dimanche 19 mai 2013

L’ITALIE SANS LES TOMATES

J’en ai un peu marre du discours convenu sur l’Italie, O sole mio, sauce tomate et Méditerranée aux îles d’or ensoleillées. Je vais vous dire un truc : Michel-Ange, Giotto et Rafael, ils n’ont jamais mis de sauce tomate sur leurs pâtes. Jamais. Vu qu’à leur époque, l’Europe ignorait la tomate qui n’est arrivée d’Amérique du sud qu’à la fin du XVIème siècle.

L’Italie, la vraie Italie, l’Italie historique, elle est structurée par deux chaînes de montagnes, l’Apennin et les Alpes et elle est tournée vers les Balkans et les plaines danubiennes. Elle s’appuie sur le parmesan qui est un fromage dur et pas sur la mozzarella qui est un fromage mou. Et quand elle a été unifiée par une maison royale, c’était la maison de Savoie. Pays alpin s’il en est. Avant, c’étaient les Habsbourg d’Autriche. Et voilà pourquoi l’escalope milanaise est l’équivalent exact de l’escalope viennoise. Au XVIIIème siècle, on mangeait à Milan comme à Vienne. Forcément, c’était le même pays.

Amusons nous à enfiler les sottises. L’Italie, c’est Rome. Rome, César, Auguste. Ha ouais ? Quand Rome commence sa carrière, brillante, je vous l’accorde, toute l’Italie au nord de Florence est gauloise. On appelle ça la Gaule cisalpine et Venise est la capitale des Vénètes. Vénètes que l’on retrouve à Vannes, en Bretagne. Je suis pas bien sûr que ce soit le même peuple, même s’il porte le même nom. Mais un peuple ou deux peuples, ça reste des Gaulois. Venise et Vannes, même combat. Le substrat italien est gaulois. D’ailleurs les Gaulois, ils ont mis au moins une belle pâtée aux Romains, avec un chef prestigieux, Brennus, l’homme du bouclier (ça, c’est pas vrai, mais ça pourrait). Raison pour laquelle, on a admis les Italiens dans le Tournoi des 6 Nations. Enfin, j’imagine. Bref, l’Italie (au moins au nord) est aussi gauloise que nous.

Jusqu’à Verdi, l’Italie, c’est une mosaïque. Au nord de Rome, structurés autour la vallée du Pô, quelques duchés dépendants de Vienne. Au sud de Rome, pas grand chose sinon la Sicile qui fut arabe, aragonaise, normande (dans le désordre). Jusqu’à Verdi, l’Italie, c’est le nord de la péninsule. Pour vous en persuader, relisez Paul-Louis Courier qui fut officier dans l’armée napoléonienne d’occupation dans les Pouilles et en Calabre. Il se plaint, le pamphlétaire, il rêvait d’Antique, on le colle au désert. Il n’y a de vie, et encore pas trop, que sur les côtes.

Regardons une carte si nous en sommes capables : cette opposition nord-sud n’est rien d’autre qu’une opposition entre le nord de l’Apennin structuré autour de la vallée du Pô et le sud de l’Apennin qu’aucun fleuve n’organise. Pays de montagnes-refuges qui favorise les petites structures claniques repliées sur elles-mêmes. Les Italiens le savent bien. Pourquoi vous croyez que leur mouvement politique le plus conservateur s’appelle Ligue du Nord ?

Cette opposition est climatique. Lourdement. Le nord de l’Italie est balkanique, ouvert sur l’est, à commencer par le climat. Il neige sur l’Adriatique (n’est-ce pas Fellini et la neige qui tombe sur Rimini au début d’Amarcord ?) comme il neige sur les Alpes. Les partenaires de Venise, ce sont d’abord les régions balkaniques. En reste comme témoignage le Quai des Esclavons, c’est à dire des Slaves (jusqu’au XVIème s. slave et esclave sont quasiment synonymes). Il n’y a pas à discuter : l’Italie historique n’est pas méditerranéenne, ni géographiquement, ni climatiquement, ni culturellement.

C’est l’Italie grecque ou gréco-romaine qui est méditerranéenne, essentiellement les côtes. Or, nous ne voyons de l’Italie que cet aspect méditerranéen, napolitain si j’ose dire. Naples, berceau de la pizza, insipide galette désormais symbole de l’italianité à cause des industriels de la malbouffe.
On ne regarde pas assez la cuisine. Regardez les livres de cuisine italienne, les myriades de restaurants italiens qui fleurissent dans nos rues. Cuisine italienne = tomate, pizza, basilic et mozzarella. Tout le reste est gommé, oublié, lessivé. La cuisine comme symbole de l’acculturation historique. Même la sauce bolognaise y passe : 90% de tomates et d’oignons et quelques grammes de viande. La nonna qui me l’a apprise en pleurerait. Dans la bolognaise traditionnelle, il n’y a quasiment pas de tomate. Il y a des oignons, des oignons jaunes, soyons précis, et trois viandes : bœuf, veau et porc. La tomate, pelée et épépinée, soyons toujours plus précis, c’est juste pour allonger la sauce. Trois ou quatre cuillères pour un kilo de viande Mais la tomate a gagné la guerre gastronomique : elle est même devenue l’ingrédient essentiel de ma chère piperade. Pourtant, piper ça veut dire poivron, pas tomate. On peut pas demander aux cuisiniers médiocres d’être de fins étymologistes. C’est bien la tomate : c’est pas cher et ça fait méridional. Que ce soit le légume le plus industrialisé et le moins écologique du marché ne gêne personne.

Je suis sûr que vous ne connaissez pas le cottechine, ce plat traditionnel de la vallée du Po. C’est une sorte de gros saucisson sans boyau. La farce est mise dans de la couenne de porc, pas trop fine qui est ensuite cousue pour donner une forme cylindrique. On met le cottechine à cuire dans une marmite de gros haricots de la région, assez semblables à nos Soissons. Comptez quatre à cinq heures pour que les arômes du porc viennent embaumer les haricots. On peut rajouter un peu de lard, comme dans le cassoulet. Le lard, ça tient au corps et ça fait de beaux enfants. Faites le test : pas un restaurant italien ne propose de cottechine et si vous demandez, le plus souvent, on ne sait même pas ce que c’est.

Ce qui me révulse, c’est de voir tous ces voyageurs ou prétendus tels qui se gavent de pizzas à Venise ou Milan. Demander de la pizza à Milan, c’est aussi idiot que de demander du pan bagnat à Caen ou de la flammeküche à Toulouse. Si c’est pour bouffer à Milan comme à Naples ou au Quartier Latin, autant pas y aller. Voyager, c’est lutter contre les idées reçues, apprendre les particularismes, affiner ses connaissances, revenir chez soi plus riche de savoir, plus empreint de subtilités, bref c’est se rendre différent. Je pars en Italie (ou en Espagne, peu importe) en croyant savoir et, sur place, je constate mes lacunes et je cherche à les combler, je perçois mes erreurs et je les corrige.

J’exagère un peu ; l’une des meilleures pizzas que j’ai mangées, c’est chez Antonio, à Asti, là où le Po quitte les Alpes et s’épand dans la plaine. Antonio, il n’a gardé que la pâte. Les garnitures, c’est des produits locaux. Comme il dit : « Les anchois, ici, y’en a pas ». Alors, il fait des pizzas aux champignons des bois ou à la truffe blanche. Comme il est bavard, il raconte, il explique. C’est facile de s’instruire quand embaume la truffe et que les arômes d’un vin capiteux vous caressent les narines. Le nez est si proche du cerveau…..

On en reparlera....

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire