lundi 14 juillet 2014

CINQ LEGUMES PAR JOUR : LE PRIX A PAYER

Il y a deux Andalousies : à l’Ouest, toros, flamenco et stations balnéaires. A l’Est, c’est un autre voyage, un voyage vers les bas-fonds de notre société.

De Malaga, filez vers Almeria. Malgré son statut de nationale, la route n’est pas très large. Elle serpente en corniche au dessus des flots, offre des aperçus sur de sublimes petites criques. Les villages sont de plus en plus petits, c’est l’Andalousie maritime mais non balnéaire.
Quelques kilomètres avant Adra, l’horizon scintille et brille comme si le sol était couvert d’argent. C’est le cas. De l’argent bien sonnant et trébuchant. Ce scintillement éblouissant ce sont les serres de la province d’Almeria, ce que l’on appelle sans rire le potager de l’Europe. Des milliers de serres couvrant des milliers d’hectares où poussent toute l’année les tomates et les laitues que l’on retrouve à Rungis. Il fait beau, c’est l’Andalousie, pourquoi des serres ?

Tout simplement parce la hantise de l’agriculteur, c’est l’incertitude. Avec les serres pas d’incertitude : le sol est propre, c’est du géotextile (le géotextile est un sol artificiel produit par la pétrochimie, parfaitement stable, où les plantes peuvent s’enraciner) ; les plantes poussent en hydroponique : de l’eau, une solution d’engrais et de produits phytosanitaires et le végétal grandit, grandit, grandit. Pas de sable, pas de limaces, tout est propre, prêt à consommer. L’ordinateur central régule tous les paramètres pour ralentir ou accélérer la croissance en fonction du cours à Rungis. Quant à la serre, elle est là surtout pour que le vent et la pluie n’abîment pas les récoltes.

Dans quelques exploitations, on peut visiter. On n’y reste pas longtemps, la température oscille entre 40 et 50°C et l’humidité flirte avec les 100%. Irrespirable, surtout avec les effluves d’engrais. Mais, on vous le dira : avec la technologie, pas besoin de main d’œuvre, l’ordinateur fait tout.

Ah oui ? Et pour cueillir ? Cueillir ? C’est une plaisanterie…Mouais… l’interlocuteur élude, parle d’autre chose…

Il faut alors poursuivre jusqu’à El Ejido (ça veut dire le village, c’est joli comme nom), quitter la gran via et se balader. D’abord ce qu’on voit, c’est la gare routière et les garages. Ils sont tous là : Daf, Volvo, Magirus, tous les concessionnaires de poids lourds. Et des poids lourds, croyez moi, y’en a. Des centaines, garés, manoeuvrant, monstres énormes entre lesquels il faut se glisser pour parvenir au bidonville. Parce que El Ejido, c’est l’un des plus gros bidonvilles d’Espagne. On y parle plein de langues, du wolof au mandingue. … Des milliers de travailleurs, pratiquement tous clandestins. C’est génial un clandestin, ça accepte tous les boulots, tous les salaires, ça se syndique pas, ça râle pas. Pour bosser huit heures dans les serres par 50°C, c’est parfait. Bon, dire que les conditions de vie à El Ejido sont paradisiaques, ce serait mentir. Et puis, une petite laitue au mois de janvier, ça vaut bien quelques sacrifices, non ? Surtout les sacrifices des autres….

Toute la journée, les camions quittent El Ejido, chargés jusqu’à la gueule de cagettes, et prennent le chemin de Toulouse ou Rungis

Honnêtement, c’est du tourisme génial. Pas parce qu’on peut voir l’Afrique sans passer la Méditerranée.
Parce qu’on touche du doigt la réalité du quotidien. Pour manger tous les jours les cinq fruits et légumes que nous recommande le gouvernement, le prix à payer est faible :

1/ un paysage massacré, mais ce ne sont que des serres, c’est moins grave que le béton

2/ des quantités hallucinantes d’eau gaspillées. Au point qu’un plan du gouvernement espagnol avait envisagé de détourner le cours de l’Ebre pour satisfaire les besoins de l’Andalousie. Mais oui : ils étaient prêts à détourner l’Ebre sur plus de 600 kilomètres pour nos laitues. Les écolos ont râlé, ça s’est calmé. Mais les besoins en eau subsistent.

3/ tous ces engrais, il faut bien qu’ils aillent quelque part car les légumes ne consomment pas tout. Où ? Dios lo sabe…

4/ des hectolitres de gas-oil pour remonter vers le nord les bons produits du sud. 7000 camions par jour à Biriatou, 5000 au Perthuis, ça en fait du CO2 dans l’atmosphère

5/ et le coût humain ? En Andalousie, les associations qui s’occupent des clandestins sont toutes persuadées que le trafic est organisé. Pour casser les prix…

Quand je refuse de bouffer des tomates en janvier, on me dit que je suis snob ou jeanpierrecoffesque.

Non, je suis juste un touriste. Un touriste qui met son nez où ça pue, mais un touriste.

A El Ejido, pas besoin de chiffres, de statistiques où je ne sais quoi. On comprend vite…Surtout quand on regarde les petites annonces du journal local et qu’on voit le prix auquel se négocient les serres : 5 à 600 euros le mètre carré (un mètre carré, c’est pour six pieds de tomate) Allez vous étonner que la concession Mercedes d’Almeria soit la plus grosse d’Espagne… Allez vous étonner qu’une partie de ce fleuve de fric soit détournée pour que les lois ne lui fassent pas barrage…Allez vous étonner de bouffer de la merde…

On en reparlera…

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