Jeudi dernier, contre tous les avis officiels, j’ai pris la voiture. Je savais que ce ne serait pas la Bérézina claironnée par les médias.
Pierre Gentelle m’avait fait me livrer à un exercice que je conseille. Comparer les températures annoncées par la météo et les températures réelles. La température de Paris est relevée, m’avait-il appris, au centre du Parc Montsouris. C’est un bon endroit pour avoir une température médiane pour l’Ile-de-France. Entre ce que m’annonce la télé et ma rue du 9ème arrondissement, le différentiel est, en moyenne, de trois degrés. Quand la jolie Tania Young m’annonce 0, je sais que c’est 3.
Et donc, je savais que Paris serait déneigé et pas du tout verglacé. Je savais aussi que la situation serait catastrophique vers l’Est (what else ?) et que les autorités ne gèreraient pas la situation vu qu’elles ne gèrent pas les situations rares. En libéralisme bien compris, on n’investit pas dans des saleuses qui servent trois jours par an, et encore, pas tous les ans.
Et donc, ce matin, conduire dans Paris fut un plaisir. Rues dégagées, grands axes vides de voitures. Ce qui eut le mérite de me faire comprendre de visu ce que d’autres Parisiens ont pu comprendre comme moi : Paris n’est invivable que parce que, tous les matins, les banlieusards l’envahissent. Quand ils restent bloqués chez eux, c’est le bonheur.
De ce fait, on a tort de râler contre le plan de circulation de Delanoé. Il est fait pour les Parisiens, ses électeurs. Mais pour être complet, il devrait faire comme à Londres : instaurer un péage pour les banlieusards. Après tout, on nous serine assez que l’Angleterre est un modèle. Allons jusqu’au bout !
Parce que la banlieue, c’est pas que le problème de Paris. Toutes les villes ont des banlieues. Banlieusard, c’est génial. Tu te loges pour moins cher, tu as à ta portée toutes les commodités de la vie quotidienne et pour tout le reste, tu as la ville. Les théâtres de la ville, les salles de concert de la ville, les employeurs de la ville. Faut pas croire : le Zénith que Paris se paye, il fait le bonheur de Neuilly-sur-Marne. En province, c’est encore plus flagrant. Tu habites Bassussarry, tu ne payes quasiment pas d’impôts mais tu es à dix minutes du centre de Bayonne, des clubs sportifs financés par les Bayonnais, tout comme les équipements culturels et les évènements festifs, toutes choses dont tu profites sans que ça te coûte un rond. Le beurre et l’argent du beurre. Le jardin et le boulot.
C’est juste une question d’analyse du territoire. C’est quoi la banlieue ? Une limite administrative ? Pas exactement. On peut définir où elle commence, pas vraiment où elle finit. Une densité urbaine ? Qui fixe la limite entre fin de banlieue et début de campagne ? La banlieue, ça fait partie de ces trucs complexes qui appellent le « tu vois bien ce que je veux dire ». Les machins à définition négative : la banlieue, c’est pas le centre ville. Tu comprends ce que c’est pas, mais tu comprends toujours pas ce que c’est. Le domaine de la logique floue, comme dirait Douglas. La ville, on sait. La campagne, aussi. Entre les deux, on sait pas et on se satisfait de pas savoir. Ce qui ouvre la porte à toutes les dérives, à tous les poncifs. On découpe comme ça nous arrange : mon copain qui vit au Kremlin-Bicêtre, il te dit que c’est quasiment Paris. Mais celui qui habite Créteil, aussi. Déjà, y’a le métro. Métropolitain, ça veut dire que ça fait partie de la métropole, non ?
Et puis, ça triche. Quand t’es Cristolien en vacances à Biarritz, tu t’affirmes comme Parisien et, vu de Biarritz, ça peut paraître vrai. Surtout si tu travailles à Paris, c’est à dire que tu y passes autant de temps que dans ta banlieue. Dans ce cas, la banlieue est une pratique.
Le banlieusard, il a très vite l’argument économique. Si je vis en banlieue, c’est parce que j’ai pas les moyens de vivre à Paris. C’est le coup de la loi de Ricardo, les prix décroissent quand on s’éloigne du centre. Sauf que c’est faux. La vraie phrase serait : j’ai pas les moyens de vivre comme je veux vivre. Parce que le banlieusard, il pourrait vivre à Paris. Il lui suffit de diviser la superficie de son appartement par deux. Tu lui dis ça, il hurle… Forcément, il veut le beurre et l’argent du beurre, le prix ET la surface. Ben non. Le beurre et l’argent du beurre, ça ne marche jamais. Sauf dans le monde de Séguéla et des séries télévisées. Faut faire des choix, souvent cruels. Se dire que si on choisit les mètres carrés, on choisit aussi les heures de transport et les embouteillages aux portes de Paris. C’est pas une fatalité, c’est simplement les conséquences d’une décision, de l’acte d’un humain responsable qui a su peser le pour et le contre. Tu choisis la maison moderne dans une plaine ventée, tu sais que ton budget chauffage sera beaucoup plus élevé que dans un immeuble ancien de centre ville. Si tu le découvres après, c’est que t’as pas réfléchi assez. Surtout que, vu les prix, en centre ville, t’as deux fois moins de surface à chauffer. Mais râle pas : tu as décidé librement que le jardin était une raison suffisante à ton éloignement et tu lui as sacrifié ton budget chauffage. Faut savoir ce qu’on veut.
Moi qui vis dans un petit appartement de centre ville, par choix, je n’ai aucune raison objective de payer pour ton jardin. Je n’ai aucune raison de payer pour les places de parking dont tu as besoin pour venir bosser, aucune raison de payer pour allonger les lignes de métro dont tu as besoin pour prendre l’apéro au soleil. Solidarité ? Parce qu’on vit dans la même métropole dont personne ne sait ce qu’elle est ?
En fait, j’ai vécu les deux. La maison de banlieue avec jardin et le petit deux-pièces de centre ville. J’ai fait mon choix. L’espace est un luxe et je n’ai pas les moyens de ce luxe. Toi, mon copain banlieusard, tu juges que tu peux t’offrir ce luxe. Tu as donc les moyens de t’acquitter d’un péage. Logique, non ?
On en reparlera…..
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