lundi 19 septembre 2011

LES MARCHES

Faut pas se gourer : ils sont plusieurs. LE marché, c’est pas LES marchés. Or, nous dit-on, il faut rassurer LES marchés.

Mission impossible. Car les marchés n’ont pas d’intérêts convergents. Et même dans la plupart des cas, ils ont des intérêts divergents. Prends le marché de la dette : son intérêt, c’est que la dette soit fiable, sécurisée, payée. Dame, t’as prêté aux Grecs, t’aimerais bien qu’ils te remboursent, intérêt et principal.

Comme t’as la trouille, tu vas t’adresser au marché dérivé. Lui, il va te vendre des assurances au cas où les Grecs pourraient pas te payer. Son intérêt à lui, c’est que les Grecs payent pas. Plus ils sont fragiles, plus les dérivés valent cher. T’as compris ? Quelle que soit les décisions politiques, y’a une partie des marchés qui va dérouiller. Et donc, les masses qui composent cette partie vont aller ailleurs. Elles vont aller déséquilibrer autre chose.

Le marché des actions, c’est du kif. Tu prévois la récession. Là, t’as pas besoin de boule de cristal. Donc, tu vas vendre les actions qui seront affectées en premier lieu. Les sociétés automobiles vu que quand le pognon manque la bagnole dérouille. Mais quand t’as vendu ces actions, t’as du fric. Alors t’achètes autre chose. Des matières premières, par exemple. Pas du pétrole. Vu que t’as vendu Peugeot, tu penses (à tort) que le pétrole va être affecté. Donc t’achètes de l’or, ou du maïs. Et ce faisant, tu déséquilibres deux marchés, un qui baisse, un qui croît.

Les marchés sont irrationnels. Parce qu’ils sont religieux. Et comme toutes les religions, ils ont un dogme : l’économie américaine est la plus puissante économie du monde. Ho ! ça tu peux pas le nier quand même. Non. Je peux pas le nier.

Remarque, quand j’étais petit, j’aurais pas nié qu’Anquetil était le meilleur cycliste du monde. Après, j’ai écouté Dylan : the times they are changin’. Il y a une histoire du monde. Il y a cent ans, les USA n’étaient pas la première économie du monde. C’était juste le pays qui possédait le plus de biens physiocratiques à exploiter, avec la population et l’énergie qui vont avec. Plein d’habitants, du territoire, des matières premières. Comme la Chine aujourd’hui.

Les économistes manquent d’adverbes. La réalité, c’est que les USA sont ENCORE la première économie mondiale, comme Federer, il y a trois ans, était ENCORE le meilleur joueur du monde. Et ce qui se passe en ce moment, c’est seulement la prise en compte de l’adverbe. Les « marchés » se posent la question de l’ENCORE.

Toutes les analyses, toutes les corrélations, tous les systèmes statistiques sont basés sur la prééminence américaine. On décide en fonction de ce qui se passe à Philadelphie alors que Philadelphie est une ville morte. Et on n’a aucun système de remplacement. On pourrait imaginer de se baser sur le prix de l’immobilier à Chengdu ou sur les indices de la consommation de l’Université du Guangdong afin de préparer la transition vers l’époque où les USA ne seront plus la première économie du monde. Seulement voilà : l’appareil statistique chinois a la fiabilité d’un Viagra contrefait. Et donc, les magnifiques mathématiciens qui gèrent les marchés, ils sont totalement paumés. En attendant, ils continuent d’utiliser des modèles obsolètes. C’est mieux que rien. Voire…

L’Amérique a des soucis, l’Amérique est le premier consommateur de pétrole du monde, et donc il ne faut pas compter sur le pétrole. C’est la leçon du passé, la leçon du temps où Detroit régnait sur l’automobile et où Pittsburgh était une ville industrielle. Les Chinois se marrent. Eux, du pétrole, ils en ont besoin pour grandir. Moins il est cher, mieux c’est pour eux. Ils investissent partout où ils peuvent pour se sécuriser l’approvisionnement. Si les marchés occidentaux massacrent les valeurs du pétrole, ils vont pouvoir investir et se mettre à l’abri. Eux, ils savent qu’un bon tiers de la population chinoise va avoir accès à la bagnole dans les dix ans qui viennent. Pas la peine d’avoir une auto si tu peux pas remplir le réservoir, pas vrai ? Remarque, peut-être que l’auto elle sera électrique. Ils ont pas de pétrole, mais ils ont du lithium.

Dans les marchés, il y a le marché des devises. Celui-là, je l’adore. Il se prend vachement au sérieux mais la devise de la seconde économie mondiale n’y joue qu’un rôle mineur. Tu peux jouer contre le dollar ou l’euro ou le yen. Tu peux pas jouer contre le yuan. Tu peux pas jouer avec non plus. Le yuan, il bouge pas, sauf quand Hu Jin Tao le décide. Le marché des devises, il vaut pas tripette comme indicateur.

En ce moment les marchés actent la fin d’un monde. Ou le début de la fin. Les choses ne viennent pas comme ça. Il a fallu quelques millions d’années pour que les dinosaures disparaissent. Nous, on le voit dans le brutal, l’immédiat. La Révolution française, c’est le 14 juillet. Rien avant, rien après. C’est pas comme ça que ça marche. Les dinosaures, ils ont pas disparu en un jour, ni même en un an, mais en une bonne dizaine de millions d’années. Suffit de relire les bons auteurs pour comprendre.

C’est vrai qu’un jour, un statisticien nous sortira la statistique selon laquelle les USA ne sont plus la première économie mondiale. Ce jour-là, plein de gens feront semblant de découvrir ce que tous les observateurs savent. Ce jour-là, les marchés ne basculeront pas. Ils finiront de basculer. Ils complèteront une évolution commencée voici près de 30 ans. Une évolution erratique parce qu’on n’a pas vraiment de comparateur. On n’a pas d’appareil statistique hyper-sophistiqué. Pourtant, on le sait bien qu’à un moment historique (un moment historique, ça veut dire 20 ou 30 ans), le poids économique est passé d’un côté à l’autre de l’Atlantique. La vérité, c’est qu’on sait pas bien comment. On incrimine la guerre, l’Europe exsangue, les USA au top. Mouais. On oublie le coup de bonneteau du Plan Marshall, les USA finançant la reconstruction européenne et faisant croire à l’Europe, Grande-Bretagne en tête, que les colonies ne servaient à rien. On a largué tout ce qu’on avait, les kilomètres carrés, les ressources minières pour utiliser les kilomètres carrés et les ressources minières du grand allié. On a même largué nos idées et nos avancées technologiques : qui se souvient de JJSS sacrifiant le Concorde sur l’autel des intérêts de Boeing ?

C’est juste mon analyse. Elle n’est sous-tendue par aucun appareil statistique. Elle ne vaut donc rien. Je constate simplement que depuis trente ans, les Chinois ont refait le coup. T’as pas besoin d’usines, t’as qu’à utiliser les nôtres. C’est ce que disaient les Américains : t’as pas besoin d’avions, t’as qu’à acheter nos Boeing. T’as pas besoin d’ordinateurs, t’as qu’à acheter les nôtres. Nous, on avait le Vieux Général, ancré dans ses certitudes qui disait : «Moi, j’ai pas besoin de toi ». Je crois que s’il avait vécu, il aurait dit pareil aux Chinois. Mais, il était avec eux ! Il y a 40 ans, oui. Parce qu’il avait besoin d’eux pour conserver l’équilibre. Ses successeurs ont laissé se rompre tous les équilibres.

Alors, « les marchés » actent. Au coup par coup vu qu’ils ne fonctionnent qu’au coup par coup. Si, demain, les Chinois décident de laisser convertir le yuan, ils vont se précipiter sur le yuan comme ils se sont précipités sur le dollar. Et le mouvement s’accélérera. Peut-être qu’alors, on aura des fadas de la civilisation chinoise comme on a eu des fadas de la civilisation américaine. Y’a toujours des gonzes pour admirer le premier de la classe. Je rigole : on aura pas plus de fadas de la Chine qu’on en a déjà. Pour deux raisons : la langue est complexe et la civilisation ancienne. Pour comprendre la Chine, faut bosser. Pour comprendre les USA, faut moins bosser, y’a une quinzaine de siècles en moins. Suffit de gratouiller une Fender en arborant des Converses. Et c’est plus facile de faire un hamburger qu’un ragoût de langues de canards.

C’est super : on assiste à un basculement de civilisation et on a tous les éléments pour le comprendre. On va dérouiller, remarque. On dérouille déjà, mais c’est rien à coté de ce qui nous attend. Pas la peine de regarder les marchés : ils sont paumés. Ils sont gérés par de jeunes mecs imbibés d’idéologie libérale et qui ne vivent que dans le présent. De jeunes mecs qui ne comprennent pas pourquoi leurs repères sont brouillés et qui ne se posent pas la question de la validité de ces repères.

Autrefois, les vieux cons disaient : « Il leur faudrait une bonne guerre ». On est en plein dedans mais on n’a pas encore compris que c’était la guerre. Quand on le saura ? Quand on aura perdu ? Non. Quand les marchés auront perdu.

On en reparlera…

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