dimanche 22 septembre 2019

HEBERT-CELINE-QUENEAU

J’ai choisi ces trois-là pour leur importance dans le sujet qui m’occupe en ce moment. Ils ne sont pas les seuls, mais ils sont trois balises de taille.

Hébert fut le premier (ou peu s’en faut) à parsemer son texte d’exclamations et de jurons. Foutre ! était son préféré. Céline, on ne s’en souvient que trop bien, avait choisi l’invective et Queneau restera dans nos cœurs pour le « mon cul ! » de Zazie. Dans les trois cas, il s’agissait de signifier avec force et parfois virulence que le texte se situait dans l’ordre de l’oral et non de l’écrit. Surtout s’il était écrit. Parce qu’entre nous, rien n’est plus écrit que le « Doukipudontan » de Zazie. Ceux qui voient pas ça feraient mieux de s’intéresser à autre chose que la littérature.

Rares, en fait, sont les écrivains qui se sont prêtés à cet exercice, même récemment. Les règles de l’écrit ne sont pas simples à transgresser et les codes restent difficiles à casser. L’écrit reste auréolé d’une dimension culturelle qui impose une écriture léchée, un vocabulaire choisi, une écriture dont on doit bien admettre qu’en ce début de siècle, elle est profondément emmerdante.
Elle est emmerdante parce qu’on en a fait le tour. La phrase s’est allongée avec Proust, raccourcie avec Hemingway, elle a perdu sa ponctuation avec Robbe-Grillet. Le vocabulaire s’est enrichi à l’excès avec Gide, puis Camus a taillé dans la masse. On a eu des textes à tous les temps de l’indicatif, écrit à toutes les personnes. Dans l’écrit, tout a été essayé, plus ou moins consciemment. Comme l’a énoncé avec componction un journaliste cultureux récemment : « vous écrivez comme Flaubert ». Deux siècles après Madame Bovary, c’est pas vraiment un compliment, pas plus que composer comme Rossini ou peindre comme Meissonnier. A méditer par Eric Zemmour qui ne cesse de proclamer son amour de la littérature classique. C’est pas original. Et ça ne signifie surtout pas qu’en ce début de siècle, il faille écrire comme Balzac. Zemmour, il doit avoir chez lui des tableaux avec des vaches au bord d’un ruisseau. Peints depuis six mois. Il doit aimer le figuratif, ce mec, il a la tête à ça.

En fait, c’est fou ce qu’on est formatés. Faut pas croire. L’Education nationale fait des efforts. Pas plus tard qu’en ce début janvier, Livres-Hebdo nous informe que Pascal Quignard sera désormais étudié à l’école. Pascal Quignard ! Alors lui, il écrit vraiment comme parle un instituteur de campagne en visite chez le châtelain. Il a le stylo baise-main, sûr qu’il ferait un malheur dans le salon de Madame Verdurin. Risquent pas de devenir grossiers les marmots avec Quignard. Risquent pas trop d’aimer la littérature non plus : c’est pas Quignard qui leur fera abandonner Titeuf.

C’est qu’écrire, c’est donner une image de soi et on préfère être perçu comme un notaire en costume trois-pièces ou un trader en costume de lin déstructuré que comme un voyou en capuche et Nike tombés du camion. La raison vaut pour le lecteur qui ne fréquente pas n’importe qui. Le poids médiatique peut aussi être invoqué : l’oral, c’est l’oral, l’écrit c’est l’écrit, Coluche d’un côté, Beigbeder de l’autre. Faut faire simple. Comme Zemmour (à nouveau). Il aime que ça soit écrit comme dans son journal, que ça ait l’air bourgeois comme son journal, comme il aimerait être perçu, lui le p’tit gars qui arrête pas de dire qu’il vient de la banlieue. Il donne l’impression de quémander l’approbation de son instit’ : « C’est bien M’sieur ? ». Ouais, si c’est une rédac’ de cinquième, c’est bien. T’es un bon élève. Emmerdant comme un bon élève. D’ailleurs, il parle comme il écrit, c’est dire….

Ceci dit,  je sais pas si vous avez remarqué, mais la langue s’affranchit. Tenez, prenez « enfoiré ». Il y a trente ans à peine, c’était un gros mot, bien gras, bien vulgaire. Il hésitait entre deux sens, « emmerdé » et « imbécile ». Il était rare, même dans l’argot. Aujourd’hui, le voici réhabilité : un « enfoiré », c’est quelqu’un qui se dévoue pour les Restos du Cœur, quasiment une dame patronnesse. Jadis, vous traitiez un mec d’enfoiré, vous preniez une mandale. Pardon : jadis, quand vous utilisiez ce mot à l’encontre d’une personne, vous risquiez de recevoir un coup de poing.
Et la montée en puissance de « putain » ? Surprenant. A la fin des années 60, l’abondance de « putain » qui fleurissait ma bouche trahissait l’occitanité pas très bien élevée qui me marquait au fer rouge. A Paris, je veux dire. Je me souviens de mon plaisir en entendant Jean-Marie Rivière proférer cette évidence au micro de José Artur : « Chez nous, dans le Sud, « putain », c’est le point, « con » c’est la virgule et « putain con », c’est le point et virgule de la parole ». Moi, je me contrôlais, j’enfouissais mes « putain » dans une zone obscure de non-dit et d’interdiction.
Aujourd’hui, « putain » est partout, comme si tout le monde avait compris la nécessité de ponctuer l’oral  et « putain » s’est imposé en tant que signe de ponctuation. Je l’entends sans cesse, dans la rue, les magasins et même dans certaines émissions, pas forcément animées par Patrick Sébastien. Au point (j’ai fait un sondage) qu’il ne s’applique plus guère aux dames chantées par Villon qui sont restées des « putes ». La synonymie étroite qui enchaînait « putain » et « pute » s’est délitée. Putain n’est plus une pute. Et vice-versa. Putain ! c’est rigolo, ça.

L’oral, ça bouge, c’est normal, une langue ça vit. Alors, pourquoi l’écrit doit-il rester figé ? Pourquoi écrire encore et toujours avec le cul coincé en lorgnant par-dessus l’épaule de Maupassant ? Attention, ça veut pas dire qu’il faut oublier l’histoire, les écrivains d’avant. Au contraire, il faut les connaitre pour pas faire tout à fait comme eux. Tiens, juste un exemple comme ça : tous ceux qui béent devant rappeurs et slammeurs devraient relire les textes que s’envoyaient à la figure Breton et Cocteau sur ce que doit être une image poétique. Ils comprendraient que ce n’est pas un problème de gros mots ou de vulgarité, mais juste une exigence d’élévation du sens qui n’a rien à voir avec le vocabulaire.
Ça signifie pas non plus qu’il faille écrire comme on parle, ce serait trop facile. Il faut juste écrire pour signifier qu’on est entré dans un autre monde stylistique, un monde où l’oralité vient féconder le littéraire. Il faut écrire « comme si » et non pas « pareil ». Parce que la littérature, c’est un travail, pas une facilité. Si t’écris naturellement, c’est que t’écris pas, tu répètes.

Il existe un quasi-canon du récit bien peigné et c’est le prétérit. Valéry l’a épinglé avec justesse : « La marquise sortit à cinq heures ». On croit en utilisant les temps du prétérit (imparfait et passé simple) qu’on fait de la littérature alors qu’il ne s’agit que de rédaction. A cet égard, la plupart des récits de voyages sont affligeants et font irrémédiablement penser à des rédactions sur le thème : « Racontez votre dernier voyage ». Mais, mééééh, bêlent les écrivains-voyageurs (c’est une catégorie à part), on est bien obligés vu que notre voyage, c’est du passé. Et alors ? Est-on obligé d’utiliser un temps du passé pour relater une histoire passée ? Evidemment pas. Exemple : « Orly est le territoire de l’attente et tout mon voyage n’aura été qu’une exacerbation de l’attente. Au jour dit, je me retrouve donc à Orly… » et ainsi de suite. En fait, une histoire passée peut se raconter au présent. Il suffit de le vouloir.

La pierre de touche est là : si la première phrase est au passé simple, l’ennui est tapi derrière. L’écrivain-voyageur, c’est pas vraiment un styliste. Et que vaut un voyage qui est fait sans style ?  Inutile de me sortir les exceptions que sont Ella Maillart ou Dervla Murphy. Ce sont des dames de la bonne société qui écrivaient voici presque un siècle. Normal qu’elles aient l’écriture un peu gourmée.
Les écrivains, je veux dire les vrais, les contemporains, ont compris. Prenez Jean-Luc Coatalem. Sans cesse, le présent fait irruption dans son récit qui, du coup, prend l’allure d’un journal, se structure autrement, sort de la morne linéarité qui caractérise les rédactions.
Mais, mééééh, bêlent les écrivains-voyageurs, on ne peut pas commencer par la fin. Si. On peut. A condition de ne pas finir par le début ce qui serait décidément trivial. On peut jouer avec  le temps comme avec les temps. Un texte, ça doit bondir, puis se calmer, se répéter parfois, se dérégler, ça doit faire oublier de quoi ça parle.

Parce que, quel que soit le sujet d’un livre, l’important c’est son écriture.




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