dimanche 22 janvier 2012

FRIC ET POLITIQUE

Ça, c’est une question récurrente : qu’est ce qu’ils ont tous à vouloir se présenter à la présidentielle alors qu’ils savent pertinemment qu’ils n’ont aucune chance ?

Ceux qui posent la question n’ont jamais joué au billard. L’objectif, ce n’est pas la présidentielle. C’est les législatives. La présidentielle sert surtout à se faire briller dans les médias pour trouver des candidats et gratter des voix aux législatives. C’est du billard à trois bandes.

Prenons un exemple : Lutte Ouvrière. Par le biais du financement des partis politiques, LO touche environ 300 000 euro par an. La loi est simple : il faut présenter des candidats dans au moins cinquante circonscriptions législatives. Partout où les candidats dépassent 1% (c’est pas beaucoup), les voix sont comptabilisées et le parti va toucher 1,63 euro par électeur et par an. A ce compte, le Trèfle (vous connaissez Le Trèfle, vous ?), parti écologiste indépendant et totalement inconnu touche 160 000 euro par an.

Y’a mieux. En plus des voix par électeur, on touche des sous en fonction des parlementaires qui déclarent être inscrits à ce parti. Et voilà comment, en 2010, Fétia Api, parti politique polynésien a touché 1 million d’euro, avec 23 parlementaires. Comment, me direz vous, un parti polynésien peut il avoir 18 députés et 5 sénateurs ? Très simple : les députés Nouveau Centre ont déclaré être inscrits à Fétia Api. Hervé Morin et les vahinés, à mourir de rire. D’autant que Fétia Api ne touche que 854 euro par an au titre de ses mille électeurs recensés. Mille électeurs, 23 parlementaires, c’est pas beau, ça ? Y’a pas beaucoup de partis qui peuvent en dire autant.

Comprenez bien le fonctionnement : en 2007, le Nouveau Centre n’a pas présenté de candidats vu qu’il a été créé en 2008. Les députés étaient candidats sous l’étiquette du Modem. Donc les sous correspondant à ses électeurs vont dans la poche du Modem. S’il veut pas faire la manche, Morin doit trouver une solution. Il se déclare Polynésien, le Fétia Api touche l’argent public et le reverse au Nouveau Centre. En gardant 20 000 euro pour ses menus frais. Gagnant-gagnant : Fétia Api ne pouvait pas espérer plus de 1000 euro par an, voilà qu’il en touche 20 000. Et le Nouveau Centre récupère son blé. Parce que le second étage du financement suppose qu’on ait obtenu le premier.

On finance les partis politiques pour plus de transparence. Mais les politiques sont malins. La loi prévoit un cadre différent pour l’outre-mer. Pour bénéficier du financement n° 1 (par électeur), il faut présenter au moins cinquante candidats en métropole et obtenir 1% des suffrages exprimés. En outre-mer, c’est plus facile. Il suffit de présenter UN candidat qui obtienne 1% des suffrages exprimés et on sera payé. Condition sine qua non pour obtenir le second financement. Un bémol toutefois, il faut n’avoir pas présenté de candidats en métropole.

Alors, considérons Démocratie et République. Beau nom. Avant, ça s’appelait Metz pour tous. Pas terrible pour présenter des candidats outre-mer. C’est le parti de Jean-Louis Masson, sénateur de Moselle. Suivez bien la combine, c’est rusé. Lui, il se présente en Moselle et il est sénateur. Donc, il ne peut absolument pas prétendre à un financement puisqu’il faut se présenter aux législatives. Mais son parti présente une candidate à la Réunion. Une seule et c’est exclusivement outre-mer. Comme elle fait un joli score, Démocratie et République va toucher 14 000 euro pendant cinq ans. Après quoi, Masson et deux autres sénateurs s’inscrivent sous le label Démocratie et République et on leur verse 133 000 euro par an. Deux mille électeurs, 150 000 euro. Bingo !

C’est beau l’esprit de la loi. On avait déjà appris la mécanique des micro-partis. Ça, c’est une spécialité de l’UMP. La loi plafonne à 7500 euro ce qu’un particulier peut verser à un parti politique. Ridicule quand on est riche. Et donc, chacun crée son parti. De Copé à Woerth en passant par Alliot-Marie, ils ont tous créé leur parti. Et donc, Madame X… peut verser légalement cinq, dix, vingt fois 7500 euro.

Pas a peine de se demander pourquoi chaque élection suscite tant de candidats. Pas la peine de se demander pourquoi les électeurs s’abstiennent massivement. Bien entendu, la plupart des électeurs ne savent rien de ces magouilles ultramarines. Mais ils flairent, ils subodorent. Des fois, ça sort. On croit que c’est oublié comme le micro-parti de Woerth, vu qu’on ne parle plus de Woerth. Mais la graine est dans un coin de la tête. La politique apparaît comme l’art de détourner la loi.

Surtout que la loi, elle est plutôt bien foutue. Elle permet à Fétia Api de toucher un peu d’argent pour faire vivre ses idées sur la Polynésie. Mille euro par an, ça grève pas le budget de l’Etat. Mais ça permet de faire quelques tracs, quelques affiches, d’exister. Le seul truc qu’on a oublié, c’est qu’Hervé Morin peut se prendre d’un amour fou pour les vahinés. Le seul truc qu’on n’a pas fait, c’est d’interdire (vilain mot) de s’inscrire à un parti qui ne t’a pas présenté aux élections.

Y’a des spécialistes du financement des partis. Des mecs qui vont te créer des partis, juste pour toucher du fric. En présentant le strict minimum de candidats. La barre est pas bien haute : 1% des voix. C’est logique, la loi veut permettre l’expression de toutes les idées. Mais en jouant finement sur les circonscriptions, tu t’assures une rente. Le parti de Philippe de Villiers touche ainsi près de 900 000 euro par an. Trois fois plus que Lutte Ouvrière. Avec ça, tu peux te passer d’adhérents.

La politique est un métier : on le savait. Un métier qui peut rapporter gros. On le savait aussi. On croit naïvement que seuls les gros gagnent gros. Ben non. Un petit malin peut gagner aussi gros que les gros.

Consolons nous : c’est une prime à l’intelligence. Y’en a pas tant que ça.

On en reparlera…..

mercredi 18 janvier 2012

LE MINISTRE DU MECENAT

Voilà que le PS ressort Jack Lang de la naphtaline. Pour l’envoyer dans les Vosges. Il se rapproche de Nancy, son point de départ. Il finira par boucler la boucle. Sans pour autant la boucler.

Jack Lang ne la boucle jamais. Faut dire que la télé l’aime bien et va le chercher chaque fois qu’il faut causer de culture. Pour les jeunes journalistes, il est ad vitam aeternam Ministre de la Culture.

C’est juste une étiquette. Le vieux François savait pas trop quoi faire de ce juriste saltimbanque qui passait sans souci du droit international de la mer (où il a plutôt bonne réputation) aux tirades de Corneille (où il n’a pas laissé de trace impérissable). Alors, il lui a collé la Culture.

L’autre, qui a jamais écrit une ligne lisible, il s’est cru arrivé. Le cul vissé dans le fauteuil de Malraux. Il ne s’est pas posé un instant la question de savoir ce qu’était la Culture. Comme il était ministre d’icelle, il s’est inventé une définition. Une définition moderne, bien entendu, Jack Lang se veut toujours plus moderne. Moderne, c’est à dire jeune.

Homme de gauche, Jack Lang a oublié l’Histoire. Internationaliste, Jack Lang a gommé le nationalisme. Pour faire court, il a décidé de sacrifier le patrimoine. Le patrimoine culturel de la France. Les années 1980 voient les musées dérouiller un max. Je parle des musées sérieux, style Musée des Monuments Français. Ou le Musée basque de Bayonne, vu comme un vieux machin ethnographique sans intérêt. Au Musée de l’Homme, mes copains pleuraient misère. Sans Renaud (le chanteur), les collections du Muséum national d’Histoire naturelle auraient été bouffées par les mites.

Jack Lang est devenu le Ministre de la Création. Il a juste oublié que la Culture, c’est la Création PLUS l’histoire. Quand on s’excite sur la création, on devient facilement le Ministre du Mécénat. On subventionne à plein bras, surtout les copains. Ou les gens sympathiques. Dans le livre, j’ai quelques exemples marrants. Des librairies dans d’improbables pays que Jack finançait parce que les créateurs étaient sympas. Librairies qui ont disparu quand la manne fut bouffée. Pendant ce temps, la BN pleurait misère pour sauver des manuscrits.

Tout est passé à la même moulinette. En a t-il aidé des festivals, Jack. Il aimait l’idée de s’entourer de créateurs qui flagornaient le porte-monnaie prêt à s’ouvrir. Il ne lui est jamais venu à l’idée que les créateurs qu’il devait protéger étaient morts depuis longtemps. Forcément : les morts ne fréquentent pas les cocktails.

Jack est un grand manipulateur. L’essentiel de sa gloire vient de la loi d’août 81 censée protéger la librairie française contre la FNAC. Il affirme qu’André Essel y était violemment opposé. Dans le même temps, l’associé d’Essel, Max Théret, soutenait et finançait François Mitterrand. Ce serait bien la première fois qu’un ministre aurait flingué un généreux donateur de son Président. D’ailleurs, en 81, la FNAC pesait 1% du marché du livre. Vingt ans plus tard, elle était à 18%. Corrélativement, les libraires avaient perdu les 17% que la FNAC avait gagnés. Pour un protecteur, c’est pas vraiment un succès.

La loi Lang a eu deux effets sur lesquels il faut sans cesse revenir. Elle a permis à l’édition de s’industrialiser : aujourd’hui, 80% du marché du livre est tenu par cinq grands groupes et leurs outils de diffusion. Et elle a permis à la grande distribution de s’implanter dans le livre. La FNAC a ouvert la voie aux espaces culturels Leclerc.

En allant dans les Vosges, Jack devrait s’informer sur le nombre de librairies indépendantes et familiales qui ont disparu en vingt ans, grâce à lui, à Epinal et Saint-Dié. Pas une statistique à la con comme il sait les manier sur les « points de vente du livre », statistiques où Leclerc et Auchan viennent remplacer la Librairie de la Poste. Ça permettrait aux Vosgiens de comprendre qu’on leur demande d’élire un fourrier du capitalisme culturel, l’homme qui a permis à Arnaud Lagardère de remplacer Ithier de Roquemaurel, descendant de Louis Hachette, ou à Vivendi d’éliminer les familles Nathan et Nielsen du paysage culturel. Ben oui, je parle d’Histoire. L’Histoire fait partie de la Culture.

Seulement, voilà. Jack s’excite plus sur les taggeurs que sur les orientalistes mineurs. Il préfère les rappeurs à l’opéra français. Il a un hystérique besoin d’immédiateté. Il n’a pas compris que la Culture était élitiste et que le travail d’un homme de gauche était d’offrir l’élitisme à tout le monde. Pas de simplifier les musées, mais de permettre à tout le monde d’y pénétrer et d’en jouir.

La Culture selon Lang, c’est fromage OU dessert. Rap ou Mozart. Tag ou Giotto. Il ne semble pas lui être venu à l’idée que ce pouvait être ET. Que son boulot était de conduire les fans de rap à apprécier Haydn. Sauf que je viens d’écrire « boulot ». Et que Jack ne fut jamais qu’un dandy réfractaire à l’effort.

Sauf sur un point : son image. Là, chapeau l’artiste. Faut dire que c’était pas très dur. Quand tout ton message consiste à dire que l’effort, c’est pour les cons, tous les fainéants qui n’ont pas envie, en plus d’être cons, te tressent des lauriers. Et Jack, c’est ça sa promesse. Branle rien, t’auras ton bac quand même. Les jeunes l’adorent. Forcément.

On en reparlera…..

jeudi 5 janvier 2012

ONFRAY L'ATHEE ????

Il ne faut jamais lire les livres quand ils sortent. Ce ne sont pas des magazines, on a le temps. Si un livre est bon, il sera tout aussi bon dans dix ans.

J’ai une certaine estime pour Michel Onfray. Il est sympathique et il passe bien à la télé. Il écrit très bien, bon style, vocabulaire précis, lyrique parfois. Je ne peux pourtant pas me défendre de faire comme Manu et de me dire « Tout ça pour ça ».

Je viens de lire le Manuel d’Athéologie. Tout ça pour ça. Etait-ce bien nécessaire ? Il est content, Onfray. Il cite et récite. Il nous colle dans les dents une histoire de la philosophie non-religieuse, sans oublier le moindre nom, le plus obscur Héllène. Quelle culture !

Il ne faut jamais lire les livres quand ils sortent. Depuis son Manuel, Onfray s’est livré à une charge contre Freud dont j’avais pensé le plus grand bien. Or que nous dit-il dans ce Manuel si fortement documenté ? Que le christianisme doit toute sa part maudite (moi aussi, j’ai des références) aux « névroses » de Paul de Tarse qui a développé sa religion sur une « pulsion de mort ». Merde ! Onfray psychanalogisait avant de taper sur Tonton Sigmund. Est ce qu’il re-écrirait de même son Manuel aujourd’hui ? Parce que là, ça ferait désordre. Remarquez, ça fait désordre. On a l’impression que Onfray, il puise ses outils dans la boîte qui l’arrange, même s’il est pas d’accord avec le concepteur de la boîte.

Onfray se veut athée parce qu’il se croit hédoniste. Il se rend bien compte que les religions, ça fonctionne pas vraiment sur le plaisir. Sauf le tantrisme ousque plus t’es religieux, plus tu baises. Mais il ne parle pas du tantrisme, il se concentre sur les monothéistes. Pourtant athée, c’est athée. Même les dieux qui te recommandent d’avoir la bite à la main, t’en veux pas. Ou alors, t’es pas athée.

Le problème d’Onfray, c’est qu’il refuse de verbaliser l’essentiel. L’homme se choisit des dieux parce qu’il a peur de mourir et Onfray, il sait pas très bien se démerder avec la mort. Il évite, il esquive. C’est vrai que si tu veux vendre et passer chez Ruquier, c’est dur de regarder la caméra en face et de dire « Vous allez tous mourir, c’est comme ça et comme vous êtes une espèce animale, l’évolution d’une musaraigne du Jurassique, vous n’allez pas plus ressusciter que les crapauds ou les bonobos ». Ruquier, il va pas te réinviter, ça tu peux en être sûr. Il est pas là pour défoncer le moral du téléspectateur.

Le vrai, le seul enjeu de la religion, il est là. Quand c’est fini, c’est fini. La mort, c’est définitif. Fin de partie. Tu te moques des musulmans et de leur paradis plein de vierges toujours vierges, mais toutes les religions croient au Paradis. C’est la base de toute spiritualité. Même si t’es pas trop religieux, tu penses avoir une âme, tu te livres à des rituels funéraires, style urne pour les cendres ou autel des ancêtres, tu veux prolonger. Prolonger toi, ou ton papa, ou ton copain que t’as tué dans un accident de voiture. S’il a une vie éternelle, tu l’as pas vraiment tué. Même que tu lui as peut-être rendu service, il est mieux au Paradis que dans cette vallée de larmes.

Etre athée, c’est d’abord nous voir comme une espèce animale. De refuser toutes les conneries selon lesquelles l’Homme a un « plus », une sorte de bidule mal défini (et pour cause) qui le distingue de la carpe koï et du lombric. Ben non, il a pas de plus. Sauf un cerveau un peu plus compliqué et qui, justement, lui permet d’imaginer des dieux. Des dieux et le kama-soutra dont le nom indique qu’il s’agit d’un canon religieux. Or, on n’a pas besoin d’un évangile pour se vider les bourses. Enfin, pas moi. Un bon numéro de Play Boy, c’est mieux que les invectives de Job.

Là, Onfray, il a du mal. Il s’adresse à des hommes, des lecteurs qui ont filé quelques euro à un libraire pour lire Onfray. C’est des clients avant d’être des lecteurs. Difficile de leur dire qu’ils sont au même plan que le lombric. Tu risques de les vexer. En plus, de manière sous-jacente, Onfray, il croit bien que l’homme c’est pas vraiment un lombric. Il croit que notre « humanité », c’est plus qu’une évolution qui nous a fait grossir le cerveau, qui nous a compliqué la machine neuronale au point qu’on n’y comprend toujours pas grand chose. C’est une règle : dès qu’on comprend pas, on convoque un dieu. Loin de nous, y’a des mecs qui bossent pour démerder l’écheveau. Leroi-Gourhan qui se demandait comment fonctionnent les interactions entre la main et le cerveau. Changeux qui veut comprendre comment nos neuro-récepteurs reçoivent ce que transmettent les neuro-transmetteurs. Jean-Didier Vincent qui laboure le champ de la mécanique des passions.

Faut dire que l’idéologie est lourde. Prends l’amour. Tu me fais bander parce que t’as de beaux yeux, tu sais. Et que quand je vois briller tes beaux yeux, la mécanique neuronale se met en route et produit quantité de substances qui vont m’emmener à t’acheter des fleurs et à te bêler des âneries. En face de cette mécanique que tu connais pas, y’a quelques siècles de poésies tendres, ô temps suspends ton vol et la très chère était nue. Vincent (ou Changeux), il a en face de lui Lamartine, Baudelaire et Hugo. C’est pas gagné.

L’homme n’est pas qu’une mécanique, vont dire les humanistes et les religieux. Et pourtant. C’est une mécanique complexe, plus complexe que le lombric. Tout passe par cette mécanique, nos amours, nos créations (lisez donc Raison et Plaisir de Changeux), nos sentiments. Tout ce qui fait l’humain n’est rien d’autre qu’une immense combinatoire de molécules, de protéines, des connexions électriques entre quelques millions de neurones. On n’y comprend rien ? Est-ce une raison pour inventer Dieu ? Et même, est-ce une raison pour inventer l’Homme ?

O ! l’amour d’une mère, bramait Totor Hugo. Ben, c’est des phéromones. Tout petit, tu as senti ces phéromones, elles correspondaient au plaisir, au nichon offert, à la bouffe, à la chaleur. Ces phéromones, elles sont inscrites dans ta mémoire. Chaque fois que tu fais la bise à maman, ce plaisir remonte. Après, tu l’habilles comme tu peux, avec les vers de Hugo, les leçons de morale de ton directeur de conscience et les raisons sociales qui font qu’on doit aimer sa mère. Moi, mes moments de plaisir, c’était avec mon grand-père qui fleurait bon le tabac froid et le Ricard.

Je suis bien sûr qu’Onfray se croit athée. Mais il ne va pas jusqu’au bout. Dieu est une invention de l’Homme, alors pour tuer Dieu, il faut commencer par éradiquer l’Homme. Et toute l’idéologie merdique qui va avec, l’amour du prochain et le refus de la mort. La connerie, c’est de faire croire qu’on peut aimer toute l’Humanité, avoir la compassion universelle et que ce que tu fais à un homme, tu le fais à toute l’Humanité. Ben non. La vérité, c’est que quand un Hutu éventre un Tsutsi, ça ne me fait pas mal au bide. Ni à moi, ni à aucun de ceux que j’aime. Dire qu’on en souffre, c’est juste une posture politiquement correcte. Une posture religieuse. Il l’a dit Jean-Claude : « Ce que tu fais au plus petit d’entre les miens… »

Et Onfray, il est politiquement correct. Paradoxal, pas adoxal. Politiquement correct avec juste un poil de provocation. C’est pour ça que Ruquier l’aime.

On en reparlera…..

PS : pour ceux qui ont pas compris, Jean-Claude (abrégé en J.-C.), c’est le mec d’après lequel on mesure le temps. 2012 après J.-C.

mardi 27 décembre 2011

GEOMETRIE VARIABLE

On le sait depuis longtemps, mais désormais on en est sûrs. L’Europe est à géométrie variable. On est 27, mais on fait des traités à 17, à 23, à ce qu’on peut comme on peut. Quand je dis des traités, c’est pas tout à fait vrai. C’est des projets de traités, c’est à dire des effets d’annonce. Vu qu’un traité, faut qu’il soit présenté au Parlement (le referendum, on oublie, trop risqué) et qu’il soit voté. Dans trois mois, si tout va bien.

Dans l’intervalle, on va se faire dégrader, la situation économique va s’aggraver, on refera des sommets. Entre nous, y’a tellement de sommets qu’on croirait une ligne de crête. Plus personne ne descend. Pour aboutir à quoi ? Les commentateurs le disent avec une gravité artificielle : le temps de l’économique n’est pas le temps du politique. Tu parles d’un scoop ! Le vrai scoop, c’est qu’il n’y a plus de temps du politique. Le politique qui devrait donner le tempo de la marche du monde reste à la remorque de l’économique.

Alors, ils disent tous la même chose, d’un ton grave, comme Manuel Valls, samedi soir chez Ruquier. Le PS est un parti responsable qui croit à l’économie de marché. Valls, il ne se rend pas compte que laisser faire le marché n’est pas responsable, mais totalement irresponsable. Parce que les marchés se foutent totalement de la vie des gens ordinaires tandis que la vie des gens ordinaires devrait être la priorité de tout parti politique responsable. Chacun a des priorités différentes et irréconciliables. Pas la peine d’avoir fait l’ENA pour s’en rendre compte.

Faut pas raconter (encore) des conneries. A 17, à 23, à 27, les préoccupations seront les mêmes. Comment assurer sa réélection ? N’imaginez pas un seul instant qu’un homme politique ait une autre priorité. Et n’imaginez pas un seul instant que vous soyez sa priorité.

Pour se faire réélire, faut juste un truc : du fric. On vient de l’entendre : Villepin, il a tout pour lui, sauf du fric. Si pas de fric, pas d’équipe (ben oui, les équipes elles sont grassement payées), pas de locaux, pas de panneaux 4 x 3, pas de photographes, pas d’avion pour aller de Sète à Lorient dans la matinée, pas de conférences de presse. Si pas de fric, pas de campagne.

Et qui donne le fric ? Les riches. Liliane Bettencourt à droite (et un peu à gauche aussi, on sait jamais), Pierre Bergé à gauche (et un peu à droite aussi), les mecs qui manipulent les rétrocommissions, les présidents africains. Tout ça, on le sait. Pas dans les détails, mais on le sait. Une campagne présidentielle, c’est payé par les riches, pas par les minuscules dons des minuscules électeurs.

Alors, quand t’es élu avec le fric des riches, tu fais une politique pour les riches. Que ce soit à Paris ou à Bratislava. Que tu sois de droite ou de gauche. Tiens, t’a qu’à regarder Séguéla. Il a pris du pognon avec Mitterrand, il en prend avec Sarkozy, il s’en fout, il sait que de toutes façons le gouvernement élu va faire plaisir aux grosses sociétés, c’est à dire à ses clients. Si mes clients vont bien, moi aussi je vais bien.

Faut pas croire, l’électeur de base, il le sent bien. Il le sent bien que Fabius, il a fait enlever les objets d’art de l’assiette de l’ISF parce que son papa était antiquaire. Fabius, il se gratouille pas l’Œdipe, il a pas envie de ruiner papa. Le citoyen de base sent bien que le patronat « de gauche », il est patronat avant d’être de gauche. Il sent bien que l’Europe est d’abord un fromage à eurodéputés et à pouvoir augmenté. Alors, l’électeur de base, il regarde vers les « petits candidats », ceux qui lui semblent pas baigner dans un fric insensé.

Les sondages, aujourd’hui, sont cruels. Les deux candidats dont on admet, en général qu’ils seront au second tour, totalisent 51% des intentions de vote. La moitié des électeurs. C’est pas beaucoup compte tenu de la débauche de moyens. Chaque apparition d’un « petit » vient gratter quelques électeurs. C’est pour ça que les deux gros, ils sont assis sur leur pactole de signatures. Pour que le jour de la lutte finale, il y ait moins de concurrence. Pour éviter les candidatures « fantaisistes ». Comme si les trotskystes étaient des fantaisistes ! Pour un trotskyste, y’a beaucoup de qualificatifs possibles, mais « fantaisiste » ne me paraît pas le plus juste.

Sûr que ça va se décanter, mais il y aura de toutes façons un premier tour avec plus de deux candidats. Les trublions, on va essayer de les dézinguer, mais ils vont engranger de toutes façons. 3 points ici, 5 points là, 20 points un peu plus loin. Au bout du compte, on va s’apercevoir que plus de la moitié des Français qui votent rejettent le pouvoir en place. Je vous rassure, les politiques s’en foutent. Le pouvoir en place, c’est eux, et tant que l’arithmétique électorale fonctionne……

Tiens, prends Bayrou. Il te parle d’union nationale. Il se rend pas compte que l’électeur de base, il en veut pas. Il a pas envie d’un gouvernement où on reverra encore les tronches de Juppé, de Copé, de Ségolène et de Jack Lang, sur la même photo. On prend les mêmes et on recommence. S’il était malin, Bayrou (mais un Béarnais malin, on en attend un depuis Henri IV), s’il était malin, il proposerait un gouvernement d’union de l’opposition. Il dirait, voilà, les deux gros, ils ont foiré depuis trente ans, on va faire une union de ceux qui pensent pas pareil en collant dans le même sac le Modem, Marine, Mélanchon et les électeurs de Poutou à qui je fais un gros poutou. Les trotskards avec les fachos ? Pourquoi pas ? Les trotskards avec les cocos ? Là, j’admets, y’a un pic à glace entre les deux. Mais un jour ou l’autre, il faut bien la rompre, la glace….

Faudrait qu’ils abandonnent quelques dogmes, les uns et les autres. Que Marine, elle trouve la CGT sexy, que François se dise que l‘Europe, c’est pas une bonne idée, que Poutou trouve que l’armée, c’est utile… Des choses comme ça. Mais ils sont pas obligés de parler des choses qui fâchent. Un but dans le temps, ça suffit. Cinq ans pour annuler la dette, refaire quelques usines, des trucs comme ça. Et une relance de l’Etat avec un poil de coercition. La plupart, le gros bâton, ça les effraie pas. A part François qui préfère murmurer à l’oreille des chevaux que manier la chambrière. La chambrière, c’est un fouet pour les chevaux, pas une employée d’hôtel, je parle de Bayrou, pas de DSK.

Bien sûr, je rêve. Bien sûr, ça finirait mal. Jean-Luc, il aurait envie de virer les mencheviks, Marine, elle penserait Nuit de Cristal, la mère Boutin, elle voudrait inscrire le catholicisme dans la Constitution. Y’aurait des baffes, mais au moins, on s’amuserait un peu. Le Top 14, c’est plus rigolo que les séances de nuit à l’Assemblée.

Bien sûr, je rêve. Je pense à un digne sénateur-maire, proche de Bayrou, à qui je reprochais un jour de ménager un de ses adversaires politiques. Il m’a répondu cette phrase magnifique : « Mon petit, avant d’être un adversaire politique, c’est un collègue sénateur ». Tout le sel de la phrase est dans l’adverbe de temps. Avant. Avant tout, on est des notables et on est d’accord sur l’essentiel. Que ça dure…

Peut-être que je ne rêve pas. On a déjà eu ça en 46 quand Maurice Thorez siégeait avec De Gaulle, tous unis pour reconstruire le pays que Vichy avait bouzillé. Tout le monde a fait des concessions et on a construit un système qui nous a donné trente ans de bien-être. Allez, chiche, Jean-Luc Premier Ministre de Marine ? Avec Dominique de... au Quai d'Orsay ? Et Poutou à la Défense ?

On en reparlera…..

jeudi 22 décembre 2011

LES ENFOIRES

Les enfoirés, c’est pas qu’un groupe de saltimbanques qui se sont autoproclamés ainsi par goût de l’antiphrase.

Non. C’est juste les mecs qui, au quotidien, font l’économie et le discours sur l’économie. Ceux qui manipulent les faits et font des présentations tronquées et utilisent des bouts de clichés mis bout à bout.

Les agents de sécurité prennent les voyageurs en otages. Faux. Quand tu fais grève, c’est pas l’usager que tu prends en otage, c’est ton patron. L’usager, c’est un dommage collatéral et, de toutes façons, c’est aussi un enfoiré, le plus souvent.

L’agent de sécurité, il est sous-payé pour se faire engueuler. La revendication, c’est 200 euro d’augmentation par mois, 8 euro par jour ! Un euro de l’heure, si tu préfères. Tu parles d’une menace ! En plus, si son patron lui en file 100, il va être content et reprendre le boulot. Pour ces 200 euro, il fait grève avant Noël et il a raison. S’il fait grève le 8 octobre, tout le monde va s’en foutre.

Soyons clairs : l’avion est un mode de transport de luxe. Si tu veux aller faire la bise à Tante Germaine à Bordeaux, t’as aussi le train. Pour aller te bronzer la couenne aux Seychelles, j’admets, c’est pas possible. Mais tu vas aux Seychelles parce que tu sous-payes l’avion. Tu veux pas le voir parce que ça t’arrange. Le mode de transport de luxe, à force de compagnies low-cost et de yield management, c’est devenu un mode de transport populaire. Et pour baisser les prix, vu que les infrastructures coûtent de plus en plus cher, que le pétrole ne baisse pas et qu’il y a de plus en plus d’intervenants, on utilise la seule variable d’ajustement possible : le salaire des minables. On touche pas trop aux pilotes, au nom de la sécurité des vols. Mais le soutier, le petit, le sans-grade, le bagagiste, le balayeur, lui, on le comprime. De toutes façons, il est pas qualifié. Pas qualifié, pas payé. Et toi, t’es tellement content d’emmener ta blondasse aux tropiques que tu trouves ça normal. S’il bossait gratos et que ça te permette de gagner encore trois euro sur ton billet, tu trouverais ça normal aussi.

Le coût de la sécurité, c’est vrai que tu le payes. C’est dans les taxes d’aéroport. Les compagnies s’en foutent, leurs promos, elles n’incluent pas les taxes d’aéroport. La taxe d’aéroport, c’est pas une taxe mais une redevance. C’est le montant que les compagnies payent à l’aéroport pour avoir le droit de décoller. Et l’aéroport, le plus souvent, il est privé. Aéroports de Paris (Roissy, Orly), c’est une société privée (privatisée par Sarkozy en 2005) cotée en Bourse. Certes, l’Etat est majoritaire (60% environ) mais le fonctionnement est de type privé.

Alors, là, ça devient très simple. Si c’est privé, l’Etat facture la sécurité. Au prix du gendarme de base, pas mal payé, avec plein d’avantages, et de la formation. Trop cher, dit le privé qui fait appel à des entreprises de sécurité. Il a le droit, c’est plus l’Etat. L’employé de sécurité de base, il a pas le port d’armes, ni les chiens renifleurs d’explosifs, en fait il a rien, que de la bonne volonté et l’envie de bosser. Et voilà un poste de dépenses en baisse, ce qui signifie du pognon pour l’actionnaire. Mais l’actionnaire, c’est l’Etat. Ben, plus officiellement. Si l’aéroport était public, l’Etat faudrait qu’il assure la sécurité qui est une de ses missions régaliennes. C’était comme ça avant. Avec la privatisation, l’Etat il peut remplacer le gendarme par un employé de sécurité. T’as compris ? C’est du bonneteau. Juste pour baisser les coûts. Au lieu d’embaucher des gendarmes, l’Etat fait embaucher des chômeurs à peine qualifiés par une société privée qu’il contrôle en sous-main.

La sécurité est la même ? Pas sûr. Mais c’est pas grave. S’il y a un bug, la responsabilité, c’est plus l’Etat, c’est l’entrepreneur privé. Tout bénef, je vous dis. Et puis, des attentats, y’en a pas tant que ça.

Alors, aujourd’hui l’Etat s’énerve et le Président pique une crise. Le Président qui a transféré les prérogatives de l’Etat au privé hurle parce que l’Etat est impuissant. Hé ! Nicolas, si t’avais pas remplacé les gendarmes par des salariés lambda, t’aurais pas de grève vu que les gendarmes, ils ont pas le droit de faire grève. Tu peux pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Celui qui a pris les Français en otages, c’est toi. Tu veux du privé partout ? Tu vas avoir les emmerdes du privé partout.

Le problème, c’est que nous aussi. Pourquoi la SNCF doit refaire ses horaires ? Pour laisser des créneaux aux compagnies privées. Pourquoi le gaz augmente deux fois par an ? Pour que Suez puisse engranger des bénéfices. On est pas au bout, je vous le dis. Tiens, la privatisation du contrôle aérien, les aiguilleurs du ciel. On n’en parle plus trop. Vous savez pourquoi ? Parce que les fonctionnaires chargés du dossier ont jugé que c’était trop dangereux. Alors, on laisse reposer le ragoût. Jusqu’à ce qu’on trouve de nouveaux fonctionnaires, plus dociles.

L’Etat se désengage. Pour tous les gogos, c’est une bonne nouvelle. La plupart des Français, ils bossent dans le privé et ils font des vannes sur les fonctionnaires. Le désengagement de l’Etat, ça leur laisse croire que ça va être du boulot pour eux. Et qu’ils feront mieux que les fonctionnaires. Mais c’est pas vraiment le boulot qu’ils imaginent. Quand il y en a. L’Etat se désengage de Renault ? Renault s’installe en Roumanie et on importe des bagnoles au lieu d’en exporter. L’Etat se désengage du courrier ? La Poste supprime quelques milliers d’emplois et tu vas payer des chômeurs plutôt que des facteurs.

L’Etat assumant ses fonctions, contrairement à ce que tu penses, c’est pas du communisme larvé. C’est juste son boulot. Notre énergie, notre transport, notre sécurité, c’est le boulot de l’Etat. Curieusement, plus il se désengage, plus il coûte cher. Il s’occupe moins de l’industrie, moins de l’énergie, moins du commerce mais on a plus de ministres au gouvernement que sous le vieux Général. Soit ils sont moins bons, soit ils sont plus fainéants. Ou les deux à la fois. Tu me crois pas ? Le gouvernement Debré, de 1958 à 1962, y’a 26 ministres et secrétaires d’Etat. Le gouvernement Fillon, en 2012, ils sont 33. Et Debré, fallait qu’il gère les colonies et la guerre d’Algérie.

Bon, à l’époque, tu payais l’avion cinq à six fois plus cher que le train. C’était la seule différence vu que les deux étaient à l’heure. Aujourd’hui, tu payes le même prix et les deux sont en retard. On vit une époque formidable, disait Reiser.

On en reparlera…..

samedi 17 décembre 2011

LE DROIT AU BLASPHEME

Jean-Michel Ribes est un zozo, un vieux clown un peu minable. Il s’arroge le droit au blasphème et il a raison. Le blasphème n’est pas un délit dans une République laïque.

Alors, il se moque du Christ. Et il a bien raison. Ce mec qui marche sur l’eau et qui multiplie les petits pains, c’est pas très catholique. Une poignée de catholiques intégristes se réunit devant son théâtre et Ribes la joue indigné, quasi-martyr, devant les caméras de télé. Même qu’on a trouvé un cutter sur un mec un peu douteux. Un cutter ! Vous vous rendez compte ? Ils viennent armés.

OK. Mais c’est pas si courageux que ça. Ribes, y’a des pseudo-dieux et des pseudo-prophètes qu’il se garde bien de toucher. Mahomet, par exemple. Pourquoi il nous monte pas une pièce bien salace sur Mahomet, une pièce qu’il pourrait écrire lui-même, il a le talent pour ?

Ben non. Là, ça coince. Charlie-Hebdo, on leur a foutu le feu pour moins que ça. Ribes, il sait bien que s’il touche au Prophète, son théâtre, il saute. Et lui, il peut se retrouver avec une bastos dans le crâne. Courageux, mais pas téméraire. C’est pour ça que je le trouve minable. Quand tu fais de l’alpinisme, tu grimpes pas la face nord de Montmartre. C’est l’Everest ou rien. Tu te mets en jeu. Le vrai courage, c’est quand il y a un vrai danger.

C’est facile, je trouve, de taper sur les chrétiens. Y’en a plus beaucoup et ils sont plutôt pas trop agressifs. Leur clergé, c’est pas des militants, mais des mecs plutôt cool. T’es pas marié mais si tu veux faire baptiser ton gosse, ils t’emmerdent pas. Ils s’excitent sur des trucs pas trop graves, et de toutes façons tout le monde s’en fout. On râle après le Pape mais on met la capote. Il faut bien le dire. Pour un athée, l’Eglise catholique, c’est plus trop un problème. On a mis deux siècles, il a fallu faire quelques lois, expulser un peu, nationaliser un chouïa (l’école en face de chez moi, c’est un temple protestant confisqué en 1905), brûler quelques presbytères, mais, l’un dans l’autre, on y est arrivé. Je sais : nationaliser, brûler, expulser, confisquer, c’est pas des mots gentils. Faut savoir ce qu’on veut, coercition c’est pas un gros mot. Mais, dans l’ensemble « l’infâme » comme disait Voltaire, on s’en est débarrassé. T’as qu’à rentrer dans une église, tu verras. Ou alors, tu vas un dimanche à la basilique de St Vincent de Paul. Les soutanes et les cornettes, c’est que du catho d’importation, black, tamoul ou latino. Faut bien compenser la crise des vocations européennes.

Le combat est plus là. D’accord, faut pas mollir. Faut surtout pas confondre. Moi, je suis religieusement athée et culturellement chrétien. Je crois pas en Dieu (même si je lui mets une majuscule, c’est comme ça qu’on distingue le dieu des religions monothéistes, c’est pas de la Foi, c’est de la typographie) mais je baigne dans le christianisme. Bach, c’était un cul-bénit, comme Racine. Architecture, musique, peinture, littérature, le petit Jésus est partout. Ce sont des traces historiques, on va pas les enlever. Et même, il faut les protéger. Pas comme traces religieuses, comme traces historiques. Même dans la langue, y’en a. Quand tu dis que tu vas sonder les reins et les cœurs, c’est tiré de la Bible. T’avais oublié ? Faut pas. L’Histoire, c’est précieux.

Le problème, c’est qu’on a le sentiment que le rejet du christianisme, il va de pair avec l’adoption des autres religions. Le mec, il va plus à l’église le dimanche pour pas faire comme son papa, mais il vénère le Dalaï-Lama. On discute plus ad nauseam sur les Evangiles, mais on dissèque les sourates du Coran. Tout ça, parce qu’on « veut comprendre ».

Ho ! les mecs ! Réveillez-vous ! Y’a rien de plus à comprendre. Toutes les religions fonctionnent pareil. Toutes, elles te promettent que tu vas pas vraiment mourir parce qu’à l’idée de clamser tu te chies dans les frocs. Après, y’a juste les détails qui changent. Le Paradis, ou la réincarnation, ou la survie de l’âme. Tout ça, c’est pareil. Un truc pour t’enlever la trouille. Parce que t’as la trouille. Tu l’avoues pas, mais t’en crèves. Et puis, c’est dur pour l’ego de se dire que le monde va fonctionner pareil quand tu seras plus là.

Le second étage de la fusée, c’est que pour pas vraiment mourir, faut que tu te comportes bien sur Terre. Là, les boîtes à outils divergent. Faut pas mettre de capote, faut pas manger de cochon, faut raser les cheveux de ta gonzesse, faut faire des aumônes (surtout au clergé que t’as choisi, ça aide). Les prescriptions sont innombrables, chacun les siennes. Plus ta religion est rustique, plus elle va dans les détails. Le juif ou le musulman, il t’interdit le cochon, le tupinamba il veut pas que tu bouffes de l’anaconda. Là, c’est facile, l’anaconda, y’en a pas au marché de Mont-de-Marsan. La religion tupinamba a de l’avenir dans les Landes. Ou le Gers.

Le dernier étage, c’est les rapports avec le politique. Pour pas vraiment mourir, faut que tu votes pour les gouvernements que ton curé t’indique. Je dis curé, ça peut être rabbin, imam ou bonze. Faut pas se gourer. L’Iran d’Ahmadinejab, c’est juste la France de Napoléon III. Ou le Tibet du Dalaï-Lama. Faut voter pour le chef qui protège ta religion. Forcément, ça exclut ceux qui sont pas de la religion du chef. Le côté du manche.

Cherche bien, réfléchis bien, toutes les religions fonctionnent comme ça. Avec des nuances, plus ou moins simples, plus ou moins complexes. Nuances que les gros bourrins religieux oublient. Dans les mecs qui prient devant le théâtre de Ribes, je voudrais savoir combien ont lu Augustin, Jérôme ou Pacôme. Pour savoir, va regarder les chiffres des ventes du rayon « Patristique » dans une librairie religieuse. Librairie religieuse parce que dans une librairie ordinaire, on te vend Matthieu Ricard mais pas St Augustin. Je voudrais savoir combien de fondus du yoga connaissent la pneumé de St Jean Chrysostome qui en est le pendant chrétien.

Parce que ça, c’est le dernier point. Capital. Les religions aiment les ignorants. Moins t’en sais, plus t’es malléable. Moins t’as lu, moins t’as réfléchi, plus t’es convertissable. Tu fais semblant de réfléchir, mais tu t’empresses de ne pas lire ceux qui ont réfléchi avant toi. Comme m’a dit un copain bou-bou (bourgeois-bouddhiste), c’est trop prise de tête. Faut dire que le mec, il fait chier tout le monde avec le Dalaï-Lama, mais il a jamais lu un soutra. Il écoute béatement son gourou. He bé ! te prends pas la tête. Tu as la foi du charbonnier. Expression chrétienne qui fonctionne aussi avec les autres religions et qui veut dire, admirativement, que moins t’en sais meilleur t’es, question religion. Laisse donc le curé (ou l’imam, ou le rabbin, ou le bonze) penser pour toi.

Je vois pas pourquoi je m’énerve. Relisez Voltaire.

On en reparlera….

vendredi 9 décembre 2011

CORRELATION ET CAUSALITE

Je vais être chiant. Vous avez le droit de quitter cette page.

Un article du Monde m’apprend que Claude Bernard a désormais un concurrent : Google. Google a provoqué une révolution épistémologique qui est en train de rendre caduque la méthode hypothético-déductive théorisée par Claude Bernard à partir de sa découverte de la fonction glycogénique du foie.

L’auteur de cette thèse est un mec sérieux et que j’aime bien : Chris Anderson. La thèse est simple : « Avec suffisamment de données, les chiffres parlent d’eux-mêmes ».

Ce n’est pas nouveau et on en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2011/02/un-et-les-autres.html). C’est juste l’aboutissement de la pensée dominante américaine selon laquelle la technologie est nécessaire et suffisante pour faire avancer la connaissance.

Alors, faisons ce qu’Anderson refuse de faire. Regardons quel est le lieu de parole de l’auteur. Informaticien, Chris Anderson est un spécialiste du e-commerce. Un épicier moderne, un mec qui a passé sa vie à analyser avec pertinence nos comportements commerciaux. De ce savoir purement mercantile, il affirme pouvoir tirer une philosophie et une épistémologie qui vont s’appliquer à tous les domaines du savoir.

C’est dit crûment : « La philosophie fondatrice de Google est que nous ne savons pas pourquoi cette page est mieux que celle-ci : mais si les statistiques des liens entrants disent qu’elle l’est, c’est bien suffisant. Aucune analyse sémantique ou de causalité n’est nécessaire ». Exeunt le sens (la sémantique) et la causalité : la quantité suffit. Dans le commerce, c’est parfaitement exact. Mais ce n’est exact que dans le commerce. Chris Anderson met sur un pied d’égalité Claude Bernard et Aristide Boucicaut. C’est gonflé ! Ceci dit, c’est normal : les épiciers aiment la pensée des épiciers. On appelle ça le poujadisme.

Anderson se met ensuite à dériver : grâce à ses corpus de données, Google peut traduire du klingon en farsi aussi facilement qu’il peut traduire du français en allemand. Rappelons que le klingon est une langue imaginaire utilisée dans Star Trek et que son corpus littéraire est limité. Google peut aider à traduire une notice de tondeuse à gazon, et encore pas très bien. Tous ceux qui ont utilisé les outils de traduction de Google connaissent leur pauvreté et leur médiocrité. Faites le test : essayez de traduire un vers de Shakespeare, vous verrez. Chris Anderson s’en fout : Shakespeare n’est pas un marché et surtout pas un marché publicitaire.

Après, on touche au délire. Anderson utilise l’exemple de Craig Venter lors du séquençage du génome. Américain jusqu’au bout des ongles, Anderson oublie que les techniques de Venter ont été mises au point par Daniel Cohen au Généthon. Américain et moderne : les sources importent peu et les sciences n’ont pas d’histoire. Utilisant les techniques de Cohen, Venter s’est mis en tête de publier toutes les séquences génomiques possibles. C’est en fait assez simple : on utilise des algorithmes pour produire des gènes théoriques dont on ne sait rien et surtout pas s’ils existent. James Watson, le découvreur de l’ADN, affirme qu’un singe pourrait faire ce travail et c’est assez juste. Venter va jusqu’au bout en prétendant que chaque séquence génomique ainsi trouvée par ses machines doit représenter une espèce nouvelle.

Bien entendu, c’est complètement faux. Pour qu’une espèce puisse exister, il ne suffit pas qu’elle ait un génome particulier. Il faut aussi que ce génome lui permette de vivre (condition 1) avec les conditions écologiques dans lesquelles il est apparu (condition 2). Il est certain que des dizaines de milliers de génomes séquencés par Venter sont déjà apparus sur Terre depuis des millions d’années que les gènes mutent, puis ont disparu soit tout bonnement parce que leur combinaison était léthale (condition 1), soit parce qu’ils n’apportaient aucun avantage évolutif dans les conditions écologiques de leur apparition (condition 2). Et donc, on s’en fout. Ils n’ont aucun intérêt en tant que génome c’est à dire en tant que moteur de l’évolution. La base du génome, c’est sa survie puisque sans elle, il ne peut plus muter. Et que, par voie de conséquence, les milliers de génome issus de sa mutation n’apparaîtront pas. Sauf dans la bibliothèque de Venter ce qui suffit à prouver l’inanité de son travail.

Anderson se trompe et un point suffit à le prouver. Voilà des dizaines d’années que les météorologues compilent des milliers de données et les moulinent dans les plus gros ordinateurs disponibles. En trente ans, nous sommes passés de la prévision à trois jours à la prévision à cinq jours, et pas toujours fiable. L’accumulation des données n’a pas permis de mettre en place les modèles pertinents. Pire même : de cette accumulation n’est sorti aucun modèle. Rien ne s’est dégagé. Attendons cependant : si Anderson a raison, ça arrivera peut-être un jour. On reste en droit de douter.

Anderson a raison sur un point : les deux voies de recherche sont inconciliables. On en a parlé six mois avant Le Monde mais on aurait pu en parler plus tôt encore. L’article d’Anderson me donne raison, ce que je craignais. Il n’y aura pas de retour en arrière. La voie décrite par Anderson est la voie de la facilité. On délègue aux machines le soin de tracer les chemins de la réflexion. En écrivant ça, j’ai bien conscience de la dimension morale que j’affecte à la question. La voie de la facilité. C’est du langage de curé. Mais, je n’en ai pas d’autre à ma disposition.

Le conflit est générationnel. James Watson, c’est ma génération. Les gens de ma génération apprécient les outils informatiques mais continuent à réfléchir comme au XIXème siècle. Les jeunes générations s’appuient sur l’outil pour réfléchir. Je peux araser une butte qui gêne ma vue avec une brouette. Je le ferais mieux et plus vite avec un bulldozer. Sauf que la mise en œuvre du bulldozer, son transport sur les lieux, les coûts que cela suppose peuvent rendre économiquement stupide son utilisation. Auquel cas, je peux renoncer à araser la butte. Ce faisant, je soumets une question esthétique (ma vue est gênée) à une contrainte économique. La quantification à outrance n’est rien d’autre que l’affirmation de la primauté de l’économique.

On en a déjà passé les prémices. Il existe une classification des maladies en fonction de leur occurrence. En deçà d’un certain seuil, la maladie est dite « orpheline ». En clair, il n’y a pas assez de malades pour justifier d’un effort économique. Pour les zélateurs d’Anderson, cela signifie qu’il n’y a pas assez de données pour que l’outil soit performant. Ils n’imaginent pas que la maladie orpheline puisse servir de clef à la compréhension de maladies non orphelines.

C’est un conflit générationnel, c’est à dire un conflit de civilisation. La génération Venter veut balayer la génération Watson. Ajoutons que Venter plait à Anderson car il brevète à tour de bras les séquences génomiques découvertes par ses machines. Ce faisant, il est cohérent, fonctionnel et utilitariste. C’est un épicier du vivant comme Anderson est un épicier de l’algorithme.

Anderson nous donne donc deux clés du monde en construction : la première, on la connaissait déjà, c’est l’absolue primauté de l’économique qui est en train d’envahir le dernier territoire préservé, la recherche scientifique. La seconde, c’est le désir de la génération montante d’éradiquer les modes de réflexion de la génération au pouvoir. Conflit parfaitement dialectique et donc marxiste. Rodrigue ne fonctionnait pas autrement et Doubrovsky l’a parfaitement montré.

Mais on a de la chance. En face de ce modèle purement américain, nous avons un modèle contraire, chinois. Même si l’on veut admettre que la Chine n’est pas marxiste, on se doit de souligner deux points. Le premier est que le politique y prime sur l’économique. Le second est que le conflit générationnel n’y existe quasiment pas car la Chine vénère l’âge et l‘expérience. On peut relire Javary pour s’en convaincre. Un troisième point pourrait être l’ancrage dans le réel d’une civilisation dégagée de la religion mais pas de la spiritualité, alors que l’autre, profondément religieuse et fort peu spiritualisée, s’obsède sur le virtuel

Face à face, front contre front, deux modèles de civilisation s’affrontent. Tout les oppose. Laquelle vaincra ? Car ne nous leurrons pas, il s’agit d’une bataille pour la domination du monde.

Les événements les plus récents nous donnent quelques indications. Les armées capitalistes sont bloquées devant le Stalingrad de la crise financière. Les états-majors accumulent les données mais aucune solution ne sort des batteries d’ordinateurs mal programmés. Les enfants d’Anderson s’envoient des statistiques à la figure. Les yield managers lissent des chiffres en espérant que Google fera apparaître la solution et l’enverra sur nos smartphones. Pour y aider, ils vont mettre des bougies devant la photo de Steve Jobs. Bougies livrées avec les Smartphones par les fabricants du Guangdong.

On va bien voir comment ça finira…