Titre emprunté à mon ami Jacques Garay, avec son
assentiment. Titre qui ne quitte pas ma tête depuis que je me suis plongé dans
la lecture d’un livre décevant : Comment
faire mentir les cartes.
Décevant parce qu’il mélange tout et considère les cartes
statistiques comme des cartes alors qu’elle ne sont que des illustrations. Les
habiller du nom pseudo-savant de cartes chloroplèthes n’en fait pas des cartes
stricto sensu. Moi, j’appelle ça des iconocartes parce qu’habiller un fonds
cartographique médiocre de couleurs vives, ce n‘est pas un travail de
cartographe. Tout juste d‘illustrateur et, le plus souvent, pas très bon.
Je me dois donc de revenir à ma bonne vieille
définition : la cartographie est l’art de la tricherie vraisemblable.
Définition à laquelle il ne faut pas toucher et que j’ai élaborée grâce à
Louhossoa.
Vous ne connaissez pas Louhossoa ? C’est une gorge
entre Bayonne et St-Jean-Pied-de-Port où passent une rivière (la Nive), une
route départementale très fréquentée et une voie de chemin de fer. Même au 1/25
000°, ce n’est pas possible. Ça ne rentre pas. Pour que ça rentre, il faut
tricher, bouger un poil les courbes de niveau vu que les autres éléments, ils
sont intangibles. Tricherie fine et délicate, infaisable par une machine.
Comment faire pour adapter la réalité géographique à une visée
téléologique ? Tous les cartographes devraient connaître le syndrome de
Louhossoa.
Parfois on a des intentions moins pures. J’ai publié une
carte du Tibet où figurait un sommet appelé Dorje Kaplanian. Ce pouvait être pris pour un hommage à
Patrick Kaplanian qui avait vérifié avec soin les toponymes. En fait, c’était
un piège : tout concurrent qui reprenait le nom pouvait être suspecté de
plagier notre travail. Ce sommet était un argument pour avocat. Tricherie vraisemblable.
Mais moins drôle que la réponse du vieux cartographe qui
avait élaboré la première carte du Kenya et auquel on vint demander d‘où il
avait sorti le terme « Mamoba » qui désignait les plaines au nord du
Tsavo. « Bof, répondit il, c’est seulement l’acronyme de Miles And Miles
Of Bloody Africa ». Ça, c’est dit.
Bien sûr que les cartographes trichent. Et ça fait quelques
siècles ! Ce qui est intéressant, ce n’est pas de savoir comment ils
trichent mais pourquoi ils trichent. Tout simplement parce qu’ils sont
stipendiés. Ça commence avec un moine qui a quelque don pour le dessin et
auquel son abbé demande de composer la carte des possessions de l’abbaye.
Imaginez que l’abbaye soit en dispute avec l’évêque du coin à propos d’une
paroisse et de la dîme qu’elle verse. La paroisse se retrouvera illico dans le
territoire de l’abbaye qui brandira la carte pour contester les droits
épiscopaux. L’Histoire fourmille de tels exemples, de frontières déplacées ou
renommées. Comment est ce possible ? Facile. Au lieu du trait pointillé
correspondant à la frontière, vous dessinez le trait bordé d’un filet de
couleur qui désigne une ligne de cessez-le-feu. Avec un détail de rien du tout,
vous enlevez toute existence à un pays…Cherchez pas : c’est comme ça que
font les cartographes israéliens pour plein de cartes de Palestine.
Alors, oui, les cartographes trichent Pour plaire à leur
gouvernement ou à leur boss. Les illustrateurs trichent aussi.
En s’appelant cartographes.
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