dimanche 28 avril 2024

LIBRAIRE : ESPÈCE EN VOIE DE DISPARITION

Après quantité d’articles saluant la résilience des librairies, nous voilà abreuvés d’articles déplorant la disparition de librairies. C’est encore le résultat de la vérole jacklanguienne qui affirme qu’une librairie est un point de vente du livre ce qui permet de prendre le sens en levrette pour qualifier tout point de vente du livre de librairie. Le petit Leclerc dirige un réseau de libraires.

 

1/ une librairie doit être dirigée par un libraire ce que ne sont pas la plupart des magasiniers évoluant dans les points de vente du livre, y compris sur les sites Internet. Je l’avais dit, avec quelque mépris, lors des travaux préparatoires à la loi Lang, alors que les libraires étaient défendus par Daelman, maison de la presse à Compiègne. Monsieur Daelman était un vrai bibliophile et il était d’accord avec moi : un libraire est un tutoyeur d’éternité. Mais il pensait que l’essentiel gisait dans les piles d’ouvrages et les ventes initiées par la presse qui payaient le quotidien. Pour le dire simplement, il se voyait au dessus de ses clients. C’est la première erreur : un libraire doit avoir des clients meilleurs que lui car ils l’obligent à se dépasser.

 

2/ un libraire ne vend pas des contenus mais de la matière : Proust en Folio n’est pas Proust en Pleiade, sans parler des originales ou des éditions illustrées. La difference n’est pas mince : une édition de poche est fabriquée pour une ou deux lectures alors qu’un livre relié pourra être relu dix ou vingt fois, manipulé, et rester lisible. Un libraire doit savoir comment un livre se fabrique. Mon vieux copain Berthet, l‘un des meilleurs libaires de banlieue, le disait crûment : » le charcutier sait comment on fait une terrine, le libraire ne sait pas comment on fait un livre. où est le savoir ? » et il avait raison. Un libraire est un technicien. du livre, pas du contenu des livres.

 

3/ Tout libraire doit aller régulièrement à la foire de Francfort. il pourra y feuilleter à peu près toute la production annuelle de l’édition mondiale : près de quatre millions de titres ! Quand on en a fait le tour, il y a une phrase qu’on ne prononce plus : « Ça n’existe pas »J’ai découvert à Francfort des éditeurs spécialisés dans les  réimpressions académiques, des spécialistes de randonnées géologiques, des choses inimaginables. Je revenais avec une valise de catalogues qui nécessitaient trois à six mois de travail et d’analyse. Après, je commandais tout ce qui me semblait manquer dans l’édition française. Je ramassais aussi des catalogues pour mes clients, afin de faciliter leur choix. Tout existe. Le libraire qui excipe de l’absence dans l’édition française contemporaine ne fait pas son métier qui est universel.

 

4/ Le libraire n’est pas un vendeur de livres, mais un acheteur de livres. Un bon livre se vend toujours. Le système office-retours favorise les diffuseurs au détriment des libraires. Il est préférable de bien acheter, de conserver et de ne pas retourner pour ne pas passer des heures à manipuler des cartons. Les retours sont un poste de dépenses qui réjouit les libraires. Quand j’étais libraire, le mercredi et le jeudi étaient bannis de mes rendez-vous. Livres Hebdo arrivait le mercredi et il me fallait deux jours pour choisir ce que j’allais commander dans les parutions de la semaine. Titre par titre, auteur par auteur, avec des vérifications, des hésitations….. Le stock d’une librairie est une partition dont la mélodie reflète le savoir du libraire. Fausses notes interdites.

 

Le libraire est un catalogueur d’objets, il est indifférent aux idées et aux opinions comme aux émotions. Ses catalogues ont des règles, strictes. Un livre n’a jamais de pages impaires : une page étant la face d’une feuille, la parité est obligatoire. Une pagination impaire signe l’incompétence du libraire qui doit donner la pagination et non la pagination imprimée. Une librairie est un lieu de savoir, était un lieu de savoir jusqu’à l’irruption de Jack Lang et de sa loi scélérate qui considérait comme librairie tout commerce où se vendaient des livres en mettant en avant le prix comme caractère pertinent : c’était la route ouverte pour les épiciers désireux de se maquiller de culture. Lang a décidé de la rentabilité des librairies en figeant le prix du livre neuf qui était la pierre de touche de la politique de la FNAC (20% de remise) et les libraires se sont senti protégés. Personne n’a vu le serpent tapi sous les pierres : la suppression du tarif postal « librairie » (applicable aux livres, cartes géographiques et partitions de musique) qui a plombé immédiatement les frais d’accès au livre de milliers de libraires. Les gros acteurs comme la FNAC puis les libraires Internet exigèrent des approvisionnements hors frais de port que les diffuseurs accordèrent. En d’autres termes, le libraire de province payait plus cher que la FNAC pour que le livre soit dans ses rayons. Sa marge était morte avant même la vente.

 

Restaient aux libraires deux segments : les livres importés et les livres épuisés. Deux segments difficiles, demandant du savoir et de l’expérience. Tout libraire sérieux sait que langue et pays ne sont pas connectés : le livre de Bertin sur la sémiologie graphique a été édité en français par Mouton à La Haye et Brill, à Leyde, publie quantité d’études en français sur Spinoza. Quant aux livres épuisés(aujourd’hui on dit d’occasion) il suffit de connaitre leur importance et leur rareté pour se construire des marges souriantes délivrées des contraintes postales. En trente ans, j’ai trouvé deux exemplaires de Jouvence, édité par Dardel, et bible des alpinistes nazis. Il a désormais été reédité au prix de 18€ mais l’originale vaut toujours plus de 50€. Un vrai libraire travaille comme un antiquaire : son savoir crée ses marges.

 

Sous Henri IV, les libraires portaient l’épée qui symbolisait leur savoir. J’attends avec impatience la taxe sur les livres anciens. Les portes vont être ouvertes aux contrebandiers.

dimanche 14 avril 2024

CIVILS ET MILITAIRES

 Poutine bombarde les civils. Le journaliste s’en contrefout. Il sait simplement que les civils forment l’essentiel de son lectorat, alors il leur parle d’eux. Caresser l’audimat dans le sens du poil.

Parce que comme scoop, y’a mieux. Au fil de l’Histoire, les civils ont toujours été la viande préférée des militaires qui les savent indispensables à la conduite des armées lesquelles doivent être guidées, abritées, nourries, de pain ou d’obus. Au Moyen Age, on balançait des cadavres de pestiférés dans les villes, à Hiroshima la productivité était meilleure, comme à Dresde. Mais le but était le même : priver les soldats de l’aide des civils. Avec les guerres « hybrides » on va jusqu’au bout dans la confusion civils/militaires, on ne sait plus qui est qui.

Affaiblir la société civile pour affaiblir l’armée légitimise la destruction de civils. Sur le terrain, l’officier est comptable de ses hommes, seulement de ses hommes. Si les civils menacent ses hommes, son devoir d’officier est d’éradiquer les civils. Droit de la guerre ou pas.

 

La guerre évolue mais pas dans le sens souhaité par la presse. qui se retrouve prisonnière de l’effet pervers. A force de relayer la propagande zelenskyenne, la presse avait fini par penser que David allait à nouveau gagner contre Goliath  tout en oubliant que Zelensky s’appuyait sur un autre Goliath dont il s’était autoconvaincu de la puissance et de la fidélité. Si la culture politique de Zelensky avait été moins anorexique, il aurait pu refléchir sur la mort de Ngo Dinh Diem, abandonné puis sacrifié aux intérêts américains au Viet-Nam. Il vient de recevoir le premier coup de semonce : ses « alliés » lui ont demandé de cesser de bombarder les installations pétrolières russes et de compliquer le marché mondial du pétrole, tout en tardant à lui donner les 60 milliards de dollars promis pour sa défense anti-aérienne. Inutile de faire un dessin : les USA abandonnent Zelensky qui ne joue pas leur jeu.

 

Pour les USA, à quoi sert l’Ukraine ? A affaiblir la Russie et, par contrecoup, la Chine. Or, c’est le contraire qui se passe. Les USA ont sous-estimé la Russie et doivent demander à la France un porte-avions pour ne pas dégarnir leur flotte du Pacifique. L’erreur stratégique est purement américaine mais Zelensky va porter le chapeau et détruire son peuple. Alors qu’il lui suffit de hisser le drapeau blanc Tous ceux qui refusent cette solution acceptent et souhaitent la mort de civils ukrainien. Mais, c’est donner raison à Poutine !! Non. C’est donner tort à Washington.

 

Washington qui ne s’en rend pas compte.. Le Sud global, c’est-à-dire le monde entier, a compris que les USA sont fourbes et que leur domination a pris fin. Un monde nouveau se dessine

mercredi 3 avril 2024

LES RAPPEURS DE MOUSSEROLLES

 Je m’inquiète toujours quand on réfléchit sur un sujet qui s’impose : réfléchir quand on n’a plus le choix conduit inévitablement à l’erreur. Si on n’a pas vu le problème avant qu’il ne soit un problème, on doit s’inquiéter sur ses capacités intellectuelles.

 

Prémisses : peut on comparer une ville de 50 000 habitants et une ville de 1 600 000 habitants ? On le peut en suivant La Fontaine, la grenouille veut toujours imiter le bœuf. Et donc les Bayonnais sont fiers de leurs fêtes qui rivalisent avec l’Oktoberfest munichoise, les Fermines navarraises ou le Carnaval carioca. Pamplona 250 000 habitants, Munich 1,6 million d’habitants, Rio 7 millions de cariocas. On ne joue pas dans la même cour. Sauf sur un plan : toutes ces villes, sous prefecture comprise sont des villes à forte identité culturelle. Elles sont donc condamnées à supporter les effets de cette plaie de la mondialisation que l’on appelle surtourisme quand l’abondance de visiteurs détruit le cadre urbain et civilisationnel qui attire les visiteurs. En clair : l’abondance ne se gère que par la coercition sauf à accepter la destruction programmée car un cadre prévu pour 50 000 habitants ne peut pas en recevoir 6 fois plus.

 

Phrase inacceptable pour qui doit sa position au choix (c’est l’un des sens de l’election) de la population convaincue de la capacité à trouver des solutions, même quand il n’y a pas de solutions car personne ne peut faire rentrer six litres dans une bouteille d’un litre.  Notre cher adjoint à la culture affirme que le problème vient d’une méconnaissance de nos codes. C’est vrai mais c’est un peu court jeune homme car les fêtes reposent partout sur les codes du territoire, codes d’autant plus riches et plus nombreux que le territoire repose sur une base culturelle forte qui sépare les autochtones (les indigènes) des visiteurs. Le fossé ne peut pas être comblé. J’ai essayé de lister ces codes pour les enseigner à mon fils, descendant direct de plus de douze générations bayonnaises mais natif de Lutèce. Quand il est venu, sa mère (nous avons divorcé depuis) m’avait fait promettre de ne pas l’amener voir une corrida. Je l’ai donc amené un dimanche matin voir une novillada piquée. Je n’ai pas trahi ma promesse, une novillada n’est pas une corrida. Aficionado, mais pas menteur. Et j’ai passé deux heures à parler, à expliquer, à décrypter ce magnifique système sémiologique qu’est l’art d’envoyer un bovin ad patres. Tout en me disant qu’une fois ne suffisait pas et qu’il faudrait beaucoup plus de faenas pour qu’il me rejoigne culturellement. Mais j’avais le sentiment de poursuivre mon histoire en la lui confiant.

 

Fort de cette expérience, je me suis posé la seule question qui vaille en matière de surtourisme : mais pourquoi viennent ils nous emmerder ? La première réponse est valorisante : parce que nous sommes uniques. Mais nous ne sommes pas les seuls à être uniques, les Venitiens peuvent en dire autant. Et les Venitiens ont trouvé une solution radicale : ils font payer. Comme les Bhoutanais. Ce petit pays qui a inventé l’indice du bonheur fait payer les touristes : 200 dollars par jour pour dormir dans des monastères et bouffer des lentilles.

 

Solution que l’opposition rejettera avec la majorité : les vacances (le tourisme) est un acquit social et se doit d’être égalitaire. A propos de cette unanimité, j’écrivais voici cinq ans :

 

L’action des politiques compte moins que la vision mise dans la tête par les médias, vision toujours simplificatrice ou simplifiée, amplifiée par les hordes de couillons de base qui balbutient leur bonheur d’être venus dans ce quasi-paradis. Parenthèse : après trente ans de tourisme, je continue de constater que personne, jamais, n’affirme s’être trompé sur le choix d’une destination et avoir passé des vacances de merde.

 

Et donc, les politiques font semblant d’avoir organisé une croissance qui ne leur doit rien. Alors qu’ils ne font rien et poursuivent leur aménagement basé sur un état des lieux obsolète ce qui explique que les plans de circulation ou l’aménagement des parkings ne tiennent jamais compte des variations saisonnières, ni des prévisions de croissance. Ne parlons pas des réseaux d’épuration ou de la politique culturelle.

 

Avant de voter, pensons y. Aurons nous des candidats avec une vision intelligente, structurée, cohérente, ce qui signifie aussi une vision limitative car aucune croissance, jamais, ne s’est poursuivie ad libitum.

 

Avec un regard froid pensons que les fêtes coutent trois millions d’euros à la communauté ; faire payer les allochtones augmente ce budget (bracelets, points de contrôle), d’autant que la ville est sous-dimensionnée en hebergements. Sans campings il faut accepter l’invasion des tentes dans des lieux qu’il faut ensuite nettoyer, il faut prévoir des toilettes, des transports, pour quels avantages ? Augmenter le chiffre d’affaires des fast foods ou des zones commerciales ? Quelqu’un a-t-il fait une étude chiffrée sérieuse ? Pas une extrapolation baclée, une étude portant sur 20% des festayres (en deça, les chiffres seront insignifiants).

 

A l’heure actuelle, la mort des fêtes semble inéluctable. Les visiteurs n’apprendront pas nos codes car ils s’en foutent.. Seule les intéresse l’écume de la fête, la sono à fond et les verres qui basculent. Ils pensent que Patrick Sébastien connait mieux les sardines que les pêcheurs de Donibane et la liberté les autorise à pisser contre la Cathédrale. Les autochtones ne voient rien venir Ils ont accepté que le Labourd enfile le costume de Navarre, que le kebab remplace la ventrèche et que Beyonce dégage les Pottoroak comme Udo Jurgens a dégagé le chanoine Lamarque Quand on coupe les racines, l’arbre crève.

 

Les Bayonnais ont été décérébrés. Les vieux cons comme moi savent bien que les visiteurs affluent pour notre puissance culturelle plantée dans notre histoire, puissance qui est forte des emprunts culturels faits à d’autres groupes, à commencer par nos voisins espagnols. Nos clubs privés s’appellent des penas et on peut y boire du fino. Bayonne n’est pas monoculturelle. Mais les Bayonnais badent la culture des autres alors que le plus important est la culture que la ville a apporté au monde. Les « battles » des rappeurs sont nées en Gascogne sud quand les troubadours ont inventé la tenson, le duel de chant, au XIème siècle et la tenson était la forme romane du bertsu basque. N’admirez pas les rappeurs, ils se contentent d’exploiter une forme de chez nous, dix siècles après nous et n’oubliez jamais cette règle : le monde serait moins évolué sans la créativité bayonnaise.

 

C’est pour ça qu’ils viennent.