des retours, c’était 28% l’an dernier. Là, moi je dis : Respect. Dans mes meilleures années, je suis jamais passé en-dessous de 5% et j’étais fier du chiffre. Le Bleuet me ridiculise. Mais qu’est-ce que je suis heureux d’être ridicule ! Il s’amuse, le libraire : « Si un livre met trois ans à se vendre, je m’en fous… » Bien entendu, il a raison. Ce qu’il dit pas, c’est que ce livre qui mettra trois ans à se vendre, il le reprendra après l’avoir vendu. Parce que, comme tous les vrais libraires, il aura une tendresse particulière pour lui. Et pour le client qui l’aura enfin trouvé….

Cherchez pas. Ses clients, ils viennent de toutes les villes environnantes où ils passent des heures à chercher des livres qu’ils ne trouvent pas. Ça vaut le coup de faire 100 bornes pour trouver un livre. Mais, méééééh, bêlent les modernistes cons, on peut trouver sur Internet. Non. Sur Internet, on trouve des références. Seulement des références. Et l’amoureux des livres, les références, ça lui suffit pas.

Le journaliste, il s’étonne. Il n’y a pas de tables pour présenter les livres. Normal. Joël Gattefossé, il a été menuisier. Il sait que les tables, c’est pour écrire ou pour bouffer. Pour présenter les livres, on a inventé un truc qui s’appelle la bibliothèque et qui fonctionne à la satisfaction générale depuis quatre ou cinq siècles.

Y’a pas non plus de post-it et de pseudo notes de lecture. Quand t’as 100 000 titres, ce serait ridicule. Et les clients qui viennent te voir, ce que tu penses des livres, ils en ont strictement rien à foutre. Ils veulent juste que tu aies en magasin le titre qu’ils cherchent, qui est peut être une merde à tes yeux mais qui est inappréciable pour eux. Et après tout, c’est eux les clients…

Le journaliste cherche des chiffres choc. Le Bleuet a un panier moyen de 35 euro, le double de la moyenne nationale. Normal. Un libraire qui a du choix fait des ventes. La moyenne nationale n’a aucun sens. Dedans, y’a tous les gogos, les bobos qui achètent UN livre, en général le dernier Goncourt, pour l’offrir à leur meilleur copain.

Tout ça, je l’avais écrit dans un superbe manuscrit refusé par une bonne dizaine d’éditeurs. J’ai essayé d’en convaincre un paquet de jeunes libraires qui, tous, m’ont pris pour un vieux con. Ils disaient que je leur causais des librairies de papy et qu’au jour d’aujourd’hui, c’est plus comme ça qu’on vend des livres.

Je suis vachement heureux parce qu’on est au moins deux à avoir la même vision de notre métier. C’est vachement important de pas être tout seul. Je sais bien ce que vont me dire tous les mononeuronaux. Que c’est une exception (on est deux, donc ça fait au moins deux exceptions). Que le marché, c’est plus Amazon que Gattefossé (au nom de quoi ?). Que l’avenir du livre, c’est plus les tablettes que La Pléïade (encore une connerie, les tablettes, c’est l’environnement du texte, pas du livre). Bref, toutes les sottises qui accompagnent comme un cortège la doxa, surtout quand les faits démentent la doxa.

Surtout quand la doxa s’accompagne du mensonge et de la dissimulation. A propos de mon manuscrit, un éditeur (et non des moindres) a eu cette phrase délicieuse : « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à publier ». Et tous les livres ne sont pas bons à vendre.

On en reparlera…