jeudi 7 janvier 2021

LES PHILODOXES

Frédéric Schifter l’exhume. N’hésitons pas à l’utiliser, ce vieux mot qui plonge dans l’univers platonicien et qui recouvre notre pensée d’une couverture athénienne du meilleur aloi. Il permet d’abord de rappeler que Mythologies est l’un des meilleurs livres du siècle passé.

 

Le philodoxe est celui qui aime l’opinion commune, la doxa. Ne pas penser hors de l’autre. Penser dans l’autre, penser l’autre. Quel que soit le sujet, attendre le troupeau pour s’y glisser. Panurge ? Evidemment non. Ce n’est pas un mouton que Panurge jette à la mer, c’est un bélier et c’est la raison pour laquelle les moutons suivent le mouvement.. On n’imite pas qui nous ressemble mais à qui nous voulons ressembler.

 

C’est la téléologie du mythe qui transmute l’artificiel en naturel. Il importe de croire que la pensée qu’on adopte et qui semble universelle est une pensée naturelle ce qui explique et justifie son universalité. Ce qui évite également de la mettre en question.

 

Le glissement épistémologique est simple à suivre ; il va de l’unique (moi) au groupe et la quantité y est reconnue comme signifiante. Plus mon groupe est important, plus importante est ma pensée. C’est l’épistémologie de la manif. Bien entendu, ceci va de pair avec l’aspect « naturel » de la démocratie fondée sur la majorité.

 

Nous avons eu l’occasion d’en parler. Il est vrai qu’une notion biologique, la néoténie, peut justifier de la soumission de l’individu au groupe, du moins lors de sa formation. Mais c’est introduire le temps et l’invariance du temps dans le cogito. C’est supposer que le temps dans lequel je vis est le même que le temps dans lequel je me forme. C’est accepter une sorte de permanence du groupe (social, national, familial). C’est une prime au conservatisme totalement incompatible avec la vie. Et avec la pensée..

 

Dois je élever mes enfants comme j’ai été élevé ? C’est une question d’écologie. A opposer l’inidividu et le groupe, on oublie le milieu naturel, l’écosystème. Mes enfants, comme moi, vont dans une école où des enseignants les forment. Mais ce n’est pas le même écosystème et ce n’est pas la même formation. Mon instituteur, à Bayonne, fumait en classe. Ce n’était pas  un irresponsable : grand résistant, adjoint du colonel Rémy, torturé par la Gestapo, déporté, ses actes témoignaient pour lui. Aujourd’hui, il serait vraisemblablement viré ; la doxa a changé et, avec elle, les philodoxes. Par définition..

 

La doxa n’a rien de naturel mais elle est confortable. Elle installe la permanence dans le réel variable. Avec des contradictions internes : aujourd’hui la doxa du temps est que tout change sans cesse. La nouveauté devient le point fixe de la réflexion sur la permanence du réel. Ce n’est pas innocent : le monde des médias est gonflé à l’EPO du nouveau qui constitue le fondement de son existence. La pensée y gagne une sorte d’arthrose qui fige le mouvement qu’elle survalorise.

 

Pour l’homme, la seule vraie nouveauté reste sans cesse à découvrir : c’est un monde figé d’où il aura disparu. Un monde sans lui. La mort est encore la permanence du réel.

 

Gommons la.

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