lundi 28 mai 2012

LES ENFANTS EN DIFFICULTE

Dans l’école du petit, c’est le branle-bas de combat. Un poste de Rased a été supprimé. Vous savez, le Rased, le Réseau d’Assistance aux Enfants en Difficulté. Ça mobilise ferme. C’est vrai, quoi, faut aider les gosses.

Je me sens pas concerné. Le petit, il a pas de difficultés. Il parle bien, a du vocabulaire, connaît ses chiffres, a commencé à faire des additions, il sait écrire, bref tout va bien. Trop bien : la directrice de l’école nous déconseille de le faire travailler pendant les vacances, qu’il prenne pas trop d’avance sur le programme. J’ai du mal à comprendre. Une dame qui est payée pour que les gosses apprennent s’inquiète qu’ils apprennent trop. Elle travaille pas sur l’apprentissage, elle travaille sur la cohérence du groupe. Pas confondre. Profondément, je suis pas contre. J’ai pas envie que mon fils soit un cancre, j’ai pas envie non plus qu’il soit le bon élève sur lequel se cristallisent les rancœurs.

Le petit, il a pas de difficultés parce qu’on s’en occupe. Surtout sa mère, faut être juste. Elle joue beaucoup avec lui, lui achète des livres, lui raconte des histoires. Moi, je m’occupe plutôt de la partie électronique. Il a appris ses chiffres en jouant au solitaire, si t’inverses le 7 et le 8, l’ordinateur refuse. Et pour comprendre les messages du Mac, faut savoir lire. Obligé. Alors, il s’y est mis. On va comme ça, du papier à l’octet, l’un renforçant l’autre. On visite les musées de son âge et on essaye de lui expliquer. On est des parents normaux.

Faut dire qu’on a une conception un peu vieillotte de l’enseignement. On voit ça comme une collaboration entre parents et enseignants. Le môme, l’institutrice elle lui apprend des trucs. Nous, à la maison, on révise, on recommence, on essaye de nouvelles pistes, on tente de construire un va-et-vient entre l’école et la maison. Ça marche pas toujours, mais c’est pas grave.

Ha ! me dit la militante grisonnante à qui j’avoue mon incompréhension. Vous vous rendez pas compte ! Tous les parents peuvent pas faire ça ! Y’en a qui parlent pas le français. D’autres qui sont illettrés. Elle me prend pour une pipe, la vieille ! Je le sais bien. Je fais les lettres de mon voisin sénégalais (http://rchabaud.blogspot.fr/2012/04/mon-voisin.html). Je sais bien que Mohammad Affad, le copain de mon fils, il vient du Pakistan et que dans l’hôtel social où il loge avec ses parents qui causent que l’ourdou, il a pas vraiment les armes qui le conduiront en hypokhâgne. Et même les autres. Je les entends parler à leurs gosses. Ils s’efforcent mais parfois, ça manque un peu de matière. Faut dire que c’est pas évident.

Sauf que ma militante blanchie sous le harnois, comme beaucoup de militants, elle a oublié ses neurones à la maison. J’essaye d’être gentil. Je lui parle doucement. Et donc, chère petite Madame, vous êtes en train de m’expliquer que ce ne sont pas les gosses qui sont en difficulté, mais les parents. Ce sont eux qui ont des difficultés à jouer leur rôle de parents. Et, par voie de conséquence, votre réseau, il ferait mieux de s’occuper des parents.

D’abord, ce serait plus efficace à terme. Ces parents incapables, ils sont jeunes pour la plupart. Ils vont se reproduire à nouveau. Si on les aide à aider l’aîné, ils aideront mieux les cadets, c’est obligé. Former les parents, c’est aider, non pas un gosse, mais une fratrie. C’est vachement plus malin. Faut faire un réseau d’aide aux parents, pas aux enfants.

Aïe ! ça coince. Ma militante, elle est pas contre. Mais c’est pas possible. On peut pas demander aux parents de retourner à l’école. C’est dévalorisant. Houla ! c’est dévalorisant d’apprendre ? Première nouvelle. Le papa Paki de Mohammad, ce serait pas bien pour lui d’apprendre le français ? Je veux dire dans la vie quotidienne, pour faire ses courses ou trouver un boulot ? En plus d’aider son gosse.

Oui, mais non. La militante, elle me prend pour un demeuré. Elle m’explique que, chez ces gens-là (bonjour Brel), les gosses, c’est du domaine de la mère et que c’est difficile d’éduquer les mères. Les pères sont pas chauds pour l’enseignement des femmes. Hé ! Ho ! il est plus à Karachi, le papa. Il est à Paris. Et à Paris, on éduque les femmes. C’est comme ça. Et s’il a des filles, on les éduquera. Et peut-être même que les filles, elles réussiront mieux que leurs frères. Elle doit comprendre ça, la suffragette aux cheveux d’argent.

Oui, oui, elle comprend, mais on peut pas les forcer. Pourquoi ? J’avais oublié. On peut pas forcer les gens. C’est un gros mot. Mais vous avez essayé ? Ben non, elle a pas essayé. Ce qu’elle me dit, c’est juste des arguments de militant coincé. Elle y avait pas pensé, c’est aussi simple que ça. Le Rased, c’est ce qu’il y a de plus facile. Tu dis aux parents que l’école va garder les gosses un peu plus longtemps, ils sont pas contre en général, surtout s’ils sont quatre dans une pièce. Tu t’occupes d’enfants, c’est attendrissant, ça fait mouiller les yeux des amateurs de Delarue.

Par contre, organiser des cours pour des parents de langues et de niveaux différents, les faire venir après le boulot, vers 19 ou 20 h, c’est autre chose. Faut que l’école ouvre plus tard, que les enseignants se passent de David Pujadas, que les parents aménagent leur emploi du temps, c’est pas vraiment la même logistique, pas vraiment les mêmes compétences.

Je vais finir de l’horrifier, ça illuminera ma journée. C’est facile : y’a qu’à soumettre les prestations sociales à l’obligation de formation. Je regarde sa tête. Elle est en train de me classer quelque part entre Goebbels (Joseph) et Le Pen (Marine), elle perd son souffle. Et elle a une réaction normale de militante outrée : elle me tourne le dos et va prêcher ailleurs. Sans me saluer. La politesse n’est pas au programme du Rased.

On commémore en oubliant. C’est vrai que Ferry (Jules, pas Luc), il a rendu l’école obligatoire. Vraiment obligatoire. Il n’y a pas si longtemps, j’ai connu un instituteur de campagne qui allait chercher les gosses dans les fermes et engueulait les parents qui préféraient les voir donner un coup de main aux champs. Il avait même organisé des visites des gendarmes chez les récalcitrants. Il est vrai qu’on avait peur des gendarmes en ce temps-là. Un peu de bâton donne du goût à la carotte.

J’aime bien le papa Paki de Mohammad. On parle pas trop vu l’étendue de son vocabulaire. Je sais qu’il a du mal avec Pôle Emploi. Forcément. Son conseiller, il a pas du faire ourdou première langue. Il cherche avec ses copains, dans sa communauté, là où il peut parler. Il va finir par trouver un petit boulot, plus ou moins légal. Il ne quittera pas son ghetto. Mohammad, il commence à se démerder en français. Il va apprendre, pas aussi vite, pas aussi bien, mais il finira par s’intégrer, tôt ou tard. Au mieux, il aidera son père. Au pire, il le rejettera. Peut-être même qu’il en aura honte, ça s’est vu.

Une politique familiale, ça doit concerner les familles. Pas un membre isolé. Ça sert à rien, sauf à agrandir les fractures et à faire péter le lien social. C’est pas Mohammad qu’il faut aider, c’est toute sa famille. Je sais, c’est plus difficile. Mais une société qui va au plus facile, elle est mal barrée, croyez moi.

On en reparlera…

mercredi 23 mai 2012

LE DISSIDENT AVEUGLE

Là, j’ai commencé par coincer. C’était assez incompréhensible au premier abord. Chen Guangsheng, dissident, autodidacte et aveugle a été autorisé à immigrer aux Etats-Unis.

Ce n’est pas ça qui me pose problème. Depuis Soljenitsyne, on sait qu’un opposant envoyé aux Etats-Unis perd de sa virulence.

Chen était assigné à résidence dans son village de Dongshigu, dans la province du Shandong, à mi-chemin entre Shanghaï et Pékin. On est en Chine : assigné à résidence, ça a un sens. On sait que la police chinoise ne manque pas d’efficacité. Rappelons que le bonhomme est aveugle ce qui ne plaide pas pour une mobilité exceptionnelle.

Or donc, voici que notre aveugle s’évade d’un domicile surveillé par la police, s’offre un voyage de trois jours dans un pays décrit comme l’un des plus coercitifs au monde et se réfugie à l’Ambassade des Etats-Unis qui n’est certainement pas le lieu le moins contrôlé de Pékin. Tout ça tient du miracle.

Il n’y a que deux explications : soit la police chinoise est nulle et tout ce qu’on nous raconte sur la dictature en Chine est faux ; soit cette évasion a été soigneusement orchestrée et autorisée. Mais alors pourquoi ?

D’autant que « l’avocat aux pieds nus » (en fait juriste autodidacte et sûrement correctement chaussé) s’attaquait à un phénomène politiquement insignifiant, la poursuite clandestine de la politique de l’enfant unique. Pas de quoi mettre en péril le pouvoir du PCC.

Quand elle arrive à Pékin, quelques jours plus tard, le programme d’Hillary Clinton est chargé. Elle doit discuter de la situation en Syrie, du programme nucléaire de l’Iran et de l’attitude de la Corée du Nord. Elle est accompagnée du Secrétaire au Trésor qui doit parler de la parité du yuan et du protectionnisme chinois. De vrais sujets, on en conviendra.

On connaît la position du gouvernement chinois sur ces sujets. Pas touche à la Syrie, les opposants à Bachar El-Assad sont majoritairement des islamistes, faudrait pas que ça contamine le Xinjiang. L’Iran a droit à un programme nucléaire et si ça emmerde les USA, c’est pas plus mal. D’autant que l’Iran produit du pétrole et la Chine a besoin de pétrole. Le yuan fluctue dans les limites assignées par le gouvernement chinois qui fait ce qu’il veut. Les discussions promettent d’être sévères.

Seulement voilà. L’ambassade des USA vient tout juste d’héberger un dissident. Les Chinois protestent. C’est pas une bonne base pour discuter. Il convient de crever l’abcès avant de continuer. Les Chinois savent ce qu’ils font. Hillary monte sur ses grands chevaux et embraye sur les droits de l’Homme. La presse, notamment américaine, adore. L’avocat aveugle aux pieds nus, c’est plus sexy pour faire de l’image que le cours du yuan. Hillary s’excite. Comme toutes les Américaines riches, elle adore faire la dame patronnesse. Et Chen Guangsheng devient le sujet principal du grand rendez-vous diplomatique annuel sino-américain.

Le marchandage change. Tu me fous la paix en Syrie et je te laisse l’aveugle. Marché conclu. Je suppose qu’Hillary a cédé sur tout mais elle revient de Chine avec une victoire, la presse l’encense, les USA sont toujours le grand protecteur des libertés, quelle femme cré vingt dieux !!!! Que pèse l’Iran face à une telle victoire ?

Quelle superbe manipulation ! Pour Hu Jintao, c’est tout bénef. Il se débarrasse d’un emmerdeur qui n’avait de poids que parce qu’il parlait de son domicile-prison. Il sait parfaitement qu’aux USA, Chen se contentera de faire des conférences que suivront de moins en moins de gens et qu’il s’enfoncera dans l’oubli, lentement mais irrémédiablement. Pour une raison simple : il n’est plus un dissident. Il suffit de regarder l’évolution de Gao Xingjiang.

Diplomatiquement, Monsieur Hu a gagné un an. Dans un an, le problème syrien sera certainement réglé et on verra bien où en sera l’Iran. Il sera temps de rediscuter. A moins qu’on n’offre aux USA un nouveau dissident ou une sucette sur le Tibet. Monsieur Hu a permis à Hillary de conserver la face. Elle a obtenu quelque chose. Rien sur l’essentiel (politiquement), tout sur l’accessoire (médiatiquement). Mais pour elle, l’accessoire est essentiel. Sunzi a eu de bons élèves.

J’aimerais savoir comment l’évasion de l’aveugle a été organisée. Comment on a relâché la surveillance, comment on a suivi les trois jours de voyage, comment l’évasion a été facilitée, comment les flics ont tourné le dos quand Maître Chen est arrivé devant l’Ambassade des USA avec sa canne blanche. C’est sûrement du grand art.

Tant qu’on confondra l’essentiel et l’accessoire, on sera mal barrés. La lucidité est la chose au monde la plus mal partagée. Il y faut du réalisme c’est à dire un peu de cynisme. Autant dire que personne ne se veut plus réaliste car « cynique » est devenu un gros mot. La Chine est tranquille : elle a un stock de dissidents qu’elle nous distillera à chaque problème. Et nous, on sera heureux, on se dira « c’est toujours ça de gagné ». Ce que se disent tous ceux qui perdent gros devant une machine à sous quand quelques jetons tombent dans la bassine.

Du voyage d’Hillary, c’est tout ce que la presse a retenu. Le dissident aveugle est libre. Reste plus qu’à l’envoyer à Lourdes. Sauf que là, c’est pas Hu qui fait les miracles.

On en reparlera…

dimanche 20 mai 2012

LES FAITS PERVERS

J’ai trouvé un truc marrant sur Internet. Les sources ont l’air bonnes et les faits sont vraisemblables.

Après la guerre, la seconde et dernière dit-on, l’armée et la gendarmerie avaient un souci de modernisation. La modernisation passait par la mécanisation et on décida de développer les brigades motocyclistes. Seulement voilà : les motos étaient chères.

Un petit malin, c’est à dire un grand gestionnaire, découvrit la solution. Acheter des motos BMW et faire passer la facture au titre des dommages de guerre. Les dommages de guerre, contrairement à ce qu’on croit, c’est pas des sous ou des lingots. On a démonté des usines, récupéré des brevets....et importé des motos. C’est du troc et les motos étaient gratuites. L’Allemagne payait la facture.

Y’avait juste un hic. La France avait une industrie motocycliste. Peugeot, Gilera, Terrot, Gillet, Gnome et Rhone, Talbot et quelques autres. Des ouvriers compétents mais des usines détruites ou obsolètes, des cadres, des sociétés qui auraient pu fournir nos braves gendarmes. Sauf qu’il fallait payer les motos, fournir du travail aux ouvriers, reconstruire les usines, en un mot utiliser l’argent de l’Etat pour rebâtir une industrie nationale. C’était beaucoup moins cher (et pour cause !) d’importer des BMW.

Les grands gestionnaires sont des cons. Ils ne voient pas plus loin qu’un spalax (on en reparlera du spalax, le rat-taupier, plus malvoyant qu’une taupe vu qu’il est quasiment aveugle). Pour leurs petites économies minables et à court terme, ils sont capables de tuer des pans entiers du tissu économique.

Privées des commandes de l’Etat, les usines françaises fermèrent les unes après les autres. Mieux encore, les particuliers furent persuadés que si l’Etat équipait ses gendarmes en BMW, c’est que ces motos avaient des qualités que les Françaises n’avaient pas. Ainsi construit-on une image qui dure encore soixante ans après. Tuées industriellement, les firmes françaises virent également leur réputation décliner. A la fin des années 1950, il n’y avait plus sur le marché une seule moto française.

Quand se produisit l’expansion explosive du marché de la moto au début des années 1980, la France était une terre vierge que les Nippons envahirent goulument. Là, faut dire qu’on a pas fait de protectionnisme. Y’avait plus rien à protéger. Je n’ai pas cherché le montant des importations de motocycles dans ces années-là et depuis, mais ça doit peser un bon paquet de millions dans notre dette.

C’est des trucs sur lesquels on devrait réfléchir un peu parce que c’est caricatural. Les minables économies des grands gestionnaires, elles se sont transformées en dettes, en chômage, en destruction de valeur. Je suis certain que ce fut pareil pour les usines démontées et récupérées. On a récupéré des machines d’avant-guerre ce qui a obligé les Allemands à refaire des machines pour l’après-guerre. On a rebâti une industrie vieillotte, ils ont inventé une industrie moderne. On continue de le payer.

Les grands gestionnaires n’ont aucune imagination. Ils ont flingué le monorail de Bertin pour des raisons de coût immédiat sans voir ce que ce train révolutionnaire pouvait apporter dans le siècle à venir. Les grands gestionnaires raisonnent sur le budget de l’année et sur les profits du semestre. C’est bien pour un épicier, pour un gouvernement, c’est nul.

On a déjà parlé de pleins de faits équivalents. Les pertes de Sud-Aviation se sont transformées en bénéfices d’Airbus. En 1960, c’était pas gagné, il fallait une vraie vision de l’avenir.

Les discussions sur les retraites sont du même tonneau. La droite nous dresse un tableau apocalyptique d’un monde de centenaires en poursuivant sans réfléchir les courbes de l’espérance de vie. Personne ne nous dit que l’espérance de vie risque de diminuer. L’agro-alimentaire s’en occupe et nos gosses obèses vivront moins vieux que nous. Dans certains pays, ça commence. Ho ! je vous rassure, l’inflexion est à peine perceptible, mais je suis prêt à tenir le pari.

Penser demain avec les infos d’aujourd’hui, c’est stupide. Mais, mééééh, bêlent les gestionnaires ovins, on n’a pas d’infos sur demain. Ben non. Faut imaginer, faut parier, faut réfléchir. Parfois, il faut décider une direction et s’y tenir, contre vents et marées. Depuis Boudon (et le titre est un clin d’œil) on sait que la prise de décision ne peut pas être rationalisée. Les « prévisionnistes » sont juste des gens qui poursuivent des courbes sans penser que la courbe peut changer. On en a déjà parlé : le père Ghosn qui veut faire des autos pour les pauvres qui ne pourront pas payer l’essence vu qu’elle sera trop chère. Faut être con quand même….

En ce moment, je pense à ce pauvre Montebourg. Il faut qu’il construise la France industrielle de la fin du siècle alors que son horizon, c’est 2017. C’est pas gagné. Il va s’entourer d’experts pour ravauder un tissu industriel que nous détruisons depuis plus de trente ans. Je me souviens d’un bon mec, sympa, bon vivant, intelligent, qui était devenu un copain. Ingénieur spécialiste du textile, il a été le démanteleur de la bonneterie troyenne. A l’époque, le maire actuel de Troyes, un certain François Baroin, usait ses culottes au collège Stanislas. Mon copain Siegfried, son boulot, c’était de démonter les usines et de les envoyer dans des pays où l’ouvrier ne coûtait pas un kopeck. Son discours était impeccable : on gardait la création, le styling, tout ce qui fait la réputation française et les Marocains ou les Tunisiens se tapaient le sale boulot. La valeur ajoutée restait chez nous. A l’époque, à la fin des années 70, la Chine n’existait pas. C’est pas les Marocains qui allaient nous copier !!!

Et donc, avec les éléments dont il disposait, Siegfried avait raison. Quarante ans après, le désastre nous apparaît. Nous n’avons plus d’industrie textile, plus d’usines, plus de savoir-faire, plus d’ouvriers. Sans les Chinois, on irait à poil, ou presque.

Montebourg, c’est mission impossible. Récupérer en cinq ans quarante ans de destruction programmée, même pas en rêve. Je sens que je vais m’apitoyer. Il ne peut y arriver qu’en mettant des baffes au patronat. Je veux dire qu’il va falloir être coercitif. C’est pas très à la mode, comme idée. Il ne peut y arriver qu’en investissant, c’est à dire en dépensant aujourd’hui un pognon qu’on n’a plus (et pour cause) en espérant qu’il rapporte. Tout le monde va lui tomber dessus. Je pourrais déjà écrire les papiers des experts du style de François Lenglet, l’homme qui dit plus de conneries qu’il n’a de cheveux. Lenglet, il donne raison à tous ceux qui pensent que les neurones, ça sert à faire pousser les tifs. Mais, il n’a pas de tifs ! Justement.

Il faut arrêter de penser que le monde change. C’est l’écume qui change. Au fond du fond, un pays qui ne peut plus se nourrir et s’habiller est un pays mort. Comme jadis.

On en reparlera…

jeudi 17 mai 2012

LA MORT DU GROUPE

L’Homme est un animal social. Pour déconsidérer, on peut affirmer aussi que l’Homme est un animal grégaire. Ce n’est pas équivalent, faut pas croire.

L’Homme est un animal social car, comme nous le rappelle Gould, c’est un animal néoténique. C’est un truc dont personne ne parle jamais mais qui a son importance. La néoténie, stricto sensu, c’est la conservation de caractères juvéniles à l’âge adulte. Par extension, c’est aussi le temps nécessaire à devenir adulte, sexuellement mature, après la naissance.

Le petit d’homme va mettre une douzaine d’années à devenir sexuellement mature. Mais, même après cette maturité, il va garder des caractères juvéniles. Par exemple, comme l’a montré Desmond Morris, ne pas développer de pilosité. Douze ans de développement hors utérus, c’est long, très long. Après la mise bas, le chien devient sexuellement mature, adulte, en quinze mois. La souris en quelques semaines. Beaucoup d’animaux sont adultes à la naissance. Les papillons, par exemple.

Les caractères adultes, le petit d’homme va passer une bonne douzaine d’années à les acquérir. Pas tout seul. Grâce au groupe. C’est le groupe qui va le protéger, le nourrir, lui apprendre à parler. Tout ce que nous sommes, chacun de nous, c’est au groupe que nous le devons. Sans le groupe, aussi petit soit-il (le groupe familial), nous sommes destinés à mourir.

Ça a marché comme ça pendant quelques millénaires. Puis vint Tonton Sigmund. Tonton Sigmund, il s’est intéressé à l’individu. A l’individu contre le groupe. C’est une rupture inimaginable. Au départ, c’était juste le groupe familial. Il a expliqué que les souffrances de l’individu adulte venaient de sa relation au groupe familial. Papa trop ou Maman pas assez. Oubliant que trop ou pas assez n’a aucun intérêt face à cette réalité : sans ce groupe imparfait, l’individu ne peut pas survivre. Sans ce groupe imparfait qui va lui apprendre à parler, par exemple, son mal-être il ne peut même pas l’exprimer. Ça relativise l’ego.

Tonton Sigmund a eu du succès. Pour la première fois, quelqu’un parlait de « moi ». Quelqu’un me sortait du groupe. C’est le début d’une immense dérive. En ce début du XXIème siècle, le groupe n’existe plus. Sauf le groupe de pression, mais on l’a renommé lobby pour faire chic.

« L’enfant est une personne » m’affirme la psychologue de l’école. Oui. Mais une personne en construction. Le gnard de six ans, il a tout à apprendre. Et d’abord à parler correctement. La psychologue admet. Une personne en construction est-elle une personne ? Là, elle bloque. Ça rentre pas dans son discours. J’insiste. Une maison en construction est-elle une maison ? On n’y habite pas, non ?

Faut penser aux Droits de l’Homme, me dit un copain. Certes. Mais les droits de l’Homme sont-ils les droits de l’Individu ? Même la déclaration actuelle, bien édulcorée, elle fait sans cesse référence au groupe. « Toute personne a droit à l’éducation ». Certes. Mais qui dispense l’éducation sinon le groupe ? Même l’article 29 finit par l’admettre : « L'individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible. » Ben oui. Pas de groupe, pas d’individu.

Tu discutes, ton interlocuteur finit par l’admettre après avoir argué que le groupe se compose d’individus et que sans individus, y’a pas de groupe. Non. Si c’est pas ce groupe, ce sera un autre, mais le groupe est consubstantiel à l’individu. Question de survie, voir ci-dessus. Même les anars se regroupent. Mieux, ils s’organisent. Tu parles d’une anarchie !

C’est le moment de porter l’estocade. « Et donc un groupe est fondé à se débarrasser d’un individu qui le menace ». Quand tu dis ça, t’as intérêt à te mettre à l’abri. Tu peux être sûr de ton effet. Pas la peine de préparer tes arguments, personne va t’écouter. Grâce à la pub, le discours ambiant est toujours semblable. Parce que je le vaux bien. Lanzmann et Dutronc avaient tout compris : « Et moi, et moi, et moi… ». Du coup, devoir ce « moi » exceptionnel à autre chose que moi devient insupportable. Du coup, sentir une menace sur ce « moi » devient impossible.

Les groupes s’émiettent lentement. Les syndicats sont à l’étiage. Les partis politiques qui valorisent le groupe s’enfoncent lentement ou loupent leur décollage. Les manifs unitaires sont remplacées par « chacun sa manif ». On assiste à la naissance d’une floraison de petits partis, le dernier étant le Parti Pirate dont le souci premier est la liberté sur Internet. Comble du ridicule : on se regroupe pour valoriser le mec seul devant son écran. Ce qui suffirait à prouver que seul on ne vaut rien.

Nous assistons à la dérive ultime mais pourtant pas si neuve : le groupe qui se reconnaît dans un individu, un seul, valorisé à l’extrême. C’est le regroupement Bleu Marine. Le Front National lève le masque. Il ne s’agit plus de Nation (de groupe) mais d’individu. On a déjà connu ça et le FN de Papa savait hurler contre le « culte de la personnalité », lui qui comprenait qu’on puisse écrire « Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer ». Ceci dit, Adolfette, elle va plus loin. Joseph (Staline), Mao (Zedong), Kim (Jong Il), Adolf (Hitler) ils n’avaient pas osé débaptiser leur mouvement pour y intégrer leur nom. Adolf, il dirigeait le Parti National-Socialiste, pas le Regroupement Adolfien. Un reste de pudeur, sans doute. Elle, elle a peur de rien.

Voici donc le premier parti français intégrant dans son nom le prénom du chef : même les zélateurs de Napoléon se déclaraient « Bonapartistes », pas Napoléoniens. Ça en dit long.

Valoriser l’individu, c’est chercher le chef. Tous les publicitaires, ceux qui vous assènent l’ego dans leurs images de merde, sont les fils de Goebbels. Ils aiment la foule manipulable, d’autant plus manipulable qu’ils l’ont faite éclater, qu’ils l’ont décérébré, qu’ils ont tué la raison au profit de l’émotion. Joseph Séguéla (à moins que ce ne soit Jacques Goebbels) a même pondu un livre là-dessus. Y’a des signes pertinents et odieux : la foule qui hurle « Nicolas » ou « François ». Merde ! c’est le Président, pas un copain de bistro. Seulement voilà : le prénom attise l’empathie. T’as pas intérêt à t’appeler Marcel ou Gaspard pour faire une carrière politique. On choisit plus des idées, on aime un mec. On l’aime d’autant plus qu’il donne le sentiment de ne penser qu’à moi.

Je vous tiens le pari que dans cinq ans on aura le choix entre le Rassemblement Bleu Marine, les Groupies de François et le Fan-club de Jean-Luc. Et on sera content de se donner à un chef. Un chef qui est un copain, quasi un frère, et même un grand frère. En anglais on dit Big Brother. Finalement, Orwell, il s’est juste planté sur la date. Mais on y est.

On en reparlera….

samedi 12 mai 2012

FRANÇOIS, NE VA PAS A BERLIN

Si j’étais copain avec Hollande, c’est ce que je lui dirais. Ne va pas à Berlin. Et surtout pas le 15 mai.

C’est une règle : le plus faible se déplace. Le plus fort attend, sur son territoire, que le vassal vienne faire soumission. Dire « je vais à Berlin », revient à se mettre en position de faiblesse. Elle doit mouiller de bonheur, la Prussienne cylindrique.

Surtout qu’elle est pas vraiment en position de force. Elle a besoin de la France. Et la France n’a pas ratifié le traité. Y’a pas le feu. Faut une Assemblée pour ratifier et on n’aura pas d’Assemblée avant fin juin. François, il m’a promis qu’il ratifierait pas. Donc, c’est à Merkel de venir demander poliment qu’il change d’avis. « Une certaine idée de la France », c’est ça. Normalement, c’est les Allemands qui vont à Canossa. Ils ont l’habitude, faut pas qu’ils la perdent.

François, il se rend pas vraiment compte que, depuis le 6 Mai, on est en 1789. Toute l’Europe a les yeux fixés sur la France. Il l’a dit au Bourget : « Mon ennemi, c’est la Finance ». Et l’espoir s’est levé. Pas que pour nous. Les Grecs, les Espagnols, les Italiens, les Portugais, ils regardent Paris. François, faut pas croire que tu portes l’espoir des Français. Tu portes l’espoir de tous les peuples européens. Alors, fais pas le con. Ne va pas donner des gages à Merkel.

Ne pas écouter les stipendiés du grand capital parce qu’ils pètent de trouille. Bien sûr, François, ils te connaissent. Ils savent que tu es plutôt un bon mec, que t’as pas envie de faire exploser le système. Mais sur ce coup, tu as la main. Jusqu’à fin juin, tu peux entretenir leur trouille. Et pour eux, fin juin, c’est l’éternité. Si tu te tais, ils vont faire des conneries, c’est sûr. Ils ont l’épée grecque au-dessus de la tête (Damoclès, c’était un Grec, faut pas oublier).

La Grèce va péter. Ils ne vont pas trouver de vrai gouvernement. Surtout maintenant que tu es là. S’ils refont des élections, ce sera pire parce que les Grecs auront les yeux rivés sur toi. Les Espagnols aussi. Ils ont viré Zapatero parce qu’ils le savaient isolé. Maintenant que tu es là, la chanson a changé.

François, tu es dans la position de Blum en 36. Il faut aider la Grèce et l’Espagne contre l’Allemagne. OK, j’exagère. Angela n’est pas Adolf. Mais la structure géopolitique est identique puisqu’il s’agit de conforter le pouvoir des conservateurs et de laminer les peuples. C’est ça que tu veux ? A ce propos, relis les Mémoires de Léon Blum, quand il parle du devoir d’ingérence (par parenthèse, Kouchner a piqué l’idée à Blum, Kouchner, ça commence comme coucou). He ben, c’est le moment de s’ingérer et de dire stop à la Prussienne mal équarrie.

François, tu as les cartes en main pour faire enfin l’Europe des peuples contre l’Europe des oligarchies. C’est ton destin. C’est pas de bol. T’as été formé pour la gestion et la négociation. Les peuples savent bien que la négociation, c’est juste pour savoir qui va payer la vaseline. Ils attendent Valmy. Je sais, c’est pas comme ça que tu vois les choses. Peut-être même que tu as un peu peur.

Réfléchis. Repars à Tulle respirer un bon coup. Vas y en train pour regarder la campagne française. Mets toi bien dans la tête que ton destin te dépasse et qu’il va falloir assumer ou renoncer. Et je n’ai pas envie que tu renonces.

Réfléchis. Ce que les Européens attendent de toi, c’est un chef. Quelqu’un qui tienne sa parole et qui garde le cap. Fais ce que je te dis et tu vas siphonner le FN. L’autre ridicule, il croyait que les électeurs du FN votaient en fonction du programme. Il n’a pas compris que les électeurs du FN voulaient un cap et quelqu’un capable de le tenir. Et que sur ce coup, lui qui ne cessait de changer n’était pas crédible. Deviens un leader et le peuple t’adoubera.

Je sais, François, « leader », c’est de l’anglais. En allemand on dit « führer ». C’est pas ton truc, mais le mot importe peu. On peut conduire un peuple sans dictature. On ne peut pas le conduire sans espoir. Les peuples européens veulent sortir de la fatalité financière et retrouver de l’espoir. Depuis une semaine, cette responsabilité t’incombe. Tu as l’espoir de l’Europe sur les épaules. Je sais, c’est lourd…

On en reparlera…

lundi 7 mai 2012

LA PAGE BLANCHE

Grâce à France-Info d’abord, puis les chaines « info », puis Google Actualités, on nous a introduit une idée dans la tête. L’information est permanente, totale, globale., changeante et toujours actualisable. Nous baignons dans un monde d’information.

Personne ne pose la question de la pertinence. J’avais appris, dans les temps antiques, qu’une information n’avait d’intérêt que si elle apportait un éclairage. Le plus large possible. Faut s’y faire, ce n’est plus le cas.

Il ne faut pourtant pas être grand clerc pour voir que la plupart des infos dont on nous gave n’ont aucun intérêt. Deux ouvriers belges blessés sur un chantier à Bayonne. Ça vaut quelques lignes dans l’édition locale du journal régional. Tout le monde s’en fout. Ben non. C’est un des titres de Google Actualités ce matin. En quoi l’ensemble de la Nation est-il concerné ? Même moi, Bayonnais, je m’en tape. Ma vie n’est pas concernée. Ce n’est pas une info. Même pas une anecdote. Autrefois, on disait « les chiens écrasés » pour qualifier ces infos qui n’intéressaient que quelques voisins. Les journalistes débutaient comme ça.

Seulement voilà. Google vit de la fourniture d’informations. Plus d’infos, plus de bénefs. Donc tout fait info, même si c’est pas une info. Vous leurrez pas, c’est pareil pour les journaux ou les télés. Tu peux pas imaginer le responsable du cahier Livres de Libé dire : « Cette semaine, y’a rien de bon, on fait pas le cahier ». Ou Ruquier annuler son émission parce que la matière est médiocre. C’est pas possible. Pour être exact, c’est plus possible. Théophraste Renaudot, le père de la presse, ne publiait son Mercure français que lorsqu’il y avait de l’information. Pas d’info, pas de journal. Logique.

Alors, on bidonne. On invite ce malheureux Gérard Collard comme si la candidature d’un libraire à l’Académie était une info culturelle aussi importante que la publication d’un nouveau Pléïade sur Montaigne. Je déconne : personne n’a parlé de la nouvelle édition de Montaigne en Pléïade. Toutes les semaines, on vient nous parler du film de l’année, du livre de l’année, du chanteur de l’année. Même s’il est mauvais. L’essentiel est de noircir la page blanche. Avec rien s’il n’y a rien.

Et même quand on peut traiter l’info, on s’en garde. Prends Furiani. Vingt ans que des supporters de foot sont morts en allant voir Papin. Tu t’attends à un vrai traitement de l’info : depuis vingt ans, y’a eu un procès, on a découvert des responsabilités. On pourrait imaginer que la nouvelle débouche sur des marchés mal passés avec des entreprises mal conduites. Ben non. Rien. Une messe dans la cathédrale de Bastia. Tu parles d’une info ! Les curés, ils adorent les morts, c’est leur fonds de commerce.

Hollande est élu. En boucle, sur toutes les télés, des dizaines de motos suivent sa bagnole qui va de Tulle à Brive. C’est une info, ça ? Quel intérêt ? Ça apporte quoi ? On baigne dans l’anecdotique insignifiant. On remplit la page blanche mais on la remplit avec du rien. On justifie le temps d’antenne parce qu’on n’a rien à dire. Pendant ce temps, les plateaux sont vides. Les mecs de l’UMP se cachent, ceux du PS n’ont rien d’autre à faire que s’autocongratuler. Là, il y a peut-être une info à exploiter. Analyser pourquoi les perdants se cachent. C’était une soirée pathétique.

Il y avait pourtant une info dans ce convoi. Hollande était enraciné au plus profond du pays. Comme Mitterrand à Nevers ou Pompidou à Cajarc. Au plus profond : il n’y a même pas d’aéroport à Tulle. J’ai souvenir d’une arrivée à Tulle, il y a quarante ans, sous la neige et par la micheline qui venait de Bordeaux. C’était Kashgar ou peu s’en faut. Sarkozy a été le seul Président depuis un siècle à n’avoir pas d’ancrage provincial. Il a été le Président de Paris, celui pour qui le Fouquet’s était l’Hôtel des Voyageurs ou le Café du Commerce. On le lui a reproché ce qui était une connerie. Il ne pouvait pas envisager, imaginer autre chose. Pour lui, les Champs-Elysées étaient ce que la Place de la Cathédrale était pour Hollande. Un territoire naturel.

Insister sur cette info n’était pas non plus envisageable pour les journalistes qui pensent qu’il n’est bon bec que de Paris. Qui refusent de voir qu’au regard du suffrage, Paris et sa banlieue ne représentent qu’un petit quart de la France. Que les élections nationales se jouent au niveau de la Nation, à Tulle, Cajarc, Colombey ou Sarrans. Elles sont là, les racines de l’anti-sarkozysme. Dans le refus du jacobinisme exacerbé.

« Casse toi pov’ con » n’est pas une formulation provinciale. Pas un élu de province ne se permettrait une telle formule. Ne fut ce que parce qu’il connaitrait son interlocuteur, qu’il pourrait le nommer. Nous sommes encore une nation rurale. Même vivant dans une grande ville, tout Français conserve des attaches rurales et provinciales, un cousin agriculteur ou un oncle petit commerçant dans un trou du cul du monde, une tombe dans un village où on se rend à la Toussaint. Sarkozy a été détesté parce qu’il était un élu caricaturalement parisien, caricaturalement déconnecté de notre réel.

La presse porte le même fardeau. Pour remplir tous les jours la page blanche ou l’écran vide, elle va au plus près. Elle se déplace du Palais Bourbon au Palais du Luxembourg, elle glane à l’Elysée ou à la Bourse. C’est bien, la Bourse. De l’ouverture à la fermeture, ça permet de prendre l’antenne cinq fois par jour, d’aller interviewer des spécialistes installés dans les arrondissements limitrophes des salles de rédaction. Mais combien de Français sont intéressés ? Combien de Français dépendent du CAC40 pour leur vie quotidienne ? Pendant que crèvent les quotidiens nationaux, la presse régionale affiche une santé insolente. En parlant du bal des pompiers de Barcelonnette ou de la rosière de Pessac. En parlant aux lecteurs de leur vie quotidienne. C’est pas intéressant ? Autant qu’un convoi de bagnoles aux vitres fermées allant de Tulle à Brive.

L’info aujourd’hui n’est plus qu’un immense babillage, un bruit de fonds sans contenu. Ce n’est plus qu’un jeu consumériste. De la promo. Sauf qu’on promeut n’importe quoi et que tout est au même niveau. Les journalistes sont devenus des animateurs, comme les mecs qui vous vendent des râpes à carottes dans les supermarchés. Ce qui ne les empêche pas de plaider pour la dignité de leur métier. Vaut mieux en rire…

On en reparlera….

jeudi 3 mai 2012

SACRE VICTOR !

« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris »

Tu parles. Le grand-père, grand poète, il fait la bise au gnard et il se dépêche d’aller sauter Juliette Drouet. Parce que Totor, c’est ça. Le poète de la famille (Ah ! l’amour d’une mère), il a passé sa vie à cocufier Bobonne et il était plus souvent dehors que dedans. J’exagère à peine. Remarquez, il avait de qui tenir. Maman Hugo, Sophie Trébuchet de son nom de jeune fille, elle a filé des cornes au général (mon père, ce héros) qu’il aurait pu épousseter le sommet de la Tour Eiffel si elle avait existé.

Ceci dit, on s’en fout. La bonne littérature ne s’accommode pas nécessairement d’une vie bien réglée. Et quand elle est vraiment bonne, on finit même par oublier la vraie vie. Pour ça, Hugo, il a fait très fort. Ce qu’il a pu nous coller dans les neurones est effrayant. On est tous persuadés que Napoléon III est calamiteux et que la Cour des Miracles était une sorte de pensionnat où poussaient les grands sentiments. Que tu peux bien aimer que si t'es très vilain, comme Quasimodo. Et quand tu vois une gamine qui bosse, c'est tout de suite Cosette.

Totor vénère le peuple qui le lui a bien rendu. Il nous colle dans les dents un monde où la solidarité est une vertu cardinale (Tiens dit-elle, en ouvrant les rideaux…), un monde où les enfants pauvres savent mourir pour la Patrie (c’est la faute à Voltaire), un monde où Dieu pourchasse les fautes (l’œil était dans la tombe). C’est récurrent chez Totor : le pauvre est grand et seuls les valets savent aimer (un ver de terre amoureux d’une étoile). Pas con, Hugo : il sait bien que les pauvres, plus nombreux, assurent les plus gros tirages. Il y a du Hugo chez Marc Lévy.

Notre vision de la justice est valjeanienne. Vous vous souvenez ? Le brave évêque de Digne (déjà, Digne, ça a du sens, Arras ça aurait pas marché pareil) qui jure aux gendarmes qu’il a offert les chandeliers à Jean Valjean. Et devant tant de bonté, le forçat qui s’amende et passe sa vie à faire le bien. Hein ? C’est pas beau ça ? Donnez le bel exemple et il sera suivi. Même si l’exemple est clérical ? Même. Surtout.

Tu lis Les Misérables, t’as tout compris. La rédemption est quasiment inscrite dans nos gènes. Il faut être un Javert pour ne pas comprendre. L’homme est bon, la société le détruit. L’antienne hugolienne, elle a passé les siècles, elle est toujours là, solide, omniprésente. C’est pas Marianne qu’il faut mettre dans les tribunaux, c’est le buste de Totor. Il nous a créé une vision rédemptrice de la Justice : on ne condamne pas l’Homme, on croit en lui. T’écoutes les médias, c’est que ça. Tout flic est un Javert, un gros méchant, quasi un assassin. Le dernier, c’est le pauvre type qui a tué un évadé multirécidiviste armé d’un P38. Ce mec, je le connais pas. Je peux juste l’imaginer arrivant sur les lieux d’un braquage à main armé en sachant qu’il a en face un bonhomme déterminé. Tu peux pas lui demander d’être rationnel. Mais voilà. Il a Javert sur la tête. Quoiqu’il fasse, il est dans le camp des salauds. Il peut dire merci à Victor.

La plupart des magistrats, ils se prennent pour l’évêque de Digne. C’est des curés laïques. Ils sont persuadés de la possibilité de rédemption. Tout dealer vingt fois condamné est à leurs yeux une sorte de Jean Valjean. Bien entendu, ils sont aidés par tout un arsenal juridique, ils ont des textes pour leur servir de parapluie. Ils sont aussi aidés par des niais médiatiques. Le dernier, c’est Botton. Une référence, Botton. Gendre de Michel Noir, il a passé deux ans en prison pour « abus de biens sociaux ». A ce niveau de relations et pour ce genre de délit, s’il a chopé deux ans, c’est que ça devait être du lourd. Alors, Botton, il a découvert la prison et il a trouvé ça bien dur. Du coup, il veut aménager la vie pénitentiaire avec une association qu’il a appelé « Les Prisons du cœur ». Il en est pas à filer ses chandeliers comme l’évêque de Digne, mais c’est pas loin.

Il a pas complètement tort. La prison, c’est la privation de liberté. Il n’y a pas de vraie raison pour que ça soit pire. En même temps, y’a pas de vraie raison pour que ça se transforme en club de vacances. Il en est pas loin, Botton. Il réclame des menus aménagés. Pour les malades ? Non, ça, ça existe déjà. Pour les végétariens. Ou pour les religieux. Je l’ai entendu, à la télé, s’offusquer parce que « 45% des prisonniers ne mangent pas de porc » et qu’ils ne sont pas sûrs qu’on leur file du vrai hallal. Dis donc, c’est pas loin de Zemmour, ce genre de phrases. Botton, il a du oublier que la prison était laïque. Par définition. Et puis, en principe, si t’es religieux, tu te balades pas avec un P38. Enfin, je crois pas. On n’est plus sûr de rien au jour d’aujourd’hui. Les mecs, ils doivent avoir la religion à géométrie variable. Flinguer un mec, c’est autorisé par le Coran ? A mon humble avis, si t’es en prison, c’est que tu pratiques pas trop les principes religieux de compassion et de mansuétude. Alors, le hallal….

Pas la peine de lui parler de multirécidivistes. Jean Valjean aussi était multirécidiviste et, Victor nous l’assure, il a été touché par la Grâce. Par voie de conséquence, la Rédemption est toujours possible. C’est un dogme. En tous cas pour Botton.

Du coup, on inverse la perspective. Le mec a été conduit en prison par une société injuste et dont l’injustice est responsable de sa conduite. Donc, la société doit payer. Quand j’étais petit, on m’a appris le contraire. Que c’était le prisonnier qui payait sa dette à la société. He ben ! c’est plus vrai. C’est même juste le contraire. C’est fou ce qu’on progresse. Il doit être content Totor dans son Panthéon.

C’est la force de la Littérature. Elle te rentre par tous les pores de la peau, elle t’envahit les neurones, elle règle tes conduites. Sauf que ça reste de la littérature : un mec qui se paluche l’imaginaire. Un mec qui truque un peu, ou beaucoup. Un mec qui se fait plaisir.

Tiens, en préparant ce billet, j’ai trouvé un truc superbe. Un site algérien : http://www.setif-dz.org/t19-quelques-vers-de-victor-hugo où j’ai appris (?) que Victor était musulman, converti à l’Islam en 1881 par un cheikh de Tlemcen. Il paraît que c’est amplement prouvé par quelques vers de la Légende des Siècles écrits en 1859. C’est ça qui est génial avec les grands auteurs : chacun y trouve sa provende.

Et donc, bouclons la boucle et revenons à Botton. Musulman, Hugo devait manger hallal. Il n’en a pas parlé dans les Misérables mais s’il avait vécu, il n’aurait pas manqué de le faire. Ce qui justifie doublement Botton dans sa quête de rédemption et dans son plaidoyer hallal.

Comme disait Vialatte : Et c’est ainsi qu’Allah est grand….