jeudi 30 juin 2011

TOUS PLOMBIERS !

Y’a un truc que j’adore, c’est les stages Casto. C’est pas vrai, je déteste.

C’est quoi, un stage Casto ? Tu passes deux heures dans un magasin Casto, dans une salle spéciale, pour apprendre les techniques de la plomberie ou de l’électricité. T’en sors, t’es persuadé que t’es devenu un pro de la plomberie.

Pas un instant, l’idée ne t’effleurera qu’un plombier, il a fait au moins deux ans d’apprentissage, que pendant ces deux ans, il a été formé, guidé, éduqué par un maître d’apprentissage et que c’est pas en deux heures que tu vas arriver à son niveau.

Y’a des gens bien dans les stages Casto. Des médecins, par exemple. Des médecins qui hurleraient à la mort s’il existait des stages pour apprendre la médecine en une après-midi. Les mecs, ils n’envisagent pas qu’on puisse simplifier, édulcorer, banaliser leur savoir, mais ils sont persuadés qu’ils peuvent atteindre en un clin d’œil le savoir des autres. Ce que c’est que l’ego, tout de même.

Remarque, c’est valable pour tout. La cuisine. Tous cuisiniers ! Tous au niveau du gamin qui s’est tapé trois ans d’école hôtelière, qui a appris les bases, qui en a bavé (une cuisine, c’est quasiment militaire), des mômes dont on a corrigé les gestes, des mômes qui ont fait des erreurs, à qui on a expliqué, rabâché. Des mômes éduqués. Toi, tu vas passer deux heures dans un « atelier du goût » (c’est comme ça qu’on dit) et tu t’imagines être au niveau. Toi, t’es un professionnel dans ton job mais tu penses que tu peux être professionnel dans tous les jobs.

Je pense avec tendresse à Paul Maymou. 97 ans. Pépiniériste, fils et petit-fils de pépiniériste. Une vie, non, plusieurs vies consacrées aux plantes. Un jour, il m’a montré les carnets de culture de sa pépinière. Ça commençait avec les carnets de son grand-père et ça finissait avec les siens. Deux siècles de notes. Cette après-midi là, Paul m’a expliqué plein de choses. Par exemple, que le meilleur cultivar de camélia pour la Côte basque était le Camellia japonica « Sassanka ». Ou encore que les millepertuis ne survivaient pas dans la région. Il n’avait pas d’explication : il cherchait. En deux siècles, les Maymou avaient tout testé. Paul pouvait parler de milliers de cultivars et dire ce qui convenait le mieux aux jardins de la zone où il travaillait. J’avais pris quelques notes.

Muni de ces notes, je suis allé dans une jardinerie. Une grande et belle enseigne installée en zone industrielle. Et j’ai demandé conseil pour quelques plantes. J’ai pas été déçu. Aucun des cultivars conseillés par Paul n’était disponible. Aucun. Sur les millepertuis, le vendeur m’a tenu le discours convenu de toutes les jardineries. Selon lui, fallait que j’en plante un max. Et tout à l’avenant. Un désastre.

En même temps, c’est normal. Paul ne vendait que des plantes produites par lui. Les jardineries ne vendent que des plantes achetées à des producteurs industriels et choisies, non en fonction de leurs qualités, mais en fonction de leur prix et de la marge qu’elles laissent. L’un pense à la durée d’un jardin dans le temps, l’autre au renouvellement, à la consommation et à son bilan de l’année. Si ça crève, le client reviendra.

L’inscription dans le temps, c’est pas trop le truc de la grande distribution. Elle est pas là pour ça. Elle est là pour prendre le plus possible, le plus vite et le plus souvent. Je vais pas vous refaire le coup de la bouffe. Tous les trois mois, la télé s’indigne des marges de la grande distribution, on voit pleurer des paysans et on passe à autre chose. Surtout le téléspectateur qui va s’indigner devant son poste avant de filer au supermarché.

Non. On va regarder les biens culturels. « Biens culturels », c’est une catégorie statistique qui regroupe les livres, tous les livres y compris les merdiques romans à l’eau de rose de halls de gare, la musique enregistrée, toute la vidéo, y compris les jeux pour la console de ton gosse. Ben oui, les aventures de Mario, c’est un bien culturel. Ce que c’est que le lexique, tout de même. Si tu t’étonnes, on te répondra que c’est de la culture populaire et même la seule culture à laquelle plein de gens ont accès.

Petit détail : dans les biens culturels, il n’y a pas les livres anciens. Marc Lévy en poche, c’est un bien culturel, une édition grand papier illustrée d’Apollinaire , ce n’est pas un bien culturel. C’est beau les catégories statistiques. Ça ne dit rien sur le marché, ça dit beaucoup sur les statisticiens et ce qu’ils ont dans la tête.

Et donc la grande distribution caracole dans les ventes de « biens culturels ». Surtout les derniers sortis, surtout ceux qui seront obsolètes dans quelques mois. Si tu penses que la culture a à voir avec la durée et le temps historique, ce que tu te goures fillette, fillette… En même temps, ça explique Murakami à Versailles, c’est juste une idéologie de la négation de l’Histoire ravalée au rang de sujet pour émission télévisée ou de décor pour promotion touristique. On peut s’indigner de voir Murakami à Versailles parce qu’on y voit une incohérence sémiotique, les signes de la modernité allongés dans les signes de l’antiquité. Mais la cohérence n’est pas là, elle est juste dans la négation du sens de l’Histoire, d’une destruction du sens dans le signe. A cette aune, Murakami a sa place à Versailles où il a remplacé Saint-Simon.

Voilà comment Marcel-Ernest Leclerc est aujourd’hui l’un des grands fournisseurs de culture de notre beau pays.

On en reparlera….

lundi 27 juin 2011

LA CONNERIE EN GERME – 2

Après l’Allemagne, Bègles. J’ai déjà dit ce que je pensais de la manducation des graines germées (http://rchabaud.blogspot.com/2011/06/la-connerie-en-germe.html ). Mais là, on touche le fond.

Les mecs, ils sont allés acheter leurs graines chez Jardiland !!! Les graines de Jardiland, elles sont faites pour être plantées dans un jardin. Pas pour faire la cuisine. Pas pour être consommées crues en salade. Ben non. Jardiland, ça vend aussi des graines pour la consommation. Les mecs, ils sont épiciers-jardiniers. C’est le nouveau marché : tu fais deux métiers et tu les fais mal tous les deux. Même jardinier ? Un jour, je parlerai des jardineries qui vont de nulles à nullissimes. Si tu trouves ça bien, c’est que t’es pas très bon.

Et pourquoi, ils ont fait ça ? Pour décorer un gaspacho !!! Le gaspacho, il a pas besoin qu’on le décore avec des graines germées de fenugrec. Il a besoin de bonnes tomates, d’un poivron bien tendre, d’une courgette pour alléger les tomates, de vinaigre de Xérès (mais tout vinaigre issu d’un vin de voile fera l’affaire). Point barre. Ah ! oui. J’oubliais l’ail. Et l’oignon. Blanc, l’oignon, pas sucré. Dans le gaspacho, y’a pas de fenugrec.

On a affaire à la quintessence de la connerie. Déjà, l’idée de décorer le gaspacho… Les mauvais cuisiniers et les connasses bobo adorent décorer. C’est plus facile que de chercher les bons produits. La décoration, ça sert à rien, à part dans les restos étoilés quand on dresse un plat. Sauf qu’avant de le dresser, faut l’avoir fait. Les merdeux de la cuisine, ils font n’importe quoi et, après, ils décorent. Petitement, médiocrement. C’est le plus facile. Et leurs connards d’invités vont s’extasier, admirer.

Attention, vont pas admirer n’importe quoi, les loulous. Carême, le grand Carême, avait l’habitude de transcrire les architectures de son copain Ledoux. Souvent en saindoux. Saindoux ? Horreur ! Les connards qui ne connaissent pas Carême et Ledoux rejettent le saindoux. Quand ils parlent cuisine, c’est Dukan ou Cohen, pas Carême et Dumas. File moi tes références, je te dirais comment tu penses.

On leur a dit que les graines germées, c’était bon pour la santé. Alors, ils utilisent. Des graines, c’est des graines, n’est-ce pas ? Ben non. Le processus de production est pas le même. En Europe, quand on produit des graines, c’est pour les mettre dans la terre, pas dans l’estomac. Alors, s’il y a des colibacilles, c’est pas très grave.

Ça me rappelle une connasse grave, libraire, et qui vendait à ses bobos de clients, non pas des livres mais des graines de plantes aromatiques. Les graines, elles ne germaient pas et les clients râlaient. Normal. Les graines avaient passé l’hiver dans une boutique surchauffée, elles n’avaient pas eu leur période de dormance, il leur était impossible de germer. J’ai expliqué à la connasse que les graines, ça passe l’hiver au frigo. Elle m’a regardé comme si je me foutais d’elle. Elle ne savait rien d’un cycle végétatif et l’idée de mettre des graines au frigo lui était étrangère. Dans le frigo, elle mettait le soja bio.

Le vrai drame est là : tout le monde fait semblant de savoir alors que la plupart des gens ne savent rien. Si ça ne débouchait pas sur des actions stupides dans le meilleur des cas, criminelles dans le pire des cas, ce ne serait pas grave. Mais dans le cas de Bègles, il y a bien eu quelqu’un qui a pris, sans savoir, la décision d’acheter dans une jardinerie des trucs à manger. Un mec qui s’est pas dit que s’il y avait des magasins d’alimentation, c’était pour acheter de l’alimentation. Un mec qui croit que tout est pareil, tout est interchangeable, un mec qui a de la bouillie dans la tête. Un mec qui croit que les grandes surfaces, c’est des commerces comme les autres. Faudra lui expliquer que les neurones, c’est pas pour faire pousser les cheveux.

Celui que j’ai envie de plaindre, c’est le petit Nico. Je dis « le petit Nico » parce que je le connais quasiment depuis sa naissance. Au Tripode, on dit pas comme ça, on dit « Monsieur le Professeur ». Lui, il doit être sur la brèche, à se demander comment sauver des gens. Avec son équipe. Plein de gens de grande qualité. Des gens qui devraient avoir mieux à faire que de s’occuper d’écolos débiles qui bouffent des graines au lieu de les planter. En plus, il a pas de bol, le petit Nico, il est spécialiste des reins et la bactérie s’attaque prioritairement aux reins. Il est pas à la fête….

Alors, je pense à Darwin. Je me demande si on doit soigner des cons de cet acabit. Laissons faire la sélection naturelle. Les mecs de Bègles, ils sont sur la mauvaise pente de l’évolution. Parce que je connais Bègles. C’était un nid d’Ibériques. Si vous vouliez bouffer de la morue comme au Portugal, c’était à Bègles qu’il fallait aller. Bègles a accueilli des wagons de républicains espagnols et de dockers portugais. Des mecs qui auraient pas filé du fenugrec dans le gaspacho. Seulement voilà : leurs descendants, ils ont voulu faire moderne, ils ont voulu faire comme tout le monde. Bâcler le gaspacho de la abuela en se disant que la décoration suffirait.

Remarque, Bègles, maintenant on y vend des Vuitton dans un centre commercial chic sur les rives de la Garonne. Sur le quai du Président Wilson, y’a plus une usine, que des résidences pour bobos. Le soir, on n’y entend plus pleurer les guitares dans les petits rades décorés des drapeaux de la patrie quittée avec le cœur gros. Bègles était rouge et populaire, elle est verte et bouffe des graines germées.

C’est vrai que je suis nostalgique.

On en reparlera……

mardi 21 juin 2011

LE CENS DE L'ETAT

Ha la la ! La Grèce est en danger. En danger de quoi ? En danger de faire faillite affirment les commentateurs. Affirmation purement littéraire. Un pays peut-il faire faillite ? A l’évidence, non. Faire faillite, c’est cesser d’exercer une activité et voir ses actifs et ses dettes vendus à la barre. C’est cesser d’exister. Un pays peut-il cesser d’exercer ou d’exister ? Peut-on mettre le Portugal au Tribunal de Commerce où l’Espagne (par exemple) le rachèterait ? Non, à l’évidence. Un pays a toujours la possibilité de dire à ses créanciers : « Je t’emmerde, je te rembourse pas, tu as tout perdu ». On l’a déjà vu : songeons aux emprunts russes. Un pays est souverain.

Evoquez cette hypothèse. Vous n’avez aucune idée du nombre de conneries que vous allez entendre. Toutes tournant autour du même thème : les marchés financiers. N’oubliant qu’une chose : si la Grèce refuse de payer, personne n’ira lui faire la guerre et tout le monde s’en démerdera. Comme pour les emprunts russes.

La richesse d’un pays, c’est le cumul de la richesse de ses habitants. Logique : l’Etat vit de ce qu’il ponctionne aux citoyens. Plus l’impôt rapporte, plus le pays est riche, plus il peut investir et dépenser. Or, le mécanisme de base du libéralisme, c’est d’appauvrir le citoyen pour enrichir les grands groupes. Ce serait fonctionnel et on pourrait l’admettre s’il y avait transfert de la fiscalité. Le manque à gagner sur les citoyens appauvris serait compensé par l’augmentation des impôts des sociétés enrichies. Mais, bien entendu, ce n’est pas comme ça que ça marche. Les sociétés font de l’optimisation fiscale et ne payent pas les impôts qu’elles devraient payer. Alors, forcément, ça bloque. L’Etat perd sur tous les tableaux. Ce qui me fait hurler de rire, c’est que les libéraux qui organisent de la sorte l’appauvrissement de l’Etat sont les premiers à parler de faillite.

Ce mécanisme est bien connu et bien analysé par de jeunes économistes comme Thomas Piketty ou Bernard Maris, des mecs bardés de diplômes, enseignants de haut vol. Pas des citoyens lambda comme moi. Maris, ça fait plus de dix ans qu’il décortique patiemment les mécanismes de l’économie libérale. Il a tellement conscience de sa solitude qu’il a appelé son livre Anti-Manuel d’Economie. Pour quoi Anti ? Parce qu’il s’oppose à la doxa ce qui est une position toujours intenable. On brûle facilement les penseurs solitaires. Il a le sens des mots, quand même : il aurait pu parler de manuel d’anti-économie.

Ce mécanisme n’a de sens que dans une perspective historique. Renault, par exemple. Ou Sud-Aviation. Ou Elf-Aquitaine. Des boîtes nationalisées. Pendant vingt ou trente ans, l’Etat a investi. L’Etat, c’est à dire le contribuable. L’Etat a investi pour créer une industrie aéronautique ou automobile capable de se confronter à la concurrence internationale. Mais aussi pour conserver des emplois, préserver la paix sociale, faire son boulot régalien. Les libéraux de tout poil hurlaient. C’était pas rentable. Financièrement, non. Socialement, c’est autre chose. Il y a deux manières de payer un mec à rien faire et le chômage en est une. Le mec qui a un job pas rentable, il existe plus qu’un chômeur, il ne se désocialise pas, il conserve un logement et une dignité. On ne gouverne pas un pays comme une entreprise.

Quand Renault et Sud-Aviation sont arrivés au bout de leur investissement et ont commencé à bouffer des parts de marché, l’Etat les a refilé au privé. Le privé qui ne pense que marché mondial, le privé qui n’a aucun sens de la Nation. Le privé qui délocalise, qui ferme les usines au nom du cost-killing, belle formule abstraite cachant une réalité cruelle. Le seul coût sur lequel on peut agir, c’est l’emploi. Un cost-killer ne connaît qu’une arme : le plan social. Le vrai nom devrait être job-killer.

Alors, aujourd’hui, on s’indigne que Total ne paye quasiment pas d’impôts en France. C’est d’autant plus gonflant que Total vit sur les champs pétroliers découverts par Elf-Aquitaine grâce à nos impôts. Tes parents ont investi et t’en vois pas la couleur. T’as le droit de te sentir baisé.

Les Grecs se sentent baisés. Baisés et méprisés avec des remarques allemandes sur leur prétendue fainéantise, par exemple. La grosse vache Merkel, elle devrait réfléchir avant de dire des conneries. Parce que les banques ont prêté aux fainéants, y compris les tant sérieuses, tant travailleuses banques allemandes. Quand tu prêtes à un fainéant, tu t’exposes à pas être remboursé. Tant pis pour ta gueule. Fallait t’en apercevoir avant.

J’aimerais bien que les Grecs reprennent leur souveraineté. Qu’ils nous fassent le coup de l’emprunt russe. On va pas en mourir : personne n’est mort du non-remboursement des emprunts russes. Les seules vraiment en danger, c’est les banques privées. Parce que les dettes d’Etat à Etat, on s’en arrangera bien. On allongera les délais de remboursement, on baissera les taux, bref, on trouvera des solutions. Les banques privées, c’est autre chose. Certaines risquent d’en mourir.

Et alors ? Qu’est-ce que ça change à ma vie que ma banque fasse faillite ? Honnêtement, rien. Une banque privée qui disparaît, c’est un commerçant qui ferme. Un gros. Justement, comme il est gros, on trouvera bien des solutions.

La nationalisation, par exemple. Je suis sûr que ça plairait bien au peuple. L’Etat reprend les créances grecques et se paye en actions de la banque. Après, il fait le ménage et va voir si, par hasard, il n’y aurait pas du fric planqué dans les paradis fiscaux.

Seulement voilà. Pour le faire, faut y croire. Faut pas avoir peur. Peur de quoi ? De la « perte de confiance ». C’est sûr que si on nationalise une banque, les autres banquiers vont avoir la trouille. Quinze jours. Après, ils se demanderont comment refaire des affaires avec des banques nationalisées. D’ailleurs, ils savent faire. En Chine, ils font que ça, traiter avec des sociétés nationalisées. Faut pas oublier que le capitalisme, c’est d’abord des rodomontades et du pipeau. Comme l’idée que la Bourse est un excellent placement. Je me souviens, en 2002, ma banquière me conseillait d’acheter des OPVCM. Le CAC40 était à 4200 après l’explosion de la bulle Internet. « On n’ira pas plus bas » qu’elle disait. Neuf ans après, hier, on est à 3800. Le mec qui a suivi les conseils en 2002, en neuf ans, il a perdu 10%. Mais la doxa est là : la Bourse, c’est un bon placement à long terme.

D’où ma question : qu’est ce qui peut se passer si un gouvernement se sent assez fort pour nationaliser les banques ? Tu changes les équipes dirigeantes, c’est pas grave, si les mecs sont si bons qu’ils le disent pour justifier leurs salaires et leurs bonus, ils trouveront bien du boulot ailleurs. Rêvons un peu : on trouve des mecs compétents et avec une morale à la Robespierre qui vont faire le ménage. Ça doit bien exister. Forcément, les profits de la banque vont baisser puisque ce sont les activités financières spéculatrices (et souvent amorales) qui crachent du fric. Les profits vont baisser mais pas disparaître. Alors, qu’est ce qu’il va se passer ? Je veux dire se passer vraiment dans la vie quotidienne du citoyen de base ? Rien. A tout le moins, rien de pire. Les dirigeants n’auront plus le regard fixé sur la ligne bleue du cours de bourse. Ils n’auront plus la sanction des « marchés ».

On peut mettre un pays cul par-dessus tête. Il ne disparaît pas. Ce matin, un titre sur BFM : « La Grèce assurée de survivre jusqu’en 2013 ». Je serais directeur de BFM, je vire aussi sec le connard qui a écrit ça. La Grèce, elle existe depuis Zénon d’Elée, Hésiode et Périclès. Quoi qu’il se passe, elle est assurée de survivre aussi longtemps que les Grecs auront envie de vivre ensemble. Même en faisant la nique au reste du monde. Et même si elle ruine les banques allemandes, le comptable du Schleswig-Holstein, il ira faire cuire sa bedaine en Crète cet été. Parce qu’au fond de nous, le sort des banques, on s’en fout.

On en reparlera…

jeudi 16 juin 2011

CULTURE ET CONSOMMATION

Je fais une expérience étonnante en ce moment : on m’a demandé de faire partie d’un jury pour juger des candidats soutenant un diplôme européen de tourisme niveau Bac +3. Je suis donc en train de me taper des mémoires sur des sujets touristiques divers.

Je vais pas vous faire le coup du massacre de la langue française. C’est vrai que c’est pas drôle de se taper des textes avec des phrases qui n’ont aucun sens, une orthographe défaillante et une propension certaine à coller des mots anglais un peu partout ou à utiliser des acronymes qui ne signifient rien.

Non. Ce qui est affligeant, c’est de constater le total oubli de la dimension culturelle dans des analyses qui portent quand même sur le tourisme (ou le voyage) qui se trouve être une activité avec une forte valeur culturelle. Les mômes, ils manipulent des brassées de chiffres collectés sur Internet mais pas question d’avoir un embryon de réflexion sur les raisons qui vont pousser leurs clients à se déplacer.

On est dans une vraie problématique, valable pour le voyage comme pour le livre ou la bouffe. Une opposition fondamentale : le voyage est-il un bien culturel ou un produit de consommation ? Le livre est-il un bien culturel ou un produit de consommation ? Le cantal est-il un bien culturel ou un produit de consommation ?

Si on pose la question comme ça, on est obligé de répondre « les deux ». Les deux, mais pas les mêmes et pas en même temps. La différence est de taille : un produit culturel n’est pas susceptible d’industrialisation, tout simplement parce que la culture correspond à une recherche de singularité et pas à une logique de reproduction. Dans le monde de la culture, on baigne dans l’unique.

Le problème n’est pas neuf. Dès la Renaissance, la gravure permet de multiplier les exemplaires d’un tableau. C’est pas tout à fait pareil, c’est pas le même format, y’a pas de couleurs. Mais la reproduction élargit le marché ou suscite un nouveau marché. Dans le monde de l’Art, on appelle ça des « multiples » et ça vaut moins cher que l’original. Mais comme il y en a plus…. Plus, ça veut pas dire beaucoup. Jusqu’à l’invention de l’héliogravure et la mise en place d’un vrai système commercial par Goupil, les tirages restent limités. Avec le temps et les destructions, la quantité de « multiples » diminue.

Pour quantité de produits, il y a donc un balancement incessant entre l’unique et le multiple, entre la valeur culturelle et le désir de consommation. L’Impératrice Eugénie collectionne les tableaux de Fortuny, Goupil les reproduit à des centaines d’exemplaires pour que le notaire de Bar-le-Duc se sente proche du pouvoir. Avec toutes les compromissions, avec toutes les approximations, avec tous les détournements de sens que ça suppose. Tout simplement parce que la consommation ne peut pas exister sans la valeur culturelle pré-existante. Si on bourre les bateaux sur le Nil, c’est parce que Flaubert et Agatha Christie en ont parlé. La culture devient le boute-en-train de l’orgasme consumériste.

Le multiple est un appauvrissement que l’on habille des oripeaux de la démocratisation. Comme tout le monde ne peut pas s’offrir une commode Empire estampillée, on produit à la chaine et en Egypte des ersatz que le manque de culture permet de trouver ressemblants. Comme tout le monde ne peut pas s’offrir des éditions originales bien reliées (ou des Pléïades) on produit à la chaine des livres de poche qui semblent offrir l’essentiel, c’est-à-dire le texte. Le prix devient la pierre de touche et on ne cesse de le tirer vers le bas en proclamant qu’il s’agit de la même chose ce qu’un enfant de quatre ans, analphabète de surcroît, ne peut pas croire. Voltaire, en Pléïade, ce n’est pas le Voltaire de Kehl. C’est autre chose. Et Voltaire en Classique Larousse, ce n’est pas Voltaire en Pléïade, c’est autre chose.

Les obsédés de l’industrialisation, du quantitatif, de la statistique signifiante, qui ne sont que des obsédés du fric facile, passent leur temps à nous faire croire que tout est équivalent, que tout est pareil. Que le cassoulet en boîte est l’équivalent d’un cassoulet familial mitonné en deux jours avec les haricots ramassés dans le champ de maïs du Trouilh. Que le couscous en boîte « est bon comme là-bas ». Qui peut y croire ? Que l’on ait envie d’y croire parce qu’on a envie d’un couscous et qu’on veut pas s’emmerder quatre heures à le faire, j’admets. Mais que l’on y croit vraiment….. Et pourtant, à force de rabâchage, de lavage de cerveau, d’oubli de l’original, on se laisse glisser, peu à peu.

On se laisse glisser aussi parce qu’on est dans l’immédiat, dans l’envie à satisfaire tout de suite, dans le manque de réflexion sur le temps. Tiens, en ce moment, c’est l’époque de l’ail rose de Lautrec. Le roi de l’ail, parfumé, sensuel. Je passe mes dimanches à préparer mon huile parfumée pour les gambas et les chipirons. C’est facile à faire : tu laisses mijoter tout doucement un litre d’huile avec deux gousses d’ail non pelées. En une heure, tu obtiens une huile parfumée à l’ail que tu mets dans des bouteilles de verre soigneusement fermées. Ensuite, quand tu veux faire revenir des gambas, tu as le produit sous la main, la certitude que tes fruits de mer seront proches de la perfection, et tu évites d’avoir à acheter de l’ail en poudre à l’autre qui se décarcasse. Qu’est ce que tu dis ? Il faut stocker. Evidemment qu’il faut stocker mais tu as la place de stocker. Vire ce qui est inutile, les godasses que tu mets une fois par an, les mauvais livres que tu ne reliras jamais, les jouets en plastique de ton gosse, tu trouveras de la place.

Bien sûr que, pour bien bouffer, il faut stocker. Acheter des produits quand ils sont au moins cher, faire des bocaux, les faire soi-même pour qu’il n’y ait pas de conservateurs, de E machin, du glutamate et des huiles hydrogénées. C’est juste penser à demain. Une sorte d’épargne. Ha bon ! l’épargne, c’est pas qu’un produit financier ? Ben, non.

C’est sûr que ça demande plus de travail et de réflexion que de téléphoner au livreur de pizzas. Tout comme choisir une destination, lire, comparer, c’est plus compliqué que d’aller chez Lastminute voir la promo de la semaine. Après, tu te retrouves dans un hôtel merdico-bétonné de proche banlieue au lieu d’être dans le centre historique. Le plus souvent au même prix. La différence, c’est que l’hôtel historique en centre ville, il est plein toute l’année. Pour y aller, faut s’y prendre six mois à l’avance, réserver, planifier. Il faut introduire le temps dans ton acte d’achat. Et le temps est inséparable de la Culture. Ne serait-ce que parce que la Culture, c’est de la connaissance, c’est à dire du temps passé.

L’industriel, tout ça, il le sait. Il te glisse juste trois mots pour te dire de pas t’emmerder, qu’il va te filer dans ton package la quantité de culture dont tu as besoin. Juste ce qu’il te faut pour en causer devant la machine à café. Il sait bien que tu penses qu’on peut acheter la Culture, c’est à dire le temps et l’effort. Le plaisir aussi. Il te file les oripeaux de la Culture, ce qui est industrialisable, reproductible. Ton voyage, c’est l’équivalent exact de la Joconde sur le calendrier des Postes. Ou de L’Angelus dans le salon de Tante Agathe. Mais toi, ça te va, peut être même que t’es fier et content parce que t’as le même voyage culturel que ton collègue de bureau. Comme Tante Agathe qui a le même calendrier des postes que sa voisine. L’industriel du voyage, il déteste la Longue Traîne qui caractérise les biens culturels parce que la Longue Traîne est une fabuleuse valorisation de l’Unique et que l’Unique n’offre pas les mêmes marges que le Multiple.

Lecteur aimé (parce que rare), ne vois ici nul mépris pour le consommateur de voyages ou de livres de poche. Il suit une route balisée par les communicants médiocres mais puissants. Il suit un chemin à la signalétique biaisée après que des milliers d’enseignants ont failli à leur mission qui est d’organiser les neurones pour éviter qu’un discours biaisé ne baise le citoyen. Plongé dans la doxa dès l’âge le plus tendre, manipulé tout au long de son apprentissage, trompé au cours de sa vie d’homme par des médias à la solde des hommes de pouvoir, le consommateur de voyages ne peut tout simplement pas réagir autrement.

On ne lui a jamais montré que des chemins qui descendent. Comment pourrait-il s’élever ?

On en reparlera…

samedi 11 juin 2011

LA CONNERIE EN GERME

A priori, on connaît le lieu de naissance de la bactérie tueuse. Une usine qui produit des graines germées… Un fournisseur de végétariens, d’obsédés du bio, un des lieux où s’élabore la bouffe des malades de la doxa hygiéniste.

Faut en parler de la germination. C’est un truc nouveau. Du moins en Europe occidentale. Il n’y a pas si longtemps, les légumes germés (la pomme de terre, par exemple), tu consommais pas. Le paysan de base, la germination, il s’en méfiait. Mais le paysan de base, c’est rien qu’un con qui sait rien sur les plantes. En tous cas, beaucoup moins que le militant d’EELV et l’obsédé du wok.

Le discours hygiéniste au jour d’aujourd’hui, tu le trouves sur Ekopedia qui est une sorte de Wikipedia pour militants verts. Or Ekopedia est formel : « Manger des graines germées est une manière simple de s’alimenter sainement ». D’ailleurs, dit Ekopedia, c’est aussi vieux que l’humanité. Les Chinois, les Egyptiens, les Hunzas bouffent des graines germées depuis la nuit des temps. Les Hunzas oui. Les Alsaciens non. Les Basques non plus. D’ailleurs, germées ou pas, ils bouffent pas de graines. Les graines, c’est tout juste bon pour les poules. Ou pour les ortolans.

Le bobo vert, il supporte pas la civilisation paysanne occidentale. Le paysan qu’il aime est un fellah de l’époque pharaonique, pas un plouc gascon capable de passer cinq heures à table. D’accord, ça se fait plus. Je le regrette, notez bien. Je regrette les banquets avec potage, entrées chaudes, entrées froides, poisson, volaille, viande rouge, salade, fromages, crèmes et gâteaux. On mangeait sans faim, juste parce que c’était bon. Des fois, on sortait dégueuler un coup pour faire de la place et on recommençait. On mangeait pas pour se nourrir, on mangeait pour le plaisir de manger. Pour être repu. Repu, c’est devenu un gros mot. Un mot de beauf.

Alors, le bobo vert, il s’invente une nouvelle doxa. Il bouffe des graines de chou germées (c’est Ekopedia qui le dit). Il lui vient pas à l’idée que le chou, c’est meilleur farci, baignant dans son bouillon, avec une sauce blanche relevée au jambon frit. Et le cholestérol ? Ouais, c’est un risque. Mais moindre que la bactérie tueuse.

Parce que faut pas se gourer. La germination, vu par les bobos du bio, c’est pas vraiment naturel. La graine, tu la mets en terre, à la bonne époque (des fois, c’est l’automne, pour bien germer il faut respecter la période de dormance). Au printemps, il pleut, la terre se réchauffe, la graine germe. Dans la nature, c’est comme ça. Mais la bouffe « naturelle » des bobos bios, c’est pas du tout ça. De la graine germée, on doit en bouffer toute l’année, vu que les saisons ça doit pas être naturel dans leur esprit. Alors, on installe des trucs, on arrose, on chauffe pour que ça germe plus vite, plus régulièrement. Plus artificiellement, en fait. Faut que ça germe bien (y’a une productivité du bio, faut pas croire) et tout le temps. Le marché n’attend pas. Qu’est ce que vous croyez ? Que le bio, c’est une philosophie. Mon cul ! c’est un marché. Un marché pour des mecs comme Bernard Tapie, ancien patron de La Vie Claire. Les mecs, à la télé, ils te disent que c’est une ferme. Trous du cul ! C’est une usine. Une usine à faire germer des graines en quantité et n’importe quand. Une ferme, tu respectes les saisons, t’es obligé. Une usine, tu t’en fous des saisons.

Alors pour produire beaucoup et souvent, on crée les conditions d’un bon bouillon de culture : de l’eau et de la chaleur. Les bactéries, elles adorent. Et, a priori, même qu’elles en profitent pour muter. Salopes !

Bon, là, j’exagère. Le colibacille, il résiste à tous les antibiotiques connus. Ça signifie qu’un colibacille a été exposé à tous les antibiotiques et a développé des résistances. Ça, dans la nature, c’est impossible. Même toi, faut que t’aies été salement et longuement malade pour qu’on t’ait refilé des antibiotiques des huit classes connues. Concrétement, comment ça se passe ? Une souche est exposée à un antibiotique. Les résistants survivent et se développent. Ces survivants, on les expose à un second antibiotique. Il y aura à nouveau des survivants, résistants aux deux. Et ainsi de suite.

Et donc, il faut du temps et, dans la Nature, plein de hasards et d’aléas pour qu’un colibacille rencontre par hasard et successivement les huit classes d’antibiotiques et atteigne un tel seuil de résistance. Autant dire que c’est quasiment impossible. Par contre, en laboratoire, c’est un jeu d’enfant.

Autre point : des antibiotiques, on n’en file pas aux plantes, à ma connaissance. Donc, même si j’aime pas trop les végétariens, je suis enclin à ne pas les suspecter. Faut être juste. C’est pas eux qui ont produit le colibacille. Par contre, avec leurs usines à la con pour faire germer le blé, ils peuvent avoir offert à la bestiole un milieu parfait pour se développer. Une bestiole venue d’ailleurs. Venue presqu’à coup sûr d’un laboratoire.

Il n’y a pas de savants fous. Sauf dans les bandes dessinées et les films hollywoodiens. Un bacille ultra-résistant, c’est utile. Par exemple pour tester de nouveaux antibiotiques. Dans le cadre d’une guerre biologique aussi. C’est pas une nouvelle théorie du complot. Juste une réflexion à partir d’éléments connus. Et l’inconnu, c’est le point de départ, ce qui ouvre la porte à toutes les hypothèses. Parce qu’ils insistent tous sur le développement de la bactérie dans l’usine à satisfaire les bobos écolos. Mais personne ne dit d’où elle vient, la bestiole.

La guerre biologique, c’est une hypothèse qu’on ne peut pas rejeter. Jusqu’à maintenant, c’était plutôt des bacilles qu’on filait dans des projectiles ou qu’on saupoudrait. Ça colle plus vraiment avec le monde actuel où la guerre se fait en sous-main. Il faut donc trouver de nouveaux vecteurs, efficaces et discrets. Et le plus efficace et le plus discret, c’est l’industrie agro-alimentaire. Tu balances un colibacille dans une usine de conserves, t’es sûr du résultat. Une usine de conserves ou un abattoir industriel, n’importe quel endroit où sur quelques dizaines de mètres carrés tu peux accéder aux boyaux de quelques milliers de mecs. En plus, le fabricant de conserves ou de steaks hachés, il va dépenser un maximum de blé pour dire que c’est pas lui et brouiller les pistes. En clair, le fabricant, il va te protéger. Et il sera relayé par les transporteurs, les grands magasins et même les politiques. C’est ton vecteur, soigneusement choisi, qui te couvre. Bonheur stratégique total.

Et donc, le danger, c’est pas le bio. C’est le bio industriel, aussi dangereux que le non-bio industriel parce que le danger, c’est l’industriel. La ferme qui vend du lait aux voisins du village n’a aucun intérêt. Par contre, l’usine à yaourts qui produit des millions de pots, y’a bon ! Une poignée de colibacilles dans la citerne, tu dézingues quelques centaines ou quelques milliers de mecs.

Tout ça m’énerve. Parce que ça manque singulièrement de réflexion. Les fadas du bio, ils se précipitent chez Naturalia. Qui c’est ça, Naturalia ? C’est une filiale de Monoprix qui est une filiale de Casino. Alors, Ducon, tu veux pas aller dans un supermarché classique ? Pas grave, le supermarché classique, il met un masque et tu vois rien. Tu lui files ton pognon quand même.

Ha ! c’est pas ce qu’on te dit ? Parce que tu crois ce qu’on te dit ? Quand tu vois des produits bio sur toutes les gondoles de tous les supermarchés de France, tu crois que c’est des artisans qui sont capables de produire tout ça ? Ben non, mon gars. Qui dit quantité dit production industrielle, c’est pas possible autrement. Même en bio. Certes, il y a des contraintes, des certifications, des processus administratifs. Sauf que les grands groupes, c’est leur boulot de contourner les certifications. Avec l’aide des scientifiques qui savent créer des aliments artificiels mais bio quand même pour que le mouton bio il sente pas trop le mouton naturel (http://rchabaud.blogspot.com/2011/04/la-mort-de-nos-gosses.html) Vu que bio, sur les étiquettes, ça veut pas dire « naturel ». Faut le savoir.

D’ailleurs, au cas où vous l’auriez oublié, la bactérie tueuse, elle est parfaitement bio.

On en reparlera…

jeudi 9 juin 2011

MYTHOLOGIES

On va me dire que je suis obsessionnel. C’est juste que, tous les jours, j’entends des conneries. J’entends en boucle les poncifs dégueulés par la doxa, ce que Barthes appelait les mythologies de notre époque. Soixante ans après, ce sont les mêmes, vêtus des oripeaux de la modernité. Je veux dire par là que leur expression est beaucoup plus pauvre, beaucoup moins « littéraire ». Le sport est toujours aussi con mais personne n’a remplacé Antoine Blondin à la rédaction de l’Equipe. Et le bifteck saignant a été remplacé par le soja bio.

C’est pareil. Toujours pareil. La vérité, c’est ce que tout le monde croit. Et ce que tout le monde croit, c’est ce nous rabâchent à longueur de pages les médias qui nous prennent pour des affligés du neurone. C’est le coup de Galilée. Le média, alors, c’était l’Eglise : des milliers de curés qui chantaient la même complainte du haut de leurs chaires dans des milliers d’églises où se pressaient des millions d’affligés du neurone. Et les millions d’affligés pensaient que le Soleil tourne autour de la Terre puisque c’est ce qu’ils voyaient tous les matins et que le curé leur assénait que c’était comme ça et que c’était ce qu’il fallait croire. Le Moyen-Age est toujours là. Les patrons de presse ont simplement remplacé les cardinaux.

Peut-être qu’on est vraiment affligés du neurone. On passe pas mal de temps à se moquer des poncifs avalés par nos parents et on refuse de considérer les clichés qu’on idolâtre. On se dit « Qu’est-ce qu’ils étaient cons ! » et on refuse de considérer notre propre stupidité. Je viens d’en lire une bien belle dans Libération. C’est un psy, le docteur Bokobza, qui déclare avec une belle assurance : « Le malade mental est un malade comme un autre ». Ben non. Et la différence est de taille. Le malade ordinaire, il se bat avec plus ou moins de réussite pour ne pas mourir. Pas le malade mental. Le malade mental, dans plein de cas, il veut mourir. On admettra que la différence mérite d’être regardée. Et dans d’autres cas (moins de 1%), il va projeter sa maladie sur l’autre et il va le tuer. Moins de 1%, c’est pas beaucoup. Sauf que c’est énorme pour la famille des poignardés de Pau ou de Grenoble.

J’ai vécu avec les deux. Ma voisine du second et son cancer et mon voisin du cinquième et sa schizophrénie. Ma voisine du second, elle cachait ses cheveux sous un foulard, mon voisin du cinquième il cachait ses couteaux dans le local à vélos. Ma voisine du second, elle prenait ses médocs avec constance et sérieux. La mère de mon voisin du cinquième, elle doit se battre pour qu’il les accepte. Faut pas me dire que c’est pareil. Dans un cas, t’as la trouille. Vraiment.

Simplement, on est dans la doxa. On baigne dans Foucault. On s’ébroue dans Balint, on se frotte de Laing. Vous pouvez le dire : « Le malade mental est un malade comme un autre », vous êtes sûrs de recueillir l’approbation de la foule. Un petit conseil toutefois : évitez de le dire aux maris des infirmières égorgées à Pau, vous pourriez ramasser une belle mandale.

Mais, mééééh, me bêle mon psy préféré, toi aussi, tu plonges dans le stéréotype, dans le désir d’enfermement, dans la singularisation du malade mental. Peut-être. Peut-être que je me laisse conduire par ma trouille. Sûrement que ma rationalité prend sa source dans ma peur. Parce que la dangerosité du malade mental n’est pas un mythe, même si elle s’exerce à son encontre. La société doit protection à ses membres, y compris contre eux-mêmes.

Sauf qu’aujourd’hui, la doxa c’est la survalorisation de l’individu et la négation du groupe. Le groupe social, bien entendu. Ça marche dans tous les sens. Prenez ce pauvre Eric Woerth. Il est menacé des pires maux au motif qu’il a confondu son rôle politique et son job de trésorier du parti dominant. Il en a tiré certainement quelque bénéfice personnel. Des miettes. L’essentiel de son rôle a été de drainer des sommes colossales vers son parti. Or, le parti est bien oublié. Si on cherche à qui le crime profite (c’est une figure de style, on est dans le délit, pas dans le crime), il a profité à un groupe qui s’appelle l’UMP et que personne ne songe à inquiéter. On l’avait déjà vu avec l’affaire Destrade. On cloue un homme au pilori pour mieux cacher le groupe dans les drapés de la procédure.

Des fois, ça dérape. Un homme plus un homme, ça fait déjà un groupe. Un petit groupe de deux qui permet de quitter les chemins de l’individualité. DSK plus Tron. On dira que c’est le groupe des hommes politiques. Ou des hommes de pouvoir. Nulle part, je n’ai entendu parler de « classe ». On aurait pu dire « la classe dirigeante ». Stop ! « Classe », c’est pas un bon mot. On pourrait croire à un pouvoir économique alors que la doxa réserve les ignominies à la classe politique. Ça, ça marche bien. Ça va avec le « tous pourris » du Breton malvoyant lequel aime bien la société capitaliste.

Parce que « classe politique », on l’entend souvent. C’est un dérapage amusant qui a permis de complètement achever la dévalorisation de la pensée marxiste. Avec « classe politique », la « lutte des classes » prend un sens nouveau. Il ne s’agit plus de bousculer la société mais de jouer sur sa direction. Et donc, dans tout ce que j’entends, la bite à la main va avec l’écharpe tricolore. Les dirigeants économiques restent chastes et purs.

Ainsi va l’idéologie. Toujours, l’économique a trouvé l’action du politique insupportable. Ne fut-ce que parce que la première action du politique est la fiscalité, c’est à dire la redistribution, affreux vocable apparenté à un détroussage (détroussage qui n’est pas un troussage, mes lecteurs font la différence). Et, par voie de conséquence, tout ce qui s’apparente à un affaiblissement du politique est bon à prendre. Les médias s’en donnent à cœur joie dans ce registre. Le monde économique est toujours présenté comme un monde désincarné, mécanique. La Bourse baisse ou monte sans qu’on mette en avant l’action des hommes, spéculateurs et immoraux. Sauter une soubrette, c’est mal. Fermer un site industriel et foutre 2000 familles au chômage, c’est à dire à la rue, c’est inévitable. Le bonhomme qui prend la décision, c’est toujours à son corps défendant : la situation, le marché, la concurrence…. Dans le pire des cas, il expose ses regrets. Mais jamais devant un prétoire. Le prétoire, c’est pour les bourses, pas pour la Bourse.

On en reparlera…

vendredi 3 juin 2011

LES FILLES, ÇA PLEURE

Le Canard affirme qu’en ouvrant un conseil du PS consacré à l’affaire DSK, Martine Aubry pleurait.

Excellente raison de ne pas voter pour elle. Si elle pleure parce qu’elle a un copain qui a passé trois jours en cellule, le budget Kleenex de l’Elysée va exploser. Parce que, faut pas déconner, y’a pas mort d’homme comme l’a dit l’autre zozo. Trois petites nuits dans une cellule et après, le loft de 600 m2, 300 000 dollars d’indemnité de démission, les meilleurs avocats de New-York, y’a vraiment pas de quoi verser une larme. Le mec, il a fait (ou pas fait) une connerie, il a un problème comme en ont des milliers de mecs arrêtés par les polices du monde entier mais il a les moyens financiers et intellectuels de se battre. C’est pas un dealer de shit qu’on fout dans un charter. Et même là, y’a pas de quoi pleurer. Des emmerdes, tout le monde en a. Y’en a qu’une qui est grave et définitive, c’est la mort. Et même là, y’a pas de quoi pleurer. D’ailleurs, je sais pas si vous avez remarqué, mais, dans un enterrement, le principal intéressé ne pleure pas.

Seulement voilà : les filles, ça pleure. Dans le Sud, quand il y a des morts, on a des pleureuses. Pas des pleureurs. Par définition, on nous l’a seriné, les garçons, ça pleure pas. Dites ça aujourd’hui, vous allez voir le tollé. Hou ! le vilain macho ! Mais les garçons, ça a aussi des émotions. Certes. Mais les garçons, ça a le droit d’exprimer des émotions. Le droit, certes. Doit-on exercer tous ses droits ? Surtout celui là.

« Tout beau, ne les pleurez pas tous ». C’est un père qui parle de ses fils morts. « Deux jouissent d’un sort dont leur père est jaloux ». La mort comme jouissance. Pire, la mort de ses enfants comme jouissance majuscule. Aujourd’hui, le vieil Horace serait cloué au pilori, on l’enverrait chez le psy, Gala ferait une couverture sur l’indifférence. Dans une société du spectacle, on ne sait pas mettre en scène la dignité dont l’expression est si peu spectaculaire. On ne sait pas évoquer la pudeur, la seule émotion qui ne s’affiche pas. D’ailleurs, pour la masse, la pudeur n’est pas une émotion. C’est un coinçage. Terme terrible : tu es coincé, injure suprême. Il n’est pas bon d’être coincé. Il faut se lâcher. Ou alors, t’es psycho-rigide. C’est un reproche qu’on m’a beaucoup fait. Et je l’ai toujours pris pour un compliment. Il vaut mieux être rigide dans un monde de larves molles.

On en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2010/11/emile-et-adolf.html ). Les publicistes et les manipulateurs adorent l’expression des émotions. Pas les émotions, mais leur expression. La nuance est de taille. Tout le monde a des émotions. Relisez Nerval sur sa grand-mère. Tout le monde a des émotions mais tout le monde ne les exprime pas. Hou ! c’est pas bien, c’est des blocages émotionnels, faut se libérer, faut consulter, c’est quasiment une maladie. D’ailleurs, Nerval, il s’est pendu. Il était coincé, le mec.

Bien entendu, c’est du pipeau. L’expression des émotions est un immense pipeau. Le président de Tepco présente ses excuses avec des larmes aux yeux. Et le bon peuple de s’émerveiller devant un enfoiré qui, par goût du lucre, a détruit la vie de milliers de braves gens et qui, par goût du pouvoir, fait semblant de s’humilier. Bien entendu qu’il fait semblant. Il est Japonais, s’il avait la moindre sincérité, il s’ouvrirait le ventre. Avant de toucher ses dividendes ? Et Ghosn qui présente ses excuses aux trois cadres dont il a détruit la vie ? Avec un chèque. Comme si le fric était suffisant. Au pays des monstres froids, oui. Le fric peut tout acheter. Surtout les émotions.

Quand tu dis « émotion », tout le monde pense à des émotions spontanées et spontanément exprimées. Personne n’imagine qu’elles peuvent être une partie du spectacle, que le mec face à une caméra, il joue. Il joue parce que la doxa lui impose ce jeu. Exprimer des émotions, c’est exprimer son humanité, créer une empathie. Important l’empathie pour que le subordonné obéisse, pour que le client achète, pour que l’électeur vote. On te parle de psychologie quand les sujets sont, comme toujours, le pognon et le pouvoir.

C’est pour ça que les filles pleurent. Pour créer une empathie. Pour signifier une faiblesse qui te donnera envie de les protéger. Bon, ça, c’est pas toujours vrai : le violeur, il aime bien que sa victime pleure, c’est une condition de son fantasme. Je me demande comment réagirait un violeur à qui sa proie dirait « Génial, j’avais envie. T’as une petite queue mais ça ira ». Mais, en général, le pleur de la femme provoque un réflexe de protection ou un désarroi. Les pleurs sont une technique de manipulation. Faut pas s’y laisser prendre. Quand j’essayais la technique, mon grand-père me disait : « Pleure, tu pisseras moins ». Sous-entendu, « Me prend pas pour un con ». Essaye de dire ça aujourd’hui, tu vas voir les réactions ! Quand j’étais vraiment odieux (j’ai commencé jeune), il me collait une baffe : « Au moins, t’as une bonne raison de pleurer ». C’est des trucs qui te calment les lacrymales. Aujourd’hui, c’est pas correct.

C’est vachement sélectif, en plus. Faut pas exprimer toutes les émotions. Quand ton ennemi intime prend une grosse claque, t’es envahi d’émotions. Tu deviens heureux, jovial, tu penses « Bien fait pour sa gueule ! ». C’est des émotions aussi, la joie et l’envie de rire. Même dans les cimetières. Mais celles-là, t’as intérêt à les planquer. Faut être subtil. Quand Franco est mort, j’ai pris une biture majuscule. Aujourd’hui, j’attends avec un plaisir d’esthète les commentaires pour la mort de Le Pen. On va bien voir qui va se marrer dans les opposants acharnés, ça donnera la mesure de l’acharnement. Mais l’indignation, c’est une émotion aussi ! Mais le désir de vengeance, c’est une émotion aussi ! Quand j’ai envie de coller une balle dans la nuque d’un salopard de manipulateur, c’est une émotion aussi ! Quand Le Pen va enfin mourir, je vais faire péter le champagne, histoire d’exprimer mes émotions.

L’émotion, ça se commande. Sauf une, comme nous l’a joliment rappelé Brassens. La bandaison, Papa, ça ne se commande pas. C’est ce qui est arrivé à DSK. Il a exprimé avec une réelle intensité l’émotion génésique qui le submergeait. Sur l’échelle de Séguéla, son quotient émotionnel atteignait des sommets. On ne choisit pas toujours l’expression de ses émotions. Pourtant on devrait accepter. Il a prouvé qu’il n’était pas coincé, ni psycho-rigide. Il s’est lâché….

Le problème, il est là. Le manque de maîtrise. Si tu maîtrises pas tes pulsions, tu sautes sur les femmes de chambre et tu mets la main au cul de tes secrétaires. Et tu pleures quand tu as des emmerdes. C’est pareil. Le manque de conscience de ce qu’on doit être. Le désir exacerbé de montrer ce qu’on est et pas ce qu’on devrait vouloir être. La pulsion lâchée comme un chien fou. Pulsion de sexe, pulsion de tristesse, pulsion de joie. Si tu romps un barrage, tout fout le camp. Apprends à ne pas pleurer, tu sauras maîtriser ta biroute. La maîtrise, elle est globale.

Autrefois, il n’y a pas si longtemps, dans les arènes de Bilbao, quand le matador était mauvais, il n’y avait pas de bronca. Pas de cris, pas de sifflets. Le public se levait et tournait le dos. Mépris total, totalement exprimé. Colère maîtrisée car il faut aussi maîtriser la colère. Un jour que je hurlais dans une arène, mon grand-père m’a empoigné. « Tiens-toi ! S’il est bon, c’est normal, il fait son travail. Tu n’applaudis que s’il est TRES bon. Et s’il est mauvais, tu ne siffles pas. Tout le monde a droit à l’erreur. Tu peux siffler s’il est TRES mauvais. Mais c’est mieux de tourner le dos. Un mauvais n’a droit à rien, même pas à ta colère ».

Doit-on rappeler qu’on vit en société ? Doit-on rappeler que vivre en société, c’est d’abord ne pas heurter l’autre ? Ne pas l’agresser ? Doit-on rappeler que l’expression irrationnelle des émotions est une agression ? C’est valable pour les pleurs comme pour le viol. Et qu’on ne vienne pas nous emmerder avec les « degrés ». Les féministes ont raison : mettre la main au cul, c’est déjà un viol. Ou peloter les pieds. C’est se lâcher. Un peu, mais ça suffit.

Sauf que c’est une règle universelle. Peloter les pieds, c’est perdre le contrôle de soi. Pleurer aussi. Crier également. Quand les femmes garderont le contrôle de leurs émotions, quand les filles cesseront de pleurer, quand elles accepteront froidement de voir partir leurs fils à la guerre pour mourir, elles auront le droit ne nous reprocher notre manque de self-control.

Y’a pas deux poids et deux mesures…. Et, en attendant, DSK, il s’est pas conduit comme un macho, il s’est conduit comme une fille. Une fille ça pleure, un garçon, ça se contrôle.

On en reparlera…