vendredi 24 mai 2019

LE SYNDROME DE LOUHOSSOA

Titre emprunté à mon ami Jacques Garay, avec son assentiment. Titre qui ne quitte pas ma tête depuis que je me suis plongé dans la lecture d’un livre décevant : Comment faire mentir les cartes.

Décevant parce qu’il mélange tout et considère les cartes statistiques comme des cartes alors qu’elle ne sont que des illustrations. Les habiller du nom pseudo-savant de cartes chloroplèthes n’en fait pas des cartes stricto sensu. Moi, j’appelle ça des iconocartes parce qu’habiller un fonds cartographique médiocre de couleurs vives, ce n‘est pas un travail de cartographe. Tout juste d‘illustrateur et, le plus souvent, pas très bon.

Je me dois donc de revenir à ma bonne vieille définition : la cartographie est l’art de la tricherie vraisemblable. Définition à laquelle il ne faut pas toucher et que j’ai élaborée grâce à Louhossoa.

Vous ne connaissez pas Louhossoa ? C’est une gorge entre Bayonne et St-Jean-Pied-de-Port où passent une rivière (la Nive), une route départementale très fréquentée et une voie de chemin de fer. Même au 1/25 000°, ce n’est pas possible. Ça ne rentre pas. Pour que ça rentre, il faut tricher, bouger un poil les courbes de niveau vu que les autres éléments, ils sont intangibles. Tricherie fine et délicate, infaisable par une machine. Comment faire pour adapter la réalité géographique à une visée téléologique ? Tous les cartographes devraient connaître le syndrome de Louhossoa.

Parfois on a des intentions moins pures. J’ai publié une carte du Tibet où figurait un sommet appelé  Dorje Kaplanian. Ce pouvait être pris pour un hommage à Patrick Kaplanian qui avait vérifié avec soin les toponymes. En fait, c’était un piège : tout concurrent qui reprenait le nom pouvait être suspecté de plagier notre travail. Ce sommet était un argument pour avocat. Tricherie vraisemblable.

Mais moins drôle que la réponse du vieux cartographe qui avait élaboré la première carte du Kenya et auquel on vint demander d‘où il avait sorti le terme « Mamoba » qui désignait les plaines au nord du Tsavo. « Bof, répondit il, c’est seulement l’acronyme de Miles And Miles Of Bloody Africa ». Ça, c’est dit.

Bien sûr que les cartographes trichent. Et ça fait quelques siècles ! Ce qui est intéressant, ce n’est pas de savoir comment ils trichent mais pourquoi ils trichent. Tout simplement parce qu’ils sont stipendiés. Ça commence avec un moine qui a quelque don pour le dessin et auquel son abbé demande de composer la carte des possessions de l’abbaye. Imaginez que l’abbaye soit en dispute avec l’évêque du coin à propos d’une paroisse et de la dîme qu’elle verse. La paroisse se retrouvera illico dans le territoire de l’abbaye qui brandira la carte pour contester les droits épiscopaux. L’Histoire fourmille de tels exemples, de frontières déplacées ou renommées. Comment est ce possible ? Facile. Au lieu du trait pointillé correspondant à la frontière, vous dessinez le trait bordé d’un filet de couleur qui désigne une ligne de cessez-le-feu. Avec un détail de rien du tout, vous enlevez toute existence à un pays…Cherchez pas : c’est comme ça que font les cartographes israéliens pour plein de cartes de Palestine.

Alors, oui, les cartographes trichent Pour plaire à leur gouvernement ou à leur boss. Les illustrateurs trichent aussi.


En s’appelant cartographes.

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