vendredi 1 juin 2012

FAISONS SIMPLE

Sur sa page Facebook, Les zinzins du zinc, ce bon Egmont Labadie nous conseille un texte de Vincent Pousson consacré à la syrah. Forcément, je bondis. Je ne supporte pas cette nouvelle vision du vin où le cépage devient l’alpha et l’oméga de la picole.

Vincent Pousson n’est pas en cause. Enfin, pas trop. On lui a commandé un texte sur la syrah, il l’a pondu. Plutôt bien, d’ailleurs. Je veux dire bien écrit, avec une approche intelligente et une illustration agréable. Mais, ce faisant, il a accepté de jouer sa partie dans un concert insupportable.

La mise en valeur du cépage est une tendance récente, moins de vingt ans. Elle est née aux USA et elle est fille du marketing. Les commerçants ont besoin d’arguments simples, surtout pour vendre du vin, objet complexe, à une clientèle inculte. Le cépage, c’est le degré zéro de l’œnologie. Do you want a glass of chardonnay ? Ben non. En tous cas pas du chardonnay de la Napa Valley. Un chablis, oui. C’est pas pareil.

Le cépage, c’est génial. Y’en a pas beaucoup, je veux dire des grands. Une petite quinzaine. Quinze noms, même un Australien peut retenir. Et puis, la promo est simple. Tu plantes quelques hectares en pinot noir dans un coin du Chili et tu dis sur un ton modeste que c’est le cépage de l’aloxe-corton. Ça te simplifie la vente ! L’épicier de Valparaiso, il a plus besoin d’aller à Beaune acheter son pinard. Plus facile aussi pour les bars à vins, parfois tenus par des gamins incultes qui vendent leur pichorre à des alcoolos snobs. Tu veux un verre de merlot ?

Le vin est fils de la terre. Fils d’une géologie plus ou moins complexe, d’une orientation des pentes qui joue avec le soleil dans un climat donné, de vents subtils, de pluies changeantes. Raison pour laquelle, il y a de grandes années et des années épouvantables. Gross malheur pour les commerçants qui veulent la même qualité d’une année sur l’autre. La constance est la base du commerce quand la différence est la base du savoir.

J’aimerais que Vincent Pousson s’intéresse un peu aux travaux de Paul Boglio sur la syrah, précisément. Paul fut pendant vingt ans œnologue à l’INRA où il avait été chargé d’une délicate mission : l’indemnisation des vignerons sur le trajet du TGV. Ça a coûté bonbon à la SNCF, je peux vous le dire, quelque chose comme le prix d’un beau viaduc.

C’est que, dès la mise en service du train, les vignerons se sont aperçus que les vignes souffraient. Le TGV, ça déplace de l’air, croyez moi. Le long des voies, les vignes soumises à ce vent récurrent ont commencé à souffrir. A moins produire et à produire moins bon. Les vignerons ont protesté et la SNCF a demandé une étude à l’INRA. Les vignerons ont eu du bol. Paul était fils de vigneron et il connaissait le vin sur le bout de la langue. Et donc, il a modélisé les pertes, quantitatives mais aussi qualitatives. Il a modélisé quasiment parcelle par parcelle, pour être le plus juste possible. D’ailleurs, personne n’a contesté ses résultats et surtout pas les vignerons qui l’ont vu passer des heures dans les vignes, goûter les échantillons, tester ses résultats. Il m’a raconté et c’était passionnant. Dans certains lieux, l’effet TGV pouvait se faire sentir à plusieurs kilomètres de la voie. Dans d’autres, c’était plus limité. Et puis ça dépendait de la météo, du soleil, des vents « naturels ». Une complexité infinie. Paul, il a bossé plus de dix ans sur le sujet.

Et pourtant, cher Vincent Pousson, les cépages étaient les mêmes. Pinot noir au nord, syrah au sud. Faut-il d’autres preuves pour admettre que le cépage est une notion secondaire ? Songez qu’en Bourgogne, pour qualifier un terroir, on parle de « climat ». Est-ce que ce simple fait ne suffirait pas ?

J’ai de la chance. Mes vins préférés, ils sont tous issus d’un cépage antique et vénérable que les Américains ne connaissent pas : le courbu, que les Basques appellent curizketa. Un cépage relicte limité au Sud-ouest. Il y a encore quelques années, un cep de courbu plus que centenaire ombrageait une terrasse de bistro, place de la Victoire à Bordeaux. Un cep de courbu alors que voici beau temps qu’il n’y a plus de courbu dans les vignes du Bordelais. Là encore, je dois l’information à Paul Boglio qui se demandait ce que ce courbu fichait là. Vieux cépage romain ? Peut-être. Peut-être pas. Ce courbu donne au nord des Pyrénées des blancs moelleux, jurançon ou pacherenc. Au sud, des blancs âpres dont mon cher txakoli. Alternez donc txakoli et pacherenc, vous verrez si le cépage se reconnaît aisément et si vous oserez ensuite demander « un verre de courbu ».

L’ampelographie est science difficile. En Galice, vous boirez des vins des Rias Baixas ou de la vallée du Sil dont le cépage est l’albariño. L’étymologie est facile : ça veut dire « blanc du Rhin » et, de fait, les saveurs du gewurztraminer sont présentes. Je n’ai pas trouvé d’étude ADN sur le sujet. Ce que je sais, c’est que le cépage est arrivé entre le XIème et le XIIIème siècle avec les moines cisterciens. Des Bourguignons. Dès le début de la Reconquista, ils sont arrivés en Espagne pour couvrir le pays d’abbayes. Or, la première chose que plante un moine, c’est une vigne. Dame ! faut du pinard pour dire la messe. Les Bourguignons, ils sont arrivés avec leurs pieds de vigne. De Leyre à Santo Domingo del Sil, ils ont tissé leur réseau. Avec quels cépages ? L’ADN le dira bien un jour. Ce dont on peut être sûr, c’est qu’en dix siècles, ces cépages ont évolué en fonction du climat et du sol. Certains pieds ont pu aussi être remplacés. Mais le lien historique est là.

Comme en Rioja dont les propriétaires ont utilisé les cépages bordelais au milieu du XIXème siècle, avant de les renvoyer dans leur terre natale après le désastre du phylloxéra. Le vin, c’est ça : des rapports culturels autant que culturaux, des influences du sol, du climat, des pratiques agricoles : en Rioja, on ne palisse pas les vignes pour que leur taille en buisson les protège du soleil, plus ardent, et du vent, plus siccatif. L’avantage, c’est que ça empêche la mécanisation. La mécanisation, encore un sujet à creuser, par ailleurs.

Avec tout ça, on n’a pas parlé des vins d’assemblage. L’horreur absolue pour un commerçant débile. Plein de parcelles, avec des cépages différents. Selon le climat de l’année et l’âge des vignes, on va rajouter un poil de cabernet ou un doigt de merlot. Sur quels critères ? Un seul : l’opinion du maître de chais. Y’a pas de machine pour ça. Il ne faut que du savoir, du goût et de l’expérience. Pour faire un vrai vin, un Cheval-Blanc ou un Saint-Julien, il suffit (?) d’un homme. Comment tu veux expliquer ça à un marchand de bagnoles du Kentucky ? Ou même à un bobo du Marais qui veut tout le savoir, tout de suite, sans payer et sans bosser ?

Et donc, Vincent Pousson me demande de ne pas schématiser. Comme si avec mon petit savoir et mon doute hyperbolique je pouvais schématiser. Au contraire. Pour le vin, comme pour le reste, je hurle devant la simplification outrancière. En gros, c’est devenu : si tu connais le cépage, tu connais le vin. Ben non. Tant que tu n’as pas appris l’histoire, le sol, le climat, tous ces paramètres qui font que le Languedoc ne sera jamais la Bourgogne, tu ne connaitras pas grand chose. Idem pour la charcuterie ou les légumes. Le cochon et la sucrine sont aussi des enfants de la terre.

Je conçois, c’est dur d’aimer un truc et de ne pas pouvoir en parler avec assurance. Surtout quand t’es journaliste et en position de devoir diffuser un savoir complexe. Si t’es honnête, tu vas insister sur tes lacunes. Le lecteur, il aime pas. Il veut apprendre. Et donc, tu gommes tes lacunes, tu vas au plus simple. En fait, on te demande pas du savoir, on te demande un discours. Alors, tu le ponds.

Tu ferais ça avec la physique quantique ? Ho ! c’est pas pareil. Si. C’est pire. L’œnologie fait intervenir tant de savoirs dont certains bien incertains qu’on n’est jamais sûr de rien. Dur dans un monde qui baigne dans les certitudes de Wikipedia.

Moi, je n’ai qu’une certitude basée sur ma propre expérience. Je n’ai jamais vomi un grand vin après consommation excessive. Jamais. Mais je n’ai rien trouvé sur le sujet.

On en reparlera…



7 commentaires:

  1. Cher monsieur,

    d'abord une remarque concernant la forme. Quand on porte la contradiction, le mieux, par honnêteté intellectuelle, me semble être de citer précisément le texte auquel on répond. Cela évite à “l'accusé”
    de découvrir “les crimes dont on l'accuse” durant son “procès”, comme cela se pratiquait avec un si bel entrain sous Staline ou pendant l'Inquisition. Vous savez, la modernité numérique a parfois du bon, inventant ce concept de l'hyperlien qui aurait permis à vos lecteurs de découvrir en intégralité le texte diabolique dont vous leur livrez la critique. Personnellement, n'adhérant ni aux thèses de Marine Mélenchon, ni à celles de Jean-Luc Le Pen, je préfère agir ainsi. Voici donc ce lien: http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/05/ni-pute-ni-soumise.html

    Sur le fond, je viens de parcourir votre texte et je me demande un peu ce que je viens faire là-dedans. Que vous ayez envie de démontrer quelque chose, soit. De vous faire la main, bien. De soigner une aigreur quelconque, pourquoi pas. Mais me grimer en défenseur du vin de cépage à l'américaine, en enfant du marketing californien, en promoteur du vin industriel, cela oscille entre contre-sens et mauvaise foi, le mur du çon n'est pas loin d'être franchi. Je penche en tout cas pour la seconde hypothèse. Et entends d'ici les fou-rires qui vont saisir ceux qui me connaissent ou me lisent davantage. Il va de soi, que je n'ai JAMAIS nié la valeur d'un grand terroir.

    Je ne vois pas vraiment l'intérêt de pousser plus avant sur le vin avec vous, je voudrais juste, concernant l'albariño dont le nez “alsacien” vous charme, vous conseiller d'en goûter de bons, fait par des paysans, pas dans des usines (oui, oui, ça existe!), et vous verrez qu'ils ne possèdent pas ce côté levuré. À cet égard, je ne comprends plus d'ailleurs, c'est le cépage “du Rhin” que l'on sent ou le terroir rhénan de Galice ?…

    Pour le reste, je continuerai de défendre les "vins de cépages" de Bourgogne (pinot noir, aligoté ou chardonnay), du Beaujolais (gamay), de Gaillac (mauzac, prunelard, muscadelle, verdanel, braucol*), de Fronton (négrette), de Cahors (auxerrois), de Madiran (tannat), de Jurançon (petit manseng, du Bierzo (mencia), de Saint-Jean-de-Minervois (muscat), de Constantia (muscat encore), de Côte-Rôtie, Hermitage, Saint-Joseph, Crozes ou Cornas (syrah), de Chinon ou Saumur (caberbet-franc), etc, etc…
    Visiblement, l'abus de militantisme (et peut-être de mauvais vins de coupage) rend aveugle.


    * à cet égard, j'aurai une pensée toute particulière pour la famille Plageoles, odieux défenseurs comme moi du vin de cépage à l'américaine, qui se sont honteusement battus pour pouvoir mettre le nom des variétés (que pour certaines ils ont sauvées) sur les étiquettes de leurs précieuses bouteilles.

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    1. Il y a près de quinze ans, j'ai passé une des meilleures soirées de ma vie avec Robert Plageoles, à parler d'ampelographie et de vins de voile. Il est exact que Robert se battait pour la conservation des cépages anciens du Gaillacois. La filiation romaine le passionnait. Mais le cépage n'était pas l'alpha et l'oméga de son travail. Juste un élément parmi d'autres, un bout de la construction. Comme le béton permet de construire la Grande Bibliothèque et les barres de Sarcelles. Et oui, j'ai d'abord réagi avant d'aller vérifier et je vous ai écrit hier soir. Je croyais que le titre de mon billet était explicite : parler de cépage, c'est juste évoquer un tout petit bout du vin. C'est trop réducteur.
      Et ça reste un élément de marketing dont il faut se tenir éloigné.

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  2. Par parenthèse, le texte incriminé a été écrit à l'occasion d'une réunion mensuelle de blogueurs, les Vendredis du Vin, et le thème du mois dernier était justement la syrah…

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  3. Bonjour,

    En tant qu'ex-Zident de la thématique évoquée, je me dois de préciser au moins une approximation (toujours plus facile a déceler chez les autres que chez soi, n'est ce pas !?): le texte de Vincent Pousson n'est en aucun cas une commande !! Détail que vous auriez pu noter ou deviner si vous vous étiez penché un peu plus sur l'origine et l'objectif de ce joli billet au lieu de vous emportez presque inutilement dans votre édito-pamphlet... Au-delà de votre vision parcellaire du sujet (je vous conseille fortement de lire les billets consacrés à cette thématique, vous y découvrirez une trentaine de billets consacrés à la Sainte- Syrah), je trouve votre pseudo dogme "si tu sais pas tout, t'en parle pas" totalement abscon !! Cela reviendrait presque à dire que sans études de lettres poussées, comment oser gribouiller une pseudo-littérature de pigiste stagiaire à la face du monde (certes virtuel et totalement ignare, tant mieux pour vous) !! Non monsieur, tout le monde a le droit d'écrire des conneries ou pas !! Si vous vous donnez le droit de "Juste penser le monde à partir d'une carte" (tout géographe que vous soyez), pourquoi d'autres n'auraient pas le droit de "juste boire et penser un savoir à travers une bouteille" ?. J'ai déjà planté des pommes de terre, cela fait-il de moi un Dr Es-patates capable de démonter la qualité intrinsèque de la nièce de Parmentier ou de faire un procès-inquisiteur à Mc Donalds'?! Non, vous avez le droit de vous indigner (en même temps, y'a plus préoccupant pour s'indigner !!), mais pas de faire la leçon de "qui ne sait pas tout, doit la fermer"...
    Cordialement
    Aurélien Litron & Docadn
    Le(s) Zident(s) des VdV#46

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  4. Pour ce qui est du rôle de catalyseur, d'instrument de lecture du cépage, monsieur Chabaud, puisque vous vous intéressez à la Galice, lisez ceci si ça vous chante…
    http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/04/le-seul-vineron-espagnol-chapitre-i.html
    et sa suite:
    http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/04/le-seul-vineron-espagnol-chapitre-ii.html

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  5. Hola Monsieur Chabaud, ne nous emballons pas... C'est que vous devez avoir un sacré boulot à sauter ainsi sur votre plume dès qu'une opinion est différente de la vôtre. Quelle haine et quel piquant ressortent de votre billet si savant !
    Dommage, il eût été plus intéressant de proposer un échange. Voyez-vous, c'est ainsi que nous fonctionnons dans notre groupe des vendredis du vin. Partage, échange, convivialité, avec des professionnels prêts à apporter des explications aux amateurs, avec des amateurs prêts à apporter leurs ressentis sur des dégustations qui nous donnent tant de plaisirs. Vous vous seriez un peu plus penché sur les raisons de ce billet avant d'en décrier ses moindres mots, vous sauriez alors que nous ne prônons pas l'oenologie (comme vous le faites apparaître, et bien que ce ne soit pas exclu), mais le plaisir et la découverte que chaque bon-vivant d'entre nous aime à les dire, à les faire-savoir, à les rire à travers notre passion, notre amateurisme, notre professionnalisme et surtout, à travers nos émotions. Mais je vous laisse reprendre vos occupations, je vois que votre plume sèche....

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    1. Voilà, vous touchez au fond du problème. Je ne pense pas que les émotions "se partagent". C'est trop intime, trop personnel. On peut, éventuellement et rarement, les partager avec quelques personnes choisies, mais surement pas avec le monde entier et surement pas avec des inconnus. Pour le reste.... Par contre, le savoir se partage. C'est même la seule chose qu'on puisse partager.

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