vendredi 20 décembre 2013

LE TERRITOIRE DU RUGBY ET CHABAL

Bon, faut pas exagérer. J’ai vu la video. Le mec d’Agen, il joue pas le ballon. Il essaye d’empêcher Chabal d’aller sur le regroupement, en l’attrapant par le maillot. L’autre l’oblige à lâcher… Sans délicatesse excessive, c’est vrai, mais il est dans son bon droit, on joue le ballon, pas le maillot. Mieux encore, il est dans l’esprit du rugby où les petites tricheries se payent comptant sur le terrain.

L’esprit du rugby…. Il en demeure des bribes qui font qu’on s’accroche, qu’on imagine, qu’on se souvient et qu’on rêve. L’esprit du rugby, c’est cette sorte d’étincelle prométhéenne qui va permettre à une équipe d’inverser un résultat dans les trois dernières minutes. L’esprit du rugby, c’est Cyrano…

Didier Deschamps, né dans une terre où les ballons ne sont pas ronds, a déclaré une fois qu’il avait abandonné le rugby quand il s’était aperçu que ses adversaires étaient plus grands que lui. Il était trop limité pour savoir que, de Caillou à Boniface, en passant par Mias et quelques autres, les petits gabarits avaient leur place dans leurs équipes.

Pourquoi ? Parce que ce sont des équipes. Avec toi, il y a autant de grands qu’en face. C’est pas toi qui compte, c’est l’ensemble. Un ensemble où il y a des gros qui percutent et des petits qui se faufilent. Un ensemble où un petit avec un grand pied marque plus qu’un gros avec de larges oreilles. Une bonne équipe, c’est ça : la diversité au travail.

L’esprit rugby, c’est aussi la Marseillaise braillée avant le match. Parce que le rugby, c’est un territoire. Quand t’es en équipe de France (dans le foot, ils disent EDF parce qu’ils aiment les acronymes et le langage monosyllabique), ton territoire c’est la France. Quand t’es en bleu et blanc, ton territoire, c’est Jean Dauger et tu brailles « Allez, allez, les Bleus et Blancs… ». Le rugby, c’est un territoire et donc, c’est chauvin.

Bon, ça c’est plus tout à fait vrai… Tu peux pas être chauvin avec des Fidjiens aux noms imprononçables. Quand j’étais petit, les noms étaient faciles à retenir et à crier : Unhassobiscay, Etchezaharreta ou Irazabal. Aujourd’hui, en équipe de France, y’a qu’Harinordoquy qu’on puisse mémoriser en deux secondes… Et Chabal dont on parlait plus haut, vu qu’on a la même étymologie lui et moi. Pas la carrure, hélas !

Mon copain Laurent m’écrit que son fils a commencé le rugby. Je l’envie, Laurent, nos fils ont quasi le même âge et le mien ne fera jamais de rugby, pour cause de territoire inadéquat. Bien sûr qu’il pourrait aller dans une quelconque banlieue jouer avec des mômes inconnus et sans bistro connu pour me servir de salle d’attente. Ce qui me console, c’est que Laurent est dacquois, et donc son fils sera jamais un grand joueur. Oui, j’ai écrit « donc », ça gêne ?

Mon fils, je l’ai emmené à Jean Dauger, il y a un an. Bien entendu, il a adoré. Il avait son drapeau albiceleste, il rencontrait mes copains qui me faisaient la bise, qu’il ne connaissait pas et qui le traitaient d’emblée comme un membre de la famille. Et un grand de surcroît. En plus, on a perdu mais c’était pas grave. Et on est allé boire un coup chez Gorka.

Ça fait nostalgie, tout ça, comme quand j’allais avec Aitatxi boire un coup chez Charlot Martine en descendant du Parc des Sports (on l’avait pas encore baptisé). Ça fait aussi repères, une sorte de GPS mental, un peu déréglé à cause des Fidjiens mais qui indique quelques directions, vaille que vaille.

C’est pas moderne : je sais pas si t’as remarqué mais y’a plein de jeux de foot pour consoles, mais pas de jeu de rugby. C’est pas universel : tu fais une Coupe du Monde, t’as du mal à regrouper plus de dix équipes de bon niveau. C’est pas poli : on se marche un peu sur la gueule et plus si affinités. C’est compliqué avec ces arbitres qui désignent l’équipe à qui profite la faute au lieu du joueur coupable. Ça marque pas toujours le même nombre de points : un coup, c’est deux, un coup, c’est trois, un coup, c’est cinq.

Et puis, regarder toujours en arrière avec un ballon qui va où il veut quand tu le lâches. Et puis, applaudir un beau mouvement de l’adversaire, pas siffler comme un con pour déstabiliser l’autre, celui qui va t’en passer trois comme une fleur. Ce qui n’est pas incompatible avec le chauvinisme qui est une manière de défendre les siens, pas d’attaquer les autres.

Avec tout ça, comment veux tu qu’on se sente pas membre d’une caste ? Pire encore, comment veux tu qu’on se sente pas indigène d’un territoire ?

Ça nous emmène loin de Chabal. Pas tant que ça…Ce qu’on lui reproche à Chabal, c’est de donner une image rustique du rugby. Une image pas civilisée. Alors que c’est tout le contraire. Une des plus belles images de civilisation que j’ai vues, c’est un banquet organisé par Doxpi à Espelette pour les premières lignes de l’Equipe de France. Il y avait de l’Histoire, de la Gastronomie, de la Musique, de l’Amitié, du Respect, de la Force…tout ce qui fait qu’un peuple est civilisé.

On en reparlera…

PS : pour être clair, en France, le territoire du rugby, c’est le bassin de la Garonne et la rive droite méridionale du Rhône, les terres de Cyrano… Lo demas, tierras conquistadas. Et je dédie ce texte à Jasmine, pour son grand-père, grand entraîneur du PUC et Dacquois, but nobody's perfect.

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