lundi 31 octobre 2011

LE SYNDROME CARRERE D'ENCAUSSE

Je l’écrivais lundi dernier : la clef de la crise est à Pékin. Aucun des commentateurs que j’ai écoutés ne parlait alors de la Chine et ça me rendait hilare. Dès jeudi, la Chine était au premier rang des préoccupations. Avec cette question récurrente : et si nous perdions notre indépendance ?

Vous posez pas la question : c’est fait. Depuis 2001, date d’entrée de la Chine à l’OMC. Je me souviens des commentaires : admettre la Chine à l’OMC, c’était un pas en avant dans l’harmonisation des relations internationales. Une sorte de normalisation. Comme si le commerce était la seule norme.

Personne n’a vu, personne n’a dit, que la Chine n’est pas un Etat comme les autres. On a écrit des milliers de pages sur cette différence. Avec un leitmotiv : ce n’est pas un Etat comme les autres mais il va devenir comme les autres. Le rêve est consubstantiel à l’homme.

En France (ailleurs, je sais pas), le responsable de cette attitude intellectuelle s’appelle Jean-Marie Domenach. Il est sinologue, professeur à Sciences Po. De ce fait, il a formé à l’analyse de la Chine à peu près tous nos décideurs. Tous nos énarques, ou presque, sont passés entre ses mains. Il les a modelés, instruits et ils sont aujourd’hui au premier rang des négociateurs avec les données intellectuelles fournies par Domenach.

Le fonds de commerce de Domenach, livre après livre, ce sont les faiblesses de la Chine. Il est atteint du syndrome Carrère d’Encausse. Vous vous souvenez de Madame Carrère d’Encausse ? Dans les années 80, quand l’Europe crevait de trouille devant l’URSS, elle nous expliquait que l’URSS était un empire éclaté et qu’il suffisait d’attendre pour qu’elle disparaisse. L’éclatement s’est produit, Madame Carrère d’Encausse a été propulsée à l’Académie parce qu’on était vachement fiers d’avoir eu une intellectuelle aussi clairvoyante. Aujourd’hui, l’URSS est toujours éclatée mais la Russie est dirigée par Poutine et je ne suis pas bien sûr que ce soit un progrès.

Domenach fait pareil. Nouveau Jean-Paul II, il s’exclame, livre après livre : « N’ayez pas peur ». Quand il parle de la Chine, il met sans cesse en avant de prétendues faiblesses. Par exemple, la Chine est secouée de révoltes locales. C’est exact. Ça fait trente siècles que ça dure. Le phénomène a été étudié par de nombreux sinologues dont Jean Chesneaux que Domenach méprise. Il me l’a dit un jour : « Chesneaux s’est toujours trompé ». Faut avoir peur de rien….

Le pouvoir maoïste (car il est encore maoïste, n’en déplaise à Domenach) connaît parfaitement l’importance de ces révoltes et leur symptomatologie. Il s’en est servi, il sait les reconnaître, il sait les maîtriser. Il n’hésite pas à faire tomber quelques têtes pour les calmer. Il sait surtout les circonscrire : une émeute au Sichuan n’aura pas de conséquences dans le Hebei.

Evidemment, on peut rêver. Attendre qu’une révolte locale entraine d’autres révoltes et que la Chine se soulève. Encore faudrait-il que cette révolte soit connue hors de son berceau. Avec un gouvernement qui contrôle étroitement les moyens de communication et qui muselle Internet, y’a pas trop de chances. Demandez donc à Google et à Yahoo si Internet est libre dans l’Empire fleuri.

Domenach sous-estime complètement le pouvoir de l’armée. Il n’insiste jamais sur ce point essentiel : c’est le Parti Communiste Chinois et non le gouvernement qui contrôle l’armée. On peut rêver à des élections libres mais si le Parti Communiste perd les élections, il conserve le contrôle de l’Armée. Ça relativise le changement de pouvoir. Peut-on imaginer un gouvernement dont le principal opposant contrôle la force militaire ? Non, ça va de soi. Ce seul fait nous donne une clef : le PCC ne peut pas perdre le pouvoir. C’est pas une situation normale à nos yeux d’Occidentaux. Mais, c’est un fait et il faut faire avec.

Domenach surestime le poids du capitalisme en Chine. Il hausse les épaules quand on lui cite les travaux de Madame Bergère (une ancienne élève de Chesneaux, voir ci-dessus) qui met en avant la faiblesse numérique des « nouvelles classes sociales » (en langue de bois chinoise, ça veut dire capitalistes) et leur étroit contrôle par le pouvoir politique. Et pourtant les jeunes gens qu’il forme n’auront affaire qu’aux nouvelles classes sociales.

Domenach oublie le lien historique entre Li Hongzhang, Sun Yatsen, Mao Zedong et Deng Ziaoping et l’importance dans l’idéologie chinoise des sociétés d’économie mixte (les fameuses State Owned Enterprises). Il est vrai que Chesneaux y voyait une clef de la Chine moderne et Chesneaux s’est toujours trompé (voir ci-dessus).

L’éclatement de la Chine est impensable. On peut aligner des dizaines d’arguments tirés de l’histoire et surtout de l’histoire des idées. Les choses sont bien ficelées. Le gouvernement chinois contrôle parfaitement la situation. Il le démontre sans cesse. Sûr de son pouvoir interne, il peut faire ce qu’il veut à l’international. Année après année, il avance ses pions et il nous encercle, dans une immense partie de go. N’oublions jamais que le go encercle l’adversaire mais ne le détruit pas. C’est toujours ça de pris.

Ce que Domenach oublie, c’est que le peuple chinois, dans son immense majorité, est derrière son gouvernement. Pas seulement pour des raisons économiques. Il y a aussi des raisons nationalistes et sociales. Les Chinois sont devenus les chefs d’orchestre du monde. Ils nous habillent, nous nourrissent et nous fournissent en smartphones. Nous ne pouvons plus vivre sans eux. Domenach aimerait qu’il n’en soit rien, que la Chine explose (ou implose) et qu’il succède à Madame Carrère d’Encausse à l’Académie.

En attendant, il forme et déforme des générations de décideurs et de journalistes. Il intervient dans toutes les télés, dirigées par ses anciens élèves. Il construit, jour après jour, une vision de la Chine qui n’a rien à voir avec la réalité. D’excellents sinologues en rient, rappellent son passé maoïste, s’affligent de le voir ainsi boucher les yeux et les oreilles. Mais que pèsent-ils face à l’institution médiatique ? Et qui aime écouter Cassandre ?

En attendant, nous nous appauvrissons, nous prenons des baffes et nous allons faire la manche à Pékin. Mais tout ceci, fidèles lecteurs, vous le savez depuis longtemps.

On n’a pas fini d’en reparler……

lundi 24 octobre 2011

HA ! HA ! HA !

C’est beau la sémantique. Surtout en politique. Depuis deux jours, on a compris : l’élection présidentielle se jouera sur la dette. Forcément, les caisses sont vides. Le Premier Ministre nous l’avait dit voici trois ans. Elles ne se sont pas remplies. Au contraire, la dette a doublée. Voici que les finances politiques inventent un concept qui ravira les physiciens. On peut doubler le vide.

Mais le vide, c’est rien. Comment peut-on doubler le rien ? Raymond Devos a déjà répondu. Rien, c’est rien, mais trois fois rien, c’est quelque chose. En fait, c’est facile de doubler le rien : il suffit de lui attribuer un signe négatif. Zéro, c’est rien mais moins que zéro c’est quelque chose.

Et donc, la bataille se concentre sur la note triple A, soit AAA (ou HA ! HA ! HA !), attribuée à notre dette. C’est vachement important le HA ! HA ! HA ! parce que ça permet d’emprunter, c’est à dire de creuser la dette. Tu es jugé assez fiable pour t’appauvrir.

Bien entendu, ça va coincer. Il y aura obligatoirement un moment où la dette creusée grâce au HA ! HA ! HA ! sera tellement importante que tu deviendras emprunteur pas fiable Et donc tu perdras ta note. Et donc, tu ne pourras plus emprunter et donc plus rembourser puisque tu empruntes pour rembourser.

Ça, c’est de la logique d’imbécile et les économistes ne sont pas des imbéciles. Pour un économiste, un pays bien géré est un pays endetté qui paye l’intérêt de la dette avec les impôts des imbéciles. Parce que, bien entendu, ce sont les intérêts qui comptent vu que les intérêts sont les bénéfices des prêteurs et que tout le système est construit selon les intérêts des prêteurs. Imagine un instant que tu rembourses tes dettes. Plus d’intérêts, plus de bénéfices. Le prêteur, il se retrouve avec de l’argent dont il ne sait que faire. De quoi, il va vivre, le prêteur ? Faut penser à ces choses-là. Tu veux tout de même pas imposer au prêteur de réfléchir à une utilisation intelligente de son argent ?

Que faire quand ça coince ? Pas SI ça coince parce que le système est construit pour coincer. Emprunter coûte plus cher. Il faut donc augmenter la ponction des imbéciles. C’est de ça qu’on discute en ce moment. Qu’est-ce qu’on va piquer et à qui ?

Personne n’ose dire qu’on va piquer aux prêteurs, alors que c’est la seule solution logique. Les économistes hurlent : si on fait ça, plus personne ne nous prêtera. Exact. Mais on s’en foutra vu qu’on n’aura plus besoin d’emprunter. Rappelons juste qu’on emprunte pour payer les intérêts. Si tu supprimes les intérêts, t’as plus besoin d’emprunter. CQFD.

En plus, c’est même pas vrai. Le système capitaliste est construit de telle sorte que si un état souverain décide d’annuler sa dette, il va tellement améliorer ses finances qu’il y aura toujours un prêteur pour se dire que le risque a disparu. Et il acceptera de prêter si nécessaire. Et il se dira qu’il est plus malin que les autres. Essentiel ça, que le prêteur se croit plus malin.

En plus, on peut choisir. Dire qu’on annule les dettes des prêteurs étrangers mais qu’on paiera les dettes dues aux Français. Les étrangers, c’est 60% de la dette. C’est sûr qu’ils vont pas être contents. Mais, bon, ils nous déclareront pas la guerre pour autant.

On peut aussi déclarer un moratoire sur les intérêts. Tu me crois pas ? On cherche 10 milliards d’euro d’économies. Les intérêts, c’est 50 milliards. Si tu les paies pas, t’es plus à l’aise quand même.

Y’a des informations marrantes. Un gros paquet de dettes d’Etat sont dans les portefeuilles des sociétés d’assurances qui les collent en assurance-vie. L’assurance-vie, c’est un truc que tu toucheras pas puisque c’est versé quand t’es mort. Tu mets des sous de côté pour tes héritiers. Ils toucheront les sous hors droits de succession. Ça s’appelle de la défiscalisation. Tu prêtes à l’Etat, il rend le pognon à tes héritiers qui payent pas d’impôts. Double bénef vu que l’Etat, il t’a déjà versé des intérêts.

Première constatation : si l’Etat rembourse pas, tu t’en fous, tu perds rien. Tes héritiers feront la gueule, mais tu seras pas là pour essuyer leurs larmes. Ils pourront même rien te reprocher, t’as été un bon papa spolié par l’Etat.

Deuxième constatation : si on réintègre les assurances-vie dans les droits de succession, on récupère un gros paquet de taxes sans douleurs. Toi, t’es mort, ça te gène pas. Tes héritiers, il leur reste quand même un paquet de fric. Moins gros, mais c’est toujours ça de pris. Peut-être qu’ils pleureront un peu moins fort. Même pas : s’ils pleurent pas sur toi, ils pleureront sur le fric perdu.

Celui qui râle, c’est l’assureur. Parce que la source va se tarir. Si on peut rien gagner, pas la peine de leur donner notre fric. Ils auront moins de pognon pour investir en Bourse. Ils n’achèteront plus d’emprunts d’Etat. Pas grave, ça sera compensé par les taxes vu que l’Etat ne sera plus obligé de payer deux fois.

Y’a une autre possibilité. Réfléchis un peu. Tu donnes du fric à des assureurs pour qu’ils te construisent une assurance-vie basée sur des Bons du Trésor. Tu peux faire comme ton pépé : acheter directement les Bons du Trésor. Ouais, mais j’ai pas la prime fiscale. Tu vois que tu comprends quand tu veux. La prime fiscale, c’est pas à toi qu’on la donne, c’est à l’assureur. Le cadeau, tu l’as que si ça passe par l’assureur. Le système est pas construit pour ton bien mais pour le bien de l’assureur. Si on le détricote, c’est pas toi qui morfle, c’est l’assureur. T’as compris ? On te dit que c’est fait pour toi alors que c’est pas fait pour toi.

Tout est possible dès lors qu’on arrête de faire joujou avec les mots. On peut parfaitement dire aux banques qu’elles vont s’asseoir sur la dette. C’est ce qu’on fait avec la Grèce. Ce qu’on fait avec la Grèce, on peut le faire avec les autres pays. D’ailleurs, c’est ce qu’on va faire, vous faites pas d’illusions. L’effet domino est en marche. Pour l’instant, on frime et on prête aux Grecs le fric qu’on n’a pas. Mais on va pas pouvoir prêter à tout le monde.

La clef de la crise, elle est à Pékin. Tout le monde le sait, personne ne le dit. Dans tous les cas de figure. La Chine peut accepter un moratoire sur les milliards de dette européenne qu’elle a dans ses coffres. Elle a également les moyens de se payer nos banques fragilisées par la crise. Pas la peine de faire des effets de manche. Pas la peine de s’inquiéter non plus. Les Chinois ne sont pas des Américains. Ils vont nous concocter des solutions qui nous permettront de sauver la face. Nous n’irons pas à Canossa et d’ailleurs, Canossa c’est pas en Chine.

Les capitalistes occidentaux, depuis trente ans, se sont mis entre les mains des Chinois. La dernière étape se déroule sous nos yeux. Y’a juste un truc qui m’énerve. Les hommes responsables de cette situation n’en sortiront pas appauvris, à titre personnel. Ils vont simplement brader les entreprises et sacrifier encore un peu plus de notre indépendance.

Vous voulez que je vous dise ? On va élire le futur Président en mai. Et qu’est ce qui est prévu en juin ? Un voyage officiel de Hu Jintao. Ça va négocier un max, mais vous n’en saurez rien. Hu Jintao, il vient avec un beau cadeau : un couple de pandas. Toute la presse va se répandre sur les pandas qui sont tant jolis et mignons. Moi, j’ai dans l’idée que ces pandas, ils représentent un beau paquet de milliards d’euro. Il n’y a pas de pandas à Canossa.

On en reparlera…

mardi 18 octobre 2011

BEAU COMME L’ANTIQUE

J’écoute Guaino. Guaino, c’est un communicant. Un homme des mots, pas un homme des faits. Il parle de corruption et, naturellement, il nie. Il s’envole, il enfile les exemples. Il fait défiler devant nos yeux la liste des accusés à tort.

Et là, il a le nom de trop. Salengro. C’est vrai qu’il a été accusé à tort, Salengro. Sauf qu’il a eu la dignité de tirer les conséquences de son pilori : il s’est suicidé. Que les accusations soient vraies ou fausses, celui qui en est l’objet est sali. Irrémédiablement. Ceux pour qui la dignité n’est pas un vain mot ne peuvent pas le supporter.

Le suicide a ceci de très fort : il renvoie l’accusateur a ses responsabilités. Si l’accusation était juste, le jeu est égal. Si elle était fausse, l’accusateur devenu délateur se retrouve dans la peau d’un meurtrier. Je pense aux meurtriers de Bérégovoy. Accessoirement, Salengro et Bérégovoy étaient des hommes de gauche. La dignité est-elle réservée à la gauche ?

Non. C’est un simple problème de génération. Une question d’éducation. Pour eux, le père fondateur de la gauche restait Robespierre, celui qui avait gagné le surnom d’Incorruptible. Il faut relire la biographie que Joël Schmidt a consacré à Robespierre. Joël Schmidt est un spécialiste de la civilisation gallo-romaine, pourquoi s’intéresser à l’Incorruptible ? Tout simplement parce qu’il voit dans l’action de Robespierre la main de l’Antiquité. Nourri des grands auteurs latins, baigné dans l’histoire antique, Robespierre avait transposé Rome dans la Révolution. Il cherchait la Vertu, la Vertu à tout prix, fût-ce le prix de la vie.

A cette aune, beaucoup de choses prennent du sens. Tout révolutionnaire qu’il était, Danton n’était pas vertueux. Luxurieux, paillard, homme de table et de vins, il n’avait pas la vertu qu’aimait Robespierre, celle de Regulus, de Coclès ou des Horaces. Robespierre rêvait d’une société ascétique, juste, probe, une société sans tâches. Une telle société ne pouvait pas être dirigée par des notables jouisseurs. Le goût de la jouissance entraine le besoin d’argent et son cortège de corruption, de prébendes et de compromissions.

Tout ça, on en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2011/02/nicolas-francois-et-ciceron.html). Mais il n’est pas mauvais d’y revenir, surtout quand nous y invite un conseiller du Président. Où sont les exemples de l’Antiquité face à ces hommes de pouvoir pris la main dans le sac du mensonge, de la délation, de la corruption ? Vautrés dans des délices volés au peuple ? Puisant dans les caisses à tout va ?

Tous ces politiques jouisseurs ont lu Onfray. Onfray s’autoproclame de gauche tout en prônant l’hédonisme. Onfray déteste Robespierre et Saint-Just qu’il renvoie dans son style inimitable dans « le monde de Thanatos ». Ben oui, la morale marche main dans la main avec la mort car la morale est répressive. Il n’est pas un être humain qui limitera spontanément son désir de jouissance. Sauf dans l’angélique monde d’Onfray où les hommes sont éduqués, raisonnables et responsables. Dans la vraie vie, ce n’est pas comme ça que ça marche. Qui a une Swatch désire une Rolex et qui a une Rolex désire une collection de Rolex. Dans tout homme, il y a un Berlusconi qui sommeille.

Robespierre est unanimement détesté car il cherche sans cesse à limiter le désir, à le casser, à la faire passer sous les fourches caudines de la morale. Il a des accents cléricaux, il remplace Dieu par la Raison et il offre à la Raison des sanctuaires et des cérémonies. Et il punit au nom de la Raison. La punition, personne n’aime. Surtout pas Onfray, bon élève et premier de la classe.

Deux phrases peuvent symboliser cet éternel combat. Celle de Saint-Just d’abord : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté ». Et celle de ce parlementaire de droite dans les années 1880 : « Je vous refuse la parole au nom de mes principes comme vous me l’auriez accordée au nom des vôtres ». J’ai trouvé quantité d’attributions dont aucune ne me satisfait.

Ces deux phrases semblent terrifiantes. Elles ne le sont pas. Elles posent le combat dans ce qu’il a de plus évident. Laisser libres ceux qui combattent contre la Liberté, c’est tout simplement mettre la Liberté en danger. Mais, bêlent les humanistes, c’est détruire le concept pour lequel on se bat. Oui. Mais c’est préserver les conséquences du concept. On ne se bat pas pour une idée mais pour l’application de cette idée. Sauf quand on est un universitaire satisfait dissertant de la Liberté devant un auditoire d’esclaves. Les marteaux brisent mieux les chaînes que les paroles. Mais les intellectuels n'utilisent pas le marteau.

La seconde phrase est la conséquence naturelle de l’oubli de la première. Laissez moi libre de supprimer votre liberté. Entre la droite et la gauche, il s’agit d’un combat, d’une lutte, d’une lutte des classes. L’humanisme a une limite, celle de son impuissance. Car l’humaniste est impuissant : il pose des cautères sur des jambes de bois. Il donne du riz frelaté plutôt que de permettre à chacun de se nourrir dignement. Et il a le mot de la fin : « C’est mieux que rien ».

Les deux phrases ci-dessus démontrent que Robespierre avait raison : il ne suffit pas de prêcher la Vertu. Il faut l’imposer. Par la force si nécessaire. Les citoyens le sentent confusément. La Loi est faible qui permet les dérives. L’impunité du Président Chirac choque mais elle n’est pas la seule. Certes, tout se fait dans le respect des mots : justice, démocratie. Mais l’impunité triomphe. On peut parler, on peut argutier, disserter, laisser la logorrhée envahir l’espace. Les conséquences des mots vont à l’encontre des mots. On peut puiser dans la caisse, on en sort impuni.

Les Romains affirmaient que la Roche Tarpéienne est proche du Capitole. Alors, on a comblé le fossé qui rendait mortelle la Roche Tarpéienne, la supprimant de facto. Que risque le corrompu ? Rien. Deux ans d’inéligibilité et une amende sans commune mesure avec ce qu’il a volé. Et donc, il s’en fout. Et moi, je me prends à rêver au bon docteur Guillotin. Et à Robespierre. Je me dis que si le risque était réel, la Morale s’en porterait mieux.

Mais, bêle t-on à l’envie, on risque aussi de condamner à tort. Certes. On me permettra de penser que c’est moindre mal. Qui se souvient de l’affaire Destrade ? Destrade transportait des valises garnies de billets par les représentants de la grande distribution qui désiraient obtenir des permis de construire pour leurs grandes surfaces. Destruction du petit commerce, destruction des marges des fournisseurs acculés à la pauvreté, destruction des paysages autour des grandes villes. Les conséquences sont lourdes. J’aime bien Jean-Pierre Destrade et j’aurais été désolé qu’il passe sous le couperet. Je ne peux m’empêcher de penser que si la sanction avait été plus lourde, il se serait mieux défendu. Peut-être même aurait-il refusé de faire le commissionnaire. Là, il a servi de bouc émissaire avec une punition somme toute légère quoiqu’il en ait souffert. Je ne peux m’empêcher de penser que si des vies avaient été en jeu, le mécanisme aurait moins bien fonctionné. L’impunité est la première cause de l’illégalité.

Robespierre, l’Incorruptible, est unanimement détesté. Je me suis laissé dire que le Maire de Paris avait refusé de lui consacrer une rue, lui qui a offert une place à Jean-Paul II. Un homme de gauche préfère honorer un prêtre qui a semé la mort en refusant le préservatif qu’un fondateur de la République laïque. L’anecdote en dit long.

Qu’en pense Onfray, l’athée hédoniste ? Je suis bien sûr qu’il saura renvoyer le Pape et l’Incorruptible dos à dos, bonnet blanc et blanc bonnet. Onfray se dit anarchiste. Doit-on lui rappeler que Bonnot est mort les armes à la main ?

Nous avons peur de la Mort que les Romains révéraient. Nous la fuyons quand ils la cherchaient.

Nous méprisons la Vertu que les Romains révéraient. Nous la fuyons quand ils la cherchaient.

On en reparlera….

mardi 11 octobre 2011

JE N’IRAI PAS AU SECOND TOUR

Lundi matin…. C’est reparti pour les tractations, les négociations, le grand souk des reports….

Je n’irai pas au second tour.

Je n’ai pas voté pour Hollande à cause de la couverture de Match pour le référendum sur la Constitution. Vous vous souvenez ? François et Nicolas, souriants, côte à côte, même blazer, même cravate, bonnet blanc, blanc bonnet, d’accord tous deux pour une Europe que je rejetais. François, tu es d’accord avec Sarko ? Alors, pourquoi tu te présentes contre ? Pas la peine de m’expliquer que ci, que ça, qu’il y a des circonstances où… Sur l’essentiel, tu es d’accord et tu l’as montré avec fierté. Tu as changé ? Alors, viens t’en expliquer, viens t’excuser en t’humiliant comme l’Empereur à Canossa. Viens t’humilier pour retrouver ta dignité. Mais tu n’auras pas ma voix.

Je n’ai pas voté pour Aubry à cause de son père, la cheville ouvrière de cette Europe des marchés que je rejette depuis des années. Depuis le jour, avant Maastricht, où Jacques Calvet, patron de Peugeot, est venu m’expliquer à la télé que l’Europe, c’était bien pour lui. Si cette Europe est bonne pour un patron du CAC40, alors elle ne peut pas être bonne pour un con de base comme moi. Calvet et moi, nous n’avons pas la même vie, pas les mêmes intérêts, nous ne naviguons pas dans le même bateau. Mais c’est le bateau de Martine (http://rchabaud.blogspot.com/2011/07/madame-fermeture.html )

De toutes façons, François et Martine auront tous deux envie de sauver les entreprises dirigées par leurs copains énarques. Ils sont pour le changement, mais pour le changement de promotion : on remplacera un énarque de 1990 par un énarque de 1996.

Mais fondamentalement, je n’irai pas au second tour parce que le mec pour qui j’ai voté se demande à qui il va donner SES voix. Mais, coco, j’ai voté pour toi mais je ne t’ai pas donné ma voix. Elle n’est pas à toi, mais à moi. Tu fais bon marché de ma liberté, il me semble. C’est un vote, pas une cérémonie d’adoubement d’un homme-lige. Je ne me suis pas mis entre tes mains, je ne t’appartiens pas. C’est moi qui choisis, pas toi.

J’aurais aimé plus de classe. Que Martine accepte sa défaite et qu’il n’y ait pas de second tour. Les choses sont claires. Toute la semaine, on va discuter, négocier, merdifier en coulisses. Les calculettes sont sorties : la moitié des votants de l’un pour l’autre avec un pourcentage d’incertitude. On va choisir de nouveaux « éléments de langage » pour séduire et faire basculer. La gauche de Guy Mollet a remplacé la gauche de Robespierre. Hollande fait semblant de découvrir que le peuple souffre. Il va « en tenir compte ». Fallait y penser avant, ma puce.

Sans moi. C’est vrai que j’y croyais pas trop mais ça valait le coup d’essayer. En toute logique, Montebourg n’a pas le choix. Il représente un votant sur cinq qui a choisi une voie autre. Qu’il se retire sur l’Aventin, qu’il laisse barguigner cette gauche d’épiciers, médiocre et calculatrice dont nous ne voulons plus parce qu’elle nous tuera aussi sûrement que la droite. Calculatrice parce que ce que veut cette gauche, c’est séduire le centre. On le sait bien que les élections se gagnent au centre, cet informe marais de gens sans honneur et sans dignité, cette taupinière de petits bourgeois qui vote Pétain en 40 et acclame De Gaulle en 44. C’est avec ça que vous voulez gouverner ? Sans moi.

Je dois penser à 2002 ? Mais j’y pense. Je ne veux pas une gauche au pouvoir pour faire une politique de droite et appliquer un programme qui n’est pas socialiste, comme disait Jospin. Autant laisser la droite gérer à droite. Du moins est-ce clair. Si t’es à gauche juste pour être ministre et avoir une auto qui fait pin-pon, alors nous n’appartenons pas à la même gauche.

Vendredi, j’ai rencontré Philippe Poutou. C’est un homme digne.

On en reparlera…

samedi 8 octobre 2011

QUAND COMPRENDRONT-ILS ?

C’est la seule question qui vaille aujourd’hui : quand les Américains comprendront-ils que le temps de leur hégémonie est révolu ?

Il paraît qu’ils sont « furieux » du vote chinois sur la Syrie à l’ONU. Furieux. D’accord. Ils vont faire quoi ? Envahir la Chine comme ils ont envahi l’Irak ? Virer la Chine de l’OMC ? Rembourser aux Chinois tout ce qu’ils leur doivent ? Ils ne vont rien faire. Parler, bouger, s’agiter. Ils sont pieds et poings liés.

On nous avait dit que le 11 septembre était un séisme. Ils n’ont rien compris au 11 septembre. Certes, les média ont compati, les gouvernements ont compati, tous ceux qui, de près ou de loin, vivent sur le modèle américain ont compati. Mais les autres ? Les petits, les sans-grade, le peuple ? Dans l’ensemble, le peuple a rigolé. Le 11 septembre, j’étais dans un village de Galice, au bistro. Un petit village de montagne, loin de tout. Et au bistro, les gens rigolaient. Ils disaient « Bien fait ». Goliath prenait une grosse baffe. Le peuple n’aime pas Goliath. Pas plus qu’il n’aime Rambo ou Terminator. C’est pas parce qu’il va au cinéma qu’il aime les héros de cinéma.

Le peuple n’est jamais dupe. Il écoute les rodomontades mais il voit la panique à Saïgon, il voit le départ feutré d’Irak, il comprend la défaite en Afghanistan. Il écoute Obama promettre la Lune et il se marre. Le peuple aime David, pas Goliath. Surtout quand Goliath montre son impuissance. Il sait bien que le pouvoir d’Obama est limité par le fardeau d’une colossale dette. Il le voit, l’omni-puissant Président, négocier avec ses adversaires, à la limite de la supplication, même pas pour combler le trou. Juste pour avoir le droit de l’agrandir. Où est son pouvoir ?

Steve Jobs a changé le monde parce qu’il a inventé un téléphone. C’est ce qu’on nous répète en boucle. Mais le peuple n’a pas d’IPhone et si son monde a changé, c’est en pire. Steve Jobs n’a pas combattu la pauvreté, il a permis aux traders de spéculer plus vite. Steve Jobs a inventé l’IPhone alors que l’ONU fixait les objectifs du millénaire. L’Iphone est un succès et on sait déjà que les objectifs du Millénaire sont un échec. Douste-Blazy et ses copains en charge des objectifs du Millénaire ont un IPhone mais ils ont échoué. Si c’est ça, changer le monde….

Steve Jobs a augmenté le nombre de joujoux des riches des pays riches. Je ne vois pas ça comme un changement, ni même comme une amélioration. C’est juste une manière de détourner encore plus de fric de l’essentiel pour augmenter l’accessoire. Après quoi, on va comparer ce mec à Einstein. Si, si, y’en a qui ont osé. Remarquez, ils ont pas osé dire Gandhi ou Mère Térésa. Mais ça viendra. Attendez la mort de Bill Gates, vous verrez.

Si j’osais reprendre l’image des années 1970 à propos de la Chine, je dirais que les USA sont un colosse aux pieds d’argile. Ils n’ont plus d’argent, rien que des dettes. Ils n’ont pratiquement plus d’industrie et leur modèle est basé sur le pétrole qui disparaît. Ils n’ont plus les moyens de leurs ambitions. Leurs alliés sont exsangues : depuis dix ans, le Japon court après son âge d’or. Il leur reste Wall Street et son modèle artificiel et ils croient encore que Wall Street est le cœur du monde.

Les Américains sont pathétiques. Ils s’accrochent aux lambeaux de leur splendeur et ils croient dominer le monde parce qu’ils vendent au monde du Coca-Cola ou des hamburgers. Ou des téléphones qu’ils ne fabriquent même pas. Obama râle après la Chine qui ne cesse de l’humilier, Obama râle après Israël qui n’en fait qu’à sa tête, Obama râle après l’Europe que ses banques ont ruinée. Obama ou son successeur vont passer les années qui viennent à avaler des couleuvres.

Quand comprendront-ils ? Combien de nasardes, combien d’humiliations, combien de reculades devront-ils affronter avant de comprendre qu’une société injuste ne peut avoir un destin juste ? Qu’un Etat doit s’occuper de ses citoyens et non chercher l’hégémonie mondiale. Qu’on ne peut impunément piller les richesses des autres et mépriser leur culture. Que la culture du résultat ne porte pas seulement sur les chiffres et que valeur s’applique à la morale avant d’être un terme de Bourse. Et que, nous dit-on aujourd’hui, l’amélioration de l’économie n’est plus créatrice d’emplois. Forcément : pour le capitalisme l’emploi est un fardeau et Steve Jobs faisait construire ses machines en Chine afin de devenir la meilleure capitalisation boursière du pays. Mais Steve Jobs a changé le monde : il a enrichi ses actionnaires en appauvrissant ses concitoyens.

Avec l’ami Gentelle, nous regardions l’affrontement Chine-USA : l’un des joueurs appliquait les règles du go, l’autre jouait au poker. Pierre pensait que lorsque les dirigeants américains découvriraient que le jeu n’était pas le même, ils auraient la tentation de renverser la table. Comme dans un western : « Tu triches, Callaghan, tu vas payer ».

Nous savions tous deux que viendrait un jour où même renverser la table ne serait plus possible. Comme dans tout cercle de jeux, la Chine a un « baron » : la Corée du Nord. C’est elle qui, régulièrement, teste la patience américaine. Un missile ici, un bombardement là, histoire de voir si ça pète, si on dépasse les limites de la protestation diplomatique ordinaire. Test après test, les USA s’écrasent. Ils protestent mais rien ne bouge. On n’envoie pas de flotte, on ne mobilise pas la Corée du Sud. Rien. Ils savent qu’ils ont perdu l’atout Taïwan qui ne bronchera pas. Ils savent que le Japon est englué dans ses problèmes. Ils savent que la Corée du Sud a les yeux fixés sur les cours de Bourse. Les Chinois le savent aussi.

Les USA jouent à l’ONU, dernier terrain disponible. Ils ont eu les mains libres en Irak, puis en Afghanistan. En Syrie, c’est non. Game over. En face, Russie et Chine, les deux puissances communistes. J’ai bien écrit « communiste ». La Chine, c’est officiel. La Russie, ça revient.

Nos gouvernants sont tellement obsédés par les USA qu’ils ne voient pas l’évolution. Ils n’ont pas compris que le jeu était fini. La corrida s’achève, le toro est épuisé. Ruiné. Il n’a plus de ressources. Ça, ce n’est pas tout à fait vrai. Les USA ont encore des ressources mais les mobiliser revient à tout changer. A casser le jeu financier, à produire des biens plutôt que des dollars qui ne leur servent plus à rien. Ils n’y sont pas prêts. L’oligarchie américaine s’accroche à ses privilèges, tout comme l’oligarchie européenne. S’accrocher à une bouée percée quand le bateau coule.

On en reparlera… et vite.

dimanche 2 octobre 2011

LES RENTIERS

Holà ! Les Bourses massacrent les valeurs bancaires. Du coup, tous les mauvais journalistes te font le coup du risque couru par les clients des banques. Le client des banques, c’est toi. Alors, t’as la trouille.

Respire. Les banques ne risquent rien. La Société Générale, elle a avalé les 5 milliards de Kerviel, alors les 2 milliards de la Grèce, c’est pas un souci.

Sauf que… Si elle perd, elle fera pas de bénéfices. Ou elle en fera moins. Et si elle fait moins de bénéfices, elle versera moins de dividendes. Et donc, ceux qui ont des actions les vendent. Une action qui s’effondre en Bourse, généralement, c’est ça : les actionnaires qui cherchent à gagner plus de fric. Ça veut pas nécessairement dire que la société va mal ou qu’elle est en danger de faillite. Ça veut juste dire que les rentiers sont menacés.

Les actionnaires sont des rentiers. Les marchés d’actions sont des marchés de rentiers. Les rentiers dominent le monde. Les dirigeants ne pensent qu’à ça : le bonheur des rentiers. C’est pour ça qu’ils anticipent les difficultés et qu’ils contractent la masse salariale, pour augmenter les revenus des rentiers. Et les banques adorent faire plaisir aux rentiers. Sauf quand les rentiers les trouvent pas assez performantes. Ça s’appelle l’arroseur arrosé.

Or, nous le savons au moins depuis Balzac, le rentier est un parasite. En ce début de siècle, c’est caricatural. Au temps de Balzac, le rentier achetait de la rente (d’où son nom), c’est à dire des emprunts d’Etat, garantis, tranquilles, et vivait de ses revenus. La rente, ça crachait 3% en moyenne mais comme il n’y avait pas d’inflation, le monde du rentier était paisible.

3 % ! Ringards ! Le rentier contemporain, il veut au moins 15. Si l’action crache pas 15 %, le rentier, il va voir ailleurs et l’action se casse la gueule. Le dirigeant, il commence à avoir la trouille. Si l’action baisse, la société vaut moins cher, elle devient une proie pour ses concurrents. Mécanisme infernal. Cette recherche d’une rente de plus en plus forte a pourri l’économie. Pourquoi les loyers augmentent ? Tout simplement pour que le rentier qui a décidé de mettre son pognon dans l’immobilier gagne autant que le rentier qui a choisi la Bourse.

Or donc, le système coince. Il coince parce que le rentier a de moins en moins le choix. Le mécanisme reste simple. Jadis, du temps de Balzac, si ton investissement dans la distribution (les grands magasins, par exemple) battait de l’aile, tu pouvais investir dans la production. Facile à comprendre. Les grands magasins se tirent la bourre sur un article, tu mets ton pognon chez le fabricant de l’article. Là, t’es tranquille : quel que soit le vendeur, il achète chez toi. Et dans la production, t’avais le choix : si le fabricant que t’as choisi est en baisse, tu places ton pognon chez le concurrent.

Exemple simple : t’as des actions Boeing, Airbus gagne des parts de marché, tu vends tes actions Boeing et t’achètes des actions Airbus. Tu te préserves la rente. Mais que se passe t-il si le concurrent d’Airbus, c’est une société chinoise appartenant à l’Etat (une SOE, comme ils disent) ? Dans ce cas de figure, t’es bloqué.

Alors, revenons aux banques. En termes de capitalisation boursière, les deux premières banques mondiales sont chinoises et nationalisées. En termes de produit bancaire, il y en a trois dans les dix premiers. Pour l’instant. Pour l’instant, parce que pour l’instant, elles bossent plus sur leur marché intérieur qu’à l’international. Elles ont le temps. La Chine a le temps. Mais, à terme, elles vont sortir de Chine. Et là, ça va faire mal. Le rentier, il va pouvoir acheter un peu d’actions ICBC : c’est une société cotée. Ça ne changera rien à la politique d’ICBC, ni à son management : le gouvernement chinois est largement majoritaire et a les moyens de le rester. Sa dernière injection de capitaux dans la banque était de 15 milliards de dollars. S’il n’y a pas de dividendes, le gouvernement chinois s’en fout et comme c’est lui qui commande….. Si sa politique l’exige, le gouvernement chinois, il dira à ICBC de verser moins de dividendes et le rentier fera la gueule.

Comment ça, si la politique l’exige ? Ben oui. Le monde chinois est politique et les dirigeants économiques obéissent. C’est un monde où l’actionnaire la boucle. Il prend ce qu’on lui donne et il dit merci. C’est le monde qui attend les rentiers. Ho ! pas demain. Le rentier se rassure. En fait, il vit au jour le jour.

A toujours exiger plus, le rentier a tué l’économie. Pour assurer la rente, les producteurs ont délocalisé, les entreprises ont licencié. Maintenant que le système coince, le rentier râle. Les entreprises françaises n’exportent pas assez. C’est assez logique : pour exporter, faut produire et elles produisent de moins en moins en France. Et Renault importe des voitures construites en Roumanie. Pas terrible pour la balance commerciale, mais c’est bon pour l’actionnaire. Ceci dit, au bout du bout, les impôts de l’actionnaire, il va bien falloir qu’ils compensent la balance commerciale. Alors, l’actionnaire se délocalise lui même. En Belgique ou en Suisse.

Tout ceci grâce à un magnifique tour de passe-passe idéologique. Le communisme, il a passé son temps à se prétendre international alors qu’il n’y a pas plus nationaliste qu’un communiste. Je renvoie à la remarquable étude de Chalmers Johnson sur le sujet (traduite de l’anglais par Lionel Jospin, il peut pas dire qu’il savait pas). Staline, Mao, Castro, Tito, on baigne dans l’ultra-nationalisme. Le nationalisme n’est plus une valeur de droite, ce n’est plus le drapeau des rentiers conservateurs et égoïstes. Pourtant, ils le brandissent toujours comme l’UMP qui veut qu’on fasse allégeance à la Nation. Ils le brandissent come le matador brandit la muleta. C’est un leurre. La droite a un fonctionnement internationaliste caché sous un masque nationaliste.

Le citoyen de base, il a pas le choix. Il paye ses impôts dans un pays. Il ne peut pas choisir en fonction des conseils de ses avocats. Et donc, au fond de lui et au fond de son portefeuille, il est nationaliste. Tous les ans, il paye et tous les ans, il constate qu’il obtient un peu moins pour ce qu’il paye. J’exagère pas. Pour satisfaire les rentiers, une banque comme Dexia a plombé plus de 5000 communes. C’est Libé qui le dit. Libé qui appartient à Rothschild, ils savent de quoi ils parlent quand même… Pour ces 5000 communes, c’est clair : les habitants vont voir monter leurs impôts locaux, juste pour payer Dexia. Ils vont payer plus pour avoir beaucoup moins.

Les politiques (je veux dire les maires de ces communes) chouinent qu’ils se sont fait baiser et qu’on leur a menti. Je les crois sans peine. Le maire d’une commune, il a pas les épaules pour comprendre la finance internationale et lire les petites lignes en petits caractères. Maintenant, s’il s’est fait baiser, il a un recours : il arrête de payer et il va en justice. Je rêve : 5000 maires qui font bloc et qui reprennent le pouvoir pour lequel ils ont été élus. Et le monde politique qui les soutient. Dexia ferait faillite. Et alors ? Vaut-il mieux ruiner une poignée d’actionnaires ou quelques dizaines de milliers de citoyens escroqués ? Sans compter que les actionnaires (les rentiers) ne seraient pas ruinés. Juste un peu appauvris.

Y’a juste un hic. Les politiques ont démissionné. Ils n’ont plus aucune idée de leur pouvoir. Alors, ils font le dos rond. Ils jouent dans la seule cour qu’ils connaissent : ils négocient, ils cherchent des solutions amiables, ils échelonnent la dette. On pourrait imaginer qu’ils disent aux banquiers : « Vous nous avez escroqué, asseyez vous sur votre dette ». Ils n’en feront rien.

Les banquiers, la presse les épingle. Ils s’en foutent. Un peu de honte, c’est vite passé. L’essentiel, c’est que les comptes restent équilibrés. Et comme Dexia est un groupe belge, les impôts locaux des communes françaises, ça le laisse assez indifférent.

On en reparlera…

P.S. 24 heures plus tard : Dexia est à l'agonie... et donc le gouvernement français va aider Dexia via la Caisse des Dépôts... Pour ceux qui vivent dans des collectivités locales qui doivent de l'argent à Dexia, c'est une bonne nouvelle : leurs impôts locaux vont augmenter pour payer les emprunts pourris et leurs impôts nationaux aussi pour aider Dexia. On vit une époque formidable, disait Reiser...