mercredi 6 juin 2012

ON PARLE TROP, TROP VITE

Surtout moi. Je me suis frité avec Vincent Pousson avant d’aller voir sur son blog (http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es) pour découvrir qu’on partage une même passion : la cuisine de Jean-Pierre Xiradakis.

Xiradakis est devenu une icône pour moi le jour où je suis allé professionnellement dîner chez lui, à la Tupiña, à Bordeaux. On m’avait dit tellement de mal de ce restau branché !! Facile, je déteste les restaus branchés et les effets de mode. Mais là, j’étais obligé. Fallait tester. Je suis arrivé râleur d’avance et bien décidé à flinguer le bonhomme.

J’ouvre la carte et je pense tomber du mal de macaque. De la sanquete ! Plus de vingt ans que je n’avais pas mangé de sanquete. La sanquete, c’est le plat traditionnel des petits déjeuners du dimanche en pays gascon. Anqui ! comme on dit à Bordeaux.

Le dimanche, c’est poulet rôti. Le poulet, on l’attrape dans le poulailler le samedi, on l’emmène à la cuisine et là, zouc ! on lui coupe la langue. Il se débat, il aime pas, mais on lui demande pas son avis. Il se vide de son sang, dans une jatte en faïence (chez moi, c’était une jatte en faïence populaire, avec des petites fleurs peintes à la main). Il bat des ailes, il proteste, mais ça dure pas. C’est pas hallal, on l’égorge pas et on n’est pas tourné vers La Mecque. Pas vers Lourdes, non plus. Après quoi, on le plume soigneusement, on garde les plumes, ça peut servir à faire des coussins, on le vide, bref on le prépare avec soin pour le four dominical.

Et le sang ? Ha ! le sang….. le sang, c’est pour la sanquete. Le dimanche matin, c’est sanquete pour les hommes, et surtout les petits d’homme dont je faisais partie. On fait frire de l’ail et dans la poêle fumante, on verse délicatement le sang du volatile. Au bout du bout, on obtient une galette rose et mousseuse qui fleure l’ail et les subtiles odeurs du sang cuit. Si vous n’avez jamais mangé, vous ne pouvez pas en avoir la moindre idée. Ma grand-mère affirmait que le sang, c’est bon pour la croissance des garçons. Mon grand-père se servait un grand verre de Madiran, moi j’avais droit au lait. Pas terrible le lait pour les arômes de la sanquete.

Le sang, c’est un gros mythe. Un mythe universel. Tous les peuples se sont gavés de sang, y compris le sang des ennemis. Tous les peuples savent que le sang, c’est la vie. Alors, un bon coup de sang, cru ou cuit, ça peut pas faire de mal. Jusqu’au sang du Christ. Il avait le sens de la communication, le fils de Dieu, il savait l’importance du sang. Au jour d’aujourd’hui, on bouffe plus de sang. Sauf dans le boudin, et encore…. Tu peux chercher un canard au sang sur les cartes, c’est pas demain la veille que tu trouveras.

Avec les abattoirs industriels, les volailles livides empaquetées dans du plastique, je pensais la sanquete disparue. Et voilà que je la retrouvais sur la carte de la Tupiña. Que croyez vous que je fis ? Je m’offris une plongée dans mon enfance. A mon âge ! Dans tout le Sud-ouest, y’a des cuistots communicants qui vous racontent qu’ils font de la cuisine traditionnelle. Traditionnelle, mon cul ! Pas un pour vous proposer de la sanquete. Sauf Xiradakis. En plus, avec ce nom qui pue la feta et l’huile d’olive rance.

J’ai soigneusement payé (pas être accusé de corruption) et je me suis présenté. Et là, on a parlé une bonne heure devant un armagnac hors d’âge. Xiradakis, il m’a ouvert sa cuisine et j’ai vu. Je me suis retrouvé chez ma Tante Marie (qui n’a plus mal aux dents depuis des lustres). Il y avait tout, surtout les confits. Et les haricots de maïs. Et même de la méture, ce pain de maïs landais légèrement aromatisé à l’anis. C’était pas une cuisine, c’était un conservatoire. Et le mec qui me parlait, c’était un barde ou un druide, un bonhomme ancré dans l’histoire gastronomique de sa région. Et un philanthrope. Ça se voyait pas trop sur la carte, la sanquete, il la vendait au prix du foie gras. Pourtant, il avait ouvert une épicerie populaire dans sa rue. Avec des sacs de 50 kilos de riz à prix canon pour les travailleurs maliens du foyer Sonacotra voisin. Il faisait payer les riches pour alléger l’ardoise des pauvres. Comment ne pas l’aimer ?

Depuis, il a poursuivi son chemin. Pour avoir de ses nouvelles, je vais parfois sur son blog (http://blog.latupina.com/). Rien qu’à le lire, je retrouve des odeurs. C’est dommage, c’est à Bordeaux. Ce serait mieux dans un village de la vallée des Gaves ou de Chalosse. Mais on peut pas tout avoir. Il affirme qu’il organise un tue-cochons, une tuère comme on disait chez moi. J’y crois pas trop. M’étonnerait que les autorités bordelaises, elles acceptent de voir égorger un cochon vivant dans les rues de la ville. Rien que les cris, les voisins, ils appellent le SAMU. Ou ils égorgent l’organisateur, l’homme ça crie moins.

Xiradakis et moi, on pense pareil. La différence, c’est qu’il est moins ayatollah que moi, il transige un peu, il fait avec son temps alors que moi, le temps, j’aimerais bien le remonter. Pas l’arrêter, le remonter. C’est normal. Avec le temps, dis, tout s’en va. Et ce qui s’en va, c’est perdu. On perd des techniques, des savoirs, des goûts, on perd de la culture. C’est dommage parce que rien ne nous dit qu’on n’en aura pas besoin demain.

Il est vrai que tout le monde s’en fout. Désormais, on ne partage plus des savoirs, on partage des émotions. C’est plus facile. Ça permet de faire du bruit avec la bouche. Et ça plait à Séguéla qui invente le Quotient Emotionnel. Moi, je peux pas. Mes émotions, elles sont trop intimes, trop personnelles pour que je les partage avec tout le monde, c’est à dire n’importe qui. On appelle ça la pudeur, mais c’est devenu un gros mot. Une information, un savoir, je peux partager. Plus l’information est originale, plus le savoir est caché, plus le partage est fort.

Je pleure souvent au cinéma et j’en ai honte. Heureusement qu’il n’y a pas de lumière. J’ai pas envie qu’on me voit à poil. J’entends d’ici les hurlements des psychophiles : il faut savoir se lâcher. Ben non. Il faut savoir se contrôler. J’en ai déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.fr/2011/06/les-filles-ca-pleure.html).

Et donc, on en reparlera….

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