samedi 31 août 2013

LA PUDEUR ET L’INTIME

Il est 8 heures du mat’, le soleil d’août est déjà haut. Accrochée à son portable, vautrée à son balcon, elle détaille (éructe ?) son programme de la journée. Non, elle n’oubliera pas la pain aux céréales (comme s’il y avait du pain sans céréales). Oui, elle va tester son nouveau maillot de bains, à la plage de Saint-Jean. Tous les voisins en profitent, elle ouvre son intimité.

Pas tout à fait. Ouvrir son intimité. Pour Sade, l’expression aurait un tout autre sens. Pourtant, c’est bien ce qu’elle fait. Et elle n’est pas seule.

Nous voici voguant aux rives de l’impudeur triomphante. On va chez Delarue raconter son cocufiage, on exhibe sur Facebook les photos de ses meubles, de son jardin, de sa femme, de ses gosses, de ses amours. Il n’est plus de domaine privé, plus de jardin secret, de partages limités à ceux qui le méritent. Les petites culottes sont devenues les oriflammes de nos vies.

Les nouveaux outils de communication ne sont que des accélérateurs d’un phénomène qui a commencé bien avant eux, les agrandisseurs d’un domaine jadis limité. Dès les années 1950, quelques journaux spécialisés nous livrent l’intimité des stars. Pourquoi pas moi ? Après tout, le divorce de Sally Mara n’est pas plus intéressant que le mien. Il fallut attendre Facebook pour que je puisse le dire au monde entier.

Petite différence toutefois : les puissants contrôlent leur impudeur avec des armées d’avocats et la complicité des attachés de presse. Le pékin moyen ne contrôle rien.

L’impudeur fut longtemps cantonnée au corps. Cachez ce sein que je ne saurais voir… Le déshabillage étant terminé et le nichon étalé, il fallut bien aller plus loin. Nous y allons, à petits pas parce que tout est devenu petit. Je suis toujours moins impudique que je pourrais.

Or, la pudeur n’est pas un ressenti personnel mais une manière de vivre en société. Mon deuil peut te gêner, mes larmes te troubler, ma gêne te mettre mal à l’aise. Et donc, je me contrôle. Je me contrôle surtout pour ne pas te troubler, ne pas te faire supporter un fardeau qui ne te concerne pas. D’où le ballet des hypocrites qui babillent des condoléances qu’ils ne pensent pas et récoltent des remerciements qui n’en sont pas. Rien de sincère car la sincérité est dangereuse pour les relations humaines. Si on devait dire à chacun ce qu’on pense et surtout ce qu’on pense de lui, on ne s’en sortirait pas. Bon, tout ça, je l’ai déjà dit et je me suis déjà fait engueuler (http://rchabaud.blogspot.fr/2011/06/les-filles-ca-pleure.html)

J’ai un copain qui me susurre à l’oreille qu’on est tous un peu voyeurs. Même pas. J’en ai connu un de voyeur, les flics du Vème l’arrêtaient deux fois par mois, il recevait une injonction, on le collait chez un psy. Mais ce voyeur là, il cherchait pas les exhibitionnistes. C’était un vrai voyeur, un qui dénichait les rideaux mal tirés et que n’excitaient que les images volées. Si c’est donné, ça compte pas, on doit garder la maîtrise de son voyeurisme. Cela, du moins, a du sens.

Mais voilà : cette impudeur dont je me plains est une impudeur médiocre, une impudeur pudique. On est toujours emmerdés par des confidences insignifiantes, par des histoires domestiques, par des sentiments médiocres et des curiosités d’élève de CP. « Devine d’où je t’appelle ? ». Petites exhibitions, petit voyeurisme, petits sentiments et petites émotions. Des rapports de bas étage, de bas étalage.

On photographie des bouts de jardin, pas des chiottes sales… On tourne autour du pot, qui n’est même pas un pot de chambre. Alors, moi, tous les jours, je pleure Reiser….

On en reparlera…. Ou pas.

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