mardi 21 juin 2011

LE CENS DE L'ETAT

Ha la la ! La Grèce est en danger. En danger de quoi ? En danger de faire faillite affirment les commentateurs. Affirmation purement littéraire. Un pays peut-il faire faillite ? A l’évidence, non. Faire faillite, c’est cesser d’exercer une activité et voir ses actifs et ses dettes vendus à la barre. C’est cesser d’exister. Un pays peut-il cesser d’exercer ou d’exister ? Peut-on mettre le Portugal au Tribunal de Commerce où l’Espagne (par exemple) le rachèterait ? Non, à l’évidence. Un pays a toujours la possibilité de dire à ses créanciers : « Je t’emmerde, je te rembourse pas, tu as tout perdu ». On l’a déjà vu : songeons aux emprunts russes. Un pays est souverain.

Evoquez cette hypothèse. Vous n’avez aucune idée du nombre de conneries que vous allez entendre. Toutes tournant autour du même thème : les marchés financiers. N’oubliant qu’une chose : si la Grèce refuse de payer, personne n’ira lui faire la guerre et tout le monde s’en démerdera. Comme pour les emprunts russes.

La richesse d’un pays, c’est le cumul de la richesse de ses habitants. Logique : l’Etat vit de ce qu’il ponctionne aux citoyens. Plus l’impôt rapporte, plus le pays est riche, plus il peut investir et dépenser. Or, le mécanisme de base du libéralisme, c’est d’appauvrir le citoyen pour enrichir les grands groupes. Ce serait fonctionnel et on pourrait l’admettre s’il y avait transfert de la fiscalité. Le manque à gagner sur les citoyens appauvris serait compensé par l’augmentation des impôts des sociétés enrichies. Mais, bien entendu, ce n’est pas comme ça que ça marche. Les sociétés font de l’optimisation fiscale et ne payent pas les impôts qu’elles devraient payer. Alors, forcément, ça bloque. L’Etat perd sur tous les tableaux. Ce qui me fait hurler de rire, c’est que les libéraux qui organisent de la sorte l’appauvrissement de l’Etat sont les premiers à parler de faillite.

Ce mécanisme est bien connu et bien analysé par de jeunes économistes comme Thomas Piketty ou Bernard Maris, des mecs bardés de diplômes, enseignants de haut vol. Pas des citoyens lambda comme moi. Maris, ça fait plus de dix ans qu’il décortique patiemment les mécanismes de l’économie libérale. Il a tellement conscience de sa solitude qu’il a appelé son livre Anti-Manuel d’Economie. Pour quoi Anti ? Parce qu’il s’oppose à la doxa ce qui est une position toujours intenable. On brûle facilement les penseurs solitaires. Il a le sens des mots, quand même : il aurait pu parler de manuel d’anti-économie.

Ce mécanisme n’a de sens que dans une perspective historique. Renault, par exemple. Ou Sud-Aviation. Ou Elf-Aquitaine. Des boîtes nationalisées. Pendant vingt ou trente ans, l’Etat a investi. L’Etat, c’est à dire le contribuable. L’Etat a investi pour créer une industrie aéronautique ou automobile capable de se confronter à la concurrence internationale. Mais aussi pour conserver des emplois, préserver la paix sociale, faire son boulot régalien. Les libéraux de tout poil hurlaient. C’était pas rentable. Financièrement, non. Socialement, c’est autre chose. Il y a deux manières de payer un mec à rien faire et le chômage en est une. Le mec qui a un job pas rentable, il existe plus qu’un chômeur, il ne se désocialise pas, il conserve un logement et une dignité. On ne gouverne pas un pays comme une entreprise.

Quand Renault et Sud-Aviation sont arrivés au bout de leur investissement et ont commencé à bouffer des parts de marché, l’Etat les a refilé au privé. Le privé qui ne pense que marché mondial, le privé qui n’a aucun sens de la Nation. Le privé qui délocalise, qui ferme les usines au nom du cost-killing, belle formule abstraite cachant une réalité cruelle. Le seul coût sur lequel on peut agir, c’est l’emploi. Un cost-killer ne connaît qu’une arme : le plan social. Le vrai nom devrait être job-killer.

Alors, aujourd’hui, on s’indigne que Total ne paye quasiment pas d’impôts en France. C’est d’autant plus gonflant que Total vit sur les champs pétroliers découverts par Elf-Aquitaine grâce à nos impôts. Tes parents ont investi et t’en vois pas la couleur. T’as le droit de te sentir baisé.

Les Grecs se sentent baisés. Baisés et méprisés avec des remarques allemandes sur leur prétendue fainéantise, par exemple. La grosse vache Merkel, elle devrait réfléchir avant de dire des conneries. Parce que les banques ont prêté aux fainéants, y compris les tant sérieuses, tant travailleuses banques allemandes. Quand tu prêtes à un fainéant, tu t’exposes à pas être remboursé. Tant pis pour ta gueule. Fallait t’en apercevoir avant.

J’aimerais bien que les Grecs reprennent leur souveraineté. Qu’ils nous fassent le coup de l’emprunt russe. On va pas en mourir : personne n’est mort du non-remboursement des emprunts russes. Les seules vraiment en danger, c’est les banques privées. Parce que les dettes d’Etat à Etat, on s’en arrangera bien. On allongera les délais de remboursement, on baissera les taux, bref, on trouvera des solutions. Les banques privées, c’est autre chose. Certaines risquent d’en mourir.

Et alors ? Qu’est-ce que ça change à ma vie que ma banque fasse faillite ? Honnêtement, rien. Une banque privée qui disparaît, c’est un commerçant qui ferme. Un gros. Justement, comme il est gros, on trouvera bien des solutions.

La nationalisation, par exemple. Je suis sûr que ça plairait bien au peuple. L’Etat reprend les créances grecques et se paye en actions de la banque. Après, il fait le ménage et va voir si, par hasard, il n’y aurait pas du fric planqué dans les paradis fiscaux.

Seulement voilà. Pour le faire, faut y croire. Faut pas avoir peur. Peur de quoi ? De la « perte de confiance ». C’est sûr que si on nationalise une banque, les autres banquiers vont avoir la trouille. Quinze jours. Après, ils se demanderont comment refaire des affaires avec des banques nationalisées. D’ailleurs, ils savent faire. En Chine, ils font que ça, traiter avec des sociétés nationalisées. Faut pas oublier que le capitalisme, c’est d’abord des rodomontades et du pipeau. Comme l’idée que la Bourse est un excellent placement. Je me souviens, en 2002, ma banquière me conseillait d’acheter des OPVCM. Le CAC40 était à 4200 après l’explosion de la bulle Internet. « On n’ira pas plus bas » qu’elle disait. Neuf ans après, hier, on est à 3800. Le mec qui a suivi les conseils en 2002, en neuf ans, il a perdu 10%. Mais la doxa est là : la Bourse, c’est un bon placement à long terme.

D’où ma question : qu’est ce qui peut se passer si un gouvernement se sent assez fort pour nationaliser les banques ? Tu changes les équipes dirigeantes, c’est pas grave, si les mecs sont si bons qu’ils le disent pour justifier leurs salaires et leurs bonus, ils trouveront bien du boulot ailleurs. Rêvons un peu : on trouve des mecs compétents et avec une morale à la Robespierre qui vont faire le ménage. Ça doit bien exister. Forcément, les profits de la banque vont baisser puisque ce sont les activités financières spéculatrices (et souvent amorales) qui crachent du fric. Les profits vont baisser mais pas disparaître. Alors, qu’est ce qu’il va se passer ? Je veux dire se passer vraiment dans la vie quotidienne du citoyen de base ? Rien. A tout le moins, rien de pire. Les dirigeants n’auront plus le regard fixé sur la ligne bleue du cours de bourse. Ils n’auront plus la sanction des « marchés ».

On peut mettre un pays cul par-dessus tête. Il ne disparaît pas. Ce matin, un titre sur BFM : « La Grèce assurée de survivre jusqu’en 2013 ». Je serais directeur de BFM, je vire aussi sec le connard qui a écrit ça. La Grèce, elle existe depuis Zénon d’Elée, Hésiode et Périclès. Quoi qu’il se passe, elle est assurée de survivre aussi longtemps que les Grecs auront envie de vivre ensemble. Même en faisant la nique au reste du monde. Et même si elle ruine les banques allemandes, le comptable du Schleswig-Holstein, il ira faire cuire sa bedaine en Crète cet été. Parce qu’au fond de nous, le sort des banques, on s’en fout.

On en reparlera…

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