lundi 7 mai 2012

LA PAGE BLANCHE

Grâce à France-Info d’abord, puis les chaines « info », puis Google Actualités, on nous a introduit une idée dans la tête. L’information est permanente, totale, globale., changeante et toujours actualisable. Nous baignons dans un monde d’information.

Personne ne pose la question de la pertinence. J’avais appris, dans les temps antiques, qu’une information n’avait d’intérêt que si elle apportait un éclairage. Le plus large possible. Faut s’y faire, ce n’est plus le cas.

Il ne faut pourtant pas être grand clerc pour voir que la plupart des infos dont on nous gave n’ont aucun intérêt. Deux ouvriers belges blessés sur un chantier à Bayonne. Ça vaut quelques lignes dans l’édition locale du journal régional. Tout le monde s’en fout. Ben non. C’est un des titres de Google Actualités ce matin. En quoi l’ensemble de la Nation est-il concerné ? Même moi, Bayonnais, je m’en tape. Ma vie n’est pas concernée. Ce n’est pas une info. Même pas une anecdote. Autrefois, on disait « les chiens écrasés » pour qualifier ces infos qui n’intéressaient que quelques voisins. Les journalistes débutaient comme ça.

Seulement voilà. Google vit de la fourniture d’informations. Plus d’infos, plus de bénefs. Donc tout fait info, même si c’est pas une info. Vous leurrez pas, c’est pareil pour les journaux ou les télés. Tu peux pas imaginer le responsable du cahier Livres de Libé dire : « Cette semaine, y’a rien de bon, on fait pas le cahier ». Ou Ruquier annuler son émission parce que la matière est médiocre. C’est pas possible. Pour être exact, c’est plus possible. Théophraste Renaudot, le père de la presse, ne publiait son Mercure français que lorsqu’il y avait de l’information. Pas d’info, pas de journal. Logique.

Alors, on bidonne. On invite ce malheureux Gérard Collard comme si la candidature d’un libraire à l’Académie était une info culturelle aussi importante que la publication d’un nouveau Pléïade sur Montaigne. Je déconne : personne n’a parlé de la nouvelle édition de Montaigne en Pléïade. Toutes les semaines, on vient nous parler du film de l’année, du livre de l’année, du chanteur de l’année. Même s’il est mauvais. L’essentiel est de noircir la page blanche. Avec rien s’il n’y a rien.

Et même quand on peut traiter l’info, on s’en garde. Prends Furiani. Vingt ans que des supporters de foot sont morts en allant voir Papin. Tu t’attends à un vrai traitement de l’info : depuis vingt ans, y’a eu un procès, on a découvert des responsabilités. On pourrait imaginer que la nouvelle débouche sur des marchés mal passés avec des entreprises mal conduites. Ben non. Rien. Une messe dans la cathédrale de Bastia. Tu parles d’une info ! Les curés, ils adorent les morts, c’est leur fonds de commerce.

Hollande est élu. En boucle, sur toutes les télés, des dizaines de motos suivent sa bagnole qui va de Tulle à Brive. C’est une info, ça ? Quel intérêt ? Ça apporte quoi ? On baigne dans l’anecdotique insignifiant. On remplit la page blanche mais on la remplit avec du rien. On justifie le temps d’antenne parce qu’on n’a rien à dire. Pendant ce temps, les plateaux sont vides. Les mecs de l’UMP se cachent, ceux du PS n’ont rien d’autre à faire que s’autocongratuler. Là, il y a peut-être une info à exploiter. Analyser pourquoi les perdants se cachent. C’était une soirée pathétique.

Il y avait pourtant une info dans ce convoi. Hollande était enraciné au plus profond du pays. Comme Mitterrand à Nevers ou Pompidou à Cajarc. Au plus profond : il n’y a même pas d’aéroport à Tulle. J’ai souvenir d’une arrivée à Tulle, il y a quarante ans, sous la neige et par la micheline qui venait de Bordeaux. C’était Kashgar ou peu s’en faut. Sarkozy a été le seul Président depuis un siècle à n’avoir pas d’ancrage provincial. Il a été le Président de Paris, celui pour qui le Fouquet’s était l’Hôtel des Voyageurs ou le Café du Commerce. On le lui a reproché ce qui était une connerie. Il ne pouvait pas envisager, imaginer autre chose. Pour lui, les Champs-Elysées étaient ce que la Place de la Cathédrale était pour Hollande. Un territoire naturel.

Insister sur cette info n’était pas non plus envisageable pour les journalistes qui pensent qu’il n’est bon bec que de Paris. Qui refusent de voir qu’au regard du suffrage, Paris et sa banlieue ne représentent qu’un petit quart de la France. Que les élections nationales se jouent au niveau de la Nation, à Tulle, Cajarc, Colombey ou Sarrans. Elles sont là, les racines de l’anti-sarkozysme. Dans le refus du jacobinisme exacerbé.

« Casse toi pov’ con » n’est pas une formulation provinciale. Pas un élu de province ne se permettrait une telle formule. Ne fut ce que parce qu’il connaitrait son interlocuteur, qu’il pourrait le nommer. Nous sommes encore une nation rurale. Même vivant dans une grande ville, tout Français conserve des attaches rurales et provinciales, un cousin agriculteur ou un oncle petit commerçant dans un trou du cul du monde, une tombe dans un village où on se rend à la Toussaint. Sarkozy a été détesté parce qu’il était un élu caricaturalement parisien, caricaturalement déconnecté de notre réel.

La presse porte le même fardeau. Pour remplir tous les jours la page blanche ou l’écran vide, elle va au plus près. Elle se déplace du Palais Bourbon au Palais du Luxembourg, elle glane à l’Elysée ou à la Bourse. C’est bien, la Bourse. De l’ouverture à la fermeture, ça permet de prendre l’antenne cinq fois par jour, d’aller interviewer des spécialistes installés dans les arrondissements limitrophes des salles de rédaction. Mais combien de Français sont intéressés ? Combien de Français dépendent du CAC40 pour leur vie quotidienne ? Pendant que crèvent les quotidiens nationaux, la presse régionale affiche une santé insolente. En parlant du bal des pompiers de Barcelonnette ou de la rosière de Pessac. En parlant aux lecteurs de leur vie quotidienne. C’est pas intéressant ? Autant qu’un convoi de bagnoles aux vitres fermées allant de Tulle à Brive.

L’info aujourd’hui n’est plus qu’un immense babillage, un bruit de fonds sans contenu. Ce n’est plus qu’un jeu consumériste. De la promo. Sauf qu’on promeut n’importe quoi et que tout est au même niveau. Les journalistes sont devenus des animateurs, comme les mecs qui vous vendent des râpes à carottes dans les supermarchés. Ce qui ne les empêche pas de plaider pour la dignité de leur métier. Vaut mieux en rire…

On en reparlera….

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