dimanche 23 février 2025

LES GODILLOTS

 Bien. La France est en guerre, ou plutôt en quasi-guerre.Le Président l’a dit, nous nous mettons en économie de guerre. Traduction : nous nous préparons.

 

Pour nous rassurer, regardons l’Histoire. Avons-nous gardé nos élèments de guerre ?Avons nous conservé nos atouts ? Ou avons-nous tout détruit ? Et comment se prémunir ? Ne nous compliquons pas la vie. Regardons froidement une entreprise de défense créée dans une vallée basque au début des années 1950 : Pataugas.

 

Au départ, c’est un petit fabricant d’espadrilles de Mauléon en pays de Soule. Son problème : les semelles. L’espadrille, avec ses semelles de corde, résiste mal à l’abrasion des nouveaux revêtements de routes. Et donc René Elissabide cherche et trouve un type de vulcanisation permettant de réaliser des semelles solides en caoutchouc. Pataugas devient fournisseur de l’Armée. Ce qu’on ignore, c’est que l’Armée offre à ses fournisseurs un super retour d’expérience ce qui permet à Pataugas d’améliorer son brodequin de marche mais aussi de créer des produits dérivés comme des bottes de saut pour parachutistes. La guerre d’Algérie est à son apogée, la conscription bat son plein, l’usine tourne avec 400 ouvriers (moins de 6000 habitants pour la ville) ce qui en fait un acteur économique de premier plan pour la vallée.

 

Tous ceux qui ont fréquenté l’Armée savent que ses relations économiques avec ses fournisseurs sont un écosystème avec un vocabulaire, des habitudes, des références qui le distinguent des systèmes économiques traditionnels. A vouloir gérer l’Armée comme une entreprise, on fait nécessairement fausse route.

 

A la fin des guerres coloniales, les ventes de Pataugas déclinèrent mécaniquement avec la baisse des troupes qui s’accompagnat de la mort du fondateur. Pataugas ne s’était pas doté d’un réseau commercial adapté aux temps modernes. La marque restait intéressante et les vautours financiers étaient posés en Soule.  L’Europe imposait des règles libérales d’achat qui permettaient à des industriels étrangers de répondre à des appels d’offres français. Plongé dans l’écosystème du lucre et de la mode, Pataugas était condamné. Aujourd’hui, une usine tunisienne fabrique les godillots de l’armée française et les politiques dégoulinent de souveraineté.

 

De cette petite histoire, je tire quelques leçons :

 

1/ gérer le public comme le privé est stupide.

 

2/ gérer l’armée comme une compagnie de commerce est stupide

 

3/ imaginer que certaines marchandises sont plus stratégiques que d’autres est stupide. Une armée a besoin de chaussures comme de papier toilette ou de savon. La guerre est, sur le terrain, un immense bricolage où tout compte.

 

Il semblerait normal de donner à certaines entreprises un statut du type « entreprise de défense » qui l’exonèrerait de certaines obligations et l’empêcherait de passer sous pavillon étranger en protégeant sa gouvernance

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