lundi 5 juin 2023

LE ROMAN NATIONAL-1

On en parle peu tant il semble désormais naturel après deux siècles de ressassage qui ont fait de la France un ensemble cohérent à la volonté d’union confirmée et quasi éternelle. Ensemble cohérent capable d’absorber toute population allochtone : dire le contraire vous fait stigmatiser au titre de la xénophobie.

 

Stigmatisation réelle, j’en porte les traces. « Monsieur Chabaud,avec votre accent tonique vous ne parlerez jamais un français correct. » C’est une sorte de xénophobie, sauf que je suis français. Français avec un accent et donc pas vraiment français. J’ai longtemps cherché, au point d’aimer Pagnol (ne pas avoir d’accent, c’est déjà en avoir un). Qu’opposer à xeno ? Suis-je un fils de barbare ? D’autant que je suis de Gascogne, terre romane s’il en est. Et mon prof vient d’Alsace. A t’il une légitimité pour me juger ?

 

Parallèlement, la bibliographie me gratouille où l’étymologie doit se plier aux analyses de Bloch et Wartburg et où les Boches parlent de provençal plutôt que de gascon. J’ai un sentiment d’embrouille à mon encontre. Hilh de pute ! J’avale mes mauvaises notes et je passe à autre chose. Pendant cinquante ans, mais en gardant l’œil aiguisé, découvrant, grâce au professeur Joêl Le Gall que mon trisaieul avait participé de près à l’écriture du roman national et s’était trouvé impliqué dans une confrontation franco-allemande dont j’ignorais tout. Christian Goudineau eut l’obligeance de me mettre à niveau et de m’indiquer des chemins qui m’évitaient bien des errances.

 

Faisons simple : au XIXème siècle, France et Allemagne se disputent la prééminence européenne. Quelle nation peut être considérée comme le berceau de l’Europe ? La nouvelle Rome ? Napoléon III et Bismarck rivalisent. Le premier a constitué une équipe de chercheurs autour de Prosper Mérimée., le second s’appuie sur les frères Humboldt, phares de l’intelligentsia teutonne. L’Empereur écarte d’emblée l’hypothèse d’une France issue des Francs qui sont des Germains. Nos ancêtres les Gaulois peuvent naitre. En face, il y a les Germains, appuyés par l’autorité morale de Tacite. Problème : ils sont un peu récents.

 

Qu’à cela ne tienne ! Les Humboldt sont linguistes, ils tracent donc un chemin. Théorique mais que leur respectabilité rend vraisemblable. En partant des états anciens d’une langue, on peut retracer sa généalogie. En admettant que le français dérive du latin, on peut écrire son histoire mais, comme il s’agit de philologie, il faut s’appuyer sur les textes existants, et donc sur la littérature médiévale. On assiste alors à une ruée des philologues européens sur ce qu’on appelle la « littérature provençale » et les poèmes des troubadours. La France n’échappe pas au mouvement avec, pour tête de file, Paulin Paris, professeur au Collège de France, champenois de naissance. Les auteurs allemands se qualifient volontiers de « romanistes ». Le fils de Paulin Paris, Gaston, s’imbibera très jeune d’influences germaniques notamment avec le germaniste Diez dont le nom est pourtant bien navarrais, avant de succéder à son père.

 

Faute de pouvoir disqualifier les chercheurs français, les Teutons semèrent dans leur idéologie les raisins de la discorde en s’appuyant sur la littérature de langue d’oil. Ce corpus, par essence limité depuis la croisade contre les Albigeois, ouvrait la voie à une lecture univoque de la langue dissoute dans le brouillard des origines. Dès son premier travail, Gaston Paris, s’appuyant sur les travaux de Diez, expose que l’accent tonique (déjà) est un outil de discrimination nécessaire et suffisant pour juger du caractère littéraire d’une œuvre et de l’évolution de la langue. Le territoire de la langue n’est jamais évoqué, l’auteur opposant seulement les accentuations populaires aux accentuations nobles. Et c’est ainsi que l’influence germanique devient le guide de l’histoire..

 

Il semble évident que le choix de la langue d’oil ouvrait la porte au poids teuton de l’accentuation tonique. Bismarck avait gagné : l’allemand avait créé le français ou peu s’en fallait, avec la bénédiction des meilleurs philologues français. A tout le moins, selon une conception généalogique de la linguistique, prépondérante alors.


A suivre....

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