mercredi 2 avril 2014

LA CHINE ET LE ROMANTISME

Je découvre avec anxiété les méandres de l’organisation des études supérieures en France pour les jeunes Chinois.

La plupart sont intéressés par la qualité des études. La Sorbonne leur semble un Everest (pardon, un Qomolungma) de culture, Polytechnique les fait rêver, et même une université de province peut les séduire dès lors qu’ils y trouvent un cursus adapté à leurs envies. Pour un Français, c’est un bonheur de constater leur désir de découvrir ce pays.

Certes, la gratuité, ou du moins le faible coût des études dans l’enseignement public est un facteur important. Mais moins pourtant que la possibilité de découvrir le romantisme français, d’accéder aux métiers du luxe, de connaître la gastronomie, de s’imprégner de notre art de vivre. Pour un Chinois de vingt ans, nous semblons vivre au Paradis et ils l’expriment parfois de façon touchante.

Sauf que….c’est d’abord un marché. Il faut, pour avoir un visa d’études, apprendre le français, passer un entretien avec Campus-France, justifier d’un véritable projet scolaire. Le seul problème, c’est que l’offre éducative n’est pas très claire pour un jeune étranger. Quelles sont les meilleures filières, les bonnes écoles ? Choisir est un parcours du combattant.

C’est alors qu’intervient le zhongjie. Lui, c’est le spécialiste chinois de l’enseignement français. Il s’occupe de tout. Moyennant finances. Grosses finances. Monter le dossier pour passer l’entretien de Campus-France, trouver la bonne école, bref, faciliter la vie. Le dossier coûte de 2000 à 5000 euro. A payer cash et au début du processus. Sans aucune garantie. Si l’élève loupe l’examen de français, c’est qu’il n’a pas assez travaillé. Si son projet est jugé incohérent, le zhongjie n’y est pour rien, c’est juste que l’élève n’a pas posé les bonnes conditions.

Après, l’élève est orienté majoritairement vers des cursus privés…et payants. Le zhongjie entretient de bons rapports avec l’enseignement privé qui lui verse des commissions, en moyenne 10% du coût annuel. Que ce ne soit pas exactement la bonne filière, que le diplôme ne soit pas un diplôme d’Etat importe peu. Ce qui compte, c’est la commission. Commission prise également sur les transports et même le logement.Dans de nombreux cas, au même coût, l'étudiant aurait été sacrément mieux formé et son diplôme aurait eu une autre valeur.

L’enseignement français, notre enseignement, celui que des générations ont bâti, est donc devenu un juteux marché, le lieu de toutes les commissions, de tous les arrangements. Il n’y a pas si longtemps, les écoles privées étaient faites pour ceux qui ne pouvaient pas intégrer l’enseignement public. Fini, balayé. Eduquer les enfants n’est plus une mission, c’est une commission. On n’est plus éduqué au mérite, mais au chéquier. L’étudiant ne sait rien, le zhongjie sait peu mais celui qui sait peu semble très savant à celui qui ne sait rien. C'est la base même du service moderne.

Les étudiants chinois vont passer de 35 000 à 50 000. Le marché croît. Des centaines d’intermédiaires se lèchent les babines. Je râle parce que c’est moi qu’ils vendent, mon pays, mon image, ma réputation, toutes choses que j’aimerais pouvoir offrir.

Il faut prendre le problème à l’envers…Avec des copains, on a décidé de faire venir en France des élèves (pas des étudiants), de leur présenter une région, sa culture, son offre éducative. A eux de savoir s’ils veulent revenir, et s’ils le veulent, ils n’ont plus besoin d’intermédiaires. Mieux encore, ils auront leur réseau, leur guanxi. Le test, on le fait au Pays basque, bien entendu, là où nous avons nous-mêmes notre réseau et ce réseau est dans le panier-cadeau. Ça, aucun zhongjie ne peut l’offrir, et a fortiori le vendre. On s’est mis en quête de passionnés de leur région pour élargir l’idée, pour essayer de lutter contre les marchands d’éducation. Tout n'est pas à vendre, que diable !!

Quand j’étais petit, les « commissions », c’était quand on voulait préparer le repas. Faut y revenir : ouvrir la table plutôt que les coffres-forts. Le monde s’en portera mieux.

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