mercredi 1 décembre 2010

CE BRAVE RENE

J’ai de la tendresse pour ce brave René. Descartes. C’est quand même l’inventeur de l’informatique : « Diviser chacune des difficultés que j’examinerai en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour mieux les résoudre ». C’est simple : tu prends un gros problème et tu le découpes jusqu’à arriver à la question à laquelle on ne peut répondre que par 0 ou 1. D’accord : c’est une grosse découpe. Longue. Difficile. Mais c’est bel et bien la base de l’informatique.

Le bécasseau de base, il dit : « tout n’est pas noir ou blanc, le gris existe ». L’informaticien, il reprend la vieille technique des photograveurs et il te dit : « Au bout du bout, un pixel c’est noir ou blanc. Après, si tu les mélanges, t’obtiens du gris. Tous les gris. Ça dépend juste du pourcentage des pixels noirs et blancs ». Au fond, ça revient au même que Delacroix mélangeant du noir et du blanc pour avoir du gris.

Et les couleurs ? Pareil. Houah, l’autre, il sait bien qu’une image informatique, c’est trois couleurs mini : RVB pour Rouge Vert Bleu. Ben, c’est pareil, grâce à Boole. Le pixel, on l’analyse avec des SI et des SI NON. Si pas Rouge, alors Vert ou Bleu. Et si pas Vert, alors Bleu. Au bout de l’analyse, on retrouve 0 et 1. Les couleurs, c’est 0.0, 0.1 et 1.1. Toutes les couleurs. Même celles que tu peux pas percevoir.

D’accord, c’est compliqué. Ça passe par des algorithmes monstrueux avec des centaines de milliers de lignes.

D’accord, c’est agaçant. Ça laisse pas bézef de place au libre arbitre ou au hasard. L’argument final, c’est que c’est inhumain. Ou froid. En fait, ça veut surtout dire que ça laisse pas beaucoup de place au délire.

Tiens, mon addictologue préféré. Il m’a raconté des trucs. Le matin, quand je me réveille, mes neurones, ils se tendent vers les neuro-récepteurs qui leur font face. Horreur ! Les neuro-récepteurs sont vides. La norme, pour mes neurones, c’est d’y trouver une molécule de nicotine. Alors, ils s’énervent, ils envoient des ordres dans tous les sens, je tremble, je fouille mes poches, j’engueule ma femme. Jusqu’à ce que j’envoie enfin un peu de nicotine sur mes neuro-récepteurs. Tout ça, les tremblements, la hargne, l’angoisse, ça vient juste d’une porte fermée alors qu’elle doit être ouverte. Ou le contraire. C’est bêtement binaire. Et tout mon comportement, c’est des milliards de choix binaires vu que mes neurones, le seul truc qu’ils savent faire, c’est envoyer ou ne pas envoyer des mini-impulsions électriques. Soit ils envoient, soit ils envoient pas. 0/1. Ou 1/0, c’est pas un match de foot, le premier chiffre importe peu.

OK, dis-je à mon addictologue. T’as plus qu’à régler ce problème. Là, ça va plus. L’impulsion de base, il connaît. Les milliards d’actions qui suivent, il est moins à l’aise. Normal. Il y en a vraiment beaucoup. Je peux comprendre, mais lui, ça l’agace. Il est neuro-psy, il a fait plein d’années d’études, c’est pas pour que je le traite comme un garagiste ou comme un plombier. Alors, il discourt. Et au bout du discours, il va me sortir le mot magique : « volonté ». Je dis pas magique pour rire. Il sort de la pensée rationnelle pour tomber dans la pensée magique. Volonté, c’est connoté morale. Depuis la Grèce ancienne, « volonté » c’est positif. C’est pas ça que je lui demande à l’électricien de la matière grise. Je lui demande pas de me culpabiliser vu que mon manque de volonté, c’est pas bien au regard de la morale ambiante. Je lui demande simplement de changer les branchements. Lui, il ferait la gueule si son électricien lui disait de supporter l’eau froide plutôt que de réparer le chauffe-eau. "Un peu de volonté, que diable !" Il changerait d’électricien. Je change pas d’addictologue parce que les autres me diraient la même chose et que celui-là, je l’aime bien avec son crâne dégarni et ses addictions. Comme c’est un copain, je les connais ses addictions.

Tout ça pour dire que le système cartésien, il est vachement bien. On découpe, on découpe, on analyse, on va chercher la plus petite partie possible qu’on puisse comprendre. Quand on découpe, c’est binaire. C’est pour ça que je suis binaire. Parce que ce fonctionnement, quand je l’ai découvert vers mes seize ans, m’a paru lumineux. Parce que j’ai trouvé ensuite des gens qui l’appliquaient avec succès dans la linguistique que j’étudiais. Une consonne, elle est sourde ou sonore. Un gond n’est pas un con. Même si parfois, les gonds c’est con et si les cons vous font sortir de vos gonds.

L’étude du sens, c’est comme l’étude des neurones. On découpe, on fonctionnalise, on arrive à discriminer les phonèmes, et après ? Après, c’est tout simplement compliqué. Mais c’est pas parce que c’est compliqué qu’il faut arrêter. C’est pas parce que c’est compliqué qu’il faut inventer des pseudo-explications globalistes. C’est pas parce qu’il y a des erreurs d’application qu’il faut jeter le mode d’analyse.

Prenez Chomsky. La calamiteuse icône de la nouvelle gauche américaine. Dans les années 60, Chomsky travaille sur les problèmes de traduction automatique. Pas oublier qu’il est au MIT, un institut de technologie. Ce qu’il cherche, c’est une application, une technologie. Les instruments dont il dispose sont insuffisants. La traduction automatique, c’est tout simplement impossible. Suffit de demander une traduction à Google pour comprendre. Peu lui chaut. Il invente une grammaire universelle, rien de moins, qu’il appelle « grammaire générative ». Ça ne marchera pas parce que c’est un bricolage empirique. Parce que les connaissances théoriques sont insuffisantes. Il va finir par inventer un concept révolutionnaire (un de plus !) qui est l’agrammaticalité. Un énoncé est-il grammaticalement correct et donc interprétable ? Alors que ça n’a rien à voir. Un énoncé peut être grammaticalement incorrect et pourtant interprétable. Ça s’appelle la poésie. Quand Queneau écrit « doukipudontan », c’est parfaitement incorrect et parfaitement interprétable. Ceci dit, peut-on demander à un prof de technologie américain de prendre en compte l‘énoncé poétique quand son souci est de gagner de la productivité sur les traductions. Ce qui sous-tend la pensée de Chomsky, c’est Hewlett-Packard contre Claude Couffon ou Maurice Coindreau. Après, il vient se poser en penseur de gauche alors qu’il n’a jamais été qu’un valet du capital, comme on disait aux heureux temps où le style comptait en politique.

HP contre Couffon, c’est encore une opposition binaire. Mais une opposition qui rend compte. Les oppositions binaires, ça rend compte de tout. Et même du Cid. Il suffit que ce soit Serge Doubrovsky qui s’y colle. Lisez donc Corneille et la dialectique du héros. Dialectique, deux discours qui s’opposent. Une opposition binaire, en quelque sorte.

On en reparlera…

1 commentaire:

  1. Salut à toi, sauvage central !
    Cessons de couper les cheveux en quatre. A seize ans, plutôt que de t’émerveiller devant des théories quasi-mythologiques, tu aurais mieux fait de te documenter et ouvrir les yeux sur le monde qui t’entourait. Non, parce que Descartes et Boole, c’est bien mignon, mais il y a les autres (on en revient toujours là). Depuis la logique cartésienne, on inventé la logique floue, tu sais bien, celle qui va au-delà du OUI et NON, celle qui envisage l’existence d’un peut-être, décliné lui-même sous de nombreuses formes…1965. Tu avais quinze ans. Fallait t’offrir Zadeh, plutôt que de faire des papouilles au vieux René.
    Si j’étais binaire, je me contenterais de m’opposer à toi, géographe amidonné. Je te parlerais de Gassendi ou d’Epicure, par exemple. En même temps, si j’étais binaire, et si tu l’étais aussi, on ne discuterait pas. Il n’y aurait pas de mots, pas d’opinions, pas d’œil géopolitique, pas de bytes. Y aurait que des bits. Bof. Ce que je t’explique, c’est que ta découpe, encore une fois, n’a aucun sens. Les actions élémentaires n’existent pas dans la nature. Elles ont été inventées par l’Homme, justement pour modéliser la nature. Ce qui fait sens, c’est la complexité qui émerge de la combinaison d’actions élémentaires. Prends les fourmis. Une fourmi qui fait un truc toute seule dans son coin (ou qui ne le fait pas), ça n’a pas de sens. Elle est et agit pour l’ensemble, pour le nombre. Tes neurones, c’est pareil, ton comportement n’est pas lié à l’action d’un seul neurone, mais au fonctionnement en réseau de millions d’entre eux.
    Bon c’est chiant tout ça, je vulgarise : T’es un HP ou pas. Et en l’occurrence, gérontobibliophile de mon cœur, tu l’es pas. Tu es humain.
    Après avoir joué au scientifique, tu t’es attaqué à la langue. « Une consonne est sourde ou sonore ». Ben merde alors, elle est sacrément incomplète, la leçon, Maître de Philosophie. M. Jourdain eût été peu rassasié de savoir. Et les précisions sur les modes et les lieux d’articulation ? la consonne p, elle est sourde, orale, occlusive et bi-labiale. C’est un peu plus intéressant que de dire « ben ouais, le p, les cordes vocales elles vibrent pas ».
    Géographe voyageur, comment diantre peux-tu, toi, faire tabula rasa de la diversité, des différences et partant de l’abondance et de la richesse des choses ? Toi qui te poses en dieu, avec ton œil sur le monde et les hommes, tu nous ponds un article dans lequel tu pixellises tout. C’est une idée qui peut séduire sur le papier, mais qui est totalement inepte dans le réel. Un routard a besoin de prendre de la hauteur. Il avance avec son regard, parfois des lunettes, jamais avec un microscope, ou alors il se casse la gueule sur le chemin.
    On en reparlera…

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