vendredi 26 octobre 2012

LA SUBTILITE

Je sais, je suis pas un mec subtil. Je viens de découvrir qu’il y avait à Paris des dégustations de saké. Et même des mecs qui t’expliquent que si le grain de riz est bien poli, le saké est meilleur. Polisseur de grains de riz, ça c’est un boulot. Je me demande si Pole-Emploi l’accepterait.

Le saké, j’ai découvert ça, il y a quarante ans aux Langues O’. Enfin, pas aux Langues O’. Ils nous filaient des cours d’histoire, de grammaire, mais pas de saké. Et mon cher prof de philo Mori Arimasa, il avait la passion du foie gras. Ça nous rapprochait. Pas le saké.

Dans la rue de Nesle, y’avait un bar à saké. On y allait toutes les semaines voir l’arrivage. Pas l’arrivage de saké. L’arrivage de Nipponnes friponnes. Les gisquettes aux yeux fendus, dès qu’elles arrivaient à Paris, elles passaient là, histoire de se faciliter la compréhension, de trouver les bonnes adresses et de causer avec les compatriotes. Normal. Tout le monde fait ça. Le bar à saké, c’était un nid de filles à lever. C’était d’une facilité déconcertante. On était jeunes et beaux. Si pas beaux, pas grave, elles ont pas le même sens de l’esthétique que nous. Surtout, on était Français et on baragouinait le nippon. Moi, pas terrible, mais ça suffisait. On avait l’image du French lover comme un halo autour de la tête, on avait du temps libre pour les emmener à Montmartre. On était des passerelles.

Alors, tu parles que du saké, j’en ai ingurgité. Moi qui avais le palais culotté à l’Armagnac, je trouvais ça dégueu. T’as pas les arômes du vieux chêne. Le mec, il te servait le tiédasse breuvage avec des mines de curé de campagne remplissant les burettes. On était pas là pour remplir les burettes. Plutôt pour les vider. On faisait le marché, on détaillait, on soupesait. Je sais, c’est pas très romantique. Question utilisation de la langue, c’était pas terrible non plus. Kuchizuke, c'était pas d'eblée.

En avançant dans la gastronomie japonaise, j’ai pas été déçu. Surtout au Japon. Je vous parle d’un temps où les restaus japonais, y’en avait qu’un à Paris. Miki, aux Champs Elysées. Les temps ont changé. Le goût des sushis aussi. Et, par voie de conséquence, pour se taper du sushi bon marché, fallait prendre l’avion. Mon premier déjeuner à Osaka avec l’ami Gérard, il m’a emmené dans un restaurant traditionnel, un petit pavillon planqué dans un jardin avec un musicos qui jouait du shakuhachi. Le shakuhachi, c’est une sorte de flûte grave avec un son proche du saxo. Mais le mec qui jouait, c’était pas Johnny Hodges. La musique non plus. Musique traditionnelle aussi excitante que le gamelan. On nous a apporté un pot en fonte, très joli, avec une eau claire où flottaient quelques algues et des cubes de tofu. J’arrivais de Bayonne. Passer des chipirons au tofu, c’est pas possible. Surtout avec le shakuhachi. En japonais, shakuhachi suru, c’est faire une pipe. Là, je tolère. Mais musicalement, non.

Bon copain, Gérard m’a fait la totale en m’initiant au thé vert que, depuis ce jour, je tiens pour une boisson pour moine hépatique. On m’avait élevé au Madiran et à l’Armagnac. C’est ça le choc culturel.

Après, t’as toujours le droit de faire semblant, de t’extasier, d’avoir l’œil qui chavire, de trouver des subtilités introuvables. Ou alors, tu dis comme Kipling : East is East, West is West, and never they’ll meet.

Le Japon m’a prodigieusement emmerdé. J’ai toléré parce que je bossais au restau du pavillon français de l’Exposition Universelle. Cuisinier interprète, j’étais. Je devais transmettre à une armada de marmitons nippons, les instructions du chef Chanel (c’était son nom, un Bourguignon qui m’a initié au Chablis). Fais moi confiance, aux Langues O’, t’apprenais pas comment on dit roux ou fond de sauce. J’ai pas progressé en japonais, mais en technique culinaire, ça allait. Surtout, je bouffais avec le personnel. Quand tu t’es collé un vol-au-vent à midi, t’acceptes le sushi vespéral. Une fois par semaine, le mardi, l’avion de Paris apportait les fromages. Et les Crozes-Hermitage permettait de supporter le thé vert et la soupe au miso.

J’ai vécu avec le peuple. Mes copains japonais, c’étaient pas des maîtres de zen. Y’a pas plus de maîtres de zen au Japon que d’abbés bénédictins en France, faut pas croire. Je le savais, Mori Arimasa m’avait prévenu. Il avait un regard aigu sur la civilisation japonaise. Tellement aigu qu’il s’était barré. Aujourd’hui, je vois avec surprise et hilarité, les japoniaiseries envahir la France. On voit partout des trucs à pendre. Tu sais pas ce que c’est ? Mono en japonais, c’est la chose, le truc, le bidule. Et kakeru, c’est pendre. Kakemono, ça veut dire chose qui pend. Truc qui pendouille. C’est moins joli, non ? Hé, Ducon, si tu trouves kakemono joli, c’est que tu sais pas ce que ça veut dire. Moi, je traduis, automatiquement, et je rigole. C’est vrai que si le publiciste il te disait qu’il a ajouté des trucs qui pendouillent à ta com’, tu lui paierais pas sa facture.

Pareil pour les sushis. J’ai adoré les sushis. Dans certains restaus, les mecs, ils te sortaient le poisson de l’aquarium et, en deux temps, trois mouvements, les filets se retrouvaient ensushités. T’avais dans l’assiette le poisson qui nageait dix minutes avant. Tu pouvais pas dire que c’était pas frais. Remarque, congelé, c’est plus que frais. Mon problème, c’est que les sushis, ça coûtait un bras. T’étais obligé de limiter. Pour passer deux heures à table, fallait avoir la carte bleue super-platinium. Au Japon, j’ai passé mon temps à avoir faim.

Alors, c’est vrai, je suis pas subtil. J’ai pas l’admiration hyperbolique. J’ai fait semblant un temps. J’écoutais du gagaku et du gamelan pour faire classieux alors que ma passion, c’est les chœurs d’hommes basques et John Lee Hooker. J’ai participé à des cérémonies du thé en me demandant si on se foutait pas de ma gueule parce que mes copains japonais, ils me disaient que c’était des trucs à touristes. Je me suis même fusillé les pieds avec des getas pour faire couleur locale, j’ai visité des mégachiées de temples et des jardins de sable ratissé en faisant semblant d’y découvrir l’univers, comme on me l’avait appris à l’école.

Et puis un jour, je me suis dit que les discours convenus, ça commençait à bien faire. Que je me paluchais les neurones avec la signification du torii mais que je ne savais rien des tympans romans. Qu’avant le gagaku, je ferais mieux d’écouter le grégorien que j‘ignorais. Et que pour méditer j’avais ce bon vieux Ignace et ses Exercices spirituels qui me disait autant que les maîtres du zen.

Et que l’Armagnac, c’est tout aussi subtil que le saké….

On en reparlera..

1 commentaire: