dimanche 11 août 2013

LE PREMIER CLIENT DU COMMERÇANT

Mes copains restaurateurs ont un grand débat en ce moment : l’avenir est-il encore aux chaines franchisées ou leur reste t-il un espoir ?

J’ai le sentiment qu’ils refusent de voir que ça dépend d’eux. Leur réflexion est faussée par un réflexe professionnel : ils pensent en terme de profession, pas en termes de territoire. En fait, le restaurateur d’Oloron-Sainte-Marie n’a rien à foutre de l’installation d’un restaurant de chaine à Barcelonnette.

Mes copains, ils aiment bien les débats larges et élevés. Ils vont pas s’arrêter à un chef-lieu de canton.. Et c’est vrai que les fonctionnements sont les mêmes quel que soit le territoire. Du coup, l’adoption par les commerçants indépendants des habitudes consuméristes générales ressemble fort à un suicide collectif. Ils ne comprennent rien à rien. Ils ne comprennent pas cette évidence territoriale : le premier client du commerçant est le commerçant voisin.

Mais voilà : on a affaire à des malins matois à courte vue. Quand le restaurateur va chez Castorama acheter les produits qu’il trouverait (peut-être) un peu plus cher chez son voisin quincaillier, il engage son voisin quincaillier à aller dîner chez Maître Kanter. Après quoi, il va gueuler contre un comportement calqué sur le sien.

Le commerçant indépendant ne se rend pas compte (ou a oublié) qu’il vit sur un territoire et que sa survie dépend de la richesse de ce territoire. Bon, moi je dis territoire, mais on peut dire aussi « zone de chalandise », c’est pareil, ça fait plus marketing, c’est tout.

Or, et personne n’en parle, les chaines sont des aspirateurs de richesse. Le fric qu’elles pompent à Nérac ou Guingamp repart ailleurs. Où ? Partout. Au siège social, puis ailleurs. Dans des investissements, en Chine ou en Slovaquie, peu importe. La seule vérité, c’est que ce fric pompé aux habitants d’une région quitte la région. C’est valable pour toutes les chaines. Et, par voie de conséquence, les trois sous économisés sur la perceuse ne peuvent en aucune manière se retrouver dans le menu à 22 € vendu aux habitants du quartier.

Rigolez pas, je l’ai vécu. Je bouffais régulièrement chez ma copine Elizabeth, dans son restau italien où tout était fait maison jusqu’au jour où, en plein service, est arrivé le livreur d’Amazon. Elle utilisait mon bel et bon argent pour enrichir mon concurrent !

On s’est donc fâchés. Elle avait plein de bons arguments. Commandes passées le soir, pas le temps, plus facile, moins d’attente. Comment je me sentais cocu ! Le pire, c’est que j’avais pas imaginé qu’une blonde gironde pût acheter des livres. Comme quoi…

Ce sont des notions basiques de commerce. Le premier concurrent du libraire, c’est pas le libraire trois rues plus loin. C’est le disquaire à côté. Ou le marchand de fringues. Parce que le client, il arbitre dans ses choix vu qu’il a pas un budget extensible. Si Bobonne a renouvelé sa garde-robe, son mec va se passer du dernier Goncourt. Mais c’est pas grave, parce que le marchand de fringues va offrir le dernier Goncourt à sa dulcinée. Ou il va lui acheter des fleurs et c’est le fleuriste qui plongera dans la culture. Tout ceci à la seule condition que le fric reste sur place.

Et alors ? Alors, c’est simple. Si t’es quincaillier et que t’achètes ta viande chez Leclerc, ne râle pas parce que le boucher va chez Casto. Il fait comme toi, il va au plus simple, là ousqu’y a un parking, là ousque t’économises trois ronds.

Au bout du bout, le plus faible va disparaître. Dans les grandes villes, ça se voit pas trop. Dans les petites villes, c’est une autre chanson. Un ou deux commerces en moins à Hagetmau, ça fait un peu plus de taxes pour ceux qui restent. Un peu moins de marges. Et si tu veux conserver des marges, des prix plus élevés qui conduisent tes clients vers les chaines.

Et donc, je voudrais dire à tous mes copains qui tapent sur les chaines « T’es sûr que t’y va jamais dans les chaines ? ».. Toi ou ta gonzesse. Elle va jamais chez Etam ou H&M ou no se que ? Hé be ! c’est facile. Si tu as dépensé un seul euro dans une chaine quelle qu’elle soit et même hors de ta profession, tu cautionnes le système, tu l’approuves, tu t’en satisfais, tu l’enrichis et il te reviendra en boomerang dans les gencives. Parce que tu as contribué à la destruction du territoire qui te fait vivre. Qui devrait te faire vivre.

Je suis sûr qu’on en reparlera…et que je vais entendre l’antienne officielle comme quoi les chaines créent de la richesse, des emplois et payent aussi des impôts.

Et donc la suite : http://rchabaud.blogspot.fr/2013/08/les-invisibles.html

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