mercredi 21 novembre 2018

LA FAILLITE DE L'ENA

C’est une grande nouveauté. La géographie revient en force dans les commentaires sur les gilets jaunes. Rendons hommage à Christophe Guilluy dont la France périphérique a fait école. Ce que les lecteurs de ce blog peuvent lire depuis des mois et des années reprend du service. Il y a un pays de la ruralité et il est majoritaire, même dans les villes. Seisme à l’ENA.

L’ENA, l’école de nos gestionnaires dont on dit en ce moment qu’elle est en cessation de paiement, ce qui plaide pour les capacités de gestionnaires de ceux qui forment les gestionnaires de demain.

Si l’on observe bien le fonctionnement de notre administration depuis la création de l’ENA en 1945, on s’aperçoit que tout a été fait pour simplifier les processus, au nom d’une meilleure gestion. Les énarques ont tout regroupé au nom des économies d’échelle et autres billevesées. Par exemple, les bureaux de poste ou les écoles. Il est vrai qu’il est plus simple de gérer un bureau de poste de chef lieu de canton que la douzaine d’officines qui en dépendait.

Remarquons d’abord que la simplification cache la vraie question. La baisse de trafic d’un bureau de poste ou la baisse d’élèves dans une école est un symptôme qui signale une activité déficiente ou un problème démographique. Soigner le symptôme n’a jamais guéri la maladie. D‘un administrateur, on attend un diagnostic puis un remède. Fermer la poste ou l’école ne corrige rien. Au contraire, le remède aggrave le mal. Le mal est pourtant connu : un excellent géographe l’a décrit dès la fin de la guerre dans son livre Paris et le désert français. Mais Jean-François Gravier souffrait de sa réputation : royaliste, conseiller du Maréchal Pétain, on en a dit pis que pendre. A croire que d’aucuns préfèrent mourir qu’être soignés par un médecin dont ils ne partagent pas les idées politiques.

Une autre remarque doit être faite : le nombre d‘instituteurs est à peu près stable, aux alentours de 300 000. Les administrateurs des années 30 avec leurs plumes sergent-major, leurs encriers violets et leurs fiches quadrillées ne les géraient pas plus mal que les énarques connectés d‘aujourd’hui. S’il y a problème de gestion, il réside donc dans la qualité des cerveaux des gestionnaires, et non dans les outils.

Nous voici confrontés à l’aporie initiale de l’ENA qui produit des administrateurs soucieux de modifier l’objet de leur pratique plutôt que de s’y confronter. Ceci conduit inéluctablement aux regroupements et aux externalisations : quand l’Etat ferme les écoles, le problème des transports scolaires devient inéluctable et s’invite à la table des conseils départementaux ou régionaux. L’administrateur fermeur de classes a réussi son coup : il s’est facilité le travail, a allégé le poids budgétaire qui lui incombe et a refilé le bébé à une autre structure. Le tout en alignant des chiffres qui ne tiennent aucun compte de la santé d’enfants obligés de remplacer dix minutes de marche par une heure de bus, ni de l’accidentalité inévitable. Un gosse blessé ou tué par un bus scolaire, c’est un autre dossier, une autre statistique.

Administrateurs osée par certaines statistiques qui modifient la répartition territoriale des établissements de santé sans tenir compte de l’existence de patients, sauf pour les compter. Administrateurs qui n’ont pas compris que, dans le service public, le seul taux de satisfaction possible est 100% et qu’en obligeant les parturientes à faire 100 km pour accoucher, ce taux ne sera pas atteint.

Mais voilà, administrer un territoire, c’est le connaître, intimement, ce qui suppose des heures de terrain et des semaines de lectures. Ce qui suppose aussi un doute hyperbolique et une inquiétude sans failles. Chercher l’entourloupe, à qui profite la bretelle de la rocade par exemple.

Et croyez moi, on n’y est pas. Pour faire leurs rapports, les sous-prefets ne vont plus aux champs.

On en reparlera.



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