dimanche 10 juin 2018

LA CARTE ET LE TERRITOIRE

Là, Michelin touche le fond. Ils étaient déjà hors jeu pour les livres, ils deviennent calamiteux pour les cartes. J’espère que Philippe Sablayrolles est à la retraite et que son père ne lira pas ce papier.

Mon œil glisse sur une carte Michelin. C’est la Côte Basque.Et mon œil accroche, s’abîme, pleure. Sur la carte, Biarritz est en caractères plus gros que Bayonne (2 points au moins) !

J’ai assez traîné dans les milieux cartographiques pour savoir qu’une telle différence n’est possible que dans deux cas : un écart démographique ou un statut administratif. Or, ici le statut de sous-préfecture est annulé et la population de la plus grosse lettre est la moitié de la plus petite. On marche sur la tête ! L’idéologie a définitivement pris le pas sur le sens.

Une carte, c’est un code, une règle. Y’a que les cons et les connes pour croire que c’est des gens. Après Hiroshima, le cartographe n’est pas là pour chouiner sur les pauvres Nippons radieux devenus irradiés. Il calcule combien il reste d’habitants et combien il en restera à la fin de la durée de vie de sa carte et il corrige les symboles. Froidement, tranquillement. Son boulot c’est de transmettre un savoir, pas des larmes. C’est bien triste, mais lui, il doit obéir à une règle : la légende. Parce que la légende, c’est le code qui permet au lecteur de comprendre le dessinateur. Enfin, ça c’était avant…

A la fin des années 1970, je vendais des palanquées de cartes de France. Et je cherchais à m’améliorer les marges. Et voilà t’y pas que je découvre sur le catalogue du GUGK, une carte au 1/1Mio à un prix imbattable. Je commande aussi sec une petite quantité pour tester le produit. Et je reçois une carte vachement agréable, imprimée sur un beau papier avec de la main. Je jette un coup d’œil sur la région parisienne et je m’aperçois que Saint-Denis est plus gros que Versailles. Un peu intrigué, je vérifie chez moi pour constater que Tarnos et Boucau sont aussi gros que Bayonne. Eurêka ! Le GUGK étant l’un des bras de la propagande du PCUS, les villes dirigées par le PCF avaient eu droit à une petite gonflette. Produit invendable sauf à des collectionneurs et à des spécialistes. J’en avais plein dans ma clientèle. Ils ont adoré.

J’ai eu droit à des remarques acides. Salauds de communistes qui truquaient une image pour leur propagande ! C’était que le début. Michelin fonctionne désormais comme le PCUS.. Et pas que. Ma copine Jasmine, excellente cartographe par ailleurs, ne cesse de se battre pour que soit reconnu la propriété intellectuelle des habitants d‘un village palestinien sur les données topographiques de leur territoire. C’est un vieux débat qui oppose depuis des années cartographes institutionnels et utilisateurs privés. Quand tu dessines une carte, qui t’en fournit la matière ? Comment sais tu que telle ville est par tant de degrés de latitude et tant de degrés de longitude ? Sinon par les relevés orthonormés de ton Institut Géographique ? Pendant longtemps, on s’est abrité derrière une notion floue mais pratique : les connaissances communes à l’Humanité. Tout le monde sait où est Paris. Ou Londres. Mais, y’a des villages, à part les habitants….. Seules les autorités américaines ont toujours été claires : considérant que tous les contribuables avaient payé pour la collecte des données, elles étaient libres d‘accès. A priori, en Palestine, ça marche pas comme ça. Jasmine veut introduire l’homme dans un système où il n’a jamais été. Et ça, ça fout le souk. Parce que l’homme est magnifiquement absent des cartes où ne figure que le résultat de ses activités. Le bief que tu construis sera sur la carte après ta mort.

C’est pas la première fois que Michelin triche et modifie les règles par lui définies. Les premières cartes Michelin classaient les cartes en fonction de la signalisation routière. Les routes nationales bordées de bornes chapeautées de rouge étaient en rouge, les départementales dont les bornes étaient jaunes étaient en jaune. Simple, logique, efficace. La plupart des cartographes adoptèrent.

Puis vinrent les autoroutes. Les cartographes anglais et allemands se mirent à les dessiner en bleu puisque leurs panneaux étaient bleus. Pas Michelin, pourtant inventeur du code. Michelin a décidé que ses lecteurs étant habitués au rouge pour les grands axes, les autoroutes devaient être en rouge.

Clairement, on introduisait le ressenti (supposé) du lecteur dans un code d‘où il aurait du rester absent. Aujourd’hui où l’on écrit sans regarder le dictionnaire, c’est devenu une norme. Car le dictionnaire est également un code qui assure la précision de la communication. Et qui interdit de croire au sens d‘un mot.

Bon, on va s’arrêter là. Une autre fois je vous parlerai de Bertin et de sa sémiologie graphique, l’un des systèmes les plus intelligents et le plus inutilisable qui soit.

En attendant, si j’étais Maire de Bayonne, je porterai plainte pour diffamation contre Michelin.


On en reparlera…

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