vendredi 16 novembre 2012

LA CAVE ET LE CAVISTE

Tout le monde a un caviste. C’est du dernier chic. « Mon » caviste, il a toutes les qualités, il déniche des petits vins, il en parle à ravir…

Le mien, il est somme toute assez médiocre. Je n’y trouve que peu de merveilles, quelques Bordeaux de consommation courante parfaitement corrects, un Madiran qui me convient tout à fait, pas de quoi s’extasier.

La semaine dernière, j’avais envie de Rioja. Il me sort une bouteille d’une banalité d’anthologie à 22 euro. Je le connais son pinard. Chez moi, il est à 8 euro en moyenne. 22 euro, je les mets sur un Riscal, un Remelluri, un Campillo. Pas sur un Rioja basique. Le caviste me prend pour un cave…

Je veux bien qu’il faille le transporter le nectar. Mais quand je l’achète chez Calvo, à Irun, à côté de la Poste, le vieux Calvo, il a compté son bénef d’épicemard. On est en Europe, quand t’achètes en boutique, la structure de prix, elle est partout la même. Y’a que le transport qui différencie. On me dit que mon caviste, il achète peut-être chez un grossiste et qu’il y a les frais et la marge du grossiste. Admettons.

Mais si c’est le cas, c’est un mauvais caviste. C’est même pas un caviste du tout. Le caviste, c’est un mec qui achète des vins chez des producteurs qu’il connaît, qui les met en cave (d’où son nom), qui les fait vieillir, qui les accompagne dans leur vie de vin. Mais voilà, nous sommes au temps des cavistes sans cave. De tout ce que dessus (choix, achat, mise en cave, accompagnement), il ne reste que le discours tenu sur le vin. Le baratin. L’écume.

Aujourd’hui, un caviste, c’est un marchand de vin et d’alcools, un commerçant classique qui utilise des grossistes, des importateurs, qui gère des stocks. Quand le vieux caviste de mon père te renvoyait chez l’épicier pour tout ce qui n’était pas issu du vin, stricto sensu, mon caviste te vend du pastis (attention, du pastis artisanal, deux fois plus cher qu’un vieux 51) et d’improbables liqueurs italiennes dans des emballages dessinés par des émules de Starck.

C’est une question que je pose souvent à mes copains : ton caviste, tu as vu sa cave ? Ils ouvrent des yeux ronds. Un caviste doit-il avoir une cave ? Remarque, c’est pareil pour les fromagers. Androuet, quand il était rue d’Amsterdam, il avait une cave et pas de succursales. Aujourd’hui, il a des succursales et plus de cave. Il s’en fout. Ses clients croient que le fromage, ça se conserve au frigo.

Tu vas me dire : vas ailleurs, si t’es pas content. C’est ce que je fais quand je peux. Mais, pour être franc, j’ai du mal. Les mecs, ils me démarrent direct sur la bouteille qu’ils ont en mains, les effluves, les senteurs, la longueur en bouche. Jamais, ils me parlent du vigneron, de la propriété, des vignes. J’éprouve un plaisir malin à poser ce genre de questions : « c’est très loin de Gaillac ? » ou « elles sont orientées comment les vignes » ? Là, il sait plus. Il me redégueule juste un discours convenu, ce qu’il croit être un discours de caviste. Il lui vient pas à l’idée qu’à mon âge, tous ces trucs, je les ai lus et entendus et plutôt deux fois qu’une. Il ne lui vient pas à l’idée que j’ai visité pas mal de vignobles et que, professionnellement, j’ai eu à goûter et à juger quelques flacons. Il ne sait rien de moi, alors il me sert le brouet qu’il sert à tout le monde. Sans oublier le soufre, pont aux ânes de l’œnologie actuelle. Il ne lui vient pas à l’idée que j’ai quelque connaissance des prix, quelques repères, et que je trouve ses marges indécentes. Comme n’importe quel magasin, il a des prix d’appel, inscrits bien gros sur des étiquettes bien grosses, histoire de me faire croire qu’il est raisonnable.

Il y a quelque temps, il a ajouté à son assortiment de la charcuterie « artisanale » (bien entendu) qui va bien avec le vin. Artisanale, tu parles ! C’est de la charcuterie espagnole et l’usine, tu la vois de l’autopista quand tu t’approches de Salamanque.

Bref, mon caviste me baratine. Gentiment, mais il me baratine. Il est sérieux pourtant. Ouvert tous les jours. Il va quand se balader dans les vignes ? Pendant son mois de vacances ? C’est un peu court, jeune homme.

Ainsi va le monde du commerce. Communication, baratin et pipeau. Tu finis par regretter les temps anciens et nostalgiser. Je regrette Peyrache. C’était mon copain, rue Monge, quand j’avais vingt ans. Il venait de Lyon et ne vendait que des vins du Lyonnais et du Beaujolais. Tu pouvais y aller avec ta bouteille vide qu’il te remplissait au tonneau. Des vins de ses copains. Bon, t’avais pas la si jolie étiquette et, en fin de journée, l’élocution pouvait être pâteuse. Mais quelles fêtes ! Si t’avais plein de copains, il te livrait lui même le petit tonneau que tu lui avais commandé une semaine avant.

Une semaine avant ? Il fallait prévoir ? Non. Il fallait mettre du temps et le vin, comme le livre, est fils du temps. Si t’as pas compris ça, bois de l’eau. Y’a pas de soufre et la qualité est constante. Et les caves sont inutiles.

On en reparlera….

PS : n’allez pas rue Monge. Voilà beau temps que Peyrache n’existe plus. Comme quoi, il y a des gens irremplaçables.

4 commentaires:

  1. Ce texte m'enchante. C'est très juste, très bien vu et convenablement sévère. Bravo.

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  2. Tout à fait d'accord... même s'il y a quand même quelques cavistes excellents.

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  3. Bien sûr qu'il y en a de très bons..mais c'est comme les bars à vins...et comme tout le reste...discours convenu pour produits médiocres..mais tout le monde peut s'autoproclamer caviste...ou fromager...ou n'importe quoi.. j'ai fait quelques textes là-dessus...

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  4. Chabaud, l'éponge la rue Monge :D n'est pas la moitié d'un quart de Brie, malgré ce qu'il avale, il voit clair !

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