samedi 7 avril 2012

LES TOUAREGS FONT CHIER

On en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.fr/2010/09/les-roms-font-chier.html) mais là, ça vaut le coup de recommencer.

Les Touaregs créent leur Etat, rien qu’à eux, au cœur du Sahara. Ouah ! je sens déjà poindre la littérature touristico-politique. Le Français de base aime bien le « seigneur du désert ». C’est comme ça qu’on dit quand on est bien pensant. Le bobo a remplacé l’écharpe Burberry’s par le chèche en coton fabriqué en Chine. Le bobo, il adore la dune au soleil, les milliers de chameaux de l’Azalaï et le grand homme bleu qui marche, imperturbable, sous un soleil de plomb.

Cet Etat, c’est une bombe. Même pas à retardement. Tu connais l’Azawad ? Et l’Adrar des Iforas ? Non ? Regarde une carte. Y’a rien. Et quand je dis rien, c’est vraiment rien. En photo, c’est magnifique. Des reliefs sculptés par le vent, de longs regs piquetés de touffes d’alpha. Tu vis de quoi dans l’Azawad ? Ben, mon gars, tu vis pas. Tu survis. Vu que t’es au cœur du désert, sur les pistes qui mènent de l’Afrique noire au Maghreb, tu survis avec un peu de contrebande, tu trafiques les armes ou la coke qui arrive de Colombie (ben oui, le Sahara, c’est une plaque tournante, tu savais pas ?), tu fais le passeur pour ceux qui veulent aller en Europe. Parce que faut pas croire, c’est pas avec le lait de tes chamelles maigres que tu vas nourrir tes gosses. Et payer le téléphone cellulaire.

Bref, tu continues à faire ce que faisaient tes ancêtres qui trimbalaient des esclaves du sud au nord, qui pillaient leurs copains ou les populations noires voisines. Parce que faut pas croire : le seigneur du désert, il a toujours vécu de pillages et de trafics. Et pas avec noblesse : la mission Foureau-Lamy, ils l’ont dézingué en empoisonnant les puits, pas à la loyale. La loyauté du nomade, c’est encore une grosse connerie. Le nomade, c’est d’abord et avant tout un contrebandier esclavagiste. Dans les années 1970, à Tam, il y avait encore des harratin. Ça veut dire « esclave » et tout le monde trouvait ça normal.

C’est pas un jugement. Le nomade, il est toujours en survie. Sa vie est une lutte permanente. Il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Forcément, il a une morale élastique. Dès qu’il peut, il se sédentarise. C’est vachement mieux d’avoir une maison en dur qu’une tente que tu dois démonter, transporter et remonter tous les quinze jours en fonction des pluies, des sources et des pâturages. Mais même sédentarisé, à part tondre le touriste, y’a pas grand chose à faire. C’est pas les travaux de la terre qui te contraignent le planning. Et donc, tu te démerdes. Aux marges.

Alors, l’Etat touareg, il va vivre de quoi ? L’agriculture, t’oublies. C’est le désert total. Les minerais, y’en a pas trop : un peu d’uranium, un peu de manganèse mais quasiment pas exploités. Le commerce ? Le Mali est déjà un Etat enclavé, alors l’Azawad qui va être une enclave dans l’enclave, c’est sans espoir. Et c’est pas demain que le sel de Taoudenni va remplacer le sel de Guérande sur ta table.

Restent les armes vu que la révolution libyenne a permis d’avoir du stock, les otages et leurs rançons, bref, tout ce qui touche à la guerre. On va revoir les rezzous tant vantés par Joseph Peyré et ses copains littérateurs antiques.

Après, pas la peine de se palucher pour savoir si le MNLA va s’allier avec AQMI ou pas. Ça va être un coup oui et un coup non, en fonction des opportunités. Et des financements. Parce que le nouvel Etat de l’Azawad, il ne vivra que de charité vu qu’il n’a rien d’autre. Si le pognon exige la mosquée, on construira une mosquée. S’il faut promettre, on promettra. A l’Arabie saoudite, à l’Occident, aux humanitaires. Les seigneurs du désert, ils ont pas fini de faire la manche.

Les spécialistes vont vous expliquer plein de trucs. Que le Mali est une construction coloniale (et c’est vrai) et qu’on a voulu faire vivre ensemble des populations qui se détestaient (et c’est vrai). Que le pouvoir est aux mains des gens du sud qui ont brimé et même massacré les nomades du nord. C’est vrai aussi, ça fait trente ans que l’Adrar des Iforas est le théâtre d’épouvantables massacres. Que les Touaregs supportaient plus la situation et qu’ils ont saisi la balle au bond. Tout ceci est parfaitement exact. Mais quand t’as dit ça, t’as dit quoi ? Que l’histoire coloniale explique l’évolution de l’Afrique ? C’est pas vraiment un scoop.

L’Azawad est une bombe à retardement parce qu’il n’a pas sa place dans un monde moderne et productiviste : il ne produit rien. Le seul truc qu’il peut produire, ce sont des troubles. La chance, c’est qu’il est peu peuplé et que les troubles seront limités. Ça pète déjà dans le désert libyen, ça risque de péter en Algérie du sud. On peut même imaginer que les Touaregs nigériens vont entrer dans la danse, mais là, y’a de l’uranium exploitable et exploité. Ça peut changer la donne. Dans l’ensemble et dans l’immédiat, les seuls qui vont morfler, c’est les tour-opérateurs qui exploitaient l’image du seigneur du désert.

C’est rigolo comme situation parce que c’est assez imprévisible. Que les Touaregs soient salafistes n’est pas une découverte : Charles de Foucauld a été assassiné voici près d’un siècle par des Touaregs salafistes. Qu’ils soient capables de construire un état salafiste au coeur du Sahara est une autre histoire. Plus simplement, que des nomades puissent construire un Etat, c’est quand même douteux. La seule certitude, c’est qu’ils peuvent bouleverser l’équilibre de la région et déstabiliser les états sahéliens.

Mais il y a une bonne nouvelle. On peut aussi imaginer que le Mali, enfin débarrassé de quelques milliers de kilomètres carrés sans intérêt économique va trouver un nouveau souffle de développement. Les Maliens du sud, avec ce coup-là, ils conservent leurs ressources qui sont toutes au sud et ils n’ont plus à s’occuper des terres septentrionales pauvres et improductives. Là, je galèje. C’est une vision trop pragmatique. On entend déjà les couillons qui brament le grand air de l’intégrité nationale. L’intégrité nationale d’une artificielle construction récente, tu parles !

Bref, faut poser la question simplement, comme on l’a déjà fait pour les Roms. La mondialisation supporte t-elle le nomadisme autrement que comme une image nostalgique à visée touristique ? Les nomades, tous les nomades sont condamnés. Ça a commencé au Néolithique et ça se poursuit. On peut le regretter. Mais, entre nous, à part fournir des décors à Frédéric Lopez et à ses rendez-vous en terre inconnue….

On en reparlera…

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