mardi 9 janvier 2018

LE CUISINIER ET LE GÉOGRAPHE

J’aime beaucoup Cacotte…. Cacotte, c’est Jean Claude Tellechea, l’un des deux grands cuisiniers bayonnais, le second étant Christophe Pascal.

Cacotte, c’est pas n’importe qui. Il a été formé par Jean Troisgros. Respect au maître et à l’élève. Bibendum lui a retiré son étoile. Cacotte fait semblant de s’en foutre. Il est bayonnais avant tout, il va pas aller chouiner chez le pneu. La dignité est dans son ADN. Où a t’il démérité ? J’étais chez lui, voici quinze jours et ma réponse est claire : il n’a pas démérité. C’est toujours un grand cuisinier. Et donc, nous devisions, tranquillement, devant une bouteille de Sancerre dont la baisse rapide de niveau aurait du attirer comme mouches les éthylomètres des pandores. Notre sujet était Escoffier et nous nous retrouvions. Cacotte a remis voici trois ans quelques grands plats à sa carte. Dont le lièvre à la royale. Après quelques banalités d‘usage sur la difficulté de trouver les lièvres en notre époque de chasse maudite, il m’a livré quelques chiffres. Année après année, les ventes du royal conil augmentent.

Mon ressenti et ses ventes coïncidaient. La clientèle revient vers la vieille cuisine patrimoniale. La tendance Gomiyo s’estompe comme s’évanouit le fantôme moléculaire. C’est une bonne nouvelle. Le cuistot branleur ne fait plus recette. Il faut un vrai chef au piano, un qui connaît ses classiques, car il sait qu’on n’est pas classique par hasard. C’est vrai pour la cuisine comme pour la littérature. Ce qui nous ramenât à Christophe Pascal que Cacotte appréciait autant que moi. Ce sont des détails pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. Nous étions revenus vers le temps long, vers un chemin qui va de Vatel à aujourd’hui. Vers notre histoire commune. Quand les aïeux de Cacotte, tenaient l’auberge du Cheval blanc, auberge et relais de poste, un de mes aïeux, dans la rue adjacente, taillait les pourpoints du duc de Gramont. Nous avions des souvenirs en commun.

Je sais, ça fait vieux con. Sauf que la cuisine française, ne l’oublions pas, est inscrite au Patrimoine de l’Humanité. Ce rappel pour un voyagiste français qui utilise le Patrimoine pour vendre ses voyages, mais n’hésite pas à valoriser les épices vendus par un de ses copains, épices dont on chercherait vainement une trace dans le susdit Patrimoine. Un poids, deux mesures. Ça, c’est dit.

On m’envoie aujourd’hui un article sur un restaurant de « routiers » qui cartonne dans le XVIème, à Paris. Avec , à la carte, les grands classiques de la cuisine bourgeoise, de la blanquette au ris de veau financière. Voilà qui corrobore notre conversation, mon vieux Cacotte. Le public veut du classique. La seule question qui demeure : mais qui va le guider ? La Reynière est mort et il a été remplacé par des journalistes sans formation et sans savoir, qui surfent sur la vague de la nouveauté et de l’extranéité. Des journalistes en décalage avec leur public, ce public qui veut du coq au vin que la presse tient pour ringard.

Ce décalage n’est pas si nouveau. Il fonctionne à plein en politique. La presse donne tort au peuple qui refuse ses diktats. Les nouveaux journalistes savent mieux que leurs lecteurs ce qui leur convient. Il faudra bien un jour supprimer le peuple, cet empêcheur de penser correctement. Ce peuple qui pense que la terre du chemin d’Arancou vaut mieux que les trottoirs de la rue Saint-Guillaume.

C’est emmerdant : nous sommes en démocratie. De ce fait, ceux qui pensent que Jeff Koons est un imposteur sont majoritaires. Majoritaires aussi, ceux qui préfèrent les pommes Dauphine à l’émulsion de mangue à l’azote liquide. Ceux là sont des barrages face aux vagues des faux progrès, de la multiculturalité, de la compassion et du capitalisme universels, de l’ignorance érigée en système. Ils savent que les mots ne changent pas la réalité ce que les politiques et les communicants ne supportent pas : les mots sont leur seule marchandise, ils les valorisent pour valoriser leur petite entreprise. Alors, les politiques et les communicants effacent les discours qui les gênent, les flétrissent, les ridiculisent et vont de plus en plus passer à l’injure. Cachez ces mots que je ne saurais voir.

La dernière résistance vient de la presse régionale. Sud-Ouest ne peut soutenir les discours anti-chasse ou anti-corrida, ce serait stigmatiser ses acheteurs. L’urbanisation viendra régler ce problème car la résistance vient de la ruralité, évidemment puisque vivre à la campagne permet de comprendre que la météo n’est pas seulement une carte sur un écran. Le monde urbain est un monde médiatisé où l’homme est coupé de ses racines géographiques, dernier lien qui l’attache au réel. Les villes ne structurent plus les territoires, elles structurent les modes de pensée.


On en reparlera..

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