mardi 24 septembre 2019

VOYAGE AU BOUT DU SEXE

Je viens de lire ça. Publié à l’Université Laval. Ecrit par Franck Michel, prof à l’Université de Corse.

Passons sur le titre, racoleur et imprécis : « le bout du sexe », c’est quoi ? le gland ? et qu’est ce que le « bout du sexe » d’une femme ? alors même qu’il va s’agir essentiellement d’exploitation de la femme. Pardonnons cet à-peu-près.

D’emblée, les règles sont posées : le tourisme est un « nouvel impérialisme » et un « colonialisme pacifique ». Je ne vois pas très bien en quoi l’impérialisme est « nouveau » ni en quoi le tourisme est « colonialiste ». Mais l’explication arrive vite : le tourisme a été inventé par les Occidentaux. Vu par le gros bout de la lorgnette surement. Mais il me semble me souvenir que Xavier de Planhol a consacré sa thèse aux pratiques touristiques au Proche-Orient dans l’Antiquité en décortiquant la naissance de la pratique sociale qui consistait à quitter les villes l’été pour aller en montagne. Ce modèle a été adopté par les Romains, puis s’est généralisé en Occident. Il s’agit d’une pratique touristique car le tourisme ne se définit pas à l’aune des kilomètres parcourus. On attend d’ailleurs une définition du tourisme : déplacement d’agrément ? avec une charge culturelle selon Augé et Urbain ? A ce compte, se vautrer dans un camping de Palavas pour partager le Ricard n’est pas du tourisme. C’est quoi alors ? Mais voilà : tout le monde comprend, pense l’auteur, qui invente même le « tourisme noir » qu’il met en parallèle avec « l’argent noir ». C’est quoi le tourisme noir ? C’est l’universitaire qui profite d’un colloque pour aller à la plage. Mieux encore : un voyageur partant sur un circuit organisé et qui va roder la nuit dans les quartiers chauds fait du « tourisme sexuel au noir ». C’est vrai que c’est la nuit.

Il faut se méfier des livres qui ne posent pas de définitions. Jamais l’auteur ne définit ni le tourisme, ni les pratiques sexuelles. Ce qui lui permet d’enfiler les stéréotypes dont celui-ci : « le citoyen, tranquille chez lui, se transforme en individu redoutable une fois passé à l’étranger. » Eh bé….on remplit les avions de fauves sans le savoir.

Donc, on démarre avec le vilain prédateur blanc qui va assouvir ses bas instincts sous les Tropiques. Suivent une soixantaine de pages sur « le sexe, un marché mondial en pleine expansion ». La dimension historique manque cruellement : le sexe a toujours été un marché mondial (les Romains dans leurs bordels n’entassaient pas des Romaines) et il n’est pas plus en expansion que le marché du soja ou de l’informatique. Mais l’auteur est fin économiste : ce qui détermine le marché du sexe, c’est « l’offre, la demande et le contexte social ». Qu’on puisse en dire autant du marché du sucre ne l’effleure pas. Encore une banalité ? « Le corps des femmes est le produit de base du marché du sexe »… c’est clair que le produit de base, c’est pas les nageoires des poissons rouges.

Mais le pire est à venir. L’auteur prétend que tourisme et sexualité pratiquent « une entente cordiale et intéressée » car « on peut interpréter le tourisme sexuel comme un avatar du néo-colonialisme occidental qui s’empare du corps des populations après avoir renoncé à leurs territoires ». La formulation est belle… et tout à fait fausse, car nombreux sont les pays à tourisme sexuel qui ne sont liés ni de près, ni de loin à la colonisation. Personne n’a renoncé aux territoires de l’Ukraine ou de la Thailande qui ne furent jamais colonies de personne. Et que dire des pays qui n’ont jamais eu de colonies ? Si on suit l’auteur, il n’y a pas de tourisme sexuel suédois. Ben voyons…. A moins que les Suédois ne soient des colonialistes cachés arrivés directement au néo-colonialisme sans passer par la case colonialisme.

Suivent une cinquantaine de pages qui sont un catalogue des destinations où se pratique le tourisme sexuel. Sans surprise, il n’est question que de pays asiatiques, africains ou sud-américains car il faut bien annoncer le chapitre suivant intitulé « Le Sud devant la colonisation touristique et l’exploitation sexuelle ». On aura bien compris que tout ce qui précédait ne servait qu’à lier fortement tourisme et exploitation sexuelle. La thèse de l’auteur commence à apparaître : sans tourisme, pas d’exploitation sexuelle.

Disons-le tout net : c’est parfaitement gonflé. Il ne faut pas avoir une connaissance fine de l’histoire pour savoir que l’exploitation sexuelle est totalement indépendante du tourisme, elle ne lui est pas consubstantielle. Elle est tout juste consubstantielle au déplacement. Quand l’étranger arrive, il peut éventuellement profiter d’une structure sexuelle existante, avec ou sans exploitation. Mais si rien n’existe, il mettra son érection dans sa poche…Flaubert, au bord du Nil, regrette les putes du Caire car il n’y en pas dans les campagnes égyptiennes et sa présence (et sa concupiscence) ne les fait pas surgir ex nihilo. Tout juste peut on dire qu’un afflux de population renforce un marché, mais c’est vrai pour les vanneries camarguaises comme pour les prostituées birmanes. Il a qu’à regarder en Corse, l’auteur, puisqu’il y enseigne. Pays touristique s’il en est, mais pour trouver une pute à Propriano, c’est le parcours du combattant. Peut-être que c’est pas assez au Sud ? Et Pigalle où se précipitaient voici trente ans les Anglo-Saxons décidés à baiser de la Française ? On peut peut-être parler de délocalisation et comparer les tarifs hors charges sociales ? Un marché, ça a une histoire.

La fin du livre est un catalogue sur la prostitution asiatique, catalogue de faits et d’anecdotes (des Français amènent des prostituées d’Ujung Padang à une cérémonie toraja qu’ils troublent). On est au niveau de la presse anglaise, ou peu s’en faut.

Bref, notre prof à l’Université de Corse fait preuve d’un angélisme certain et ne nous apprend rien. Il force les traits et fait parfois preuve d’une réelle méconnaissance, par exemple quand il affirme qu’il ne faut pas confondre prostitution forcée et prostitution volontaire (on ne peut qu’être d’accord) pour ajouter aussi sec « Dans les pays du sud, la prostitution est toujours forcée ». Ben voyons.. ça conforte sa thèse mais c’est parfaitement faux. Dans toute l’Asie (Japon inclus jusqu’à Mac Arthur) la prostitution est traditionnellement un moyen pour les jeunes filles d’épargner une dot car la vision du sexe n’est pas exactement la même que la notre. Et les jeunes Nigériennes n’hésitent pas à faire « boutique mon cul » quand les temps sont difficiles.

Ce qui me met en colère, c’est cette transformation d’un épiphénomène en problème de société. On ne peut pas nier que le tourisme sexuel existe, mais on ne peut pas affirmer non plus que tout tourisme est sexuel,ni que toute sexualité est touristique, sauf à vouloir diaboliser le tourisme. Ce qui est grave, c’est que l’Université Laval couvre ceci de son autorité. Ce qui est grave, ce sont ces analyses sociologiques à l’emporte-pièce, sans connaissance du substrat historique. On aboutit à une enfilade (si j’ose dire) de stéréotypes pour arriver à la conclusion : le Blanc, c’est caca….


Pas besoin de 400 pages pour ça…

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