lundi 26 septembre 2011

PENSER ET DANSER

Comme je l’interviewais pour ACI-TV, le chanteur Tiwony m’a dit sur le mode de la confidence « Une chanson, c’est fait pour penser et danser ».

Je passe sur l’allitération bien qu’elle soit superbe. J’avais un peu oublié cette vérité première. Une chanson, c’est pas fait seulement pour distraire. Et ça m’était rappelé par un chanteur de reggae, avec tout le look du reggae, les locks et le drapeau jamaïcain. Nous venions de regarder un de ses clips. Et je me suis aperçu que mon regard était complètement faussé. J’avais juste perçu le rythme, les mouvements de la caméra et l’iconographie africano-antillaise. Tout ceci m’avait laissé assez indifférent, j’avais juste capté quelques phrases en hommage à l’Afrique et j’avais rebondi banalement dessus.

Et dès la première réponse, Tiwony me parle de Frantz Fanon. Fanon, ça me va. Il faisait partie des lectures de mes 20 ans. Les Damnés de la Terre est un grand livre. Alors, j’ai suivi celui que je prenais pour un gentil rigolo fumeur de ganja. Et tout naturellement, nous en sommes venus à Malcolm X, à LeroiJones et à Angela Davis. Petit à petit, l’interview a pris du corps, de la consistance. Nous n’étions plus du tout dans la variété, le marché du disque et l’actualité du spectacle. Le batteur d’estrade me parlait de ses lectures, de ses analyses, de son histoire, de son désir de changer le monde.

Une chanson, c’est paroles et musique. Et Tiwony m’expliquait avec sa voix douce que je ferais mieux d’écouter les paroles. Il me disait que, depuis mes 20 ans, le monde n’avait pas changé et que mes révoltes anciennes étaient toujours d’actualité. Seule l’expression avait changé. Le fond était le même. Les problèmes restaient terriblement vivants. Tout simplement, on les pose désormais en musique. Et par les paroles, je me retrouvais lié à un musicien dont la musique me laissait indifférent. Tranquillement, Tiwony effaçait une distance que j’avais créée moi-même. J’étais arrivé avec mes certitudes, mes stéréotypes, mes idées reçues. Et j’avais tout faux parce que j’absorbais sans écouter alors que j’avais en face de moi un jeune mec qui partageait mes idées. Je m’étais fait baiser par la forme.

C’est vexant. Vexant et enrichissant. Je suis peut-être devenu un vieux con qui s’accroche au premier degré. Je suis sûrement resté un jeune con qui voit dans le livre l’arme suprême. Sauf que Tiwony, avec ses disques d’or, il fait passer le message à beaucoup plus de gens que Fanon. D’accord, le message est moins construit, plus brutal, il est dans l’affect. Mais il passe. Il ne fait pas dans la dentelle. Encore que les rastas, ils ont une envie de spiritualité que tu trouves pas nécessairement dans le rap. Le rap, c’est carrément violent même si ça dit la même chose.

Parce que j’interviewe aussi des rappeurs. J’écoute leurs clips. Je vois des jeunes mecs qui appellent à la révolte. Je vois, je ne lis pas. Et comme je ne lis pas, je perds la filiation. Je perds le lien entre ces jeunes types des quartiers et les lectures de mes vingt ans : Marx, Bakounine, Kropotkine. Le sujet est le même, l’oppression, l’inégalité, la violence sociale. Seule diffère l’expression. Je m’accroche à « danser » et j’oublie « penser ». Et au risque de heurter, je ne m’aperçois pas que le message de Da Phoenix, c’est, à peu de choses près, celui de Jean Ferrat. Avec des mots et un rythme différents.

Les rappeurs me fascinent. Ils parlent d’une voix douce, posée, loin, très loin de leur musique. Ils adorent leur mère, ils pensent à leurs gosses, ils évoquent leurs copains. Prends Poison Gangsta. Rien que le nom, tu attends le gibier de potence. Pas du tout. Ce mec est une boule d’amour. Quand il parle de sa mère, il te foutrait les larmes aux yeux. Et Da Phoenix, il va à l‘église le dimanche.

Les jeunes Blacks qui font peur à la droite populaire, c’est les fils de Guy Debord. Ils ont spectacularisé l’expression, si j’ose dire. D’abord parce qu’ils ont pas le choix. Vu leur parcours scolaire, tu peux pas t’attendre à ce qu’ils écrivent des thèses. Vu la société dans laquelle ils vivent, ils ne peuvent exister que par la médiatisation. En même temps, ils sont récupérés par le système parce qu’ils représentent un marché. Les sociétés capitalistes comme la FNAC adorent le fric généré par la révolte des rappeurs.

Ils ont une vraie conscience politique. Le pouvoir est une réalité pour eux. Une réalité d’oppression quotidienne. Ils luttent avec leurs armes qui manquent de sophistication. Mais Jules Bonnot n’était pas non plus un mec très sophistiqué et j’aime Bonnot.

Ceci dit, leur révolte n’ira pas très loin parce qu’ils sont ghettoïsés. La société du spectacle les a déjà enfermés dans une case, musique black pour les Blacks. Singulariser quelqu’un, c’est lui dénier le droit à l’universalité. Diviser pour régner, encore et toujours. Opposer le prolétariat noir au prolétariat blanc. Créer les conditions de la division et de l’opposition. C’est toujours le même mécanisme, toujours le même fonctionnement.

On n’a pas fini d’en reparler…..

Merci à Tiwony.

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