dimanche 17 juin 2012

PARLONS BANQUE

Je regarde avec plaisir l’effondrement de Bankia en Espagne. Je regarde parce que j’ai été un temps client de Caja Madrid, la grosse caisse d’épargne sur laquelle Bankia a été fondée. Suffit de regarder le logo de Bankia. C’est un ours, l’ours qui figure sur les armoiries de Madrid et que Bankia a repris de Caja Madrid.

Je dis que j’étais client, c’est pour rire. En fait j’étais prête-nom d’un copain qui faisait des affaires en Espagne et pour qui Caja Madrid était bien pratique. Il y a quinze ans, ouvrir un compte de résident étranger était enfantin. Tu allais chez Caja Madrid avec un copain connu du chef d’agence, il donnait son adresse comme étant la tienne, tu ne présentais aucun papier et hop ! tu avais un compte en banque espagnol inconnu du fisc français. Je n’en ai tiré aucun bénéfice financier. En fait, le copain affairiste était une copine et donc, les bénéfices étaient ailleurs. Le jour où nos chemins se sont séparés, je n’étais plus client de Caja Madrid.

La spécialité de Caja Madrid, c’était l’immobilier. Ils prêtaient à tour de bras pour qu’on construise. Normal, c’est le rôle habituel d’une caisse d’épargne. Aznar présidait l’Espagne. Il s’occupait pas d’immobilier, Aznar. Il avait quelqu’un pour ça, quelqu’un dont on ne parle plus. Esperanza Aguirre. Vous vous souvenez ? Allez voir sa bio sur Wikipedia. Y’a tout. Sauf l’essentiel.

Jolie femme, Esperanza. Quand je l’ai connue, elle était Présidente du Sénat. Elle avait organisé une fête pour son frère dans leur résidence de La Fresneda, au pied de l’Escorial. C’était la propriété où Philippe II recevait ses maîtresses. C’est dire que la famille ne manquait pas de patrimoine. Normal. La famille Aguirre est liée à une bonne partie de la noblesse espagnole (le mari d’Esperanza est Grand d’Espagne). Elle est surtout propriétaire du groupe immobilier Aguirre-Newman. Ça y est ? C’est plus clair ?

A l’époque, le groupe Aguirre était le promoteur n°1 d’Espagne et surtout de la région madrilène. Et donc, l’un des premiers bénéficiaires de la frénésie de crédit de Caja Madrid. Tout roulait à fond. Appuyé sur ses positions politiques, le groupe Aguirre se développait à une vitesse exponentielle. Vint le crépuscule d’Aznar. Esperanza, pas démontée, quitta le Sénat et prit la Présidence de la Communauté de Madrid. Ça tombait bien, la Communauté de Madrid est un gros décideur au sein de Caja Madrid. Le monde est bien fait, somme toute.

C’est la définition même de l’oligarchie : un bout de la famille en politique, un bout dans les affaires. Et la politique du pays se décide lors des dîners familiaux. Là, le calendrier est impeccable. Le chef du gouvernement, Rajoy, c’est un vieux copain d’Esperanza. Il va pas la laisser dans la merde avec sa caisse d’épargne plombée par les appartements non vendus par la famille Aguirre. Faut qu’il trouve une vingtaine de milliards, il va les trouver. Le peuple va payer.

C’est la faute à personne : juste une bulle qui a explosé. Dit comme ça, c’est que dalle. Tu vois une bulle de savon soufflée par un gosse et qui pète au soleil. Sauf que la bulle, c’est pas une bulle. C’est des mecs qui gagnaient des milliards en construisant des appartements pour lesquels il n’y avait pas de clients. En construisant avec l’argent public généreusement prêté par Caja Madrid.

Les spéculateurs de Caja Madrid, ils avaient un truc imparable : quand t’achètes un appartement, tu le fais par le biais d’une société immobilière. Si tu le loues, la société touche les loyers et rembourse son prêt. Si tu le loues pas, tu mets la société en faillite, Caja Madrid (ou Bankia) fait jouer l’hypothèque et se retrouve avec un appartement invendable.

Et donc, Bankia possède un énorme patrimoine immobilier. C’est des actifs pourris. Des biens sans acheteurs. Des biens vides. Personne ne prendra la seule mesure qui s’impose. Celle qui consisterait à dire à Bankia : on va racheter ton portefeuille immobilier pour alléger ta dette. Et ces appartements vides, on va les transformer en logements sociaux avec des loyers préférentiels. Ce serait bien : tant qu’à filer du fric à Bankia, l’Etat espagnol ferait des économies sur le logement social. Ça aurait du sens. Certes, ces appartements résidentiels, l’Etat les paierait sans doute plus cher que s’il les avait construits. Encore que… on pourrait serrer un peu le kiki de la banque.

Personne ne le fera parce que ça plomberait le marché de l’immobilier locatif. En clair, ça ferait baisser les loyers et tous les proprios qui ont spéculé pendant dix ans avec le fric public (j’en connais, j’ai des noms), ils verraient leur patrimoine s’effondrer. Exclu que les spéculateurs dérouillent dans un monde libéral. Et puis, ça reviendrait à mettre des pauvres dans des endroits pas faits pour eux. Et ça, même pas en rêve. Les municipalités accordaient à tour de bras des permis de construire pour attirer la classe moyenne, pas pour se gaver de cas sociaux. Même les municipalités de gauche, celles qui sont pour les pauvres mais chez le voisin.

Ainsi va le monde libéral. Y’a ceux qui perdent jamais et ceux qui perdent toujours.

On en reparlera…

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