mardi 31 août 2010

JE VAIS MOURIR



 Je vais mourir. Comme tout le monde. Mais je voudrais bien savoir ce qu’on va faire de mon corps vu que je crois pas à la résurrection et à toutes ces mômeries qui font qu’ici on t’enterre en direction de ton lieu saint et là à l’ombre d’un sanctuaire. Ma première idée, c’était qu’on me monte à Iparla pour que les vautours me bouffent. C’est bien, je trouve, écolo, aide à un volatile en voie d’extinction, retour à la nature. Interdit. Les écolos, ils les nourrissent pourtant leurs vautours en leur montant des charognes de moutons. Ouais, mais c’est des moutons de l’abattoir, des moutons estampillés en bonne santé. Première leçon : les charognes ne sont pas égales et ma charogne ne vaut pas un mouton. C’est un truc qui vous rend  modeste. Mon copain avocat, il me le dit : « Vous n’y pensez pas… » Ben si, j’y pense, la preuve c’est que je lui en parle. Il me sort le code de je ne sais quoi. Interdit.

Bon, je suis pas têtu. On brûlera la bête. Mais j’aimerai bien laisser à ma descendance une boîte de cendres un peu rigolote. Une bite, par exemple. On va pas le dire comme ça. Chez le crématiste (c’est un vrai boulot de calciner les gens), je feuillette le catalogue des urnes. Je prends mon air doucereux. « Je suis vishnouiste, j’aimerai bien une urne en forme de lingam ». Lingam, c’est quand même plus joli que bite, quand je veux je sais choisir les mots. Le mec,il est d’accord mais  il ne comprend pas. Je lui explique avec une photo. Là, il n’est plus d’accord. « Vous n’y pensez pas… ». On vérifie, c’est pas interdit. Il biaise, il m’explique qu’il faut faire faire le récipient et qu’il soit aux normes. J’insiste. « Moi, en tous cas, je ne m’en occuperai pas… ». Il se voit mal sortir du four avec un phallus à la main. Pas correct.
J’en ai vu un autre. J’ai demandé une urne en forme de buste. Le buste de Lénine, pour être précis. A la limite, Mao Zedong pourrait faire l’affaire. Même punition, même motif. Uni, avec un oiseau, avec des fleurs, c’est possible. Mais, là, non. « Vous n’y pensez pas… Ce n’est pas le lieu ». Je suis sûr que si j’avais dit Mozart, il aurait fait un effort. Ce n’est pas le lieu. Sur ma tombe, je peux mettre ce que je veux, mais moi, je peux pas me glisser dans la peau de Vladimir Illitch pour l’éternité. C’était un beau phantasme quand même.

C’est rigolo cette attitude. Même mort, tu peux pas faire ce que tu veux de tes cendres. Faut que ce soit correct, moral, bien lisse. « On peut les disperser » m’a dit un incinérateur patenté. Ben, non, je veux pas. L’idée que mes arrière-petits-enfants regarderont un buste de Lénine en disant « C’est papy » me ravit. Disperser, c’est  encore du sacré. Tu retourneras poussière. J’ai pas envie de faire un lien avec le sacré. J’ai pas envie de me retrouver avec des petits oiseaux et des fleurs gnan-gnan. Les vautours aussi c’est des oiseaux, et des oiseaux qui ont une certaine connivence avec la mort. Ben, non, pour les professionnels, les vautours ça va pas avec la mort. Les bites non plus, mais ça, ça peut se comprendre.

On est vachement engoncés, je trouve. Surtout, on entre dans le XXIème siècle en croyant encore à la vie éternelle, en s’imaginant que quand c’est fini, ça recommence. Faut dire que c’est humain. C’est beau la vie, on veut pas que ça s’arrête. Et si ça s’arrête, on est d’accord pour que ça recommence. Pour nous, les humains, ça va de soi. On oublie qu’on est avant tout des animaux. Ho ! t’exagères, Cro-Magnon, c’était un homme. Lucy aussi, même si c’était une femme. Et avant ? Et avant d’avant ? Ben, on sait. On remonte, on remonte, on trouve des sortes de lémuriens, et avant des sortes de musaraignes et avant des reptiles mammaliens, des drôles de machins qui sont les ancêtres des mammifères mais avec des caractères reptiliens. Ancêtres des mammifères et donc des hommes. C’étaient des bestiaux bizarres, on a pas trop de fossiles et donc pas trop de spécialistes. N’empêche qu’ils sont là. Et que personne ne leur prête de vie éternelle.

Je vais mourir. Et je vais glisser dans l’oubli, pratiquement comme tout le monde. Un copain sympa prétend que je survivrais dans mes enfants. Exact. Pour 50%. Parce que l’autre moitié de mes enfants, c’est leurs mères. Une génération plus tard, y’a plus qu’un quart. Puis un huitième. Et ainsi de suite. C’est une survie qui se dilue vachement vite. Dans un siècle, y’a un môme qui regardera une vieille photo et qui dira : « Maman, c’est qui ? » pour s’entendre répondre « Je sais pas, demande à ton père ».

Remarquez, j’ai trouvé un truc. J’ai écrit quelques livres, j’en ai édité quelques-uns. Ils sont là, bien au chaud, dans les réserves de la grande bibliothèque mitterandienne. Conservés, répertoriés, fichés. Avec mon nom à chaque fois. Je peux rêver qu’un jour, dans deux siècles, ou trois, ou plus, un jeune mec en tiendra un dans ses mains et se dira « Houaouh, c’est vachement bien ». Mon urne, y’a belle lurette qu’elle sera cassée ou perdue. La pierre tombale qui recouvre mon grand-père sera usée, si tant est que le cimetière n’ait pas été remplacé par une résidence de standing. Toute trace aura disparue sauf ces cubes de papier que des générations de bibliothécaires auront préservés et entretenus. D’un livre à l’autre, mon étudiant enthousiaste me reconstruira, me consacrera une thèse, m’assurera une résurrection, une vraie, une qui passe par l’esprit. Il deviendra le fil (le fils ?) qui me reliera à mon avenir. Et je ne serai plus mort.

Et y’en a qui se demandent encore pourquoi j’aime les livres…..

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