C’est une grande nouveauté. La géographie revient en force
dans les commentaires sur les gilets jaunes. Rendons hommage à Christophe
Guilluy dont la France périphérique a fait école. Ce que les lecteurs de ce
blog peuvent lire depuis des mois et des années reprend du service. Il y a un
pays de la ruralité et il est majoritaire, même dans les villes. Seisme à
l’ENA.
L’ENA, l’école de nos gestionnaires dont on dit en ce moment
qu’elle est en cessation de paiement, ce qui plaide pour les capacités de
gestionnaires de ceux qui forment les gestionnaires de demain.
Si l’on observe bien le fonctionnement de notre
administration depuis la création de l’ENA en 1945, on s’aperçoit que tout a
été fait pour simplifier les processus, au nom d’une meilleure gestion. Les
énarques ont tout regroupé au nom des économies d’échelle et autres
billevesées. Par exemple, les bureaux de poste ou les écoles. Il est vrai qu’il
est plus simple de gérer un bureau de poste de chef lieu de canton que la
douzaine d’officines qui en dépendait.
Remarquons d’abord que la simplification cache la vraie
question. La baisse de trafic d’un bureau de poste ou la baisse d’élèves dans
une école est un symptôme qui signale une activité déficiente ou un problème
démographique. Soigner le symptôme n’a jamais guéri la maladie. D‘un
administrateur, on attend un diagnostic puis un remède. Fermer la poste ou
l’école ne corrige rien. Au contraire, le remède aggrave le mal. Le mal est
pourtant connu : un excellent géographe l’a décrit dès la fin de la guerre
dans son livre Paris et le désert
français. Mais Jean-François Gravier souffrait de sa réputation :
royaliste, conseiller du Maréchal Pétain, on en a dit pis que pendre. A croire
que d’aucuns préfèrent mourir qu’être soignés par un médecin dont ils ne partagent
pas les idées politiques.
Une autre remarque doit être faite : le nombre
d‘instituteurs est à peu près stable, aux alentours de 300 000. Les
administrateurs des années 30 avec leurs plumes sergent-major, leurs encriers
violets et leurs fiches quadrillées ne les géraient pas plus mal que les
énarques connectés d‘aujourd’hui. S’il y a problème de gestion, il réside donc
dans la qualité des cerveaux des gestionnaires, et non dans les outils.
Nous voici confrontés à l’aporie initiale de l’ENA qui produit
des administrateurs soucieux de modifier l’objet de leur pratique plutôt que de
s’y confronter. Ceci conduit inéluctablement aux regroupements et aux
externalisations : quand l’Etat ferme les écoles, le problème des
transports scolaires devient inéluctable et s’invite à la table des conseils
départementaux ou régionaux. L’administrateur fermeur de classes a réussi son
coup : il s’est facilité le travail, a allégé le poids budgétaire qui lui
incombe et a refilé le bébé à une autre structure. Le tout en alignant des
chiffres qui ne tiennent aucun compte de la santé d’enfants obligés de
remplacer dix minutes de marche par une heure de bus, ni de l’accidentalité
inévitable. Un gosse blessé ou tué par un bus scolaire, c’est un autre dossier,
une autre statistique.
Administrateurs osée par certaines statistiques qui
modifient la répartition territoriale des établissements de santé sans tenir compte
de l’existence de patients, sauf pour les compter. Administrateurs qui n’ont
pas compris que, dans le service public, le seul taux de satisfaction possible
est 100% et qu’en obligeant les parturientes à faire 100 km pour accoucher, ce
taux ne sera pas atteint.
Mais voilà, administrer un territoire, c’est le connaître,
intimement, ce qui suppose des heures de terrain et des semaines de lectures.
Ce qui suppose aussi un doute hyperbolique et une inquiétude sans failles.
Chercher l’entourloupe, à qui profite la bretelle de la rocade par exemple.
Et croyez moi, on n’y est pas. Pour faire leurs rapports,
les sous-prefets ne vont plus aux champs.
On en reparlera.
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