jeudi 4 juillet 2024

MORT D'UN PATRIMOINE

Il faut n’être concerné que par les choses importantes. La majorité, on s’en branle.

 

En ce moment, je m’intéresse uniquement à l’histoire de la cartographie. La première carte de France, la vraie, établie par mesure (pas un dessin à la con torché par un pseudo-cartographe), a été créée par des migrants, la famille Cassini. Boulot d’un siècle achevé en 1789. Moyennant quoi, le gouvernement révolutionnaire a confié aux Cassini la création du système métrique (ça c’est pour mes copains mononeuronaux qui comptabilisent l’apport des migrants à la Nation en espérant qu’ils remplaceront Aya Nakamura par les Cassini).

 

Cinquante ans après, mon aieul, cartographe militaire fait ses préparations en toises et passe au système métrique pour le rendu final. Ça me dit que les bouleversements épistémologiques peuvent n’être pas perceptibles et applicables sans un temps de latence.

 

On rigole pas, là. Au Dépôt de la Guerre, on prépare les cartes pour les militaires. Obligation d’avoir des échelles compréhensibles par tous, utilisables par tous, des légendes universelles, de faire de la carte un instrument de communication pour des gens que tout sépare. Mais on préparait aussi les cartes pour les artistes : les peintres de bataille ont besoin d’un décor exact. Le Dépôt de la Guerre au XIXème siècle était un creuset où la géographie était un alliage d’art pictural et de mesure du globe. La cartographie était un art, mais pas seulement car les cartographes devaient faire des cartes avant les conflits et pouvaient être également un peu espions. Les paysages étaient levés à la planchette quand on avait le temps de mesurer, et sinon « au pas », c’est-à-dire au fil de la marche. Des modes de dessin changent et il faudra près d’un siècle pour que la courbe de niveau remplace les hachures et que la France soit couverte au 1/80 000ème, échelle de la carte d’Etat-Major.

 

Pendant tout le siècle, le Dépôt de la Guerre a été un laboratoire de la représentation du monde tout en restant connecté aux recherches des autres comme les peintres de Barbizon, par exemple. Mon aieul avait été repéré par l’Empereur dont il est devenu le cartographe privé, chargé de cartographier les écrits de Jules César. Mais il n’était pas seul : j’ai chez moi une grande aquarelle de Gaspard Gobaut  représentant un village palafite qui m’évoque les travaux de Pétrequin en Franche-Comté. Tous ces gens mesuraient : Papy disposait de soldats chaussés de caligae qui vérifiaient les distances du De Bello Gallico. Le dossier (brouillons, notes de travail) est à la base archéologique  de Glu-en-Glenne.

 

Bien sur, ils étaient des peintres « pompiers », tenus par la réalité et la mesure de la réalité. Papy a recréé par le dessin le pont jeté par César sur le Rhin  dont il ne reste rien et les peintres de bataille bossaient pour qu’il ne manque pas un galon aux uniformes. Ces cartographes étaient appelés « ingénieurs géographes » et ils baignaient dans la réalité du terrain et la symbolique de sa représentation. Ça peut paraitre stupide mais tout était à inventer pour passer de Cassini au GPS, GPS dont l’efficacité repose sur la triangulation de Cassini. Car la cartographie a longtemps été une spécialité française, même au temps de Landsat et même avec des migrants. Le passage du réel au symbolique demande une finesse extrême surtout si tu veux que le symbolique soit réaliste. Sans compter que même les mesures différaient : les Français mesuraient par rapport au méridien de Paris, les Anglais avaient choisi Greenwich. Allemands et Autrichiens se basaient sur le méridien de Hierro, île des Canaries où ils voyaient la pointe la plus occidentale d’Europe. Les autres ? Ça dépendait du boulot à faire et du directeur en poste. L’universalité progressait à petits pas, entravée par les nationalismes toujours pointilleux. Avant même d’avoir terminé, les cartographes devaient d’adapter : dès les années 1890, Taride créait la carte au 1/200 000ème, mieux adaptée aux voyages en automobile. Michelin gardera cette échelle en y ajoutant la correspondance de couleurs entre route de la carte et signalétique de la route (borne rouge= route rouge). La symbolique colle à la réalité, la cartographie privée vient épauler la cartographie d’Etat.

 

On sous-estime le rôle de la matière…Les cartographes du Dépôt de la Guerre ont commencé avec la gravure sur cuivre, puis ont adopté la lithogravure, se sont fait aider par l’offset tandis que la plume d’acier remplaçait la plume d‘oie. Il a fallu toutes ces modifications pour arriver à Spot-images. Plus les papiers spéciaux, fins à cause du pliage, mais supportant huit passages en machine. Personne n’imagine la somme de technologie mise en œuvre de Cassini à aujourd’hui pour produire cette banalité : la carte géographique.

 

Alors, oui : les élections me semblent anodines. L’IGN, héritier du Dépôt de la Guerre, est en fin de vie, assassiné par des gestionnaires imbéciles. Oh, c’est pas Macron, l’abandon de souveraineté géographique a commencé sous Giscard… Macron a suivi et fini la pente. In fine, les actes parlent plus que la parole. Cet hurluberlu portera aux yeux de l‘histoire la  responsabilité de la mort d’une création révolutionnaire, celle qui donnait aux citoyens le souveraineté sur la mesure de leur territoire.

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