mercredi 3 novembre 2010

UN DON DE DIEU

Ça peut paraître curieux, mais j’ai la ferme conviction que le cochon est un don de Dieu. Ce serait plus convaincant si j’étais croyant. Bon, c’est juste une expression littéraire et un pied-de-nez aux tabous alimentaires. Et puis, je viens de parcourir un superbe colloque, édité chez De Boccard, consacré au tabou du cochon dans le Moyen-Orient.

Le cochon est une merveille. Il n’a pas besoin de place. T’as pas de champs ? Pas grave, le pourceau se satisfait de trois mètres carrés. C’est mieux. Moins il bouge, plus il engraisse. Tu t’emmerdes pas à le nourrir. Tout lui convient, y compris les résidus des latrines. Il bouffe ta merde et la transforme en jambon. Tous les déchets de la maison lui font ventre. Avec lui, rien ne se perd. Tu produis du jambon et t’évites le tri sélectif. Plus écolo que le cochon, y’a pas.

Et la truie ! A chaque portée, dix à douze petits. Dix à douze petits cochons qui tiennent pas de place, grossissent et viennent remplacer les copains sacrifiés à l’entrée de l’hiver. Un don de Dieu, je vous dis. Pas que pour la bouffe. Une peau solide quand elle est bien tannée (c’est cher le cuir), des poils (on dit des soies, je sais) pour faire des brosses. Et, on le sait, tout est bon dans le cochon. Allez donc à St-Jacques de Compostelle. Pas pour l’apôtre, on s’en fout. Pour un petit restaurant appelé La Oreja, où on ne sert que des oreilles de cochon. Bouillies, frites, en tempura, en salade. A se demander si le vrai lieu saint de la ville, c’est pas là.

A partir de là, on regarde le monde. On s’amuse un peu. On distingue les civilisations du cochon et les autres. Les autres, il leur faut des hectares de pâturage pour des moutons qui détruisent tout (le mouton, ça coupe pas l’herbe, ça arrache, un désastre écologique). La brebis, elle te crache un agneau par an. C’est pas avec ça que tu fais de la croissance. Bon, y’a la laine. Heureusement. Pour être honnête, y’a aussi l’agneau. A condition de faire comme en Castille, de le tuer dans les huit jours après sa naissance, quand il est gros comme un gros lapin. C’est là qu’il est le plus tendre. C’est Christian Parra qui m’a appris ça.

En fait, il y a deux civilisations où le cochon est roi : l’Europe occidentale et la Chine. Comme par hasard, ce sont les deux civilisations qui ont dominé le monde depuis une dizaine de siècles. Dominé matériellement. On ne parle pas de spiritualité ici. On devrait y réfléchir.

Pour un paysan, le cochon, c’est l’accumulation primitive de capital la plus simple et la plus efficace. Ton goret, il te fait vivre la famille pendant les six mois d’hiver où il n’y a pas de légumes. Si t’as deux gorets, ça te fait l’année. Comme ça, tu peux vendre ce que tu produis. Le cochon rentabilise les fermes. Si t’as un cochon, tu peux vendre tes agneaux et ta laine. Une économie basée sur le cochon produira forcément de la croissance. La croissance du goret.

Le mouton, ça se conserve pas comme le cochon. Le cochon, tu le fumes, tu le sales, tu le gardes des mois. Pour explorer le monde, c’est vachement bien. Si tu bouffes casher ou halal, c’est plus difficile d’armer des vaisseaux. Bon, les Chinois, ils en ont pas vraiment profité. Les explorateurs espagnols et portugais, par contre, ils s’en sont pas privés.

Et le bœuf ? Houlà.. le bœuf, c’est cher à l’achat. Il te faut des champs, de verts pâturages pour qu’il engraisse bien. Le bœuf, tu peux pas le mettre n’importe où. Et c’est pas, dans une société traditionnelle, la nourriture de tout un chacun. Dans le Sud-ouest, jadis, on exhibait les boeufs gras. On en était fier parce qu’ils étaient rares. Le bœuf normal, il bossait, il labourait. Il était pas gras.

Le cochon, c’est un peu comme la volaille. Un animal de basse-cour. Rien que le mot, tiens. Y’a pas de haute-cour. Sauf dans la justice. Le cochon, c’est la roi de la basse-cour, le prince du prolétariat. Il règne sur les poules et les lapins. On le mélange pas avec les bœufs gras et les chevaux. Il est là pour produire, pas pour être exhibé.

Et donc, quand t’as une économie basée sur le cochon, tu peux te développer. Avec le cochon, il n’y a plus de région pauvre, plus de sous-alimentation. Mais alors, pourquoi s’en priver ? Ben, le colloque ci-dessus donne un embryon de réponse. Le cochon, ça bouffe tout. Même les charognes. Et même les charognes humaines. Sur le plan de l’hygiène, c’est bien et les Assyriens avaient domestiqué le cochon. Ils ont même été les premiers. Et là dessus, voilà t’y pas que des gugusses inventent la religion monothéiste avec vie éternelle et résurrection des corps. Si un cochon te le bouffe, le corps, comment tu veux qu’il ressuscite ? Raison primaire qui fait que les catholiques ont refusé longtemps la crémation. Et inventé le bûcher. Supplice majeur. T’es brûlé, tu ressusciteras pas. On appelle ça la double peine. Raison qui fait que d’autres charognards (les fruits de mer par ex.) sont aussi tabous. Dame ! la crevette, ça croque les noyés. Tu me diras, dans le désert du Neguev, les noyés y’en a pas trop. Mais bon, on n’est jamais trop prudent.

Et voilà comment, au nom de la vie éternelle à venir (peut-être) dans l’au-delà, on se prive d’un don de Dieu, bien présent ici-bas. C’est un coup à devenir athée, je trouve…

On en reparlera…

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