mercredi 23 mai 2012

LE DISSIDENT AVEUGLE

Là, j’ai commencé par coincer. C’était assez incompréhensible au premier abord. Chen Guangsheng, dissident, autodidacte et aveugle a été autorisé à immigrer aux Etats-Unis.

Ce n’est pas ça qui me pose problème. Depuis Soljenitsyne, on sait qu’un opposant envoyé aux Etats-Unis perd de sa virulence.

Chen était assigné à résidence dans son village de Dongshigu, dans la province du Shandong, à mi-chemin entre Shanghaï et Pékin. On est en Chine : assigné à résidence, ça a un sens. On sait que la police chinoise ne manque pas d’efficacité. Rappelons que le bonhomme est aveugle ce qui ne plaide pas pour une mobilité exceptionnelle.

Or donc, voici que notre aveugle s’évade d’un domicile surveillé par la police, s’offre un voyage de trois jours dans un pays décrit comme l’un des plus coercitifs au monde et se réfugie à l’Ambassade des Etats-Unis qui n’est certainement pas le lieu le moins contrôlé de Pékin. Tout ça tient du miracle.

Il n’y a que deux explications : soit la police chinoise est nulle et tout ce qu’on nous raconte sur la dictature en Chine est faux ; soit cette évasion a été soigneusement orchestrée et autorisée. Mais alors pourquoi ?

D’autant que « l’avocat aux pieds nus » (en fait juriste autodidacte et sûrement correctement chaussé) s’attaquait à un phénomène politiquement insignifiant, la poursuite clandestine de la politique de l’enfant unique. Pas de quoi mettre en péril le pouvoir du PCC.

Quand elle arrive à Pékin, quelques jours plus tard, le programme d’Hillary Clinton est chargé. Elle doit discuter de la situation en Syrie, du programme nucléaire de l’Iran et de l’attitude de la Corée du Nord. Elle est accompagnée du Secrétaire au Trésor qui doit parler de la parité du yuan et du protectionnisme chinois. De vrais sujets, on en conviendra.

On connaît la position du gouvernement chinois sur ces sujets. Pas touche à la Syrie, les opposants à Bachar El-Assad sont majoritairement des islamistes, faudrait pas que ça contamine le Xinjiang. L’Iran a droit à un programme nucléaire et si ça emmerde les USA, c’est pas plus mal. D’autant que l’Iran produit du pétrole et la Chine a besoin de pétrole. Le yuan fluctue dans les limites assignées par le gouvernement chinois qui fait ce qu’il veut. Les discussions promettent d’être sévères.

Seulement voilà. L’ambassade des USA vient tout juste d’héberger un dissident. Les Chinois protestent. C’est pas une bonne base pour discuter. Il convient de crever l’abcès avant de continuer. Les Chinois savent ce qu’ils font. Hillary monte sur ses grands chevaux et embraye sur les droits de l’Homme. La presse, notamment américaine, adore. L’avocat aveugle aux pieds nus, c’est plus sexy pour faire de l’image que le cours du yuan. Hillary s’excite. Comme toutes les Américaines riches, elle adore faire la dame patronnesse. Et Chen Guangsheng devient le sujet principal du grand rendez-vous diplomatique annuel sino-américain.

Le marchandage change. Tu me fous la paix en Syrie et je te laisse l’aveugle. Marché conclu. Je suppose qu’Hillary a cédé sur tout mais elle revient de Chine avec une victoire, la presse l’encense, les USA sont toujours le grand protecteur des libertés, quelle femme cré vingt dieux !!!! Que pèse l’Iran face à une telle victoire ?

Quelle superbe manipulation ! Pour Hu Jintao, c’est tout bénef. Il se débarrasse d’un emmerdeur qui n’avait de poids que parce qu’il parlait de son domicile-prison. Il sait parfaitement qu’aux USA, Chen se contentera de faire des conférences que suivront de moins en moins de gens et qu’il s’enfoncera dans l’oubli, lentement mais irrémédiablement. Pour une raison simple : il n’est plus un dissident. Il suffit de regarder l’évolution de Gao Xingjiang.

Diplomatiquement, Monsieur Hu a gagné un an. Dans un an, le problème syrien sera certainement réglé et on verra bien où en sera l’Iran. Il sera temps de rediscuter. A moins qu’on n’offre aux USA un nouveau dissident ou une sucette sur le Tibet. Monsieur Hu a permis à Hillary de conserver la face. Elle a obtenu quelque chose. Rien sur l’essentiel (politiquement), tout sur l’accessoire (médiatiquement). Mais pour elle, l’accessoire est essentiel. Sunzi a eu de bons élèves.

J’aimerais savoir comment l’évasion de l’aveugle a été organisée. Comment on a relâché la surveillance, comment on a suivi les trois jours de voyage, comment l’évasion a été facilitée, comment les flics ont tourné le dos quand Maître Chen est arrivé devant l’Ambassade des USA avec sa canne blanche. C’est sûrement du grand art.

Tant qu’on confondra l’essentiel et l’accessoire, on sera mal barrés. La lucidité est la chose au monde la plus mal partagée. Il y faut du réalisme c’est à dire un peu de cynisme. Autant dire que personne ne se veut plus réaliste car « cynique » est devenu un gros mot. La Chine est tranquille : elle a un stock de dissidents qu’elle nous distillera à chaque problème. Et nous, on sera heureux, on se dira « c’est toujours ça de gagné ». Ce que se disent tous ceux qui perdent gros devant une machine à sous quand quelques jetons tombent dans la bassine.

Du voyage d’Hillary, c’est tout ce que la presse a retenu. Le dissident aveugle est libre. Reste plus qu’à l’envoyer à Lourdes. Sauf que là, c’est pas Hu qui fait les miracles.

On en reparlera…

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