mercredi 3 avril 2024

LES RAPPEURS DE MOUSSEROLLES

 Je m’inquiète toujours quand on réfléchit sur un sujet qui s’impose : réfléchir quand on n’a plus le choix conduit inévitablement à l’erreur. Si on n’a pas vu le problème avant qu’il ne soit un problème, on doit s’inquiéter sur ses capacités intellectuelles.

 

Prémisses : peut on comparer une ville de 50 000 habitants et une ville de 1 600 000 habitants ? On le peut en suivant La Fontaine, la grenouille veut toujours imiter le bœuf. Et donc les Bayonnais sont fiers de leurs fêtes qui rivalisent avec l’Oktoberfest munichoise, les Fermines navarraises ou le Carnaval carioca. Pamplona 250 000 habitants, Munich 1,6 million d’habitants, Rio 7 millions de cariocas. On ne joue pas dans la même cour. Sauf sur un plan : toutes ces villes, sous prefecture comprise sont des villes à forte identité culturelle. Elles sont donc condamnées à supporter les effets de cette plaie de la mondialisation que l’on appelle surtourisme quand l’abondance de visiteurs détruit le cadre urbain et civilisationnel qui attire les visiteurs. En clair : l’abondance ne se gère que par la coercition sauf à accepter la destruction programmée car un cadre prévu pour 50 000 habitants ne peut pas en recevoir 6 fois plus.

 

Phrase inacceptable pour qui doit sa position au choix (c’est l’un des sens de l’election) de la population convaincue de la capacité à trouver des solutions, même quand il n’y a pas de solutions car personne ne peut faire rentrer six litres dans une bouteille d’un litre.  Notre cher adjoint à la culture affirme que le problème vient d’une méconnaissance de nos codes. C’est vrai mais c’est un peu court jeune homme car les fêtes reposent partout sur les codes du territoire, codes d’autant plus riches et plus nombreux que le territoire repose sur une base culturelle forte qui sépare les autochtones (les indigènes) des visiteurs. Le fossé ne peut pas être comblé. J’ai essayé de lister ces codes pour les enseigner à mon fils, descendant direct de plus de douze générations bayonnaises mais natif de Lutèce. Quand il est venu, sa mère (nous avons divorcé depuis) m’avait fait promettre de ne pas l’amener voir une corrida. Je l’ai donc amené un dimanche matin voir une novillada piquée. Je n’ai pas trahi ma promesse, une novillada n’est pas une corrida. Aficionado, mais pas menteur. Et j’ai passé deux heures à parler, à expliquer, à décrypter ce magnifique système sémiologique qu’est l’art d’envoyer un bovin ad patres. Tout en me disant qu’une fois ne suffisait pas et qu’il faudrait beaucoup plus de faenas pour qu’il me rejoigne culturellement. Mais j’avais le sentiment de poursuivre mon histoire en la lui confiant.

 

Fort de cette expérience, je me suis posé la seule question qui vaille en matière de surtourisme : mais pourquoi viennent ils nous emmerder ? La première réponse est valorisante : parce que nous sommes uniques. Mais nous ne sommes pas les seuls à être uniques, les Venitiens peuvent en dire autant. Et les Venitiens ont trouvé une solution radicale : ils font payer. Comme les Bhoutanais. Ce petit pays qui a inventé l’indice du bonheur fait payer les touristes : 200 dollars par jour pour dormir dans des monastères et bouffer des lentilles.

 

Solution que l’opposition rejettera avec la majorité : les vacances (le tourisme) est un acquit social et se doit d’être égalitaire. A propos de cette unanimité, j’écrivais voici cinq ans :

 

L’action des politiques compte moins que la vision mise dans la tête par les médias, vision toujours simplificatrice ou simplifiée, amplifiée par les hordes de couillons de base qui balbutient leur bonheur d’être venus dans ce quasi-paradis. Parenthèse : après trente ans de tourisme, je continue de constater que personne, jamais, n’affirme s’être trompé sur le choix d’une destination et avoir passé des vacances de merde.

 

Et donc, les politiques font semblant d’avoir organisé une croissance qui ne leur doit rien. Alors qu’ils ne font rien et poursuivent leur aménagement basé sur un état des lieux obsolète ce qui explique que les plans de circulation ou l’aménagement des parkings ne tiennent jamais compte des variations saisonnières, ni des prévisions de croissance. Ne parlons pas des réseaux d’épuration ou de la politique culturelle.

 

Avant de voter, pensons y. Aurons nous des candidats avec une vision intelligente, structurée, cohérente, ce qui signifie aussi une vision limitative car aucune croissance, jamais, ne s’est poursuivie ad libitum.

 

Avec un regard froid pensons que les fêtes coutent trois millions d’euros à la communauté ; faire payer les allochtones augmente ce budget (bracelets, points de contrôle), d’autant que la ville est sous-dimensionnée en hebergements. Sans campings il faut accepter l’invasion des tentes dans des lieux qu’il faut ensuite nettoyer, il faut prévoir des toilettes, des transports, pour quels avantages ? Augmenter le chiffre d’affaires des fast foods ou des zones commerciales ? Quelqu’un a-t-il fait une étude chiffrée sérieuse ? Pas une extrapolation baclée, une étude portant sur 20% des festayres (en deça, les chiffres seront insignifiants).

 

A l’heure actuelle, la mort des fêtes semble inéluctable. Les visiteurs n’apprendront pas nos codes car ils s’en foutent.. Seule les intéresse l’écume de la fête, la sono à fond et les verres qui basculent. Ils pensent que Patrick Sébastien connait mieux les sardines que les pêcheurs de Donibane et la liberté les autorise à pisser contre la Cathédrale. Les autochtones ne voient rien venir Ils ont accepté que le Labourd enfile le costume de Navarre, que le kebab remplace la ventrèche et que Beyonce dégage les Pottoroak comme Udo Jurgens a dégagé le chanoine Lamarque Quand on coupe les racines, l’arbre crève.

 

Les Bayonnais ont été décérébrés. Les vieux cons comme moi savent bien que les visiteurs affluent pour notre puissance culturelle plantée dans notre histoire, puissance qui est forte des emprunts culturels faits à d’autres groupes, à commencer par nos voisins espagnols. Nos clubs privés s’appellent des penas et on peut y boire du fino. Bayonne n’est pas monoculturelle. Mais les Bayonnais badent la culture des autres alors que le plus important est la culture que la ville a apporté au monde. Les « battles » des rappeurs sont nées en Gascogne sud quand les troubadours ont inventé la tenson, le duel de chant, au XIème siècle et la tenson était la forme romane du bertsu basque. N’admirez pas les rappeurs, ils se contentent d’exploiter une forme de chez nous, dix siècles après nous et n’oubliez jamais cette règle : le monde serait moins évolué sans la créativité bayonnaise.

 

C’est pour ça qu’ils viennent. 

 

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