C’est une nouvelle tendance dans le voyage : on fait dans le voyage intérieur. Disons le tout net : le seul voyage intérieur que je connaisse, c’est les diverses formes d’endoscopie. Même si ça aussi, ça évolue : mon vieux copain Philippe m’a montré des images fabuleuses de côlons (non, c’est pas des Blancs installés en Afrique, c’est les boyaux qui mènent au trou du cul, remarquez l’accent circonflexe). Ça, c’est un voyage et en plus, c’est tout informatisé, on vous rentre plus de caméra dans l’anus. Sans camescope, un voyage est-il un voyage ? La question reste entière.
Qu’est-ce que c’est qu’un voyage intérieur sinon un voyage immobile ? Un voyage à l’intérieur de soi. Un voyage qui ne nécessite pas de déplacement. Si ça commence par un portique de détection à Roissy, c’est pas intérieur. Je connais. J’en ai fait un. C’est pas vrai, je me suis barré en courant.
J’étais pas bien dans ma tête, alors j’ai voulu faire une introspection. Etymologiquement, introspection ça veut dire regarder en soi. Parfaite définition du voyage intérieur. Y’avait une abbaye bénédictine qui me tendait les bras et, en plus, je connaissais le père abbé. Facile. C’est quoi le prix du séjour ? Mon copain abbé, il s’est marré. Il m’a gentiment expliqué que je devais d’abord lui parler, de moi, de ma recherche, de ce que je croyais que mon séjour m’apporterait. « Nous ne sommes pas un hôtel », il m’a dit. Et puis, il m‘a expliqué les règles du jeu, les horaires (là, j’ai fait la grimace mais on n’a rien sans rien), la méditation, les échanges avec certains moines. J’avais envie, j’ai tout accepté. Il a fallu le convaincre que j’étais le bon candidat. Pour le fric, il m’a expliqué que ça dépendait de mes moyens. Si t’es raide, c’est gratuit. Génial. J’étais raide. C’est même pour ça que j’étais pas bien. Je lui ai pas dit. Dire que tu cherches la sérénité parce que t’as pas de fric, on dit pas ça à un père abbé bénédictin, ça fait trop attaché aux biens de ce monde.
Deux jours. Je suis resté deux jours. Déjà les horaires, j’avais bien senti que je m’y ferai pas. J’avais raison, je m’y suis pas fait. Le grégorien, c’est beau dans ton salon, vautré sur un canapé avec un vieil armagnac qui tiédit dans ta main. A cinq heures du mat’, c’est affligeant. Et tout à l’avenant. C’est pas calme une abbaye bénédictine, c’est un électrocardiogramme plat. On m’avait bien dit que le tumulte du monde s’échouait aux murs de l’abbaye. Pas que le tumulte. Tout. Même les oiseaux chantent en silence. Ça doit être le grégorien qui les complexe. Au bout de deux jours, je suis allé m’excuser minablement et j’ai filé boire un rhum arrangé chez Peyo, à La Luna Negra, en écoutant Chavela Vargas. C’est pas glorieux comme expérience.
Ceci pour dire que t’as pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour un voyage intérieur. On m’a expliqué, le voyage intérieur c’est la recherche du bien-être. Ah ouais ? Faut un spa, un jacuzzi et des masseuses orientales mais non houellebecquiennes pour atteindre la sérénité de l’esprit ? Pour faire court, le voyage intérieur, c’est d’abord t’occuper de ton corps, c’est à dire de ton extérieur. Je sais pas vous, mais moi je trouve ça incohérent. Surtout que ceux qui vont le plus loin dans le voyage intérieur, abbés bénédictins ou maîtres du zen, le bien-être du corps ne fait pas partie de leurs priorités absolues. Le corps, ça se mate, ça se dresse pour pas qu’il vous emmerde. Après quoi, on passe à autre chose. Molière a fait fort avec cette double réplique : « Le corps, cette guenille » et « Ma guenille m’est chère ». C’est dans Les Précieuses Ridicules, suivez mon regard.
Tout ça ne colle pas avec ma vision du voyage. Moi, je voyage pour rencontrer des gens, pour essayer de comprendre comment ils vivent, pour essayer de vivre comme eux. Une de mes phrases préférées a été prononcée par un curé (pardon, un ecclésiastique, lazariste pas bénédictin) : « Partout où vit un homme, un autre homme peut vivre aussi ». C’est vachement bien vu parce que ça veut dire qu’on n’est pas tout seul. Dans le voyage intérieur, t’es tout seul et moi, avec moi, je m’emmerde. J’arrive plus à me surprendre ou à m’étonner.
Je sais. Je suis trop matérialiste, mais j’ai une excuse. Je suis débordé, noyé, engoncé dans le matérialisme. Le mot que j’entends le plus, que je lis le plus, c’est « CAC 40 ». C’est pas « compassion » ou « solidarité ». Sauf que « compassion » ou « solidarité », ça veut d’abord dire que tu t’intéresses aux autres. Que t’es pas seul. Ça va pas non plus. Quand je m’intéresse aux autres, je me demande pas s’ils sont bien dans leur tête, je me demande s’ils ont assez à bouffer vu que je suis bien convaincu que le ventre plein fait la tête sereine. Ça suffit pas, mais ça aide : quand ta vie est un combat pour ta survie, forcément t’es pas bien. Le voyage intérieur, l’esthétique des paysages et la sérénité de l’esprit, c’est un truc de riches.
Le plus beau voyage intérieur que je connaisse, c’est un film « Le voyage fantastique », une sorte de délire où une équipe médicale se balade dans le corps d’un homme politique important et américain qu’il faut sauver à tout prix. Là, on est vraiment à l’intérieur. Un vrai voyage, une vraie exploration. Et l’une des exploratrices, c’est Raquel Welch. Avec elle, je veux bien retenter un voyage intérieur.
Mais je ne suis pas sûr que le père abbé soit tout à fait d’accord.
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