jeudi 2 décembre 2010

LA BIROUTE D'HENRI VIII

C’est un sujet que j’ai déjà traité ailleurs. Les plus gros problèmes de notre époque naissent dans les érections du roi Henri VIII d’Angleterre. C’est une vraie boussole géopolitique que la biroute d’Henri VIII.

Un roi que j’aime bien, par ailleurs. Ses portraits par Holbein montrent un bon vivant, sensuel et malicieux. Après quelques années de mariage avec une Aragonaise royalement épousée, il en a marre. Il veut aller tremper le biscuit ailleurs. Mais Henri, quand il baise, il épouse. Et donc, il demande au Pape de dissoudre son premier mariage. Le Pape n’est pas d’accord. Le mariage, c’est un sacrement. Alors, Henri, il se proclame chef de l’Eglise d’Angleterre. Pour le dire en langage moderne, il fait un doigt d’honneur au Pape. Il répudie l’Aragonaise Catherine et il épouse Anne Boleyn. Après, le pli est pris. Il recommencera avec les suivantes.

Les historiens bien-pensants disent qu’il changeait de femme pour avoir un héritier mâle. Tu parles ! Sa troisième femme lui donne un fils. Il aura quand même trois autres femmes par la suite, démontrant que la raison n’était que prétexte.

En se proclamant Chef de l’Eglise anglicane, Henri fait un truc insensé : il réunit dans la même main le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Chef d’Etat et Chef d’Eglise en même temps. Et ça dure depuis près de cinq siècles. La Reine d’Angleterre, elle est toujours Chef de l’Eglise anglicane. Et pour un Anglais moyen, c’est tout à fait normal. La religion siège au gouvernement. La pensée politique anglo-saxonne y voit une norme. Le Président américain jure sur la Bible : sympa pour les Américains musulmans ou bouddhistes renvoyés ainsi à leur nullité religieuse.

Et donc, quand les Anglais font de la politique, la religion est toujours là. Quand ils décolonisent l’Inde, y’a des troubles religieux ? Pas grave. Ils créent deux pays dont le fondement est la religion. Un musulman, un hindouiste. Pakistan et Inde. Ils sont dans leur norme. Quand Balfour plaide pour la création d’un Etat juif, il est dans sa norme politique : un Etat caractérisé par sa religion. Comme l’Angleterre d’Henri VIII.

Quand ils arrangent les affaires du Moyen-Orient, ils découpent en fonction de problèmes religieux : les chiites en Irak, les wahhabites en Arabie. Et la norme anglo-saxonne ne dérange personne. Les dirigeants politiques actuels sont formés aux meilleures écoles anglaises ou américaines. Joindre le sabre et le goupillon ne leur pose aucun problème de conscience. Même nous, les enfants de Robespierre, on s’y est mis. On admet que la religion est un fait social, et donc politique. Bien entendu, on évoque régulièrement avec componction la laïcité, mais c’est juste pour faire bien dans le discours républicain. Du bruit qu’on fait avec la bouche, rien de plus. La laïcité militante, façon Jules Ferry, c’est ringard, qu’on se le dise.

Accepter ne fut-ce qu’une miette de cléricalisme dans la pensée politique, c’est ouvrir la porte à toutes les dérives. Si tu jures sur la Bible et si tu es cohérent, tu es obligé d’accepter que l’Iran soit une république islamique. Et, toujours si tu es cohérent, tu acceptes l’idée que la charia est la Loi. In fine, toujours avec cohérence, la lapidation devient normale.

Houla ! Polop ! on peut imaginer ou rationaliser ou discourir sur un Islam doux et attentif et tolérant. Ben non, mon gars, on peut pas. Qu’il s’agisse de l’Islam ou de toute autre religion. Le religieux, par nature, il est prosélyte. Il a trouvé ce qui est bon pour lui et donc, il juge que c’est bon pour les autres. Dans le meilleur des cas, il va vouloir te convaincre et te faire chier avec des arguments à la mords-moi-le-nœud et de grands sourires comme ces petits mecs en chemise blanche qui sonnent chez toi pour te faire découvrir la Bible. Dans le pire des cas, il va te passer par les armes en disant « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Le religieux, il veut que tu sois comme lui. Que tu mettes pas de capote ou que tu voiles ta femme. C’est pareil. C’est juste un moyen de t’imposer quelque chose que tu ne veux pas parce que tu juges que c’est pas bon pour toi. Ou pour ta femme. Juste un moyen de te priver d’une partie de ta liberté.

Seulement voilà. Depuis la biroute d’Henri VIII, on mélange tout. On perd toute cohérence. On rejette la lapidation mais on trouve normal de ne pas servir de porc dans les écoles de la République. On ergote, on transige, on minaude. On dit que c’est pas tout à fait pareil, qu’il faut respecter les croyances, on fait une soupe d’arguments comme une soupe de légumes. Un peu de poireaux en moins, un peu de tolérance en plus.

Ben, non. Une religion, c’est monolithique. Ça peut évoluer : quand j’étais petit, si tu faisais gras le vendredi, t’allais en enfer. Mais l’évolution, c’est pas toi qui la fixes. C’est des mecs qui font bien attention que le bout que tu changes ne modifie pas la structure de l’ensemble.

La religion, c’est monolithique, mais c’est pas cohérent. Normal, vu que c’est pas rationnel. Et donc, on ne peut pas parler. On a eu un bel exemple dans le catholicisme avec ce brave Pie IX. Lui, il s’est trouvé face à Darwin et Marx en même temps. Faut voir tout ce qu’il a pas inventé pour les empêcher de nuire à l’Eglise. De la résurgence du culte marial à l’invention du concept (négatif) de scientisme. Le scientisme, c’est de la science qui respecte pas l’Eglise. Tu changes les mots, ça aide pas à l’échange rationnel.

Et voilà comment les fils laïques de Robespierre acceptent de faire une union politique avec les anglicans issus des érections d’Henri VIII. Et ça choque personne ! On nous file un projet de Constitution européenne signé par un chef religieux (la Reine d’Angleterre) et on trouve ça normal ! Après, on gueule contre les Polonais qui veulent une référence religieuse à la chrétienté. Mais si tu as comme signataire un chef religieux chrétien, la demande polonaise est parfaitement cohérente. On peut inclure le Vatican dans l’Union Européenne puisqu’il est l’équivalent de la Reine d’Angleterre. Au moins depuis Henri VIII.

On en reparlera…

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