Depuis les débuts du Grand Débat, le terme de
« formation professionnelle » est devenu omniprésent, une sorte de
mantra qui doit régler tous les problèmes. Pour être franc, je n’ai quelque
savoir que pour ce qui concerne mon métier, la librairie et ça ne me rend pas
optimiste.
Lors de mes études, il n’existait aucune formation de
libraire. Munis de quelques connaissances en littérature, nous nous faisions
embaucher dans une librairie compatible avec nos goûts et là, sous la férule de
libraires nous apprenions notre métier dont la base était le catalogage. J’ai
eu de la chance : Steve était très dur, très exigeant et il présidait le
SLAM (le Syndicat de la Librairie Ancienne et Moderne), le seul syndicat de
libraires qui mettait sur un pied d’égalité tous les livres de toutes les
époques. Il nous fallait connaître Zola, depuis les premières éditions de Charpentier
jusqu’au Pleïade. C’était une formation complète et difficile. Nous apprenions
à juger du papier, de la qualité d’impression, de la reliure (le skaï
remplaçait le cuir). Nous manipulions des centaines de livres, tous différents
et nous devions les valoriser. Pour nous, les formats n’étaient pas des
centimètres mais des règles de pliage (in-4°, 4 pages à la feuille, in-8°, 8
pages à la feuille, etc…). Nous apprenions, chaque jour. Nous passions nos
dimanches chez les bouquinistes et nous allions voir les expositions de ventes
aux enchères pour connaitre encore plus de livres. On se faisait engueuler tous
les jours. Pour moi, le matin, c’était la boule au ventre. Mais j’apprenais.
Depuis ce temps, la société s’est modernisée. Il existe
désormais un institut de formation des libraires et même des filières
universitaires dédiées aux métiers du livre. J’y ai embauché quelques collaborateurs :
aucun n’était bon. Leurs connaissances étaient anorexiques mais surtout leur
désir de savoir était inexistant et leurs compétences techniques plus que
floues.
Alors, j’ai enquêté. Ma première constatation aurait suffi à
les dévaloriser : aucun enseignant n’avait un cursus professionnel
correct. Souvent, il s’agissait d’anciens employés de librairie, voire des
représentants de commerce reconvertis. J’ai même rencontré des
« formateurs » qui n’avaient jamais vendu un livre et l’un d’eux m’a
dit : « Je suis un spécialiste de la vente, les livres sont des biens
comme les autres ». Connard !!!!
Je me suis déplacé pour rencontrer le responsable d’une
structure qui avait voulu dégouter une gamine de venir bosser avec moi en lui
affirmant qu’elle allait en baver. Il ne me connaissait pas, sauf de
réputation. Il a eu cette phrase hallucinante : « Je suis là
pour les former pour Auchan ou Leclerc, ce sont eux qui embauchent ». J’ai
essayé d’argumenter mais c’était perdu d‘avance. Il ne formait pas les gosses à
un métier, il les formait à une filière, n’ayant pas compris que le métier
était intangible et les filières obsolescentes. N’ayant pas compris surtout
qu’il existait des postes ailleurs que chez Leclerc. J’en ai parlé ensuite à
des copains profs de cuisine qui étaient confrontés au même choix car il y avait plus de jobs dans les chaines
de restaurants d’assemblage que dans les trois étoiles. Et donc, par voie de
conséquence, on choisit la facilité. Je ne sais pas comment sont évalués les
formateurs des centaines d‘organismes de formation et j’ai même rencontré une
nana qui, munie d’un CAP d‘esthéticienne, formait des impétrants aux concours de
base de la fonction publique.
La pierre de touche de ces formations n'est pas le savoir acquis par les élèves mais le nombre d'embauches enregistrées par l'organisme formateur. Ici et maintenant.
Ma religion est faite : la formation est un marché et
il importe de le couvrir avec des formateurs au rabais qui permettent de se
gaver des prébendes de l’Etat. La destruction des métiers est en cours et elle
est bien avancée. Il peut se glorifier le Président, il va nous balancer dans
les dents les millions dépensés pour des pseudo-formations qui ne déboucheront
sur rien d’autre qu’une baisse constante des salaires au profit du commerce
« moderne ». De toutes façons, la tenaille est bien installée :
ceux qui embauchent n’ont pas besoin de compétences dont se moquent ceux qui
forment. C’est le monde des grandes écoles où seul compte le savoir dispensé
par l’école. Les autres peuvent crever… Ce qu’ils feront d’ailleurs.
Je finis sur une anecdote personnelle. J'avais conçu avec ce vieux Fred un site de librairie en ligne qui avait été élu meilleur site de l'année par un jury de libraires internationaux. Après mon départ, le site a été fermé, mes successeurs trouvant que sa maintenance demandait trop de travail. Tout est dit : les faineants sont au pouvoir.
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