lundi 4 avril 2011

LA MORT DE NOS GOSSES

Les statistiques sont formelles. On vit de plus en plus vieux. On gagne quasiment un mois d’espérance de vie par an. C’est pas rien.

Quand je dis « on », c’est moi et mes copains. La génération du baby-boom et environs. En gros, ceux qui sont nés entre 1920 et 1960.

Et donc, les statisticiens et prévisionnistes, ils prolongent la courbe tant qu’ils peuvent et ils nous terrifient de chiffres hallucinants. On va vers un monde de vieux, de plus en plus de gens, de plus en plus vieux. De moins en moins de gens qui travaillent, de plus en plus de retraites, une catastrophe économique, un drame de civilisation.

Leur truc est vrai, toutes choses égales par ailleurs. Or, les choses ne sont pas égales. Il y a une différence énorme entre les vieux actuels et les futurs vieux dont je tiens le pari aujourd’hui qu’ils ne seront pas vieux. Les vieux actuels sont le résultat de la combinaison de deux facteurs : une alimentation saine pendant leur croissance et les progrès remarquables de la médecine. Pour faire simple, nos générations ont bouffé de la bonne qualité pour grandir et la médecine a corrélativement progressé. Deux facteurs dont la combinaison conduit à l’explosion d’Alzheimer. Mais nos gosses ?

Nos gosses bouffent de la merde. De la merde qu’on leur donne mais on n’a pas trop le choix. Bien souvent, de la merde qu’ils nous réclament à cor et à cri parce que leur goût est façonné pour. Je ne sais plus où j’ai lu une étude statistique qui montre une corrélation entre la consommation de lait UHT et la montée des allergies. En gros, les auteurs pensaient (mais ne prouvaient pas, soyons juste) que la stérilisation UHT détruisait quantité de micro-organismes nécessaires à l’édification du système immunitaire. Jadis, quand j’étais petit, le lait était acheté cru et on le faisait bouillir pendant une heure afin de détruire ce qui pouvait nuire à la santé. C’était suffisant pour ne pas tomber malade. Il semblerait donc que le procédé UHT détruirait trop et détruirait de l’utile. Si c’est vrai, la génération UHT, elle aura pas de problème de retraites. Nos gosses risquent de mourir plus jeunes que nous.

On assiste à une explosion de l’obésité chez les gamins. Obésité accompagnée de son cortège de problèmes vasculaires et hormonaux. M’étonnerait que ces gosses voient leur espérance de vie augmenter. Même si la médecine progresse encore et encore. Cette obésité est liée, non à une sur-consommation, mais à un ensemble de facteurs que les nutritionnistes négligent parce qu’ils n’ont pas les moyens d’analyse. Par exemple, l’irrégularité de la prise de nourriture. Je ne peux pas croire qu’on puisse bouffer à toute heure sans que ça ait une influence. Il ne s’agit pas seulement du grignotage permanent. Je pense à la gestion des réserves par l’organisme. On mange, on stocke, on libère. Il existe un équilibre temporel. La pizza sur un coin de trottoir en milieu d’après-midi détruit ce rythme.

Les nutritionnistes nous filent des analyses bourrées d’approximations. C’est bien de savoir qu’il y a 20% de peau de poulet dans les nuggets. Jean-Michel Cohen le dit, non sans humour : « il n’y a pas de poulet avec 20% de peau ». Ce qu’il ne nous dit pas, parce qu’il ne peut pas le dire, c’est que la peau d’un poulet industriel n’est pas la peau d’un poulet élevé à la maison. J’ai failli écrire « poulet fermier » mais le poulet fermier est aussi un poulet industriel, le plus souvent.

C’est facile de voir la différence. J’achète mon cochon, chaque fois que je peux (mais Internet est utile dans ce cas), chez un charcutier du Pays basque. Quand je fais cuire une tranche de lard (caca, le lard, disent les nutritionnistes), le gras prend une belle couleur dorée, proche du miel, le maigre devient rouge foncé, rouge basque en fait. Si je fais cuire en même temps une tranche de lard achetée chez mon boucher parisien, le lard reste pâle, blanchâtre et le maigre tire sur le vieux rose. A l’évidence, même si les sens sont trompeurs, il ne s’agit pas de la même viande. Bien entendu, le goût n’est pas le même (trop fort pour mon fils qui n’en veut pas), mais je suis bien convaincu que les composants sont également différents et que l’organisme n’assimile pas les mêmes choses et ne réagit pas de la même manière. Attention : on est dans la différence fine. Faudrait pouvoir mesurer au niveau des acides aminés et différencier les protéines. Arrêter de parler en généralités hâtives. Cesser de comparer ce qui n’est pas comparable.

Faut être juste : les études ont commencé mais c’est pas du tout cuit. Une équipe de l’INRA de Theix s’est intéressé à la catéchine. C’est un anti-oxydant présent dans le vin et le chocolat, entre autres. Un truc que quand t’en consommes beaucoup, tu diminues ton risque de maladies cardio-vasculaires vu que ça corrige les troubles métaboliques liés aux lipides. Comment ça marche ? On sait pas trop mais on constate que la catéchine modifie l’expression de 450 gènes. Rien que ça ! Un élément, un seul, analysé finement, vient modifier le fonctionnement d’un bon paquet de gènes. Conclusion : consommer le Bordeaux sans modération pour le bonheur du génome.

Des éléments comme la catéchine, il y en a des milliers dans nos repas. Chacun avec son action. Et surtout avec leurs interactions. C’est une combinatoire infinie dont nos gènes sont la cible. Une combinatoire dont l’étude est plus que balbutiante. Autant dire simplement que les nutritionnistes ne savent rien et ne sauront rien tant que les molécularistes n’auront pas avancé. C’est pas gagné et on a pas fini d’entendre des conneries.

J’ai trouvé sur le site de l’INRA un truc marrant. Les mecs ont testé les qualités nutritives d’agneaux issus de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle. C’est génial les mots : pour moi, biologique et conventionnel, c’est pareil. Pour eux, conventionnel c’est industriel. On vit pas dans le même monde sémantique. Faut dire que leurs recherches sont financées par les agro-industriels, alors ils choisissent les mots. Mais faut lire ça : « Pour les agneaux à herbe, le jury a jugé que les côtelettes biologiques présentaient une odeur anormale de leur gras plus élevée que les côtelettes conventionnelles…probablement en lien avec une proportion plus élevée de légumineuses dans les prairies ». Le mouton a toujours eu une odeur un peu forte. Va te faire un méchoui sur les contreforts de l’Atlas marocain, tu vas voir si ton mouton est insipide. Cette odeur est naturelle quand le mouton broute ce qu’il veut. Mais le consommateur n’aime pas. Donc, on modifie la ration alimentaire du mouton pour mieux vendre, c’est du conventionnel. Et l’odeur naturelle devient « anormale ». C’est ça que j’aime pas à l’INRA. L’odeur de la viande de mouton, elle est normale, biologiquement normale. Il faudrait, on le fera un jour, identifier la molécule responsable de cette odeur et voir comment elle agit au niveau du génome. On verrait alors à coup sûr où se trouve la normalité. Peut-être qu’on finira par admettre que la ferme pue moins que la ville. Parce que je vais te dire : si tu amènes un petit citadin dans une ferme, il va tordre le nez. Il va trouver que le purin, ça pue plus que les gaz d’échappement. Mais les gaz d’échappement, pour lui, c’est conventionnel, normal, quotidien et donc naturel.

On a chacun sa madeleine. Moi, c’est le verre de lait bu avec avidité lors de la traite à la ferme. C’est mes dix ans. Après vingt ans à la capitale, je suis retourné à la ferme avec l’envie de retrouver le goût de mes dix ans. Et j’ai failli gerber. Après vingt ans de lait semi-écrémé et pasteurisé industriellement, le vrai lait de vache m’est apparu lourd, gras, chargé d’odeurs insupportables. Le supermarché m’avait tué mon enfance. Une enfance pourtant pas si « anormale ».

On en reparlera……

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