mercredi 7 août 2013

LE TERRITOIRE DU TORO

Enième débat (là, c’est sur Facebook) sur la corrida… Je reste un peu détaché… De toutes façons, on sait ce que j’en pense… (par exemple http://rchabaud.blogspot.fr/2010/11/emile-et-adolf.html)

Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi tant de gens, par ailleurs bien élevés, s’envoient tant d’injures à la figure.

Quand la corrida débarque en France, sous Napoléon III, l’opposition se met aussitôt en route. Avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui : c’est barbare, c’est sanglant, bla-bli, bla-blo. Elle est un peu politique, l’opposition. L’Impératrice aime la corrida. Alors, les Républicains n’aiment pas. C’est assez clair : la corrida, c’est antique, c’est le passé, comme l’Empire, le Progrès exige sa disparition.

Sauf que ça marche pas géographiquement. Dans le sud, les Républicains aiment la corrida. Quand un préfet supprime les corridas à Dax, c’est l’émeute, progressistes et traditionnalistes font l’union sacrée et le préfet doit céder, personne ne le soutient. Et donc, on trouve un modus vivendi. Géographique. On accepte l’idée qu’il y ait des « régions taurines ». Est-il utile de préciser que la Flandre et la Normandie n’en font pas partie ? Il y a donc un territoire du toro. Géographique.

Géographique et donc culturel. Les récits font partie de la littérature de voyage. C’est ailleurs, c’est exotique. Les tableaux de corridas dans les Salons sont appelés « orientalistes », ça éloigne. Et cahin-caha, ça marche comme ça pendant un siècle à peu près. En gros, jusqu’au milieu du XXème siècle. On a isolé dans leur territoire exotique les fadas qui parlent avec l’accent et aiment voir étriper les chevaux. Les fadas ont ce qu’ils veulent quelques jours par an et la République radicale-socialiste a assuré la tranquillité de tous, surtout des électeurs du Sud-ouest qui fournissent tant de beaux et bons sièges et de portefeuilles de ministres.

Jusqu’à la naissance du tourisme de masse qui commence d’abord par un tourisme élitiste. Les gens du Nord (rappelons que ça commence au nord de la Garonne d’un côté, de la Durance de l’autre) se ruent vers le sud. Les intellos septentrionaux viennent s’installer sur les gradins de Lachepaillet, non loin de Picasso et d’Hemingway. Ils y connaissent pas grand chose, mais ils ne peuvent pas se retenir d’écrire. Et puis si Picasso aime, ils doivent aimer aussi. Alors, ils en rajoutent. Leiris, littérature et corrida. Montherlant. Les psys qui viennent coller du Eros et Thanatos dans ce qui n’est rien d’autre qu’une belle manière d’envoyer un bovin ad patres. La pulsion érotique de la mort du toro ! Tu parles ! Six érections par corrida, faut pas rêver…..

Mais voilà. Toutes ces grandes plumes ont des amis et des ennemis. Des qui les supportent pas. Des qui vont donc trouver à la corrida, tous les défauts du monde. Du coup, un problème local (sept départements du grand Sud, moins de trente villes) devient grande cause nationale. Le territoire du toro devient quasiment un enjeu européen. Les télés font des sujets, style Roselyne Bachelot à Bayonne. Si t’aimes pas Roselyne Bachelot (ce que je comprends fort bien), ben, logiquement, tu vas pas aimer la corrida. Le débat enfle, la corrida se voit défendue avec des arguments spécieux par de grandes gueules qui n’y connaissent rien et attaquée avec des raisonnements de la même eau par des loulous qui ne savent rien. L’aficionado de base n’a rien à faire dans ce débat. Le toro non plus.

L’aficionado de base, c’est moi. Pas fasciné par la mort. Elle est inéluctable et je m’y prépare, merci Montaigne. Pas obsédé sexuel non plus. Pas barbare que je sache. Plutôt poli et bien élevé. Enfin je croyais jusqu’à entendre ce superbe argument : « Les officiers SS aussi étaient polis et bien élevés ». SS ! Rien que ça… Ou « la corrida, c’est la mort organisée », manière de dire que Béziers est proche d’Auschwitz. Vu la façon dont c’est dit, on se demande qui aimerait avoir la schlague à la main……

Et donc, je me tais désormais. Je sais que le territoire du toro est envahi, envahi de mots, envahi de gens, parfois bien intentionnés mais ce sont les plus dangereux, envahi d’idées de savoirs incomplets, de compassion universelle, que chacun vient y déverser ses peurs, ses ressentis, ses haines. Le territoire du toro est devenu une déchetterie des sentiments.

Le problème, c’est qu’il est la seule déchetterie où j’aime aller.

On en reparlera…

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